Revue d'Evidence-Based Medicine



Infarctus du myocarde NSTEMI ou angor instable après l’âge de 80 ans : traitement conservateur ou invasif ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 7 Page 180 - 183

Professions de santé


Analyse de
Tegn N, Abdelnoor M, Aaberge L, et al. Invasive versus conservative strategy in patients aged 80 years or older with non-ST-elevation myocardial infarction or unstable angina pectoris (After Eighty study): an open-label randomised controlled trial. Lancet 2016;387:1057-65.


Question clinique
Pour des sujets âgés d’au moins 80 ans, présentant un infarctus du myocarde non STEMI ou un angor instable, quel est l’intérêt d’une stratégie invasive versus stratégie thérapeutique conservatrice en termes de prévention d’incidents cardiovasculaires ou de décès ?


Conclusion
Cette RCT de bonne facture méthodologique montre qu’un traitement invasif en ajout à un traitement médicamenteux optimal est plus performant que le seul traitement médicamenteux optimal en termes d’évènements cardiovasculaires prévenus chez des octogénaires bien sélectionnés présentant un infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI) ou, beaucoup plus rarement, un angor instable, mais en situation clinique stable.


Contexte

Un syndrome coronarien aigu sans élévation du segment ST (NSTEMI pour non ST elevation myocardial infarction ou angor instable) est la manifestation la plus fréquente d’une pathologie cardiaque ischémique chez les personnes fort âgées (≥ 80 ans). Les guides de pratique clinique européens (1) recommandent une stratégie thérapeutique invasive en routine chez les patients à risque de récidive, sans faire de distinction entre des patients fort âgés (sous représentés dans les études) et des patients plus jeunes. Ces patients fort âgés bénéficient, dans la pratique, moins souvent d’un traitement invasif et médicamenteux recommandé que les sujets plus jeunes (2,3). La RCT analysée ici, publiée en 2016, inclut spécifiquement une population âgée d’au moins 80 ans pour évaluer l’intérêt comparatif des deux approches thérapeutiques.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • patients âgés d’au moins 80 ans (âge moyen de 84,8 ans)
  • présentant un infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI) ou un angor instable
  • se présentant dans un hôpital norvégien pour ce motif
  • critères d’exclusion : instabilité de l’état clinique avec douleur thoracique persistante ou autre symptôme ou signe ischémique, choc cardiogénique, problèmes hémorragiques persistants, espérance de vie courte (< 12 mois) en raison d’une comorbidité sévère, trouble mental empêchant le respect du protocole
  • inclusion de 457 patients dans 16 hôpitaux locaux ; 49% d’hommes, 43% avec antécédent d’infarctus, 52% avec antécédent d’angor, 59% avec hypertension artérielle, 17% souffrant d’un diabète, 22% d’une FA et 93% avec troponinémie élevée.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée, en protocole ouvert, multicentrique
  • stratégie invasive (n = 229) avec angiographie coronarienne précoce (90% par accès radial) avec choix immédiat d’angioplastie percutanée (PCI, 47%), de pontage coronarien par greffon (CABG, 3%) si nécessaire + traitement médicamenteux optimal ; la procédure invasive est réalisée dans un hôpital universitaire à Oslo lendemain de leur inclusion ; retour des patients dans l’hôpital local dans les 6 à 18 heures après la procédure invasive
  • versus stratégie conservatrice (n = 228) : traitement médicamenteux optimal seul
  • tous les patients reçoivent donc un traitement médicamenteux optimal dont % en fin d’hospitalisation : aspirine (95% et 93%), clopidogrel (72% et 73%), ticagrélor (4% et 4%), warfarine (22% et 14%), dabigatran (<1% et 3%) ou rivaroxaban (1% et 1%) bêtabloquant (86% et 85%), statine (91% et 84%), IEC ou sartan (52% et 54%), inhibiteur calcique (24% et 23%), dérivés nitrés (34% et 48%).

 

Mesure des résultats

  • critère primaire composite : infarctus du myocarde, nécessité d’une revascularisation urgente, AVC, décès
  • critère secondaire : décès de toute cause
  • sécurité : saignements et autres effets indésirables
  • analyse en intention de traiter (ITT).

