Revue d'Evidence-Based Medicine



Quel est l’effet à long terme de la bétahistine pour traiter un syndrome de Ménière ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 8 Page 195 - 198

Professions de santé


Analyse de
Adrion C, Fischer CS, Wagner J, et al; BEMED Study Group. Efficacy and safety of betahistine treatment in patients with Meniere’s disease: primary results of a long term, multicenter, double blind, randomized, placebo controlled, dose defining trail (BEMED trail). BMJ 2016;352:h6816.


Question clinique
Chez les patients avec un diagnostic de syndrome de Ménière, quelles sont l’efficacité et la sécurité d’un traitement pris pendant 9 mois à base de dichlorhydrate de bétahistine à dose élevée ou à faible dose, versus placebo, sur le nombre de crises de vertiges signalées par le patient ?


Conclusion
Cette étude multicentrique, randomisée, placebo-contrôlée, chez des patients atteints d’un syndrome de Ménière actif et correctement diagnostiqué, conclut qu’après 9 mois, l’efficacité d’une dose élevée ou faible de bétahistine ne diffère pas de celle d’un placebo sur le nombre et la gravité des crises de vertiges signalées par le patient, ni sur la fonction vestibulaire et audiologique, ni sur la qualité de vie.


Contexte

Le syndrome de Ménière se caractérise par des crises récurrentes de vertiges, une diminution de l’audition, la sensation d’une pression dans l’oreille et des acouphènes. Il touche des personnes âgées de 40 à 60 ans, et son incidence est estimée entre 50 et 350 cas par 100000 personnes par an (1). Un grand nombre d’options thérapeutiques conservatrices et invasives ont déjà été étudiées. Un des traitements médicamenteux les plus prescrits pour le syndrome de Ménière est le dichlorhydrate de bétahistine (2). L’effet de la bétahistine à long terme n'est toutefois pas encore clair.

 

Résumé

Population étudiée

  • 221 patients âgés de 18 à 80 ans (âge moyen : 55,6 ans (ET 12,2 ans) ; 49,3% de sexe masculin) qui se sont présentés au cours des 3 derniers mois au service de neurologie ou au service d’ORL de 14 hôpitaux universitaires allemands avec au moins 2 crises de vertiges d’une durée minimale de 20 minutes et associées à une diminution de l’audition documentée par des tests audiométriques durant au moins une crise, et à des acouphènes ou à une sensation de pression dans l’oreille atteinte
  • critères d’exclusion : autre affection vestibulaire centrale ou périphérique (telle que migraine vestibulaire, vertige positionnel paroxystique bénin…), contre-indications ou intolérance à la bétahistine (comme l’asthme, la prise d’autres antihistaminiques, une atteinte hépatique ou rénale sévère), coronaropathie, insuffisance cardiaque, hypertension artérielle non contrôlée), autre affection grave ou complexe, espérance de vie inférieure à 12 mois, participation antérieure à cette étude, participation récente ou prévue à une autre étude d’intervention, grossesse (prévue) et allaitement.

 

Conception de l’étude

Etude randomisée contrôlée versus placebo avec 3 bras de traitement en double aveugle 

