Revue d'Evidence-Based Medicine



5-aminosalicylates oraux pour la maladie de Crohn



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 9 Page 112 - 113

Professions de santé


Analyse de
Ford AC, Kane SV, Khan KJ, et al. Efficacy of 5-aminosalicylates in Crohn’s disease: systematic review and meta-analysis. Am J Gastroenterol 2011;106:617-629.


Question clinique
Quelle est l’efficacité des 5-aminosalicylates oraux versus placebo ou autre traitement dans la maladie de Crohn, en termes de rémission d’une poussée inflammatoire et en termes de prévention de nouvelles poussées ?


Conclusion
Cette étude conclut à une incertitude persistante de l’efficacité des 5-aminosalicylates en termes de rémission d’une poussée inflammatoire ou en termes de prévention des récidives en cas de maladie latente de Crohn.


 

Contexte

Des premiers résultats favorables pour la sulfasalazine dans la maladie de Crohn ont été rapportés dans les années 70 (1). Des résultats positifs pour la mésalazine ont ensuite été observés (1,2). Une synthèse de la Cochrane, en 2005 (3), a évalué négativement l’efficacité des 5-aminosalicylates oraux durant la phase d’entretien de la maladie. Une autre synthèse de la Cochrane, en 2010, n’a pas montré de résultats convaincants quant à l’efficacité des 5-aminosalicylates oraux durant une poussée inflammatoire (4). Ces médicaments ne sont donc pas un choix préférentiel en pratique courante selon les guides de pratique internationaux (1,2,5).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE (1966-2010), EMBASE (1984-2010), Cochrane Central Register of Controlled Trials (octobre 2010), registre de la Cochrane pour le groupe maladies inflammatoires de l’intestin
  • résumés de congrès (années 2002-2009)
  • experts dans le domaine des maladies inflammatoires de l’intestin
  • sans restriction de langue.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études cliniques randomisées, contrôlées (RCTs), en aveugle ou non, incluant ≥90% de personnes âgées de plus de 16 ans, comparant les 5-aminosalicylates (mésalazine, alias mésalamine aux USA, ou leurs prodrogues : sulfasalazine, balsalazide ou olsalazine) à un placebo ou autre traitement, d’une durée d’au moins 14 jours pour les poussées inflammatoires ou de 6 mois pour la prévention des récidives de maladie de Crohn et mentionnant comme critère la proportion de rémission en cas de poussée et la fréquence des rechutes en cas de prévention
  • 23 RCTs incluses sur 58 isolées ; 7 concernent le traitement d’une poussée, 13 la prévention des récidives et 3 les 2 sujets.

 

Population étudiée

  • patients âgés de plus de 16 ans souffrant d’une maladie de Crohn, soit aiguë (n=1 401) soit latente (n=2 496), en majorité à localisation iléale ou iléocolique.

  

Mesure des résultats

  • critères primaires
    • pour les poussées inflammatoires : non rémission (analyse primaire) ou non amélioration (analyse secondaire) versus placebo/contrôle ; une rémission équivaut à <150 points sur le score CDAI ou correspond à une rémission observée cliniquement ou endoscopiquement
    • pour le traitement d’entretien : fréquence des rechutes versus placebo/contrôle ; une rechute équivaut à un épisode avec ≥150 points au score CDAI ou à un constat clinique
  • critères secondaires : survenue d’effets indésirables, nombre et types de ceux-ci, tels que : plaintes gastro-intestinales (nausées, vomissements, diarrhée), dermatologiques (rash), autres (myalgie, fièvre, céphalées, asthénie)
  • sommation avec analyse en modèle d’effets aléatoires.

