Revue d'Evidence-Based Medicine



Un régime pauvre en graisses est-il plus efficace sur la perte de poids à long terme ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 4 Page 94 - 97

Professions de santé


Analyse de
Tobias DK, Chen M, Manson JE, et al. Effect of low-fat diet interventions versus other diet interventions on long-term weight change in adults: a systematic review and meta-analysis. Lancet Diabetes Endocrinol 2015;3:968-79.


Question clinique
Un régime pauvre en graisses entraine-t-il une perte de poids à un an plus importante que d’autres interventions nutritionnelles ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses au protocole de recherche correct, incluant un grand nombre d’études hétérogènes pour la plupart faible d’un point de vue méthodologique, ne montre pas de perte de poids plus importante après un an avec les régimes pauvres en graisses comparés à d’autres mesures nutritionnelles. La différence de perte de poids entre les régimes pauvres en glucides et les régimes pauvres en graisses s’avère cliniquement peu pertinente.


Contexte

En théorie, il semble logique que la diminution de l’apport en lipides entraîne une perte de poids plus rapide que la diminution de la consommation de glucides ou de protéines. En effet, sur le plan thermodynamique, les lipides apportent deux fois plus de calories que les glucides et les protéines (9 kcal/g contre 4 kcal/g). Cliniquement, il n’a cependant pas encore été cliniquement montré de façon univoque que les régimes pauvres en graisses entraînent un amaigrissement plus prononcé que d’autres mesures nutritionnelles (1,2). Le but des auteurs était donc de rechercher les preuves dans la littérature de l’efficacité d’un régime pauvre en graisses versus autres régimes.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

 Études sélectionnées

  • 53 études contrôlées randomisées (RCT) qui examinaient l’efficacité d’un régime pauvre en lipides sur la modification du poids versus une autre mesure nutritionnelle apportant plus de lipides (y compris la poursuite du régime alimentaire existant) après au moins un an de suivi
  • 35 études examinaient la perte de poids, 5 études visaient au maintien du poids, et 13 études portaient sur un autre élément que la modification du poids
  • exclusion des études non randomisées et des études  proposant à un seul groupe de sujets de perdre du poids grâce à de la gymnastique médicale, des médicaments, des suppléments nutritionnels ou des substituts de repas.

 Population étudiée

  • 68128 personnes, à l’exclusion des femmes enceintes, principalement en Amérique du Nord (N = 37 études) et en Europe (N = 7 étudies) ; 20 études incluaient spécifiquement des personnes ayant une maladie, spécifiquement un cancer du sein (N = 4), de l’hypercholestérolémie (N = 3), un diabète sucré de type 2 (N = 9), un syndrome métabolique (N = 1), un carcinome de l’œsophage (N = 1), une cardiopathie ischémique (N = 1), un cancer du côlon (N = 1).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement : différence moyenne pondérée (DMP) de la perte de poids après un an entre le groupe intervention ayant suivi un régime pauvre en graisses et un groupe contrôle
  • utilisation des données en intention de traiter si elles étaient mentionnées dans les études originales
  • analyses de sous-groupes en fonction de l’objectif de l’intervention (maigrir ou non), du type de groupe contrôle (régime pauvre en glucides, autre régime pauvre en graisses, régime alimentaire « sain », poursuite de l’alimentation habituelle), de l’intensité du régime (objectif ≤ 10% ou ≤ 30% de l’apport calorique en lipides ; instructions données une seule fois ou intervention à composantes multiples), degré de la restriction calorique, état de santé des participants
  • analyses de sensibilité excluant les études les plus vastes et se limitant aux études comportant des données en intention de traiter.

