Revue d'Evidence-Based Medicine



Les résultats de l’étude ROCKET-AF sont-ils encore fiables ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 4 Page 84 - 85

Professions de santé


L’étude ROCKET-AF (1) avait montré, chez des patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire (FA) et un risque accru d’AVC (score CHADS2 ≥ 2), que le rivaroxaban n’était pas inférieur à la warfarine pour la prévention des AVC et des thromboembolies systémiques et que le risque hémorragique n'était pas différent entre ces deux traitements. De plus, il s’était avéré que les hémorragies intracrâniennes et fatales étaient moins fréquentes dans le groupe rivaroxaban. Cependant, il s’agissait de critères de jugement secondaires, et le nombre de sujets à traiter (NST) était d’environ 500 avec un large intervalle de confiance. Sur le plan méthodologique, nous nous posions des questions concernant le fait que les AVC hémorragiques étaient considérés autant comme des éléments du critère de jugement composite primaire pour l’efficacité que comme critère de jugement de sécurité. Du fait de ce choix, il était beaucoup plus difficile d’établir une distinction claire entre les avantages et les inconvénients. En outre, il n’y a toujours pas d’antidote disponible sur le marché belge (2). Malgré ces réserves, le rivaroxaban est le nouvel anticoagulant oral (NACO) le plus vendu dans le monde. La plupart des études cliniques randomisées relatives à l’utilisation des NACO ont eu pour objectif d’établir leur non-infériorité par rapport à la warfarine. Les méta-analyses réalisées à la suite des études originales n’ont pas apporté d’éclaircissements.

Une étude d’observation publiée en 2015 (3) a révélé un certain nombre d’erreurs importantes dans la prescription et l’utilisation des NACO en dehors du cadre de la recherche. On constate que parfois des médecins ne prescrivent pas le bon médicament à la bonne posologie parce qu’ils ne tiennent pas assez compte des comorbidités importantes du patient. De plus, les patients peuvent aussi faire des erreurs lors de la prise de leurs médicaments.

C’est dans ce contexte que le British Medical Journal (BMJ) a révélé qu’en décembre 2014 la FDA (Food and Drug Administration) avait retiré du marché l’appareil portable qui avait été utilisé dans l’étude ROCKET-AF pour déterminer l’INR chez les patients inclus dans le groupe contrôle, c’est-à-dire sous warfarine (4). Cet appareil pouvait donner des valeurs d’INR plus basses, et ce de manière statistiquement significative, que les valeurs de laboratoire classiques. Les adaptations posologiques de la warfarine ont donc pu avoir eu lieu trop tard, ce qui, potentiellement, a pu avoir été dangereux. « Alere », le fabricant de l’appareil, a reçu 18924 rapports concernant le mauvais fonctionnement de l’appareil et 14 signalements de sinistres graves (4). Le fabricant a confirmé que les problèmes étaient connus depuis 2002, c’est-à-dire avant le début de l’étude ROCKET-AF.

Lorsque l’appareil donnait une valeur d’INR occasionnellement ou systématiquement trop basse, la dose de warfarine des patients chez qui l’INR se situait en réalité à la limite supérieure de la normale n’était pas réduite à temps, le risque hémorragique étant dès lors accru. Ces erreurs de mesure et d’adaptation de la dose pourraient avoir injustement donné l’impression d’un risque de saignement plus faible dans le groupe rivaroxaban que dans le groupe warfarine. Nous pouvons dès lors à juste titre remettre en question le choix des investigateurs en la matière. L’appareil n’avait manifestement pas été validé, ou bien la validité de l’appareil n’avait pas été testée avant son utilisation.

La revue BMJ, qui a été la première à déceler cette anomalie, a mis l’EMA (Agence européenne des médicaments) et la FDA face à cette réalité. Les deux principaux contrôleurs des informations pharmacothérapeutiques ont déclaré ne rien savoir du fait qu’un appareil récemment désapprouvé avait été utilisé dans l’étude ROCKET-AF (4). Depuis lors, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une nouvelle analyse indépendante de toutes les données de l’étude. Les mesures de cet appareil portable ont-elles été comparées à celles obtenues avec les analyses de laboratoire classiques ? Quoi qu’il en soit, le fabricant du rivaroxaban fait opposition, et il est donc impossible d’effectuer une étude indépendante sur les données de l’étude originale. L’EMA a entre-temps fait savoir que, selon elle, l’erreur de mesure n’a probablement pas eu d’influence sur le résultat final. Pour cela, elle se base sur les 11000 mesures d’INR (sur un total de 160000) qui ont été effectuées à la semaine 12 et à la semaine 24 de l’étude tant avec l’appareil portable qu’en laboratoire (5). Les résultats de l’appareil portable étaient 13% plus bas que les résultats obtenus en laboratoire. Dans les différentes analyses de sensibilité, cette aberration paraît n’avoir que peu influencé les résultats de l’étude. La FDA n’a pas encore répondu. Finalement, comme on suspecte que les résultats de l’étude ne sont pas fiables, il faudrait recalculer tous les résultats des méta-analyses après en avoir exclu l’étude ROCKET-AF.

