Revue d'Evidence-Based Medicine



« Symptômes non expliqués médicalement » : le désarroi des étudiants en médecine en formation



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 7 Page 175 - 179

Professions de santé


Analyse de
Yon K, Nettleton S, Walters K, et al. Junior doctors’ experiences of managing patients with medically unexplained symptoms: a qualitative study. BMJ Open 2015;5:e009593.


Question clinique
Comment les étudiants en médecine en formation vivent-ils les situations de « symptômes non expliqués médicalement » et quelles recommandations formulent-ils en termes de supervision ?


Conclusion
Cette étude qualitative de bonne qualité méthodologique montre que les étudiants en médecine (équivalent aux 3ème et 4ème masters), qui passeront en stage dans nos pratiques, manquent de formation quant à la gestion des symptômes non expliqués médicalement (MUS). Les solutions imaginées par les étudiants mettent en avant des méthodes interactives pour parfaire leur formation. Le « modèle de rôle » que nous jouons dans leur apprentissage est également important, mais cela doit inciter les maîtres de stage à être attentifs au désarroi de certains étudiants dans cette situation clinique caractérisée par la gestion de l’incertitude, lot quotidien du médecin généraliste.


 

“That’s the thing I find about medically unexplained symptoms, I’ve got no answer and I often feel very powerless…I just don’t know what to do..” (P12, Male, FY1)

 

Contexte

Une revue de la littérature internationale publiée en 2015 (1) suggère que 40 à 50% des cas vus en première ligne de soins seraient motivés par des « symptômes non expliqués médicalement » (MUS, « medically unexplained symptoms » en anglais) c-à-d des plaintes non reliées in fine à un diagnostic clair de pathologie organique sous-jacente (1). Face à ces situations, les thérapeutes sont confrontés à la difficulté de juger du seuil adéquat d’investigation et/ou de référence vers la deuxième ligne, avec un risque évident de (sur)médicalisation (2,3). Si nous constatons intuitivement que les étudiants en médecine en formation sont particulièrement mis en difficulté par ces situations, il était intéressant d’étudier plus scientifiquement, et particulièrement par des méthodes qualitatives, leurs vécus sur la question et leurs besoins ressentis en termes de formation.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • après avoir obtenu une première certification en sciences médicales, les étudiants en Angleterre entament une formation de base de 2 ans (« Foundation Training Programme » ; équivalent aux 3e et 4e master chez nous) dans différentes spécialités incluant médecine interne, chirurgie générale, pédiatrie, anesthésie et médecine générale
  • un nombre indéterminé de ces étudiants entamant leur 1ère ou 2ème année de stage dans le cadre de cette formation de base, dans 3 hôpitaux de Londres, ont été invités par courrier électronique à participer à l’étude sur base volontaire à la suite d’une présentation plénière en marge de leur formation ; aucun critère d’inclusion ou d’exclusion explicite n’est donné, mais les participants ont été choisis parmi les volontaires par les auteurs afin d’assurer un maximum de diversité de caractéristiques démographiques telles que genre, âge, groupe ethnique et niveau de formation
  • au total, 22 participants ont été interrogés ; dont 15 en 2ème année de formation, 13 femmes et 14 de moins de 29 ans.

 

Protocole de l’étude

  • étude qualitative sous forme d’entretiens individuels approfondis semi-structurés
  • les entretiens avaient lieu dans les hôpitaux de travail respectif des participants et menés par du personnel formé à cette technique sur base d’un guide d’entretien dont les items à explorer avaient été définis par une recherche de la littérature et une étude qualitative non publiée ; 4 entretiens pilotes avaient été réalisés pour tester préalablement le déroulement des entretiens ; enfin, les items pouvaient être adaptés quand de nouveaux éléments étaient évoqués en cours d’étude
  • les entretiens ont duré en moyenne 36 min (de 19 à 59 min) et se terminaient lorsque l’examinateur, entraîné en entretien qualitatif, estimait que la discussion arrivait à saturation sur divers sujets
  • l’entretien abordait les expériences préalables de suivis de patients présentant des MUS (y compris les émotions associées), leurs appréciations à propos de ces suivis (y compris les freins à la dispensation de soins de qualité relevés), leurs idées pour la prise en charge à court et plus long terme de ces patients et leurs recommandations en termes de formation sur le sujet
  • les entretiens étaient audio-enregistrés, puis analysés et organisés selon la « framework method » (4), sur fichier Excel
  • les participants sélectionnés ont reçu un bon d’achat de 20 ‎£ pour des livres à l’issue de l’entretien.

