Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelles sont les raisons de consulter le MG et de prescrire si souvent des antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires chez l’enfant ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 2 Page 31 - 34

Professions de santé


Analyse de
Cabral C, Lucas PJ, Ingram J, et al. “It’s safer to….” parent consulting and clinician antibiotic prescribing decisions for children with respiratory tract infections: an analysis across four qualitative studies. Soc Sci Med 2015;136-137:156-64.


Question clinique
Pourquoi les parents consultent-ils le médecin généraliste si souvent et pourquoi les médecins généralistes prescrivent-ils des antibiotiques si fréquemment en cas d’infection aiguë des voies respiratoires (IRA) de l’enfant ?


Conclusion
Cette vaste étude qualitative, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que le fait de consulter fréquemment le médecin généraliste et de prescrire trop d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires chez l’enfant sont des attitudes qui dépendent souvent de facteurs non médicaux, comme le sentiment de vulnérabilité des enfants, l’envie d’offrir aux enfants la meilleure sécurité possible, les expériences antérieures vécues par les parents et l’adéquation tant des parents que des médecins à un comportement socialement souhaitable.


Contexte

L’utilisation rationnelle des antibiotiques reste un sujet d’actualité eut égard aux statistiques indiquant une augmentation de la résistance bactérienne (1). Malgré le caractère spontanément résolutif des infections aiguës des voies respiratoires chez l’enfant, les parents consultent quand même très souvent le médecin généraliste (2,3) et celui-ci prescrit encore trop souvent des antibiotiques. L’objectif de cette étude est de mieux comprendre ce phénomène à partir de l’analyse d’études qualitatives.

 

Résumé

Population étudiée

  • 60 parents (dont la moitié avait moins de 35 ans ; seulement 2 pères) d’une région urbaine et d’une région rurale de l’Angleterre du Sud-Ouest, dans diverses situations socioéconomiques, avec un nombre variable d’enfants (40% avaient un enfant seulement) d’âges différents (dans 35% des cas, l’enfant le plus jeune était âgé de moins de 2 ans), qui consultaient régulièrement le médecin généraliste (MG) (dans la moitié des cas > 4 x/an), impliqués dans 3 études ; 22 MG et 6 infirmiers praticiens de la même région avec des expériences de pratique de durées variables
  • une synthèse méthodique incluant 15 études qualitatives et comprenant 101 parents et 207 médecins.

 

Protocole de létude

Protocole d’étude qualitative

  • analyse intégrée des données qualitatives de 3 études indépendantes et d’une synthèse méthodique conçues pour étayer le développement d’une intervention
  • les 3 études utilisaient des focus groups et des entretiens individuels pour rassembler des données sur le processus décisionnel et les opinions et les expériences des parents relatifs aux consultations chez le médecin généraliste pour des infections aiguës des voies respiratoires de leurs enfants ; au moyen d’entretiens individuels, des données sur les expériences et l’action des médecins généralistes et des infirmiers praticiens consultés pour une IRA chez un enfant ont été rassemblées ; les données ont été collectées et analysées de manière parallèle jusqu’à ce que la saturation ait été atteinte ; les investigateurs des différentes études se sont régulièrement réunis pour une mise en commun des thèmes récurrents
  • la synthèse méthodique a examiné les opinions des parents et des médecins relatives à la prescription de médicaments aux enfants présentant une IRA.

 

Résultats

Quatre thèmes globaux ont été identifiés chez les parents et les médecins :

  • Les enfants sont considérés comme des personnes « vulnérables » 
    tant les parents que les médecins estiment que les enfants sont plus vulnérables et doivent bénéficier d’une protection plus importante contre les problèmes de santé ; les parents considèrent qu’un enfant confronté à une infection est très vulnérable ; l’idée de vulnérabilité sert d’argument aux parents pour consulter plus rapidement et plus souvent aux médecins pour prescrire les antibiotiques
  • Une situation d’incertitude pousse à rechercher de la « sécurité » 
    les parents consultent souvent le médecin parce qu’ils sont convaincus de la nécessité d’une évaluation clinique pour exclure une infection sévère ou une affection associée (comme un problème immunitaire par exemple) ; les médecins ont conscience que la plupart des enfants qui toussent sont atteints d’une infection banale, mais ils se rendent compte également qu’il est cliniquement difficile d’identifier les cas graves ; la crainte de passer à côté des cas graves les motive, d’une part, à encourager les parents à consulter de nouveau et, d’autre part, à prescrire des antibiotiques plus souvent que nécessaire ; une nouvelle consultation pour un même épisode de maladie renforce l’incertitude du médecin et le pousse à prescrire plus d’antibiotiques ; de même, lorsque le médecin doute de la capacité des parents à reconnaître une infection sévère, il prescrit plus rapidement des antibiotiques
  • Il s’agit d’éviter « un comportement indésirable sur le plan social ou professionnel » 
    lorsque les parents doivent décider de consulter le médecin pour leur enfant, ils sont souvent confrontés à un dilemme : ils ne veulent pas déranger le médecin inutilement pour une banale infection spontanément résolutive, mais ils ne voudraient pas passer pour des parents irresponsables ; comme le diagnostic est incertain, les médecins considèrent que la prescription inutile d’antibiotiques chez l’enfant ne constitue pas une erreur professionnelle ; ils considèrent par contre que leur intégrité professionnelle est plus gravement menacée s’ils passent à côté d’une infection sévère
  • L’« expérience » acquise peut augmenter le sentiment de sécurité
    des parents qui ont souvent des enfants plus âgés et habitent des régions plus favorisées et qui ont été confrontés à des épisodes de toux spontanément résolutive de leur enfant, acquièrent plus de confiance avec l’auto-efficacité ; d’avoir déjà été confronté à une infection sévère ou à l’utilisation d’antibiotiques conduit souvent à consulter plus vite le médecin et à attribuer de l’importance aux antibiotiques pour éviter des souffrances inutiles ; lorsque les médecins ont déjà été confrontés à des enfants gravement malades (par exemple à l’hôpital), ils se sentent plus compétents pour faire la distinction entre une infection banale et une infection plus sévère.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les interventions futures visant à réduire les consultations inutiles ainsi que les prescriptions d’antibiotiques inutiles devront tenir compte des normes sociales et parvenir à donner un sentiment de sécurité tant aux parents qu’aux médecins.