  • groupe recevant une faible dose (n = 73) : une gélule de 24 mg de dichlorhydrate de bétahistine + une gélule placebo, matin et soir, + 2 gélules placebo à midi
  • groupe recevant une dose élevée (n = 74) : 2 gélules de 24 mg de dichlorhydrate de bétahistine 3 fois par jour
  • groupe recevant un placebo (n = 74) : 2 gélules placebo 3 fois par jour
  • tous les groupes ont été traités pendant 9 mois
  • suivi : durant 12 mois, les patients ont dû tenir un journal (enregistrement quotidien des crises de vertiges et des symptômes associés, tels que sensation de pression dans l’oreille, modifications des acouphènes et de l’audition) ; visites de suivi prévues les mois 1, 4, 6 et 9 et contacts téléphoniques prévus les mois 2, 3, 5, 7 et 8.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de crises de vertiges durant un intervalle standard de 30 jours de traitement
  • critères de jugement secondaires : durée moyenne et gravité moyenne des crises de vertiges au cours des 3 derniers mois de traitement, limitation ou diminution de la qualité de vie suite aux vertiges ou aux acouphènes (3 questionnaires à remplir pendant les visites de suivi), fonction vestibulaire périphérique (testée par électro-nystagmographie pendant l’irrigation à l’eau froide/chaude) et audition et acouphènes (mesures par audiométrie) après 9 mois de traitement, effets indésirables
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : dans le groupe placebo, le nombre de crises de vertiges a diminué de manière statistiquement significative de 0,758 par intervalle de 30 jours de traitement (avec IC à 95% de 0,705 à 0,816 ; p < 0,001) ; il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant à la diminution des crises entre le groupe placebo et chacun des 2 groupes de traitement par bétahistine (p = 0,759) ; ni le sexe ni l’âge n’ont d’influence sur ces chiffres
  • critères de jugement secondaires : pas de différence entre les groupes quant à la durée et la gravité des crises de vertiges (respectivement p = 0,348 et p = 0,390), quant à la qualité de vie (p = 0,970, p = 0,883 et p = 0,666 pour les 3 questionnaires), quant à la fonction vestibulaire périphérique (p = 0,532 pour l’irrigation à l’eau froide, p = 0,600 pour l’irrigation à l’eau chaude), quant aux seuils à l’audiométrie tonale (p = 0,954 pour 250 Hz, p = 0,597 pour 500 Hz, p = 0,474 pour 1 000 Hz et p = 0,504 pour 2 000 Hz) et quant à l’intensité des acouphènes (p = 0,338) ; pas de différence entre les 3 groupes quant aux effets indésirables cliniquement importants.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, pour le moment, il existe peu de faits probants permettant de montrer que la bétahistine, versus placebo, prévient les crises de vertiges chez les patients atteints du syndrome de Ménière.

 

Financement de l’étude

Subvention du ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Des conflits d’intérêts potentiels ont été mentionnés pour 3 auteurs, mais aucun conflit d’intérêts important n’a été identifié.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Dans cette étude multicentrique, en double aveugle, randomisée et placebo-contrôlée, la randomisation a été correctement effectuée avec préservation du secret d’attribution (concealment of allocation). L’insu a également été correctement observé pour les patients, les médecins et les investigateurs. Bien que le diagnostic de syndrome de Ménière s’appuyait sur des critères généralement acceptés (3), il est toujours possible que les investigateurs aient aussi inclus des patients atteints de migraine vestibulaire, de vertige positionnel paroxystique bénin ou de vertiges fonctionnels secondaires. Le respect du traitement par les patients n’a pas été contrôlé de manière active. Il est vrai que 75% des patients ont reçu un traitement pendant 9 mois et qu’entre les groupes, il n’y avait pas de différence quant au nombre de sorties d’étude. La probabilité d’un biais de sélection est donc relativement faible. L’efficacité du traitement sur le nombre de crises de vertiges au cours d’une période déterminée se base sur la description détaillée des crises dans le journal. D’un côté, cette méthode tient mieux compte de la nature variable des symptômes du syndrome de Ménière (contrairement à une échelle objective comme l’échelle de Likert, par exemple), d’un autre côté, l’interprétation des journaux pose un problème méthodologique en raison d’une probabilité élevée de données manquantes et de données erronées. Une analyse de sensibilité a montré que le type de vertige n’avait pas d’effet sur les résultats.

 

Interprétation des résultats

L’efficacité de la bétahistine pour la prévention des crises de vertiges, l’amélioration de la fonction vestibulaire et audiologique et de la qualité de vie chez les patients atteints du syndrome de Ménière ne paraît pas être significativement différente de celle du placebo. Avec le temps, le nombre de crises de vertiges a aussi diminué de manière significative dans le groupe placebo. Cependant, comme il n’y avait pas de groupe témoin sans traitement (attentisme), il n’est pas permis de se prononcer de manière définitive au sujet de l’évolution naturelle de la maladie et au sujet de l’ampleur de l’effet placebo (4). La taille de l’échantillon était suffisante pour la puissance prédéfinie. Le grand nombre de sorties d’étude peut toutefois avoir affaibli le résultat de l’analyse en intention de traiter. On peut aussi se demander si une durée de traitement de 9 mois pour cette maladie est suffisante alors que la présentation des symptômes est cyclique.