 

Résultats

  • suivi médian de 1,53 an (entre décembre 2010 et novembre 2014)
  • sorties d’étude : 5 sous stratégie invasive, 1 sous stratégie conservatrice
  • critère primaire : 93 cas (40,6%) dans le groupe stratégie invasive versus 140 (61,4%) dans le groupe stratégie conservatrice : HR à 0,53 (avec IC à 95% de 0,41 à 0,69 ; p = 0,0001) ; parmi les composants de ce critère, sont statistiquement significatifs, les résultats pour l’infarctus du myocarde et la nécessité d’une revascularisation urgente
  • une analyse en fonction de l’âge montre une diminution progressive de l’avantage en fonction de l’avancement de l’âge (même en corrigeant pour le taux de créatinine)
  • critère secondaire (décès) : 25% versus 27% avec HR à 0,89 (avec IC à 95% de 0,62 à 1,28 ; p = 0,5340)
  • saignements majeurs : 1,7% versus 1,8% ; mineurs : 10% versus 7%.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients âgés d’au moins 80 ans présentant un NSTEMI ou un angor instable, une stratégie invasive est supérieure à un traitement conservateur en termes de diminution d’un ensemble d’évènements. L’efficacité de la stratégie invasive s’atténue avec l’âge (après ajustement en fonction de la créatinine et de la modification d’effet). Les deux stratégies ne diffèrent pas en termes de complications hémorragiques.

 

Financement de l’étude 

Norwegian Health Association (ExtraStiftelsen) et Inger and John Fredriksen Heart Foundation qui ne sont intervenus à aucun des stades de recherche et de publication

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Le premier auteur a reçu des subsides du sponsor ; les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. 

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est élaborée sur un dessin d’étude correct. Le processus de randomisation repose sur des blocs avec secret d'attribution bien préservé. L’examen des caractéristiques initiales des patients montre qu’elles sont semblables dans les deux groupes (mais davantage d’hommes dans le groupe stratégie invasive).

Que le protocole soit « en ouvert » ne semble pas avoir influencé les résultats de cette étude. Un même traitement médicamenteux optimal est administré dans les 2 bras d’étude sauf pour la warfarine et les dérivés nitrés. Les critères composant le critère de jugement primaire sont de type « objectif », sauf, partiellement, le recours à une revascularisation urgente qui est laissé à l’appréciation du cardiologue (symptômes d’angor s’aggravant malgré un traitement médicamenteux optimal avec ou sans modification de l’ECG).

Les résultats sont correctement donnés sur des courbes de survie sans évènements en fonction du temps (Kaplan-Meier). Les auteurs ont recherché les facteurs confondants et ont identifié la créatininémie comme en étant un. Ils ont également analysé leurs résultats d’étude en fonction de l’âge des patients.

L’analyse du diagramme de flux des patients est fort instructive : sur les 4187 patients âgés d’au moins 80 ans potentiels, 2214 ont été exclus en raison des critères prédéfinis (53%), 1516 n’ont pas été inclus pour d’autres raisons (refus (environ 10% des potentiels), logistique,…). Donc, 11% seulement des sujets potentiels ont été randomisés.

 

Mise en perspective des résultats

Si des données d’observation sont en faveur d’une stratégie invasive chez les sujets d’au moins 80 ans (4,5), aucune RCT n’avait apporté de preuve de l’intérêt de ce choix. Une méta-analyse, des données individuelles de trois études, publiée en 2012 (6) suggérait un bénéfice pour une stratégie invasive chez les sujets âgés de plus de 75 ans, sans données disponibles pour ceux âgés d’au moins 80 ans.

Une RCT également publiée en 2012 (7), au protocole différent, incluait 313 patients âgés d’au moins 75 ans (moyenne de 82 ans) ; elle ne montrait pas de résultats statistiquement significatifs (très probablement en raison d’un manque de puissance) en faveur d’une stratégie invasive.

La RCT analysée ici montre donc une plus-value de la stratégie invasive qui diminue le risque (de récidive) d’infarctus du myocarde et de revascularisation urgente.

Comme mentionné dans le précédent paragraphe, de nombreux patients ont été exclus notamment en fonction des critères d’exclusion prédéfinis. Les résultats de cette étude ne sont donc certainement pas extrapolables à toute la population âgée d’au moins 80 ans présentant un NSTEMI (93% dans l’étude) ou un angor instable. La mortalité globale n’est pas significativement diminuée ; ceci pourrait être lié à un manque de puissance d’étude pour ce critère. Les auteurs constatent aussi une diminution de l’avantage d’une stratégie invasive en fonction de la progression en âge, en corrigeant pour la créatininémie (facteur confondant). L’effet pourrait même s’inverser, mais le très faible nombre de patients âgés de plus de 90 ans (n = 34) ne permet pas de conclure.