 

Financement de l’étude

National Institute for Health Research.

 

Conflit dintérêts des auteurs

Aucun conflit d’intérêts n’est signalé par les auteurs.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les investigateurs utilisent à raison une conception d’étude qualitative qui permet d’explorer le motif pour lequel les parents d’enfants atteints d’IRA consultent leur MG et les facteurs qui influencent la décision du médecin de prescrire des antibiotiques (4,5).

Les 3 études qualitatives originales ont été conçues correctement d’un point de vue méthodologique. Les investigateurs ont utilisé différentes techniques de collecte des données (triangulation). Ils ont organisé des focus groups dans des locaux communautaires tandis que la plupart des entretiens individuels avaient lieu au domicile des parents. Les entretiens ont eu lieu jusqu’à saturation. L’analyse des données a été correctement décrite et répond aux différents critères méthodologiques de qualité (6). Il avait été décidé au préalable que les investigateurs des différentes études se réuniraient régulièrement pour identifier des thèmes communs. La synthèse méthodique qualitative (7) a également été menée correctement : utilisation d’une stratégie de recherche étendue, mise sur pied d’une équipe d’experts (8), analyse approfondie des possibilités d’utilisation et qualité méthodologique des études incluses (9), choix de la méta-ethnographie comme méthode de regroupement des données. A cet effet, des concepts de « premier niveau » (des participants) et de « deuxième niveau » (des auteurs) provenant des différentes études ont été confrontés les uns aux autres et, lorsque c’était possible, ont été regroupés en nouveaux concepts plus larges de « troisième niveau ». Ces concepts ont ensuite été mis en rapport avec les thèmes des 3 études qualitatives. Les auteurs sont ainsi parvenus à se faire une idée complète et étayée des mécanismes susceptibles de jouer un rôle lors de la décision des parents de consulter le MG et lors de la décision de ce dernier de prescrire des antibiotiques en cas d’IRA chez l’enfant.

 

Interprétation des résultats

Les 3 études qualitatives permettent d’expliquer pourquoi les médecins prescrivent trop souvent des antibiotiques en cas d'IRA chez l’enfant. Tout comme les parents, ils estiment que les enfants sont très vulnérables face aux conséquences d’une infection. De plus, lorsqu’ils doivent exclure une infection sévère, ils sont confrontés à un sentiment d’insécurité parce que le diagnostic est incertain. Ils estiment que leur intégrité professionnelle est plus menacée s’ils passent à côté d’une infection sévère que s’ils prescrivent des antibiotiques à tort. Cette position a également été mise en avant dans la méta-analyse. En raison de l’incertitude concernant l’évolution clinique des infections chez les enfants, les médecins adoptent une stratégie plus défensive, qui s’accompagne d’une prescription accrue d’antibiotiques. Par ailleurs, il apparait que les médecins vont davantage essayer d’éviter de prescrire des antibiotiques s’ils sont mieux prévenus des effets indésirables ou du danger de résistance bactérienne, si le diagnostic est plus certain et si les pressions auxquelles ils sont soumis de la part des parents sont moins fortes. La recherche de nouveaux tests permettant de poser un diagnostic avec plus de certitude et de limiter l’utilisation des antibiotiques est par conséquent très pertinente (10). La méta-analyse montre également que, dans leur demande d’antibiotiques, les parents sont eux aussi souvent soumis à des contraintes sociales. En réalité, ils veulent éviter les effets indésirables des antibiotiques et sont même réticents à l’égard des antibiotiques quand ils ne permettent pas de soulager les symptômes de leur enfant. En général, ils se contentent de demander une évaluation médicale et sont en quête d’une décision. Ce point étaie l’importance des compétences des MG en communication (2,10,11).

