Revue d'Evidence-Based Medicine



La spironolactone comme traitement adjuvant dans l’hypertension artérielle réfractaire ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 4 Page 90 - 93

Professions de santé


Analyse de
Williams B, MacDonald TM, Morant S, et al. Spironolactone versus placebo, bisoprolol, and doxazosin to determine the optimal treatment for drug-resistant hypertension (PATHWAY-2): a randomized, double-blind, crossover trial. Lancet 2015;386:2059-68.


Question clinique
Par comparaison avec d’autres antihypertenseurs, quelle est l’efficacité de la spironolactone ajoutée au traitement standard en cas d’hypertension artérielle réfractaire ?


Conclusion
Cette étude clinique randomisée croisée, placebo contrôlée, de bonne qualité méthodologique, mais sans critères de jugement forts montre les avantages à court terme (trois mois) de la spironolactone en cas d’hypertension artérielle réfractaire. Il faudrait instamment mener des études à long terme pour examiner la réduction de la mortalité et de la morbidité cardiovasculaires avec la spironolactone dans cette indication.


Contexte

Le produit final du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est l’aldostérone, qui est sécrétée par les glandes corticosurrénales. Tout comme l’angiotensine II, l’aldostérone augmente la pression artérielle par son action rénale en stimulant la réabsorption tubulaire active de sel et d’eau. En toute logique, l’inhibition de ce système au niveau de la production de rénine, d’angiotensine ou d’aldostérone offre des possibilités thérapeutiques pour les patients atteints d’hypertension artérielle (HTA), du moins si l’on suppose que la rétention de sodium y joue un rôle important. Les antagonistes de l’aldostérone ne sont pas considérés comme constituant le traitement de premier choix de l’HTA non compliquée (1). De petites études cliniques randomisées ont cependant montré que la spironolactone pourrait être bénéfique en cas d’HTA réfractaire (2). C’est qu’au moins 10% des patients présentant une HTA essentielle n’atteignent pas la valeur cible avec une triple thérapie maximale (inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) ou antagonistes des récepteurs de de l’angiotensine II (ARA-II) plus des antagonistes du calcium plus des diurétiques thiazidiques (A+C+D)) (3).  

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 335 patients âgés de 18 à 79 ans (âge moyen de 61,4 ans (DS 9,6 ans)), dont 69% de sexe masculin, recrutés au Royaume-Uni dans 2 centres de première ligne et 12 centres de deuxième ligne, chez qui la pression artérielle systolique mesurée par la méthode conventionnelle est ≥ 140 mmHg (≥ 135 mmHg pour les personnes diabétiques) et mesurée à domicile est ≥ 130 mmHg malgré un traitement maximal pendant au moins 3 mois avec des IECA ou des ARA-II en plus des antagonistes du calcium et des diurétiques thiazidiques
  • critères d’exclusion : entre autres HTA secondaire, diabète sucré de type 1, DFGe < 45 ml/min, hypokaliémie ou hyperkaliémie, grossesse, fibrillation auriculaire persistante, événement cardiovasculaire récent, mauvaise observance du traitement (< 70% durant la période de pré-inclusion d’une durée de 4 semaines avec placebo).

 

Protocole de l’étude

Étude clinique randomisée (RCT) croisée, placebo-contrôlée, menée en double aveugle