Résultats

  • critères primaires pour les poussées :
    • rémission : RR 0,89 (IC à 95 % de 0,80 à 0,99 ;test I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable."> I2=30%) pour les 5-aminosalicylates oraux versus placebo/contrôle (N = 8) ; RR 0,83 (IC à 95% de 0,69 à 1,00 ; I2=0%) pour la sulfasalazine (N = 2) et RR 0,91 (IC à 95% de 0,77 à 1,06 ; I2=54%) pour la mésalazine versus placebo/contrôle (N = 5)
    • amélioration : RR 0,85 (IC à 95% de 0,69 à 1,06 ; I2=71%) pour les 5-aminosalicylates oraux versus placebo/contrôle (N = 11) ; RR 0,83 (IC à 95% de 0,69 à 1,00 ; I2=0%) pour la sulfasalazine (N = 2) ; RR 1,62 (IC à 95% de 1,18 à 2,21) pour l’olsalazine (N = 1) et RR 0,76 (IC à 95% de 0,61 à 0,95 ; I2=46%) pour la mésalazine (N = 5)
  • critère primaire pour la prévention (récidives) : RR 0,97 (IC à 95% de 0,90 à 1,05 ; I2=28%) pour les 5-aminosalicylates oraux versus placebo/contrôle (N = 16) ; RR 0,98 (IC à 95% de 0,82 à 1,17 ; I2=19%) pour la sulfasalazine (N = 4) ; RR 1,23 (IC à 95% de 1,03 à 1,48) pour l’olsalazine (N = 1) ; RR 0,94 (IC à 95% de 0,87 à 1,01 ; I2=0%) pour la mésalazine (N = 11)
  • critères secondaires : pas de différence statistiquement significative entre les 5-aminosalicylates oraux et les placebo/contrôles.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’efficacité des aminosalicylates oraux pour la rémission des poussées de maladie de Crohn ou pour en prévenir les récidives en cas de pathologie latente est incertaine. Ils concluent à la nécessité de davantage de RCTs.

 

Financement

American College of Gastroenterology.

 

Conflits d’intérêt

Un auteur est consultant et a reçu des subsides de recherche de 2 firmes ; un autre déclare des liens avec plusieurs firmes.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les chercheurs font un effort méritoire pour élaborer une méta-analyse rigoureuse. Ils décrivent amplement leur stratégie de recherche étendue et cherchent aussi les données d’études non publiées. La qualité méthodologique des études trouvées est évaluée dans les six domaines habituels de biais (6). Une de leurs tables montre que la plupart des études incluses sont effectuées en double aveugle mais les renseignements concernant la randomisation et le secret d’attribution font généralement défaut. Pour leurs méta-analyses, les chercheurs utilisent, si possible, les données en ITT des différentes études, mais la proportion d’études avec ITT n’est pas mentionnée. Pour les études concernant la mésalazine, les auteurs notent une non concordance importante (test I² respectivement de 54% pour une rémission et de 46% pour une amélioration). La raison de cette hétérogénéité n’est pas explicitée par différentes analyses de sensibilité concernant les doses et les critères de jugement. L’analyse est faite en modèle d’effets aléatoires en fonction de l’hétérogénéité, ce qui est correct, mais cette hétérogénéité invite à une interprétation prudente des résultats.

 

Mise en perspective des résultats

Les chercheurs font la constatation initiale que l’emploi des 5-aminosalicylates est controversé. Une synthèse de la Cochrane Collaboration publiée en 2010 conclut à une efficacité limitée de la sulfasalazine en cas de poussées légères et modérées de maladie de Crohn et à une infériorité de la sulfasalazine versus corticostéroïdes (4). L’efficacité du budésonide avait précédemment été démontrée (7). Pour l’olsalazine et la mésalazine orales aucun bénéfice thérapeutique versus placebo n’avait été montré (4). Une synthèse de la Cochrane plus ancienne (2005) n’avait montré aucun bénéfice thérapeutique des 5-aminosalicylates oraux pour la prévention de récidives (3) ; les auteurs plaidaient pour la réalisation de nouvelles études. Dans les deux cas (traitement d’une poussée, prévention de récidives) les preuves d’efficacité des 5-aminosalicylates dans la maladie de Crohn étaient donc limitées.

Les auteurs de la présente méta-analyse doivent également conclure à des preuves insuffisantes d’efficacité de ces médicaments dans ces indications. Leur conclusion la plus optimiste est un bénéfice des 5-aminosalicylates en cas de poussée en termes de rémission ou d’amélioration des plaintes ; ce résultat est lié à des résultats à la limite de la signification statistique de deux anciennes (1979 et 1984) études avec la sulfasalazine. Il est remarquable que 30 ans après, la peut-être dixième méta-analyse doive encore souligner la nécessité d’études cliniques avec les 5-aminosalicylates, pour déterminer leur efficacité en fonction de la localisation des lésions (stratification des études) en traitement des poussées comme en prévention des récidives. Cette publication de Ford illustre cependant un tournant au sein de l’American College of Gastroenterology qui recommandait il y a 10 ans dans leur guide de pratique le recours à des 5-aminosalicylates en cas de poussée légère de maladie de Crohn (1).

