Revue d'Evidence-Based Medicine



S’abstenir de prescrire



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 5 Page 108 - 109

Professions de santé


Argan : Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ?

Béralde : Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout.

Molière. Le malade imaginaire. Acte III, scène III.

 

Il y a prescription…… et prescription

En langage vernaculaire médical, une prescription est toute recommandation thérapeutique, consignée ou non sur une ordonnance.

Si du temps de Molière les prescriptions des médecins reconnus se résumaient généralement à des clystères et saignées, actuellement les prescriptions médicales sont généralement identifiées comme concernant des médicaments.

En langage courant, en effet, la prescription (du médecin) ou ordonnance est ce document rédigé par le médecin (= le prescripteur) en fin de consultation destiné à aller chercher ces médicaments chez le pharmacien.

Au fil de ces quelques derniers siècles, nous sommes passés d’un champ de clystères et de saignées dans un monde d’aspirine et autres statines au niveau de la prescription. Mais qu’en est-il de « guérir les maladies » grâce à ces prescriptions ?

 

Le médecin imaginaire

« Guérir les maladies ». Est-ce faire baisser une cholestérolémie ? Est-ce empêcher les plaquettes sanguines de s‘agréger dans un caillot qui obstrue une artère coronaire ? Il s’agit là d’objectifs thérapeutiques fréquemment visés, actuellement, lors de la prescription d’un médicament. Le médecin « imagine » que le médicament qu’il prescrit va « guérir » ou « empêcher » la maladie, va protéger le patient en faisant disparaître la maladie ou au moins ses risques pour le patient. En prescrivant une statine à son patient, le médecin imagine que celui-ci ne fera pas d’infarctus du myocarde, qu’il n’en mourra donc pas non plus. Difficile pour ce médecin de prendre bien conscience qu’il ne fait que diminuer un risque, dans une proportion variable selon les caractéristiques du patient et l’efficacité relative du médicament. S’y ajoute, toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité que ce patient en tire un bénéfice parmi 10 ou 1000 autres. Il est souvent plus difficile encore de faire la balance entre un bénéfice potentiel et les inconvénients liés à l’utilisation de ce médicament, des effets indésirables plus fréquents pouvant prendre le pas sur un bénéfice potentiel (même à un niveau coût-efficacité) (1). Pour intégrer tous ces éléments, nous passons du domaine « guérir les maladies » à celui d’apporter les meilleurs soins à un patient individuel… loin du médecin imaginaire.

 

Soigner un patient

Le rapport de la réunion de consensus concernant l’usage rationnel des hypolipidémiants a été récemment publié (2). Il souligne plusieurs fois que « lorsqu’on décide de commencer une thérapie (NDLR par statine), il faut tenir compte du profil du patient (espérance de vie, état nutritionnel, comorbidité, autres facteurs liés au patient (NDLR dont l’âge) ».

Les résultats d’une RCT récemment publiée (3) apportent des arguments pour une telle approche d’abstention (ou de suspension) possible de prescription. Les auteurs ont évalué, dans un groupe de 381 adultes avec une espérance de vie située entre 1 mois et 1 an (49% de patients souffrant d’un cancer, âge moyen de 74 ans), traités initialement par statine en prévention primaire ou secondaire, le risque comme le bénéfice de l’arrêt de la statine. Il n’y avait pas de différence significative entre les sujets ayant arrêté leur statine et ceux l’ayant poursuivie pour le critère primaire de décès à 60 jours. Ce critère primaire n’était cependant pas celui du protocole initial (la survie), mais a été modifié en raison d’une médiane de survie de 9 mois environ, soit 3 fois plus longue que le pronostic initial, ce qui souligne, une fois de plus, la fragilité des pronostics médicaux. Il y a par contre une qualité de vie améliorée lors de l’arrêt de la statine avec, aussi, un moindre recours à d’autres traitements.

Cette réflexion sur la non prescription adéquate (ou déprescription) de statine peut être étendue à d’autres classes de médicaments, particulièrement chez les personnes âgées (4,5). Elle doit être individualisée et particulière à chaque médicament.

 

Conclusion

S’abstenir de prescrire fait partie d’une démarche clinique basée sur les éléments apportés par la médecine factuelle (preuves d’efficacité et de tolérance/sécurité) qui détermine la balance bénéfice/risque potentielle pour un patient dont les caractéristiques sont bien précisées. Une concertation/négociation avec le patient, éclairée par ces éléments et tenant compte que nous restons dans le domaine d’une probabilité plus ou moins grande, conduira ou non à l’abstention de (re)prescription.

 

 

Références :

  1. Odden MC, Pletcher MJ, Coxson PG, et al. Cost-effectiveness and population impact of statins for primary prevention in adults aged 75 years or older in the United States. Ann Intern Med 2015;162:533-41.
  2. INAMI. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Réunion de consensus du 22-05-2014. Conclusions - Rapport du jury.
  3. Kutner JS, Blatchford PJ, Taylor DH, et al. Safety and benefit of discontinuing statin therapy in the setting of advanced, life-limiting illness: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2015;175:691-700.
  4. Farmaka. S’abstenir de prescrire ? FormulR/info 2014;21:17-22.
  5. Farmaka. S’abstenir de prescrire, seconde partie. FormulR/info 2015;22:31-5.

 




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