Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelles sont l’efficacité et la sécurité du prucalopride dans le traitement de la constipation chronique chez les hommes ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 8 Page 191 - 194

Professions de santé


Analyse de
Yiannakou Y, Piessevaux H, Bouchoucha M, et al. A randomized, double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial to evaluate the efficacy, safety, and tolerability of prucalopride in men with chronic constipation. Am J Gastroenterol 2015;110:741-8.


Question clinique
Chez les hommes âgés de plus de 18 ans qui souffrent de constipation chronique selon les critères de Rome III, quelles sont l’efficacité et la sécurité de 3 mois de traitement à base de prucalopride versus placebo ?


Conclusion
Cette étude randomisée multicentrique, en double aveugle, contrôlée par placebo, montre que le prucalopride, à la dose d’1 à 2 mg par jour, améliore de manière statistiquement significative la fréquence des selles après 3 mois chez un groupe sélectionné d’hommes souffrant de constipation chronique sévère. Cependant, la pertinence clinique et la durée de cet effet sont encore à déterminer. Par ailleurs, une étude portant sur la sécurité du prucalopride à long terme est encore nécessaire.


Contexte

La constipation chronique est un problème de santé fréquent, dont la prévalence est estimée à environ 14% (1). Dans de nombreux cas, elle a aussi un impact important sur la qualité de vie (2). Chez certains patients, malgré un traitement optimal avec des laxatifs classiques (3,4), la constipation persiste (5). Le prucalopride, un agoniste des récepteurs 5-HT4 de la sérotonine qui stimule la motilité intestinale, pourrait apporter une solution à ce problème. Quatre études cliniques randomisées menées en double aveugle (6-9) ont pu montrer une amélioration significative de la fréquence des selles avec le prucalopride versus placebo. Comme les hommes ne représentaient que 10% de la population des études, nous ne savons pas si cet effet peut être généralisé.

 

Résumé  

Population étudiée

  • 374 hommes âgés de plus de 18 ans (âge moyen : 58,5 ans (ET de 16,9 ans)) souffrant de constipation chronique selon les critères de Rome III depuis en moyenne 9,2 ans (ET de 11,6 ans) ; dont 9,7% n’avaient en moyenne aucune selle et 28% une selle spontanée par semaine
  • critères d’exclusion : constipation due à un médicament, constipation secondaire (à une affection métabolique, endocrinienne, neurologique ou organique du côlon), antécédents de chirurgie du côlon, antécédents de cancer, affection cardiovasculaire, affection hépatique, affection pulmonaire, maladie endocrinienne, neurologique, métabolique ou psychiatrique, utilisation antérieure de prucalopride.

 

Protocole de l’étude

Étude multicentrique randomisée menée en double aveugle, contrôlée par placebo

  • stratification en fonction du pays (66 centres en Belgique, Bulgarie, République tchèque, Danemark, France, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni) et du nombre de selles complètes par semaine (0 ou > 0) durant une phase de présélection d’une durée de 2 à 4 semaines
  • deux groupes d’étude : placebo (n = 186) versus prucalopride (n = 184) (à prendre avant le petit-déjeuner ; 1 x 2 mg/j pour les hommes < 65 ans ou 1 x 1 mg/j pour les hommes ≥ 65 ans avec éventuellement augmentation à 1 x 2 mg/jour en cas de réponse insuffisante (< 3 émissions spontanées de selles par semaine durant les 2 dernières semaines)
  • utilisation de prokinétiques, d’inhibiteurs de la cholinestérase, d’anticholinergiques et de laxatifs non autorisée, à l’exception du bisacodyl comme médicament de secours en absence de selles durant trois jours consécutifs
  • les patients ont tenu un journal de la fréquence des selles, de leur consistance, des efforts pour déféquer (aucun, faible, modéré, intense, très intense), de la sensation d’évacuation complète (oui ou non), de l’utilisation de bisacodyl
  • suivi au centre d’étude après 2, 4, 8 et 12 semaines de traitement.

 

Mesure des résultats

 