Cette méta-analyse n’évalue pas la place d’un traitement par 5-aminosalicylates en cas de prévention post-opératoire. Cette situation post résection n’est pas rare, 80% des patients souffrant d’une maladie de Crohn subissant une résection intestinale sur le cours de leur vie (1). Deux autres synthèses de la Cochrane ont analysé cette situation spécifique et montrent une efficacité possible des 5-aminosalicylates dans cette situation (8,9), des biais de publication pouvant cependant fausser les résultats.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude conclut à une incertitude persistante de l’efficacité des 5-aminosalicylates en termes de rémission d’une poussée inflammatoire ou en termes de prévention des récidives en cas de maladie latente de Crohn.

 

Pour la pratique

Les formes compliquées de maladie de Crohn doivent avoir une prise en charge spécifique (10), comme les formes non compliquées (1). Pour le traitement d’une poussée inflammatoire d’une forme non compliquée, il faut tenir compte de la sévérité et de la localisation des lésions ainsi que du choix du patient. Le budésonide et les corticostéroïdes systémiques sont des premiers choix. La sulfasalazine n’est citée que comme choix thérapeutique possible en cas de poussée colique (donc pas en cas d’iléite terminale) en tenant compte de ses effets indésirables versus son bénéfice limité (1). Les effets indésirables possibles sont : néphropathie, troubles hématologiques, pancréatite et atteintes cutanées (11). Les 5-aminosalicylates n’ont pas de place dans la prévention de nouvelles poussées inflammatoires. D’autres études sont nécessaires pour confirmer une place possible pour la sulfasalazine et la mésalazine en situation de post résection intestinale (1). La méta-analyse de Ford confirme les incertitudes quant à l’efficacité et la place des 5-aminosalicylates en cas de maladie de Crohn.

 

 

Références

  1. Dignass A, Van Assche G, Lindsay JO, et al; European Crohn's and Colitis Organisation (ECCO). The second European evidence-based consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease: current management. J Crohns Colitis 2010;4:28-62.
  2. Baumgart DC, Sndborn WJ. Inflammatory bowel disease: clinical aspects and established and evolving therapies. Lancet 2007;369;1641-57.
  3. Akobeng AK, Gardener E. Oral 5-aminosalicylic acid for maintenance of medically-induced remission in Crohn’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 1.
  4. Lim WC, Hanauer S. Aminosalicylates for induction of remission or response in Crohn’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 12.
  5. Van Assche G, Vermeire S, Rutgeerts P. The potential for disease modification in Crohn’s disease. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2010;7:79-85.
  6. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  7. Seow CH, Benchimol EI, Griffiths AM, et al. Budesonide for induction of remission in Crohn’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 3.
  8. Doherty G, Bennett G, Patil S, et al. Interventions for prevention of post-operative recurrence of Crohn’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 4.
  9. Gordon M, Naidoo K, Thomas AG, Akobeng AK. Oral 5-aminosalicylic acid for maintenance of surgically-induced remission in Crohn’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 1.
  10. Van Assche G, Dignass A, Reinisch W, et al; European Crohn's and Colitis Organisation (ECCO). The second European evidence-based consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease: special situations. J Crohns Colitis 2010;4:63-101.
  11. Maladie de Crohn : traitement.Idées-Forces Prescrire, juillet 2011.

 

Noms de marque

budésonide : Budenofalk®,,Entocort®

sulfasalazine : Salazopyrine®

mésalazine : Claversal®, Colitofalk®, Pentasa®

5-aminosalicylates oraux pour la maladie de Crohn

Auteurs

Van de Casteele M.
Departement Hepatologie UZ Gasthuisberg en Departement Geneesmiddelen RIZIV
COI :

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