 

Résultats

Les investigateurs ont regroupé les données en 3 thèmes principaux, pour chacun desquels les sous-thèmes sont résumés. Nous résumons les éléments jugés les plus représentatifs de l’ensemble.

  • attitudes et perceptions des étudiants en formation à l’égard des patients avec MUS
    • rôle et responsabilité : les étudiants ne se sentent pas préparés pour faire face à ces patients et vont même jusqu’à éviter de communiquer avec ces patients à cause de leurs doutes sur la manière de leur délivrer des explications et de discuter avec eux des options de prise en charge ; ils peuvent aussi éprouver un sentiment d’impuissance ; globalement, ils ont envie de mieux faire mais il n’y a pas de consensus sur le rôle du médecin dans ces suivis (certains pensent même que ces plaintes ne sont pas de la prérogative des médecins, ou alors plus spécifiquement du médecin généraliste ou du psychologue-psychiatre)
    • types de patients : les étudiants classent les patients en 3 grandes catégories : ceux décrivant des symptômes en lien avec un trouble psychologique/psychiatrique (problème de santé mentale, stress, traumatisme), ceux souffrant d’une pathologie organique non (encore) identifiée et ceux étant qualifiés de « manipulateur »
    • prise en charge et investigations : les étudiants ont conscience de leur tendance à sur-investiguer ces patients, expliquent cette tendance par leur peur de « passer à côté de quelque chose de sérieux » ou de « retombées personnelles négatives » (poursuites) mais aussi parfois parce qu’ils utilisent les examens comme un moyen de passer moins de temps à parler avec ces patients ou pour éviter de devoir leur donner des explications sur ces MUS.  
  • les freins à une prise en charge efficace
    • contraintes d’organisation : les étudiants évoquent le manque de temps face à des situations jugées complexes, mais aussi parfois non prioritaires
    • contraintes psychologiques : ces patients engendrent chez les étudiants de l’agacement, de la frustration, de l’anxiété. L’incertitude liée aux MUS engendre un sentiment d’incompétence ou l’impression que les patients ne se sont pas sentis entendu, ce qui altère la motivation des étudiants
    • modèle de rôle : ils soulignent le manque de formation et l’importance du rôle de l’apprentissage par observation de leurs maîtres de stage et l’influence de leurs attitudes parfois dévalorisantes envers ces situations ainsi que leur peur d’aller contre la norme en adoptant d’autres attitudes.
  • les recommandations pour la formation
    • points de vue sur la formation : les étudiants reconnaissent leur manque de formation dans le domaine et sont demandeurs d’en recevoir vu la fréquence élevée des MUS
    • contenu de la formation : ils évoquent avant tout des modalités interactives comme des discussions de cas entre seniors et juniors, un apprentissage par problème sur base de vidéos ou de jeux de rôle, des sessions d’apprentissage pratiques à la communication notamment pour l’annonce de résultats normaux ou pour formuler des explications psychologiques à des symptômes physiques, notamment avec des patients simulés ; à côté de ces compétences en communication, ils sont demandeurs, de techniques à prodiguer à leurs patients pour gérer ces situations (stratégies de gestion à moyen et long terme) et de possibilités de références adéquates (psychologiques ou dans la communauté).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il y a un besoin urgent d’améliorer la formation continuée des médecins dans le domaine des « symptômes non expliqués médicalement » (MUS), notamment pour éviter un phénomène de « sur-investigation », car la formation médicale actuelle n’apporte aux étudiants en médecine ni les connaissances, ni les compétences nécessaires pour gérer en toute confiance ces patients. Les formations ciblées pour les étudiants devraient cibler l’acquisition de compétences pratiques permettant notamment de prodiguer des explications convenables aux patients et d’envisager avec eux des stratégies individualisées pour y faire face, dans le but d’aider les étudiants à tolérer l’incertitude liée à ces situations.