  • les patients ont reçu alternativement pendant 12 semaines un traitement avec spironolactone 25-50 mg/jour (n = 285), doxazosine 4-8 mg/jour (n = 282), bisoprolol 5-10 mg/jour (n = 285) ou un placebo (n = 274)
  • doublement de la dose initiale de chaque médicament après 6 semaines ; passage au médicament suivant lorsqu’un médicament déterminé n’était pas toléré
  • phase de pré-inclusion d’une durée de 4 semaines avec placebo ; pas de période de lavage entre les traitements
  • la durée totale de l’étude était d’un an.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence de pression artérielle systolique moyenne mesurée à domicile (moyenne de 6 à 18 mesures effectuées pendant 4 jours, 3 fois le matin et 3 fois le soir) la semaine 6 et la semaine 12 de chaque période de traitement
  • critères de jugement secondaires : pression artérielle mesurée avec la méthode conventionnelle (moyenne d’au moins 2 mesures effectuées le patient étant assis), nombre de patients dont la pression artérielle mesurée à domicile est < 135 mmHg, corrélation entre l’effet hypotenseur et la concentration plasmatique de rénine au début de l’étude, effets indésirables
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • avec la spironolactone, la pression artérielle moyenne mesurée à domicile était 8,7 mmHg (avec IC à 95% de -9,72 à -7,69 ; p < 0,0001) plus basse qu’avec le placebo, 4,03 mmHg (avec IC à 95% de -5,04 à -3,02 ; p < 0,0001) plus basse qu’avec la doxazosine et 4,48 mmHg (avec IC à 95% de -5,50 à -3,46 ; p < 0,0001) plus basse qu’avec le bisoprolol ; les mesures conventionnelles de la pression artérielle ont donné les mêmes résultats
  • les patients ont atteint la valeur cible de pression artérielle dans une plus grande proportion avec la spironolactone, à savoir 58% des patients, versus 24% avec placebo, 42% avec doxazosine et 44% avec bisoprolol; c.à.d. une augmentation relative avec spironolactone de 136% (avec IC à 95% de 88 à 199) versus placebo; de 39% (avec IC à 95% de 17 à 65) versus doxazosine ; et de 33% (avec IC à 95% de 12 à 57) versus bisoprolol
  • seule la spironolactone a montré une corrélation inverse entre l’effet hypotenseur et le taux de rénine en début d’étude
  • pas de différence entre les groupes de traitement actif quant aux effets indésirables graves et quant aux sorties d’étude en raison d’effets indésirables ; avec la spironolactone, une hyperkaliémie unique > 6,0 mmol/l, mais < 6,5 mmol/l chez seulement 6 des 285 patients a été observée.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la spironolactone est le médicament le plus efficace en ajout au traitement habituel en cas d’hypertension artérielle réfractaire. La supériorité de la spironolactone appuie le fait que la rétention de sodium est la principale cause de cette pathologie.

 

Financement de l’étude 

British Heart Foundation et National Institute for Health Research.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

La plupart des auteurs ont reçu de la part de plusieurs firmes pharmaceutiques des honoraires pour des présentations ou des études.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une étude clinique randomisée, croisée, menée en double aveugle, disposant d’un bon plan expérimental sur le plan méthodologique avec quatre phases de traitement, conduite principalement au niveau de la deuxième ligne de soins (cliniques de l’hypertension) au Royaume-Uni.

Les critères d’inclusion et d’exclusion ont été clairement définis, mais restent vagues en ce qui concerne les comorbidités. Le tableau avec les caractéristiques de base des participants est trop limité. Nous savons que 14% des participants avaient le diabète, mais nous ne savons pas combien étaient atteints d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance rénale, etc. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure le traitement de base A+C+D était maximal. Pour la randomisation, un système informatique externe a été utilisé, et les médicaments ont été administrés en aveugle de manière parfaite. Dans leur discussion, les auteurs admettent qu’il manque une période de lavage entre les différentes phases de l’étude. Il se peut donc que l’effet thérapeutique de la spironolactone ait été réduit et puisse être plus important en réalité. Pour réfuter cet argument, les auteurs renvoient à une analyse de sensibilité qui montrerait que les résultats n’ont pas été influencés par l’absence de phase de lavage. Cependant, la publication ne donne pas les détails de ces calculs. Les auteurs disent uniquement qu’il n’y avait pas de fluctuations de la pression artérielle dans le groupe placebo et que la différence entre les groupes quant au critère de jugement primaire ne s’est pas modifiée durant l’étude.

L’utilisation des chiffres tensionnels relevés à domicile comme critère de jugement est un avantage de cette étude qu’il ne faut pas sous-estimer. La diminution de la pression artérielle suit la même tendance, qu’elle soit mesurée par la méthode conventionnelle ou à domicile, mais on a pu montrer un effet placebo nettement plus important, de plus de 10 mmHg, sur la mesure conventionnelle. Minerva a souligné à plusieurs reprises l’importance des mesures de la pression artérielle effectuées à domicile (4). Dans l’analyse en intention de traiter, seuls les 21 patients pour qui l’on ne disposait d’aucune mesure de la pression artérielle effectuée à domicile n’ont pas été inclus. Enfin, la durée de cette étude est trop courte en ce qui concerne les critères de jugement forts et l’évaluation des effets indésirables.

 

Mise en perspective des résultats

Une synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2015 (2) a sélectionné des RCTs et des études d’observation jusqu’en juillet 2015 qui portaient sur un traitement médicamenteux en cas d’hypertension artérielle réfractaire. Les auteurs ont affirmé que la spironolactone dans cette indication pouvait être utile, mais que le niveau de preuves était faible parce que la qualité méthodologique des études incluses était insuffisante. Deux petites RCTs (5,6) avaient montré qu’en cas d’hypertension artérielle réfractaire, la spironolactone était plus efficace qu’un placebo comme traitement adjuvant, mais il manquait des études ayant comparé la spironolactone à un autre « quatrième traitement ».