Résultats

  • la proportion de sorties d’étude a été de 15% dans les 2 groupes ; 12 patients n’ont pas été inclus dans l’analyse en raison d’une infraction aux directives de bonne pratique clinique dans un centre
  • durant le traitement de 12 semaines, 37,9% des patients du groupe prucalopride versus 17,7% du groupe placebo avaient en moyenne ≥ 3 selles spontanées par semaine (p < 0,0001 pour la différence) ; la différence était également statistiquement significative les semaines 1 à 4, 5 à 8 et 9 à 12 ainsi que pour les analyses de sous-groupes par pays et par nombre de selles par semaine (0 versus > 0) pendant la phase de présélection
  • durant toute la période d’étude, la proportion de patients considérant leur constipation comme étant sévère ou très sévère était moins importante, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe prucalopride versus le groupe placebo (21,9% versus 30,4% ; p < 0,05 pour la différence) ; de même, les patients avaient moins besoin de bisacodyl comme médicament de secours (en moyenne 0,6 (ET de 1,56) versus 1 (ET de 1,76) par semaine respectivement)
  • il n’y a pas eu de différence statistiquement significative quant à l’amélioration du score au PAC-SYM (p = 0,0623), mais bien quant à l’amélioration du score au PAC-QOL (p = 0,0158) en faveur du groupe prucalopride
  • il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant au nombre d’effets indésirables liés au traitement (42,4% avec le prucalopride versus 34,4% avec le placebo ; RR de 1,23 avec IC à 95% de 0,95 à 1,60) ni quant à l’arrêt du traitement à cause d’effets indésirables (3,3% vs 3,8% respectivement) ; 20% des patients du groupe prucalopride versus 14% du groupe placebo ont présenté des symptômes gastro-intestinaux, et 9,2% versus 3,8% se sont plaints de céphalées.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le prucalopride est efficace dans le traitement de la constipation chronique chez les hommes. Le profil de sécurité est favorable, et le médicament est bien toléré.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par Shire-Movetis NV.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

3 des 11 auteurs ont mentionné une aide financière pour de la recherche, des bourses de voyage ou des indemnisations pour intervention en tant qu’orateur ; 3 des 11 auteurs sont ou ont été employés par Shire et/ou des actionnaires.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La sélection des patients de cette étude a été effectuée sur la base des critères de Rome III validés pour la constipation chronique. Il importe de préciser que l’attention se porte sur la fréquence des selles et pas uniquement sur des plaintes subjectives comme des difficultés à déféquer ou l’émission de selles dures. Il aurait toutefois été plus correct que les investigateurs utilisent aussi le caractère « réfractaire » comme critère d’inclusion. Dans cette étude, la randomisation a été effectuée correctement et en aveugle. Par la stratification sur base du nombre de selles spontanées par semaine (0 et > 0), il a été possible d’avoir des groupes comparables en termes de sévérité de la constipation et aussi d’effectuer des analyses de sous-groupes. La façon d’assurer l’insu vis-à-vis des patients et des investigateurs n’est pas clairement décrite. Le choix du critère de jugement principal ainsi que le calcul de la puissance se sont basés sur les résultats d’études antérieures (6-9). Les évaluateurs mentionnent comme seuil de pertinence clinique une différence de 14% entre le groupe placebo et le groupe prucalopride quant au nombre de patients ayant ≥ 3 selles spontanées par semaine, mais ils ne donnent pas assez d’arguments justifiant leur choix. L’utilisation des journaux électroniques pour que les patients indiquent les selles spontanées est simple, mais n’exclut pas complètement un biais de notification. La dichotomisation des répondeurs (la réponse étant définie comme ≥ 3 selles spontanées par semaine) et des non-répondeurs simplifie l’interprétation des résultats. Les critères de jugement secondaires sont issus du même journal électronique, mais leur notification est plus susceptible d’être subjective. Les investigateurs ont en outre aussi utilisé des listes de scores validées pour évaluer la sévérité des symptômes et leur influence sur la qualité de vie. Le fait que 12 patients aient été exclus en raison d’infractions graves aux directives de bonne pratique clinique (10) dans un centre d’étude témoigne d'un bon suivi mais nous ne disposons d'aucune précision quant aux raisons motivant ces décisions.

 

Interprétation des résultats

Cette étude montre que le prucalopride augmente la fréquence des selles chez les hommes atteints de constipation chronique. Sur une période de 3 mois, le pourcentage d’hommes ayant au moins 3 selles spontanées par semaine était 20% plus élevé, et ce de manière statistiquement significative, avec le prucalopride qu’avec un placebo. Sur la base des analyses de sous-groupes, ce gain paraît constant durant toute la période de l’étude de 3 mois et indépendant de la sévérité initiale de la constipation. Ce résultat correspond à celui des études précédentes, principalement menées chez des femmes, où l’efficacité observée se situait entre 10 et 20% (6-9). Cependant, comme signalé plus haut, la pertinence clinique de ce résultat est difficile à évaluer. Il faut également remarquer qu’un suivi de 3 mois, pour une telle affection chronique, est très court. Il convient de noter qu’après l’intervention, 40% des patients du groupe prucalopride avaient encore besoin de bisacodyl en supplément.

Les nombreux critères d’exclusion font qu’il s’agit ici d’un groupe de patients strictement sélectionnés pour lesquels nous ne disposons que de peu, voire pas, d’informations relatives aux traitements et mesures suivis avant le commencement de l’étude. Nous savons seulement que 56,2% des patients du groupe placebo et 67,6% du groupe prucalopride décrivaient leur constipation comme étant sévère à très sévère et qu’environ 30% avaient ≤ 1 selle spontanée par semaine.