 

Financement de l’étude

Etude “supportée” par la “National School of Primary Care Research” (award number: 157946).

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun conflit d’intérêts déclaré.

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques

Cette étude s’inscrit dans la recherche qualitative, déjà présentée dans Minerva (5) et répond aux recommandations établies. La présentation des résultats de cette étude se réfère aux critères de la check-list COREQ (6) qui propose une check-list de 32 items appliqués aux interviews et aux 'focus groups' et recommandée par le réseau EQUATOR (7). La problématique est bien formulée, la population étudiée bien délimitée et l’échantillon choisi correspond bien à la question de recherche bien que les critères de sélection des participants au sein de cette population ne soient pas prédéfinis. Les entretiens ont eu lieu jusqu’à saturation. Les données semblent rassemblées de manière adéquate et la méthode d’observation (c-à-d les entretiens) adaptée à l’objet de la recherche. Pour l’interprétation des données, les investigateurs utilisent un cadre théorique bien décrit. Il ne semble pas y avoir eu de réelle triangulation, en tout cas pas dans la méthode d’observation mais le groupe de 5 investigateurs était pluridisciplinaire (médecins, psychologue expérimenté en gestion des MUS et sociologue). Les possibles préjugés des investigateurs sur la question de recherche ont été explicités et mis à l’épreuve des données par les autres membres de l’équipe. Aucune codification n’est évoquée et la concordance entre les divers observateurs n’est ni mesurée ni rapportée. Cette étude n’explore que les besoins perçus par les étudiants et pas leurs besoins tels qu’ils pourraient être perçus par leurs collègues, leurs enseignants et encore moins par les patients.

 

Interprétation des résultats

En nous souvenant que, fondamentalement, les études qualitatives sont avant tout des études « génératrices d’hypothèses » et/ou aidant à la compréhension d’un problème et orientant les interventions, il semble que la population étudiée soit assez proche des étudiants en médecine de troisième et quatrième année de master en Belgique et que les résultats puissent être prudemment extrapolés à notre contexte. Ces étudiants, pour la majorité d’entre eux, passeront en stage dans nos pratiques de médecine générale. Si certains d’entre eux soulignent le rôle privilégié du médecin généraliste face à ces plaintes « non expliquées médicalement », ils soulignent surtout, dans ce domaine par ailleurs peu enseigné, l’importance de l’apprentissage par observation, le fameux « modèle de rôle » (8). Cette donnée renvoie chaque clinicien à sa propre capacité à gérer ces plaintes de manière professionnelle et empathique ainsi qu’à son aptitude à encadrer les étudiants-stagiaires au-delà du simple modèle de rôle. Les étudiants soulignent aussi leur manque de formation à la communication. La reconnaissance de ce manque devrait nous guider dans notre manière de superviser ces étudiants quand ils passent par nos pratiques. Notons que la notion même de « symptôme non expliqué médicalement » (MUS) nous semble très « positiviste et médico-centrée». Face à des symptômes non expliqués médicalement, une fois le difficile « seuil d’investigation raisonnable » atteint, il serait peut-être pertinent de faire appel à d’autres cadres de référence, d’autres approches ou d’autres thérapeutes. Enfin, rappelons que la gestion de l’incertitude est un des piliers de la médecine générale (9). Les symptômes non expliqués médicalement renvoient directement à une notion fondamentale du rôle du médecin généraliste, la prévention quaternaire, qui est la prévention de la médecine non nécessaire ou la prévention de la surmédicalisation (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude qualitative de bonne qualité méthodologique montre que les étudiants en médecine (équivalent aux 3ème et 4ème masters), qui passeront en stage dans nos pratiques, manquent de formation quant à la gestion des symptômes non expliqués médicalement (MUS). Les solutions imaginées par les étudiants mettent en avant des méthodes interactives pour parfaire leur formation. Le « modèle de rôle » que nous jouons dans leur apprentissage est également important, mais cela doit inciter les maîtres de stage à être attentifs au désarroi de certains étudiants dans cette situation clinique caractérisée par la gestion de l’incertitude, lot quotidien du médecin généraliste.

