Revue d'Evidence-Based Medicine



Associer de l’ézétimibe à la simvastatine post syndrome coronarien aigu ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 5 Page 110 - 113

Professions de santé


Analyse de
Cannon CP, Blazing MA, Giugliano RP, et al; IMPROVE-IT Investigators. Ezetimibe added to statin therapy after acute coronary syndromes. N Engl J Med 2015;372:2387-97.


Question clinique
Chez des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu, l’ajout d’ézétimibe (10 mg/j) à un traitement par simvastatine (40 mg/jour) réduit-il davantage l’incidence d’évènements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette étude qui inclut un nombre important de patients en post syndrome coronarien aigu (angor instable, infarctus du myocarde avec ou sans dénivellation ST), patients à haut risque, avec 70% d’angioplastie percutanée pour l’évènement index et avec un LDL-cholestérol de maximum 100 mg/dl sous statine, montre un bénéfice statistique de l’ajout d’ézétimibe (10 mg/j) à la simvastatine (40 mg/j) pour un critère composite, sans bénéfice prouvé pour les composants de ce critère, et avec une pertinence clinique à mettre en question.


Contexte

L’administration d’une statine chez des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu s’est montrée efficace, entre autres en termes de réduction de la mortalité globale, particulièrement à plus forte dose (1-3). L’efficacité de l’ézétimibe a été montrée en termes de diminution du LDL-cholestérol (4) mais aucune RCT n’a montré son efficacité en termes de réduction de l’incidence d’évènements cliniques, ni en post syndrome coronarien aigu ni dans une autre indication. Il en est de même pour l’ajout de l’ézétimibe à une statine. Cette RCT IMPROVE-IT est donc la première à évaluer l’intérêt de cette association versus statine seule, dans une population spécifiquement post syndrome coronarien aigu.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 18144 patients hospitalisés dans les 10 jours précédents pour syndrome coronarien aigu (SCA)
  • autres critères d’inclusion : > 50 ans, LDL-cholestérol de 50 à 100 mg/dl si traitement hypolipidémiant en cours, ou 50 à 125 mg /dl en l’absence de traitement hypolipidémiant
  • critères d’exclusion : pontage coronarien prévu, clairance de créatinine < 30 ml/min, hépatopathie active, hypolipidémiant utilisé plus puissant que 40 mg de simvastatine
  • patients âgés en moyenne de 64 ans, 76% d’hommes, IMC moyen de 28,3 kg/m², 40% de ouest-européens et 38% de nord-américains, 27% présentant un diabète, 61% avec HTA, 4 à 5% avec insuffisance cardiaque et 5 à 6% avec une artérite périphérique ; avant le SCA index : 20 à 21% en post infarctus, 20% post angioplastie percutanée et 9% post pontage coronarien ; en pré randomisation 70% d’angioplastie percutanée
  • SCA index : 29% de STEMI, 47% de non STEMI, 24% d’angor instable
  • médicaments pris à la randomisation : aspirine (97%), thiénopyridine (86 à 87%), bétabloquant (87%), IECA ou sartan (76%).

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, en double aveugle, multicentrique, internationale
  • traitement : soit simvastatine 40 mg/j + ézétimibe 10 mg/j (n = 9067), soit simvastatine 40 mg/j + placebo (n = 9077)
  • durée de suivi minimale de 2,5 ans prévue ; suivi médian de 6 ans
  • analyse en ITT.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : décès cardiovasculaire, évènement coronarien majeur (infarctus du myocarde non fatal, angor instable documenté avec hospitalisation, revascularisation coronaire dans les 30 jours post randomisation), AVC non fatal, au premier incident survenant parmi ceux-ci
  • critères de jugement secondaires : critère composite de décès global, évènement coronarien majeur ou AVC non fatal ; critère composite de décès coronarien, d’infarctus du myocarde non fatal ou de revascularisation coronaire urgente au moins 30 jours post randomisation ; critère composite de décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, hospitalisation pour angor instable, toute revascularisation au moins 30 jours post randomisation ou AVC non fatal
  • critères de sécurité : enzymes hépatiques, myopathie, rhabdomyolyse, problèmes vésiculaires, cancer.