 

Résultats

Pour les études ayant comme objectif la perte de poids :

  • pas de différence quant à la perte de poids après 1 an entre les régimes pauvres en graisses et les autres mesures nutritionnelles (N = 35 ; I² = 84,3%) ; dans les études sans différence quant à l’intensité du régime entre le groupe intervention et le groupe contrôle, un poids plus élevé a été observé, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe qui suivait un régime hypocalorique et pauvre en graisses (DMP 1,49 kg (avec IC à 95% de 0,53 à 2,45 ; N = 6; I² = 7,7%) 
  • la perte de poids était plus prononcée avec les régimes pauvres en glucides qu’avec les régimes pauvres en graisses (DMP -1,15 kg (avec IC à 95% de -0,52 à -1,79 ; N = 18 ; I² = 10,4%)
  • pas de différence quant à la perte de poids entre les régimes pauvres en graisses et les mesures nutritionnelles apportant plus de lipides (N = 19 ; I² = 82%) ; dans les études sans différence quant à l’intensité du régime mais dont la différence de l’apport calorique par le biais des lipides entre les 2 groupes variait  ≥ 5%, une perte de poids plus importante a été observée, et ce de manière statistiquement significative, avec les mesures nutritionnelles plus riches en lipides qu’avec les régimes pauvres en graisses ; le même constat a été fait lorsque la concentration en triglycérides augmentait ≥ 0,06 mmol/l 
  • la perte de poids était plus importante avec les régimes pauvres en graisses qu’avec l’alimentation habituelle : DMP -5,41 kg (avec IC à 95% de -7,29 à -3,54 ; N = 8 ; I² = 67,5%).

 

Pour les études visant le maintien du poids ou ayant un autre objectif que la modification du poids :

  • perte de poids plus prononcée après un an avec les régimes pauvres en graisses qu’avec les autres mesures nutritionnelles : respectivement DMP -0,70 kg (avec IC à 95% de -0,88 à -0,53 ; N = 3; I² = 0%) et DMP -1,54 kg (avec IC à 95% de -2,32 à -0,76 ; N = 11 ; I² = 85,1%)
  • pas de différence quant à la perte de poids entre les régimes pauvres en graisses et les mesures nutritionnelles plus riches en lipides (respectivement N = 3 ; I² = 0% ; N = 7 ; I² = 38,5%)
  • perte de poids plus prononcée avec les régimes pauvres en graisses qu’avec l’alimentation habituelle : respectivement DMP -0,70 kg (avec IC à 95% de -0,88 à -0,52 ; N = 3; I² = 0%) et DMP -2,22 kg (avec IC à 95% de -3,00 à -1,45 ; N = 11 ; I² = 70%).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette étude suggèrent que l’efficacité à long terme d’un régime pauvre en graisses sur la perte de poids dépend de l’intensité des mesures nutritionnelles dans le groupe contrôle. Les RCTs qui comparent des mesures nutritionnelles de même intensité ne montrent pas que les régimes pauvres en graisses sont plus efficaces que les autres mesures nutritionnelles pour arriver à perdre du poids à long terme.

 

Financement de l’étude 

National Institutes of Health et American Diabetes Association.

 

Conflits d’intérêts des auteurs 

Les promoteurs n’ont joué aucun rôle dans la conception des études, dans la collecte, l’analyse et l’interprétation des données ni dans la rédaction de la publication ; un auteur a reçu des droits d’auteur pour des livres sur l’alimentation et l’obésité, et un autre a reçu un soutien à la recherche de la « Californisch Walnut Commission and Mitagenics » ; les autres auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La stratégie de recherche et la sélection des articles de cette synthèse méthodique avec méta-analyses ont été correctement décrites et ont été effectuées par trois chercheurs indépendants. Le funnel plot n’a pas révélé de biais de publication malgré la limitation aux publications en anglais et qu’aucune recherche dans la littérature grise n’ait été effectuée. La grande hétérogénéité des études incluses ne permet pas de se faire une idée générale de la population incluse. Nous ne savons rien de l’âge moyen, de la proportion des deux sexes et des comorbidités des participants. Les chercheurs ont toutefois tenté de contourner cette hétérogénéité en stratifiant le plus possible les données mais ils n’ont malgré tout pas obtenu de groupes homogènes. Par exemple, le groupe intervention avec régime pauvre en graisses comptait tant des personnes dont la consommation de lipides était « très faible » (≤ 10% de l’apport calorique total) que des personnes dont la consommation de lipides était « modérée » (≤ 30% de l’apport calorique total). L’hétérogénéité statistique semble elle aussi importante. En outre, le nombre de participants par analyse de sous-groupes n’est pas décrit. Pour évaluer la qualité méthodologique des études incluses, les auteurs ont utilisé le Cochrane handbook for systematic reviews of interventions (3). Une description insuffisante de la randomisation et de l’insu a été mise en évidence. Pour 39 études incluses (73%), il y avait plus de 5% de sorties d’étude. Pour 20 études (38%), une différence quant à l’intensité entre le groupe intervention et le groupe contrôle semble être une importante source de biais. Les analyses de sensibilité avec exclusion des études les plus vastes et limitation aux études avec analyse en intention de traiter n’ont pas modifié les résultats.