 

Pour la pratique

Un guide de pratique clinique hollandais publié en 2013 (10) aborde la problématique des « symptômes non expliqués médicalement » et donne quelques balises pour le suivi de ces patients. Tout d’abord ce guide précise qu’une bonne relation et communication entre patient et médecin est essentielle dans l’approche de ces patients. Ensuite le guide se base sur 3 types de MUS pour le traitement :

  • patients avec MUS modéré : traitement par le GP lui-même. Informations et avis, discussion des facteurs freinant et développement d’un plan avec temps d’évaluation
  • patients avec MUS modéré à sévère : collaboration avec ou référence vers un kinésithérapeute ou recommandation d’exercices, un professionnel en soins de santé mentale en première ligne avec prédilection pour la thérapie cognitivo-comportementale
  • patients avec MUS sévère : collaboration multidisciplinaire en deuxième ligne.

Par ailleurs, de multiples ressources potentiellement utiles aux cliniciens existent (11,12) dans le domaine de la communication, lui permettant entre autre de jouer un « modèle de rôle positif » lors du passage de stagiaire dans sa pratique.

Enfin, d’un point de vue plus pédagogique, la gestion de l’incertitude et la prévention quaternaire sont des outils à enseigner aux étudiants et auxquels les médecins maîtres de stage devraient être formés.

 

 

Références

  1. Haller H, Cramer H, Lauche R, Dobos G. Somatoform disorders and medically unexplained symptoms in primary care. Dtsch Arztebl Int 2015;112:279-87.
  2. Nettleton S. ‘I just want permission to be ill’: towards a sociology of medically unexplained symptoms. Soc Sci Med 2006;62:1167-78.
  3. Barsky AJ, Orav J, Bates DW. Somatization increases medical utilization and costs independent of psychiatric and medical comorbidity. Arch Gen Psychiatry 2005;62:903-10.
  4. Ritchie J, Spencer L. Qualitative data analysis for applied policy research. In: Bryman A, Burgess RG (eds). Analyzing qualitative data. London: Taylor & Francis Books,1994:173–94.
  5. Poelman T. A quels critères une étude qualitative doit-elle répondre ? MinervaF 2015;14(2):24.
  6. Tong A, Sainsbury P, Craig J. Consolidated criteria for reporting qualitative research (COREQ): a 32-item checklist for interviews and focus groups. Int J Qual Health Care 2007;19:349-57.
  7. Equator Network. Enhancing the QUAlity and Transparency Of health Research. URL : http://www.equator-network.org/.
  8. Chamberland M, Hivon R. Les compétences de l’enseignant clinicien et le modèle de rôle en formation clinique. Pédagogie Médicale 2005;6:98-111.
  9. Kuehlein T, Sghedoni D, Visentin G, et al. La prévention quaternaire, une tâche du médecin généraliste. Santé conjuguée 2011;55:11-8.
  10. Olde Hartman TC, Blankenstein AH, Molenaar AO, et al. NHG Guideline on Medically Unexplained Symptoms (MUS). Huisarts Wet 2013;56:222-30.
  11. EACH (European Association for Communication in Healthcare) is an interdisciplinary charity which brings together researchers and trainers in the field of communication in healthcare: http://www.each.eu/.
  12. Richard C, Lussier MT. La communication professionnelle en santé. Pearson Erpi, 2e édition 2016.



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