Les éditorialistes de la revue médicale reprenant la publication (8) soulignent fort à propos que les néphropathies induites par les produits de contraste et les saignements majeurs ont été moins fréquents dans le groupe stratégie invasive de cette étude que dans de précédentes études, ce qui contribue aux résultats en faveur d’une stratégie invasive dans cette étude-ci. Les critères d’exclusion stricts, l’absence d’administration d’antagonistes des récepteurs de la glycoprotéine IIb/IIIa (abciximab, eptifibatide et tirofiban) et l’abord radial fortement majoritaire (90%) pour l’angioplastie ont sans doute contribué à ces résultats plus favorables.

Le concept de traitement médicamenteux optimal dans cette pathologie est évolutif : des antiagrégants plaquettaires plus récents dans cette indication (prasugrel, ticagrélor), des traitements par statines plus puissantes ou autres nouveaux hypolipidémiants (anti PCSK9) devront encore être évalués dans ce domaine.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de bonne facture méthodologique montre qu’un traitement invasif en ajout à un traitement médicamenteux optimal est plus performant que le seul traitement médicamenteux optimal en termes d’évènements cardiovasculaires prévenus chez des octogénaires bien sélectionnés présentant un infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI) ou, beaucoup plus rarement, un angor instable, mais en situation clinique stable.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique de la Société Européenne de Cardiologie publié en 2011 (1) recommande (preuves fortes), sans spécifier d’âge, une stratégie invasive dans les 72 heures chez les patients avec NSTEMI avec des symptômes récurrents et chez ceux qui présente au moins un critère de risque élevé. Ces critères de risque élevé sont : modification pertinente de la troponinémie, modifications dynamiques du segment ST ou de l’onde T (symptomatiques ou silencieuses), diabète, eGFR < 60 ml/min/1,73 m², fraction d’éjection ventriculaire gauche < 40%, angor précoce post infarctus, PCI récent, antécédent de CABG, score GRACE intermédiaire à élevé.

La RCT ici présentée incite à appliquer ce choix également pour les patients octogénaires (sans preuve pour les nonagénaires) soigneusement sélectionnés comme dans l’étude. Le clinicien prendra donc le temps d’évaluer le plus correctement possible la balance bénéfice/risque pour chaque patient.

 

 

Références

  1. Hamm CW, Bassand JP, Agewall S, et al. ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation: The Task Force for the management of acute coronary syndromes (ACS) in patients presenting without persistent ST-segment elevation of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2011;32:2999-3054.
  2. Alexander KP, Newby LK, Cannon CP, et al. Acute coronary care in the elderly, part I: Non-ST-segment-elevation acute coronary syndromes: a scientific statement for healthcare professionals from the American Heart Association Council on Clinical Cardiology: in collaboration with the Society of Geriatric Cardiology. Circulation 2007;115:2549-69.
  3. Bagnall AJ, Goodman SG, Fox KA, et al. Influence of age on use of cardiac catheterization and associated outcomes in patients with non-ST-elevation acute coronary syndromes. Am J Cardiol 2009;103:1530-6.
  4. Devlin G, Gore JM, Elliott J, et al. Management and 6-month outcomes in elderly and very elderly patients with high-risk non-ST-elevation acute coronary syndromes: the Global Registry of Acute Coronary Events. Eur Heart J 2008;29:1275–82.
  5. Kolte D, Khera S, Palaniswamy C, et al. Early invasive versus initial conservative treatment strategies in octogenarians with UA/NSTEMI. Am J Med 2013;126:1076–83.
  6. Damman P, Clayton T, Wallentin L, et al. Effects of age on long-term outcomes after a routine invasive or selective invasive strategy in patients presenting with non-ST segment elevation acute coronary syndromes: a collaborative analysis of individual data from the FRISC II - ICTUS - RITA-3 (FIR) trials. Heart 2012;98:207-13.
  7. Savonitto S, Cavallini C, Petronio AS, et al. Early aggressive versus initially conservative treatment in elderly patients with non-ST-segment elevation acute coronary syndrome: a randomized controlled trial. JACC Cardiovasc Interv 2012;5:906-16.
  8. Psaltis PJ, Nicholls SJ. Management of acute coronary syndrome in the very elderly. Lancet 2016;387:1029-30.



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