 

Interprétation des résultats

Dans l’ensemble, une perte de poids moyenne de seulement 2,71 kg (DS 2,8) après un suivi médian d’un an (écart interquartile de 1 à 2) chez les 68128 participants inclus a été observée. Dans les études examinant la perte de poids (N = 35), celle-ci était en moyenne de 3,75 kg (DS 2,7). Pour l’interprétation des résultats, il est important de mentionner que l’on ne dispose pas des données concernant le régime alimentaire final des participants. Les participants ont été encouragés à suivre un conseil nutritionnel déterminé (avec une grande diversité en termes de mise en route, d’accompagnement, de soutien, d’intensité et de durée), or ni l’observance du traitement, ni la composition des aliments, ni l’apport calorique réel ne sont décrits correctement.

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de 53 RCTs nous permet surtout de conclure qu’un régime pauvre en graisses après un an n’entraîne pas de perte de poids plus prononcée qu’un régime pauvre en glucides ou que les autres mesures nutritionnelles avec un apport en lipides plus important. Contrairement à une précédente méta-analyse (4), des études qui n’avaient pas été conçues pour la perte de poids étaient incluses, un suivi d’un an était exigé, et les différences quant à l’intensité des interventions entre les groupes intervention et les groupes contrôles ont été prises en compte. Ce dernier point est important parce que 19 des 53 études comparaient la poursuite du régime alimentaire habituel (groupe contrôle) et un régime pauvre en graisses + des interactions plus fréquentes et plus intenses entre les patients et les investigateurs. Nous voyons que les analyses de sous-groupes des études où l’intensité est la même pour le groupe intervention que pour le groupe contrôle remettent encore plus en question l’utilité des régimes pauvres en graisses. Le même constat avait déjà été posé dans une autre méta-analyse : la diminution du poids, statistiquement significative avec un régime pauvre en graisses versus poursuite de l’alimentation habituelle, disparaît lorsque des mesures nutritionnelles de même intensité sont comparées entre elles (5).

Une analyse de sous-groupe a montré que la perte de poids est en moyenne plus importante de 1,15 kg (avec IC à 95% de -0,52 à -1,79) avec les régimes pauvres en glucides qu’avec les régimes pauvres en graisses. Ce résultat correspond aux résultats observés dans une autre méta-analyse dans laquelle la perte de poids était en moyenne plus prononcée de 0,91 kg (avec IC à 95% de 0,17 à 1,65) avec un régime pauvre en glucides versus un régime pauvre en graisses (6). L’importance de cette perte de poids (relativement modeste) est faible, et sa pertinence clinique est douteuse. Minerva avait  commenté en 2007 une précédente méta-analyse d’où il ressortait que les régimes pauvres en glucides sans restriction calorique entraînaient, après un an, une perte de poids aussi prononcée que les régimes hypocaloriques pauvres en graisses (1). Nous avions aussi signalé qu’il n’y avait pas eu de comparaison de l’association d’un régime hypocalorique et d’exercices physiques, dont l’utilité a été bien démontrée dans la prévention du diabète et de l’hypertension artérielle. En outre, en 2007, il n’existait pas de données disponibles concernant l’influence des régimes pauvres en glucides sur le risque cardiovasculaire, ce pourquoi Minerva ne le conseillait pas. Depuis, une synthèse méthodique avec méta-analyses d’études d’observation publiée en 2013 a montré que les mesures nutritionnelles pauvres en glucides étaient associées à une hausse de la mortalité (RR = 1,31 ; avec IC à 95% de 1,07 à 1,59 ; I2 = 53% ; N = 4) (7).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses au protocole de recherche correct, incluant un grand nombre d’études hétérogènes pour la plupart faible d’un point de vue méthodologique, ne montre pas de perte de poids plus importante après un an avec les régimes pauvres en graisses comparés à d’autres mesures nutritionnelles. La différence de perte de poids entre les régimes pauvres en glucides et les régimes pauvres en graisses s’avère cliniquement peu pertinente. 