 

Résultats

  • 42% d’arrêts de traitement dans les 2 groupes sur une médiane de 6 ans ; arrêts pour effet indésirable : 10,1% sous simvastatine versus 10,6% sous simvastatine + ézétimibe
  • critère de jugement primaire : incidence à 7 ans de 32,7% dans le groupe simvastatine + ézétimibe versus 34,7% dans le groupe simvastatine seule ; RAR de 2% ; HR à 0,936 (avec IC à 95% de 0,89 à 0,99 ; p = 0,016)
  • critères de jugement secondaires : 3 critères composites avec HR respectifs (avec IC à 95%) de 0,95 (0,90 à 1,0), 0,91(0,85 à 0,98) et 0,95 (0,90 à 1,0)
  • résultats non statistiquement significatifs (SS) pour les décès de toute cause, les décès cardiovasculaires et les décès coronariens, à la limite de la significativité statistique pour les AVC (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,73 à 1,00) et SS pour les infarctus du myocarde (total et non fatal) et les AVC ischémiques
  • diminution du LDL-cholestérol de 24% (pas d’intervalle de confiance)
  • pas de différence au point de vue sécurité.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, en ajout à un traitement par statine, l’ézétimibe permet une réduction supplémentaire du LDL cholestérol et réduit les évènements cardiovasculaires. En outre, une diminution du LDL-cholestérol en dessous des valeurs cibles précédemment visées apporte un bénéfice supplémentaire.

 

Financement de l’étude

La firme Merck.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Parmi les 21 auteurs listés sur l’annexe figurant sur le site du NEJM : 4 déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts pertinents, 3 sont employés par la firme.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT repose sur un protocole prépublié, de bonne qualité méthodologique. Cinq amendements ont cependant été apportés au protocole initial avec, entre autres, une augmentation de la taille de la population pour atteindre un nombre suffisant d’évènements (5250 évènements pour atteindre une puissance de 90%). Une stratification initiale a été respectée en tenant compte du traitement hypolipidémiant précédent, du type de SCA, du traitement dans l’étude concomitante EARLY ACS (avec inhibition glycoprotéine IIb/IIIa) pour les patients de cette étude également inclus dans celle-ci. Une adjudication centrale des évènements cliniques a été respectée. Par contre, les auteurs mentionnent ne pas avoir ajusté la valeur p lors de tests multiples.

L’implication de la firme qui finance l’étude, productrice de l’ézétimibe, est mal décrite dans la publication hormis le fait qu’elle faisait partie du comité exécutif et qu’elle a vérifié les analyses.

 

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude concernent une population de patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu et ils ne peuvent donc être extrapolés à une plus large population. Les chercheurs n’ont également pas inclus de patients ne répondant pas (suffisamment) à un traitement hypolipidémiant (LDL-cholestérol restant > 100 mg/dl sous traitement), justifiant cette exclusion par le fait qu’ils voulaient atteindre en cours d’étude un LDL-cholestérol inférieur à 70 mg/dl. Les auteurs rapportent que chaque année, environ 7% des patients arrêtent leur traitement (quel qu’il soit) dans cette étude, ce qui est, pour eux, semblable à ce qui est observé dans d’autres études. Sur un suivi médian de 6 ans, ceci représente 42% d’arrêts de traitement… dans le cadre d’une étude ! Qu’en sera-t-il dans la réalité quotidienne pour un tel traitement qui doit être « chronique » ?

Tous les critères primaire et secondaires sont composites, avec une borne d’IC à 95% à la limite (ou très proche) de l’absence de différence. La pertinence clinique des différences observées entre les deux traitements, sur une période plus longue que dans la plupart des autres études, pour une population à haut risque, avec un taux initial de LDL-cholestérol prudemment plafonné, est discutable. L’analyse des différentes composantes du critère primaire renforce ce doute quant à la pertinence clinique de la différence observée pour le critère primaire (5).

 

Mise en perspective des résultats

L’intérêt de l’administration d’une statine post syndrome coronarien aigu a été correctement prouvé, avec un intérêt particulier (d’ampleur variable selon les critères (6)) de doses plus importantes. L’ézétimibe, s’il fait bien diminuer le LDL-cholestérol, n’a, par contre, pas montré de réduction d’incidence d’évènements cardiovasculaires, ni dans cette indication, ni dans d’autres, par absence de RCT (7).