Enfin, les 3 études qualitatives ont également montré l’importance de l’expérience, tant celle des médecins que celle des parents. Lorsque les médecins ont déjà été confrontés au diagnostic d’infections sévères, ils se sentent plus à même de distinguer les infections banales des infections plus sévères. Chez les parents, on observe plutôt l’inverse. Si, par le passé, ils ont déjà été confrontés à une évolution sévère d’une IRA chez un enfant, ils sont plus anxieux et sont plus sensibilisés au danger potentiel que les parents qui ont eu l’expérience d’une évolution habituelle de la maladie. Une éducation des parents pour apprendre à distinguer les symptômes normaux des symptômes sévères (dans ce dernier cas, une visite chez le médecin est fortement recommandée) (12) et l’utilisation d’une brochure permettant au médecin de rassurer les parents et de les informer sur l’infection et le traitement pourraient aider à prévenir ce problème (13).

 

Conclusion de Minerva

Cette vaste étude qualitative, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que le fait de consulter fréquemment le médecin généraliste et de prescrire trop d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires chez l’enfant sont des attitudes qui dépendent souvent de facteurs non médicaux, comme le sentiment de vulnérabilité des enfants, l’envie d’offrir aux enfants la meilleure sécurité possible, les expériences antérieures vécues par les parents et l’adéquation tant des parents que des médecins à un comportement socialement souhaitable.

 

Pour la pratique

Les résultats de cette étude qualitative permettent de suggérer que les prescriptions inutiles d’antibiotiques chez les enfants atteints d’infection aiguë des voies respiratoires pourraient être limitées grâce à des interventions axées tant sur la sécurité des médecins lorsqu’ils ne prescrivent pas d’antibiotiques que sur leur mise en garde vis-à-vis de la surprescription d’antibiotiques, qui comporte elle aussi des risques, comme l’apparition de résistances bactériennes. Des interventions visant à former les parents à faire la distinction entre les atteintes spontanément résolutives et les cas sévères pourraient permettre de limiter les consultations excessives en cas d’infection des voies respiratoires chez leur enfant. De bonnes compétences en communication du médecin, l’éducation et des informations correctes jouent ici un rôle essentiel (2,11-13).

 

 

Références

  1. Butler CC, Hood K, Verheij T, et al. Variation in antibiotic prescribing and its impact on recovery in patients with acute cough in primary care: prospective study in 13 countries. BMJ 2009;338:b2242.
  2. Coenen S. Est-il vraiment possible de réduire le nombre de consultations et l’usage des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires chez l’enfant. Minerva bref 28/10/2012.
  3. www.intego.be
  4. Poelman T. Des chiffres aux citations… Etude qualitative : méconnue malaimée ? [Editorial] MinervaF 2015;14(2):13.
  5. Popay J, Williams G. Qualitative research in evidence-based healthcare. J R Soc Med 1998;91 Suppl35:32-7.
  6. Poelman T. A quels critères une étude qualitative doit-elle répondre ? MinervaF 2015;14(2):24.
  7. Lucas PJ, Cabral C, Hay AD, Horwood J. A systematic review of parent and clinician views and perceptions that influence prescribing decisions in relation to acute childhood infections in primary care. Scand J Prim Health Care 2015;33:11-20.
  8. Noyes J, Lewin S. Chapter 5: Extracting qualitative evidence. In: Noyes J, Booth A, Hannes K, et al, (editors). Supplementary guidance for inclusion of qualitative research in Cochrane systematic reviews of interventions. Version 1. Cochrane Collaboration Qualitative Methods Group, 2011.
  9. Popay J, Rogers A, Williams G. Rationale and standards for the systematic review of qualitative literature in health services research. Qual Health Res 1998;8:341-51.
  10. De Sutter A. Limiter la prescription d’antibiotiques en mesurant la CRP et par un apprentissage de la communication ? MinervaF 2010;9(6):70-1.
  11. Adriaenssens N. Prise de décision partagée : moins de prescriptions d’antibiotiques ? MinervaF 2013;12(4):47-8.
  12. Brookes-Howell L, Hood K, Cooper L, et al. Understanding variation in primary medical care: a nine-country qualitative study of clinicians’ accounts of the non-clinical factors that shape antibiotic prescribing decisions for lower respiratory tract infection. BMJ Open 2012,2 pii: e000796.
  13. Francis N, Wood F, Simpson S, et al. Developing an 'interactive' booklet on respiratory tract infections in children for use in primary care consultations. Patient Educ Couns 2008;73:286-93.

 


Auteurs

Anthierens S.
eerstelijnssocioloog, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, vakgroep ELIZA, Universiteit Antwerpen
COI :

Glossaire

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