Les résultats concordent avec ceux d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2011 (5) qui, sur la base de 7 études randomisées, menées en double aveugle et placebo-contrôlées, avait conclu qu’il n’existait pas suffisamment de preuves de l’efficacité de la bétahistine dans le syndrome de Ménière. Aucune étude n’était de qualité méthodologique élevée à cause de l’imprécision des critères diagnostiques utilisés ou des méthodes suivies et/ou de l’imprécision de la mesure de l’efficacité de la bétahistine sur les vertiges. La plupart des études avaient cependant suggéré une diminution des vertiges avec la bétahistine, et certaines études avaient suggéré une diminution des acouphènes, mais il était possible que ces résultats soient simplement la conséquence d’un biais. La seule étude dont la qualité méthodologique était bonne n’avait montré aucun effet de la bétahistine sur les acouphènes après 4 mois, versus placebo (6). Aucune étude n’a montré la moindre efficacité de la bétahistine sur la diminution de l’audition. La sécurité de la bétahistine a été montrée tant dans la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration que dans l’étude discutée plus haut.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude multicentrique, randomisée, placebo-contrôlée, chez des patients atteints d’un syndrome de Ménière actif et correctement diagnostiqué, conclut qu’après 9 mois, l’efficacité d’une dose élevée ou faible de bétahistine ne diffère pas de celle d’un placebo sur le nombre et la gravité des crises de vertiges signalées par le patient, ni sur la fonction vestibulaire et audiologique, ni sur la qualité de vie.

 

Pour la pratique

Le traitement initial du syndrome de Ménière est conservateur. Selon les recommandations d’EBMPracticeNet (7), en cas de crise de vertiges, il est correct d’administrer de la bétahistine à raison de 2 x 24 mg, ou un diurétique (dose faible d’hydrochlorothiazide-amiloride) ou d’associer les deux. Comme rappelé dans Clinical Evidence, l’efficacité n’en n’a cependant pas été montrée (8). Si aucune crise ne survient durant 3 mois, le médicament peut être progressivement diminué, et il pourra être réinstauré au besoin (7). Cette étude et des études antérieures dont la méta-analyse de la Cochrane Collaboration (5) concluent toutefois qu’il n’existe pas assez de faits probants indiquant que la bétahistine puisse prévenir les crises de vertiges dans le cadre d’un syndrome de Ménière. Les informations données au patient ainsi que l’accompagnement dont il bénéficie, la diminution du stress et un style de vie régulier ont probablement autant d’importance qu’un traitement médicamenteux (7).

 

 

Références 

  1. Watanabe Y, Mizukoshi K, Shojaku H, et al. Epidemiological and clinical characteristics of Menière's disease in Japan. Acta Otolaryngol Suppl 1995;519:206-10.
  2. Harcourt J, Barraclough K, Bronstein AM. Meniere’s disease. BMJ 2014;349:g6544.
  3. Committee on Hearing and Equilibrium guidelines for the diagnosis and evaluation of therapy in Menière's disease. American Academy of Otolaryngology-Head and Neck Foundation, Inc. Otolaryngol Head Neck Surg 1995;113:181-5.
  4. Dagneaux I. Qu’est-ce qu’un placebo (première partie)? MinervaF 2016;15 (5):130-2.
  5. James A, Burton MJ. Betahistine for Ménière’s disease or syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 3.
  6. Schmidt JT, Huizing EH. The clinical drug trial in Menière’s disease with emphasis on the effect of betahistine SR. Acta Otolaryngol Suppl 1992;497:1-189.
  7. Maladie de Ménière. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour : 27/06/2014.
  8. Wright T. Menière’s disease. BMJ Clin Evid 2015;215:pii:0505.

 

 


Auteurs

Dhooge I.
Dienst Neus-, Keel- en Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

Weegerink N.
Dienst Neus-, Keel- en Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

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