 

Pour la pratique

La prise en charge de la surcharge pondérale et de l’obésité consiste à donner des conseils en matière de comportement et d’exercices physiques et à prescrire un régime hypocalorique varié (8,9). Sur base de cette étude et d’autres, ni les régimes pauvres en graisses, ni les régimes pauvres en glucides ne sont à recommander. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur le ratio glucides/lipides/protéines idéal dans le cadre d’un régime amaigrissant. Le Conseil Supérieur de la Santé (10) recommande, par consensus, d’adopter un régime alimentaire dont les glucides (G), les lipides (L) et les protéines (P) assurent respectivement 55% (G), 30 à 35% (L) et 9 à 11% (P) de l’apport énergétique.

 

* P. De Cort est coordinateur scientifique de première ligne de soins chez Eetexpert.be

 

Références

  1. Muls E, Poelman T, Vandenbroucke M. Régimes pauvres en hydrates de carbone ou en graisses. MinervaF 2007;6(7):106-7.
  2. Sack FM, Bray GA, Carey VJ, et al. Comparison of weight-loss diets with different compositions of fat, protein, and carbohydrates. N Engl J Med 2009;360:859-73.
  3. Higgins JP, Altman DG, Sterne JA, (editors). Part 2: chapter 8: Assessing risk of bias in included studies. In: Higgins JP, Green S (editors). Cochrane handbook for systematic reviews of interventions, version 5.1.0 (updated March 2011). The Cochrane Collaboration, 2011. Available from http://handbook.cochrane.org.
  4. Hooper L, Abdelhamid A, Moore HJ, et al. Effect of reducing total fat intake on body weight: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials and cohort studies. BMJ 2012;345: e7666.
  5. Johnston BC, Kanters S, Bandayrel K, et al. Comparison of weight loss among named diet programs in overweight and obese adults: a meta-analysis. JAMA 2014;312:923-33.
  6. Bueno NB, de Melo IS, de Oliveira SL, da Rocha Ataide T. Very-low-carbohydrate ketogenic diet v. low-fat diet for long-term weight loss: a meta-analysis of randomized controlled trials. Br J Nutr 2013;110:1178-87.
  7. Noto H, Goto A, Tsujimoto T, Noda M. Low-carbohydrate diets and all-cause mortality: a systematic review and meta-analysis of observational studies. PloS One 2013;8:z55030.
  8. Van Royen P, Bastiaens H, D’hondt A, et al. Overgewicht en obesitas bij volwassenen in de huisartsenpraktijk. Huisarts Nu 2006;35:118-40.
  9. Debray L, Colliers A, De Cort P, et al (Eetexpert). Herkenning en aanpak van overgewicht en obesitas. Draaiboek voor huisartsen. Vlaamse Gemeenschap, Ministerie van Welzijn, Volksgezondheid en Gezin, 2013 (verkrijgbaar via vzw Eetexpert.be).
  10. Recommandations nutritionnelles pour la Belgique. Conseil Supérieur de la Santé, 2009. CSS n° 8309.

 


Auteurs

Mullie P.
Centre for Evidence-Based Medicine, Leuven; Military Performance Amplification Research Centre, DG H&W, Belgian Defence, Evere
COI :

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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