Une dose thérapeutique relativement faible (25 mg - 50 mg) de spironolactone a permis d’obtenir une diminution de la pression artérielle plus importante que la doxazosine ou le bisoprolol, et a permis, après trois mois de traitement, de normaliser la pression artérielle chez 60% des patients chez qui elle était réfractaire. À cette posologie, le risque d’hyponatrémie ou d’hyperkaliémie paraît relativement limité, et la diminution du DFGe est comparable à ce que l’on observe avec les autres traitements. Par ailleurs, la période de traitement était trop courte pour que survienne une gynécomastie. Une étude de cohorte prospective menée au Royaume-Uni publiée en 2010 (7) décrit l’accroissement spectaculaire de l’utilisation de la spironolactone depuis l’étude RALES (8) chez des patients avec ou sans insuffisance cardiaque, et elle n’a pas observé d’augmentation du risque d’hyperkaliémie et de la fréquence des hospitalisations pour hyperkaliémie.

Il est intéressant de noter que, dans la présente étude, le taux plasmatique de rénine a été enregistré en début d’étude. Les auteurs ont ainsi pu montrer que l’effet hypotenseur de la spironolactone était le plus important lorsque le taux de rénine était faible. Ce faible taux de rénine reflète une inhibition de la sécrétion de rénine suite à la rétention de sodium, et ce malgré le fait que tous les patients étaient sous diurétiques. Dans ce contexte, en cas d’hypertension artérielle réfractaire, il faut aussi souligner l’importance de réduire le sel dans l’alimentation (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude clinique randomisée croisée, placebo contrôlée, de bonne qualité méthodologique, mais sans critères de jugement forts montre les avantages à court terme (trois mois) de la spironolactone en cas d’hypertension artérielle réfractaire. Il faudrait instamment mener des études à long terme pour examiner la réduction de la mortalité et de la morbidité cardiovasculaires avec la spironolactone dans cette indication.

 

Pour la pratique

Selon les recommandations actuelles de Domus Medica, la spironolactone n’a pas sa place dans le traitement de l’hypertension artérielle non compliquée (1). Cette étude montre que, chez les patients de moins de 80 ans qui sont atteints d’hypertension artérielle réfractaire (pression artérielle mesurée à domicile ≥ 135 mmHg malgré un traitement maximal toléré avec des IECA ou des ARA-II plus des antagonistes du calcium plus des diurétiques thiazidiques (A+C+D)) et chez qui le DFGe est > 45 ml/min, tant le bisoprolol, que la doxazosine ou la spironolactone sont efficaces comme traitement adjuvant. Étant donné l’avantage évident en termes de diminution de la pression artérielle, et la bonne tolérance à court terme, la spironolactone aura cependant la préférence (dose de 25 mg à 50 mg/jour). Une surveillance régulière de la fonction rénale et de l’ionogramme (Na - K) reste nécessaire. D’autres médicaments, moins efficaces (bisoprolol ou doxazosine), pourraient être envisagés en cas d’intolérance à la spironolactone.

 

 

Références

  1. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertensie. Herziene aanbeveling gevalideerd door CEBAM in 2009 + opvolgrapport 2013.
  2. Dahal K, Kunwar S, Rijal J, et al. The effects of aldosterone antagonists in patients with resistant hypertension: a meta-analysis of randomized and nonrandomized studies. Am J Hypertens 2015;28:1376-85.
  3. Achelrod D, Wenzel U, Frey S. Systematic review and meta-analysis of the prevalence of resistant hypertension in treated hypertensive populations. Am J Hypertens 2015;28:355-61.
  4. De Cort P. Effet de la mesure à domicile de la pression. MinervaF 2006;5(4):62-4.
  5. Vaclavik J, Sedlak R, Plachy M, et al. Addition of spironolactone in patients with resistant arterial hypertension (ASPIRANT): a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Hypertension 2011;57:1069-75.
  6. Oxlund CS, Henriksen JE, Tarnow L, et al. Low dose spironolactone reduces blood pressure in patients with resistant hypertension and type 2 diabetes mellitus: a double blind randomized trial. J Hypertens 2013;31:2094-102.
  7. Wei L, Struthers AD, Fajey T, et al. Spironolactone use and renal toxicity: population based longitudinal analysis. BMJ 2010;340:c1768.
  8. Lemiengre M. Spironolacton bij hartfalen. Minerva 2000;29(7):322-6.
  9. De Cort P. Het effect van gewichtsverlies en zoutbeperking op hypertensie bij ouderen. Minerva 1998;27(3):329-31.

 




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