Pour évaluer l’intérêt d’associer l’ézétimibe à une statine, de quelles études disposons-nous ? Une étude rétrospective de cohorte publiée en 2013 (8) n’avait pas montré de réduction de la mortalité de toute cause lors de l’ajout d’ézétimibe à une statine chez des patients présentant une dyslipidémie. Une RCT de faible qualité méthodologique publiée en 2004 (4) n’avait pas mentionné d’efficacité préventive de l’ajout d’ézétimibe à de l’atorvastatine sur des critères cliniquement pertinents, mais bien sur des critères intermédiaires, chez des patients avec hypercholestérolémie primaire. Elle avait également rapporté une incidence similaire d’évènements indésirables liés au traitement et d’arrêts de traitement pour effet indésirable sur 12 mois entre les 2 traitements, sans cependant fournir d’analyse statistique de ces chiffres.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude qui inclut un nombre important de patients en post syndrome coronarien aigu (angor instable, infarctus du myocarde avec ou sans dénivellation ST), patients à haut risque, avec 70% d’angioplastie percutanée pour l’évènement index et avec un LDL-cholestérol de maximum 100 mg/dl sous statine, montre un bénéfice statistique de l’ajout d’ézétimibe (10 mg/j) à la simvastatine (40 mg/j) pour un critère composite, sans bénéfice prouvé pour les composants de ce critère, et avec une pertinence clinique à mettre en question.

 

Pour la pratique

Différents guides de pratique clinique concernent le post syndrome coronarien et un traitement hypolipidémiant. Post infarctus du myocarde aigu avec élévation du segment ST, un traitement par statine à haute dose est recommandé, sauf contre-indication ou anamnèse d’intolérance, et quel que soit la cholestérolémie (niveau de preuves B, niveau de recommandation I) (9). Lors de la survenue d’un syndrome coronarien aigu sans élévation persistante du segment ST, l’administration d’une statine (en ciblant un LDL-cholestérol < 70 mg/dl) doit être initiée ou poursuivie (niveau de preuves B, niveau de recommandation I) (10). Post revascularisation coronarienne (par pontage ou angioplastie), l’administration d’une statine (en ciblant un LDL-cholestérol < 70 mg/dl) doit être initiée ou poursuivie (niveau de preuves A, niveau de recommandation I) (11). L’intérêt d’ajouter de l’ézétimibe à la statine n’est pas suffisamment solidement étayé par la RCT IMPROVE-IT.

 

 

Nom de produits

  • ézétimibe : Ezetrol®
  • ézétimibe + simvastatine : Inegy®

 

 

Références

  1. Afilalo J, Majdan AA, Eisenberg MJ. Intensive statin therapy in acute coronary syndromes and stable coronary heart disease: a comparative meta-analysis of randomised controlled trials. Heart 2007;93:914-21.
  2. Murphy SA, Cannon CP, Wiviott SD, et al. Effect of intensive lipid-lowering therapy on mortality after acute coronary syndrome (a patient-level analysis of the Aggrastat to Zocor and Pravastatin or Atorvastatin Evaluation and Infection Therapy-Thrombolysis in Myocardial Infarction 22 trials). Am J Cardiol 2007;100:1047-51.
  3. Josan K, Majumdar SR, McAlister FA. The efficacy and safety of intensive statin therapy: a meta-analysis of randomized trials. CMAJ 2008;178:576-84.
  4. Ballantyne CM, Lipka LJ, Sager PT, et al. Long-term safety and tolerability profile of ezetimibe and atorvastatin coadministration therapy in patients with primary hypercholesterolaemia. Int J Clin Pract 2004;58:653-8.
  5. Chevalier P. Critères composites : interprétation clinique. MinervaF 2009;8(5):68.
  6. Chevalier P. Résultats différents de méta-analyses. MinervaF 2009;8(1):12.
  7. Ara R, Tumur I, Pandor A, et al. Ezetimibe for the treatment of hypercholesterolaemia: a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2008;12:1-212.
  8. Patel AY, Pillarisetti J, Marr J, Vacek JL. Ezetimibe in combination with a statin does not reduce all-cause mortality. J Clin Med Res 2013;5:275-80.
  9. Steg PG, James SK, Atar D, et al; Task Force on the management of ST-segment elevation acute myocardial infarction of the European Society of Cardiology (ESC). ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Eur Heart J 2012;33:2569-619.
  10. Hamm CW, Bassand JP, Agewall S, et al; ESC Committee for Practice Guidelines. ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation : The Task Force for the management of acute coronary syndromes (ACS) in patients presenting without persistent ST-segment elevation of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2011;32:2999-3054.
  11. Windecker S, Kohl P, Alfonso F, et al. 2014 ESC/EACTS guidelines on myocardial revascularization: The Task Force on Myocardial Revascularization of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS) developed with the special contribution of the European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI). Eur Heart J 2014;35:2541-619.

 




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