Les revues médicales et les chercheurs critiques indépendants restent d’indispensables grains de sable dans l’engrenage du « Big Pharma ». En effet, les autres fabricants donnent maintenant plus d’explications sur les appareils portables qu’ils utilisent dans leurs études (6). Des difficultés avec les données initiales ont également surgi dans l’étude portant sur le dabigatran. Des adaptations ultérieures ont été apportées après le contrôle de l’étude par la FDA et après la constatation qu’un certain nombre d’hémorragies fatales dans le groupe dabigatran n’avaient pas été attribuées au traitement.

Cette controverse a également eu comme conséquence que tant l’EMA que la FDA pensent à faire doser les NACO dans le sang des patients traités afin d’adapter la dose en fonction des résultats pour éviter les saignements en cas de concentration trop élevée et éviter les AVC en cas de concentration trop basse. Les nouvelles analyses de l’étude RELY montreraient qu’il est utile d’adapter la dose de dabigatran en fonction de la concentration plasmatique. Le grand âge, la fonction rénale, le poids et le sexe ont en effet une influence sur les concentrations plasmatiques et peuvent donc nécessiter une adaptation de la dose (7-9). Ceci soulève toutefois plusieurs questions : pourquoi cette publication arrive-t-elle seulement cinq ans après la publication originale ? Ce problème se présente-t-il aussi avec les autres NACO ? Dans l’affirmative, quelle est encore la plus-value des NACO par rapport à la warfarine ?

 

Conclusion

Les NACO sont des substances pharmacologiques actives et potentiellement dangereuses, comme tous les anticoagulants. On ne les utilisera donc que si des études scientifiques fiables montrent leur efficacité et garantissent leur sécurité. En conséquence, les questions relatives à la fiabilité des résultats des études cliniques existantes méritent des réponses claires et transparentes.

 

Références

  1. Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91.
  2. Chevalier P. FA et nouvel anticoagulant oral : le rivaroxaban utile ? MinervaF 2011;10(9):106-7.
  3. Simon J, Hawes E, Deyo Z, Bryant Shilliday B. Evaluation of prescribing and patient use of target-specific oral anticoagulants in the outpatient setting. J Clin Pharm Ther 2015;40:525-30.
  4. Cohen D. Rivaroxaban: can we trust the evidence? BMJ 2016;352:i575
  5. EMA. Assessment report 15/02/2016.
  6. Cohen D. Dabigatran: how the drug company withheld important analyses. BMJ 2014;349:g4670.
  7. Cohen D. Concerns over data in key dabigatran trial. BMJ 2014;349:g4747.
  8. Reilly PA, Lehr T, Haertter S, et al. The effect of dabigatran plasma concentrations and patient characteristics on the frequency of ischemic stroke and major bleeding in atrial fibrillation patients. The RE-LY Trial (Randomized Evaluation of Long-Term Anticoagulation Therapy). J Am Coll Cardiol 2014;63:321-8.
  9. McConeghy KW, Bress A, Qato DM, et al. Evaluation of dabigatran bleeding adverse reaction reports in the FDA Adverse Event Reporting System during the first year of approval. Pharmacotherapy 2014;34:561-9.



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Commentaires

jan baekelandt 09/05/2016 11:44

Onlangs werd ook vastgesteld dat er in alle veiligheidsstudies van rivaroxaban ernstige researchfraude werd gepleegd (Record 1,2,3 en 4-rct's). Ook de Aristotle-studie die de effectiviteit van apixaban t.o.v. warfarine voor atriumfibrillatie bestudeerde, werd geteisterd door researchfraude in de Chinese sites. Als die sites niet werden meegeteld, kwam de geclaimde mortaliteitswinst t.o.v. warfarine in het gedrang. http://www.slate.com/articles/health_and_science/science/2015/02/fda_inspections_fraud_fabrication_and_scientific_misconduct_are_hidden_from.html en http://archinte.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2109855