Revue d'Evidence-Based Medicine



Utilité d’un dosage de la troponine T ultrasensible chez les patients atteints de diabète de type 2 et présentant un risque cardiovasculaire élevé ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 2 Page 47 - 50

Professions de santé


Analyse de
Everett BM, Brooks MM, Vlachos HE, et al. Troponin and cardiac events in stable ischemic heart disease and diabetes. N Engl J Med 2015;373:610-20.


Question clinique
Chez les patients atteints de diabète de type 2 avec cardiopathie ischémique stable, un dosage de la troponine T ultrasensible permet-il de prédire un risque élevé d’événements cardiovasculaires et de définir qui pourra bénéficier d’une revascularisation coronaire en urgence ?


Conclusion
Il ressort de cette analyse post hoc d’une étude randomisée menée en ouvert que, chez les patients atteints du diabète de type 2 qui ont une cardiopathie ischémique stable, il existe un lien entre, d’une part, la concentration de troponine T ≥ 14 ng/l, mesurée par électrochemoluminescence (ECLIA), et, d’autre part, la morbidité cardiovasculaire et la mortalité cardiovasculaire. Cette étude ne nous permet pas de tirer de conclusion à propos de l’utilité clinique du dosage de la troponine T ultrasensible en dehors du syndrome coronarien aigu, comme pour orienter certains patients vers une revascularisation.


Contexte 

Le diagnostic d’infarctus du myocarde aigu repose sur la présence de signes cliniques et/ou électrocardiographiques d’ischémie du myocarde avec élévation et/ou diminution de la concentration de la troponine au cours d’une série de prélèvements sanguins, dont au moins une valeur étant au-delà du 99e percentile de la courbe de référence (11). Une concentration de troponine supérieure à la valeur du 99e percentile de la courbe de référence en absence de signes d’ischémie aiguë et sans élévation ou diminution au cours d’une série de prélèvements sanguins peut indiquer une nécrose des cellules myocardiques due à une autre cardiopathie (1). Une étude publiée en 2013 avait montré une concentration de troponine I supérieure au seuil de détection chez 98,5% des patients inclus atteints d’une cardiopathie coronaire stable avec conservation de la fonction systolique. Après une période de suivi de cinq ans, plus de décès cardiovasculaires ou d’insuffisances cardiaques dans le quartile supérieur de la concentration de troponine I versus les trois quartiles inférieurs avaient également été observés (2).

 

Résumé

Population étudiée

  • 2285 patients atteints à la fois de diabète de type 2 et de cardiopathie ischémique stable (avec ou sans symptômes d’angor léger) ont été inclus pouvant bénéficier soit d’une intervention coronaire percutanée soit d’un pontage aortocoronarien ; âge médian de 61 ans (intervalle interquartile de 55 à 68 ans) et 64 ans (intervalle interquartile de 58 à 71 ans); de 65 à 78% des patients étaient de sexe masculin.

 

Protocole de l’étude

Analyse post hoc de l’étude BARI 2D (Bypass Angioplasty Revascularization Investigation in Type 2 Diabetes) (3)

  • randomisation entre un groupe subissant une revascularisation précoce + traitement médicamenteux intensif et un groupe recevant uniquement un traitement médicamenteux intensif. Stratification en fonction de la concentration de troponine T en 2 groupes : soit normale (< 14 ng/l), soit trop élevée (≥ 14 ng/l). Chez tous les participants, enregistrement de la concentration de troponine T, mesurée par électrochemoluminescence (ECLIA), méthode ultra-sensible, tant au début (n = 2285) qu’après un an de suivi (n = 1984) de la RCT
  • enregistrement centralisé des infarctus du myocarde, des AVC (sur la base des critères fixés) et de la mortalité cardiovasculaire
  • suivi médian de 5 ans (intervalle interquartile de 4,1 à 6,0 ans).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite combinant mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal et AVC non fatal
  • calcul du rapport de hasards (Hazard Ratio, HR) suivant le modèle de hasards proportionnels de Cox permettant de tenir compte de covariables telles que l’âge, la race, le sexe, l’affectation au groupe revascularisation, la pression artérielle systolique, les antécédents de tabagisme, d’AIT/AVC, d’infarctus du myocarde, ou d’insuffisance cardiaque ; le cholestérol total et le HDL-cholestérol, l’HbA1c, l’utilisation d’insuline, le BMI, la fonction rénale, les résultats d’ischémie ou d’insuffisance cardiaque à l’angiographie et à l’ECG, la concentration de NT-proBNP.