 

Effets indésirables

Il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant à l’incidence des effets indésirables entre le groupe placebo et le groupe prucalopride. Toutefois, en valeur absolue, le prucalopride a provoqué plus de diarrhées, de nausées et de céphalées. Cette étude n’a pas permis de montrer d’allongement de l’intervalle QT ni d’augmentation de la fréquence des troubles du rythme graves. L’exclusion d'un groupe important de patients avec comorbidités et donc très probablement polymédiqués impose une grande prudence quant à un traitement éventuel chez tout patient ne répondant pas aux critères d'inclusion et d'exclusion de l'étude discutée ici.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée multicentrique, en double aveugle, contrôlée par placebo, montre que le prucalopride, à la dose d’1 à 2 mg par jour, améliore de manière statistiquement significative la fréquence des selles après 3 mois chez un groupe sélectionné d’hommes souffrant de constipation chronique sévère. Cependant, la pertinence clinique et la durée de cet effet sont encore à déterminer. Par ailleurs, une étude portant sur la sécurité du prucalopride à long terme est encore nécessaire.

 

Pour la pratique

Pour le traitement de la constipation chronique, les recommandations d’EBMPracticeNet et du NHG-Standaard proposent d’adopter des mesures diététiques, telles que l’augmentation de la consommation de fibres et de liquides ainsi que de l’activité physique, d’avoir des habitudes de défécation régulières (par exemple le matin après le petit-déjeuner) et d’éviter ou de diminuer les médicaments qui entraînent de la constipation (3,4). En l’absence d’amélioration des symptômes après 2 semaines de traitement non médicamenteux ou en cas de gêne, des laxatifs peuvent être envisagés (4). En premier lieu, des laxatifs qui augmentent le volume des selles (tels que le lactulose et le macrogol) seront choisis, éventuellement suivis par des laxatifs de contact, tels que le picosulfate et le bisacodyl (uniquement pendant une courte durée) ou des médicaments administrés par voie rectale (bisacodyl ou phosphate de sodium) (3,4). A côté de cela, un apprentissage par rétroaction biologique peut être utile en cas de problème de défécation (3).

Selon NICE, pour les femmes souffrant de constipation chronique réfractaire à un traitement avec au moins 2 médicaments laxatifs de 2 classes pharmacothérapeutiques différentes à la dose maximale tolérée, le prucalopride peut être choisi comme traitement de seconde intention (11). L’étude décrite plus haut montre que, chez les hommes souffrant de constipation sévère, un effet semblable à celui observé chez les femmes peut être attendu. L’avantage clinique doit toujours être mis en regard des éventuels effets indésirables et des répercussions financières. Le prucalopride coûte cher et il n’est pas remboursé en Belgique. Enfin, il est nécessaire de poursuivre la recherche à propos des effets indésirables.

 

 

Dénomination du médicament 

  • Prucalopride = Resolor®

 

 

Références 

  1. Suares NC, Ford AC. Prevalence of, and risk factors for, chronic idiopathic constipation in the community: systematic review and meta-analysis. Am J Gastroenterol 2011;106:1582-91; quiz 1581, 1592.
  2. Belsey J, Greenfield S, Candy D, Geraint M. Systematic review: impact of constipation on quality of life in adults and children. Aliment Pharmacol Ther 2010;31:938-49.
  3. Constipation opiniâtre chez l’adulte. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour : 24/06/2013. Dernière revue : 29/02/2016.
  4. Diemel JM, Van den Hurk AP, Muris JW, et al. NHG-Standaard Obstipatie. Huisarts Wet 2010;53:484-98.
  5. Johanson JF, Kralstein J. Chronic constipation: a survey of the patient perspective. Aliment Pharmacol Ther 2007;25:599-608.
  6. Tack J, van Outryve M, Beyens G, et al. Prucalopride (Resolor) in the treatment of severe chronic constipation in patients dissatisfied with laxatives. Gut 2009;58:357-65. Erratum in: Gut 2012;61:1298.
  7. Camilleri M, Kerstens R, Rykx A, Vandeplassche L. A placebo-controlled trial of prucalopride for severe chronic constipation. N Engl J Med 2008;358:2344-54.
  8. Quigley EM, Vandeplassche L, Kerstens R, Ausma J. Clinical trial: the efficacy, impact on quality of life, and safety and tolerability of prucalopride in severe chronic constipation - a 12-week, randomized, double-blind, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther 2009;29:315-28.
  9. Ke M, Zou D, Yuan Y, et al. Prucalopride in the treatment of chronic constipation in patients from the Asia-Pacific region: a randomized, double-blind, placebo-controlled study. Neurogastroenterol Motil 2012;24:999-e541.
  10. ICH harmonised tripartite guideline. Guideline for good clinical practice E6(R1), 1996 (site consulté le 21 septembre 2016).
  11. Prucalopride for the treatment of chronic constipation in women. NICE technology appraisal guidance [TA211]. NICE, 2010.

 

 




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Commentaires

Paul Boon 14/10/2016 16:33

Wat de hoge kostprijs betreft: in vergelijking met lactulose of macrogol valt de prijs relatief gezien mee. Indien de patiënt 4 zakjes macrogol per dag neemt, is de prijs ook aanzienlijk.