 

Résultats

  • 2277 patients (99,6%) avaient une concentration de troponine T ≥ 3 ng/l (limite de détection)
  • 897 des 2285 patients (39,3%) présentaient une concentration de troponine T trop élevée (≥ 14 ng/l) en début d’étude
  • après 5 ans, le critère de jugement composite a été observé chez 27,1% des patients avec une concentration de troponine T ≥ 14 ng/l versus 12,9% des patients avec une concentration normale en début d’étude (HR corrigé de 1,56 avec IC à 95% de 1,22 à 1,99 ; p < 0,001)
  • après 5 ans, une diminution statistiquement significative du critère de jugement composite après revascularisation en urgence n’a pas été observée (HR de 0,96 avec IC à 95% de 0,74 à 1,25) dans le sous-groupe des patients qui, au départ, avaient une concentration de troponine T ≥ 14 ng/l.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la concentration de troponine T est un facteur prédictif indépendant de décès par mortalité cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde non fatal ou d’AVC non fatal chez les patients atteints à la fois de diabète de type 2 et de cardiopathie ischémique stable. Une concentration anormale de troponine T ≥ 14 ng/l n’a pas permis d’identifier de sous-groupe de patients à qui profiterait une revascularisation coronaire en urgence.

 

Financement de l’étude

National Heart, Lung and Blood Institute, National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases of the National Institutes of Health, Roche Diagnostics.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

La plupart des investigateurs ont signalé avoir des liens avec différentes firmes pharmaceutiques et en recevoir des honoraires.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est une analyse d’observation post hoc de l’étude BARI 2D (Bypass Angioplasty Revascularization Investigation in Type 2 Diabetes) analysée en 2010 dans Minerva (3,4). Les résultats observés ne sont donc qu’exploratoires, et une étude prospective de validation devrait en principe être nécessaire pour montrer l’utilité du dosage de la troponine T ultrasensible chez les patients atteints d’une cardiopathie stable. Le rapport entre la concentration de la troponine T et les morbidités et mortalité cardiovasculaires a été corrigé pour tenir compte d’un grand nombre de facteurs de confusion associés au risque cardiovasculaire ou de la concentration de la troponine T (il y a en effet des éléments qui indiquent qu’elle est liée au sexe et à l’âge (5)). L’altération de la fonction rénale et les cardiopathies non ischémiques peuvent également avoir une influence sur la concentration de la troponine T (1). Pour ce qui est du lien entre la concentration de la troponine T et l’efficacité de la revascularisation, une analyse de sensibilité a été effectuée. Le sous-groupe des patients ayant au départ une concentration de la troponine T trop élevée a été réparti en quintiles de concentration croissante. Etant donné le nombre élevé de permutations dans l’étude initiale, on a également examiné après un an si les résultats différaient entre le groupe avec concentration normale en troponine T et le groupe avec concentration de troponine T ≥ 14 ng/l. Les 2 analyses de sensibilité n’ont montré aucune différence des résultats.

 

Interprétation des résultats

Il ressort de cette étude que, chez les patients atteints à la fois de diabète de type 2 et de cardiopathie ischémique stable, une concentration de troponine T trop élevée (≥ 14 ng/l), mesurée par électrochemoluminescence (ECLIA), était associée à une élévation d’environ 50% du risque d’infarctus du myocarde, d’AVC, d’insuffisance cardiaque, de mortalité cardiovasculaire et de mortalité de toutes causes confondues, alors que ces patients, pendant une période de suivi de cinq ans, ont bénéficié d’un traitement intensif de l’hypertension artérielle, de l’hyperlipidémie, et du diabète. Cette constatation suggère qu’une concentration de troponine T ≥ 14 ng/l est un marqueur pronostique indépendant important chez les patients atteints à la fois de diabète de type 2 et de cardiopathie ischémique stable. Ces résultats sont à mettre en rapport avec ceux d’une autre analyse post hoc de l’étude PEACE (Prevention of Events with Angiotensin-Converting Enzyme Inhibition Therapy) (2). Celle-ci avait montré que, chez les patients atteints de cardiopathie ischémique stable, le quartile supérieur de la concentration de troponine I, par comparaison avec les trois quartiles inférieurs, après un suivi d’une durée médiane de cinq ans, était associé à un risque accru de décès cardiovasculaire et d’insuffisance cardiaque, mais pas d’infarctus du myocarde, et ce indépendamment des autres facteurs de risque. De plus, ces résultats sont concordants avec les résultats d’une étude menée auprès de femmes atteintes de diabète de type 2 sans cardiopathie ischémique (6), où un lien comparable entre la concentration de la troponine T ultrasensible d’une part, et la morbidité cardiovasculaire et la mortalité cardiovasculaire d’autre part, a été observé.

Dans le sous-groupe avec concentration de troponine T ≥ 14 ng/l, la revascularisation coronaire n’a pas paru diminuer le risque d’événements cardiovasculaires de manière statistiquement significative. Les auteurs reconnaissent que la population de l’étude était peut-être trop restreinte pour examiner un effet thérapeutique de l’intervention de revascularisation dans un sous-groupe de patient avec concentration de troponine T ≥ 14 ng/l. L’estimation ponctuelle montre toutefois une diminution de seulement 4%, ce qui est beaucoup moins que la diminution de 25% des événements cardiovasculaires graves et la diminution de 30% de la mortalité que les investigateurs de l’étude initiale BARI 2D avaient prévues (3). Une étude incluant un plus grand nombre de patients aurait peut-être montré un résultat statistiquement significatif, sans être pour autant cliniquement pertinent. Le fait que la concentration de la troponine T ne permet pas de prédire l’efficacité de la revascularisation s’explique probablement surtout par le fait que, outre l’ischémie, il existe encore un grand nombre d’autres facteurs susceptibles de provoquer une élévation de la concentration sanguine de la troponine T, comme l’ischémie de la microcirculation, l’hypertension artérielle, les troubles métaboliques et les atteintes de la fonction rénale (1). Une diminution de la concentration de la troponine T après la revascularisation n’est d’ailleurs pas observée.

 

Conclusion de Minerva

Il ressort de cette analyse post hoc d’une étude randomisée menée en ouvert que, chez les patients atteints du diabète de type 2 qui ont une cardiopathie ischémique stable, il existe un lien entre, d’une part, la concentration de troponine T ≥ 14 ng/l, mesurée par électrochemoluminescence (ECLIA), et, d’autre part, la morbidité cardiovasculaire et la mortalité cardiovasculaire. Cette étude ne nous permet pas de tirer de conclusion à propos de l’utilité clinique du dosage de la troponine T ultrasensible en dehors du syndrome coronarien aigu, comme pour orienter certains patients vers une revascularisation.

 

Pour la pratique

Les patients avec un angor stable présentent un risque cardiovasculaire élevé (7). Cette étude nous permettrait de considérer la concentration de troponine T ≥ 14 ng/l comme étant un facteur de risque supplémentaire d’événements cardiovasculaires dans ce groupe de patients. Selon les recommandations d’EBM Practice Net, la détermination de la nécessité d’une revascularisation et du choix de la méthode la plus appropriée (angioplastie coronaire percutanée (PCI) / pontage aorto-coronarien) ne se fonde pas uniquement sur la gravité, l’emplacement et le nombre d’occlusions coronaires, mais aussi sur l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche, les éventuelles valvulopathies, la sévérité des symptômes et les comorbidités (diabète, insuffisance rénale) (8). D’après cette étude, la concentration de la troponine T n’est d’aucune aide à la décision de procéder ou non à une revascularisation en cas de cardiopathie ischémique stable. Pour le moment, il n’est donc pas utile d’avoir recours au dosage de la troponine T ultrasensible dans ce cadre (9).

 

 

Références

  1. Thygesen K, Alpert JS, Jaffe AS, et al. Third universal definition of myocardial infarction. J Am Coll Cardiol 2012;60:1581-98.
  2. Omland T, Pfeffer MA, Solomon SD, et al; PEACE Investigators. Prognostic value of cardiac troponin I measured with a highly sensitive assay in patients with stable coronary artery disease. J Am Coll Cardiol 2013;61:1240-9.
  3. BARI 2D Study Group, Frye RL, August P, Brooks MM, et al. A randomized trial of therapies for type 2 diabetes and coronary artery disease. N Engl J Med 2009;360:2503-15.
  4. Chevalier P. Angor stable : prise en charge similaire si diabète. MinervaF 2010;9(2):27.
  5. Gore MO, Seliger SL, Defilippi CR, et al. Age- and sex-dependent upper reference limits for the high-sensitivity cardiac troponin T assay. J Am Coll Cardiol 2014;63:1441-8.
  6. Everett BM, Cook NR, Magnone MC, et al. Sensitive cardiac troponin T assay and the risk of incident cardiovascular disease in women with and without diabetes mellitus: the Women's Health Study. Circulation 2011;123:2811-8.
  7. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu, september 2007.
  8. Cardiopathie ischémique (maladie coronarienne, insuffisance coronarienne). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 23/04/2010.
  9. Michiels B. A quoi faut-il faire attention lors de l’interprétation des résultats des études diagnostiques ? MinervaF 2015;14(6):76.

 




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