Revue d'Evidence-Based Medicine



Les cannabinoïdes à usage médical sont-ils une option thérapeutique ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 9 Page 221 - 224

Professions de santé


Analyse de
Whiting PF, Wolff RF, Deshpande S, et al. Cannabinoids for medical use: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2015;313:2456-73. DOI: 10.1001/jama.2015.6358


Question clinique
Quels sont les bénéfices cliniques et les effets indésirables liés à l’utilisation de cannabis médical et de cannabinoïdes dans une série d’indications thérapeutiques chez l’adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse aux objectifs larges et de qualité méthodologique correcte mais incluant de très nombreuses études de qualité faible à très faible, ne permet pas de préciser les indications potentielles du cannabis médical et des dérivés cannabinoïdes chez l’adulte. Des études de bonne qualité méthodologique doivent être menées pour chaque indication thérapeutique, souvent potentiellement intéressante pour certaines spécialités et pour le médecin généraliste.


Contexte 

Plusieurs pays ont légalisé l’utilisation médicale du cannabis et des cannabinoïdes dans le cadre de patients présentant des maladies chroniques (1). La Belgique leur emboite timidement le pas. Ces substances sont utilisées le plus souvent pour soulager des symptômes. Cependant, leur efficacité pour chaque indication précise n’est pas toujours bien déterminée. Cette synthèse méthodique a pour but d'évaluer les éléments de preuve pour les avantages cliniques et les effets indésirables (EI) des cannabinoïdes médicaux à travers un large éventail d'indications.

 

Résumé

Méthodologie 

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • recherche des RCTs dans : Embase, Medline, Medline In-Process Citations & Daily Update, PsycINFO, BIOSIS, CINAHL, Science Citation Index, CENTRAL (de 1975 à 2014)
  • recherches des synthèses méthodiques, protocoles et health technology assessments dans 13 bases de données (e.a. CDSR, DARE, HTA, …) (jusqu’à 2014)
  • recherche supplémentaire de la littérature grise dans différentes bases de données et recherche des études non publiées (jusqu’à 2014)
  • screening des listes de références des études incluses
  • pas de restriction de langue ni de statut de publication (étude publiée ou non).

 

Etudes sélectionnées 

  • critères d’inclusion : études cliniques randomisées (RCTs) comparant l’utilisation des cannabinoïdes versus soins habituels, placebo ou aucun traitement dans des indications préspécifiées par l’office fédéral de la santé publique suisse ; si aucune RCT n’était disponible pour une des indications ou pour un critère de jugement spécifique, les auteurs permettaient l’inclusion d’étude non randomisée ou non contrôlée (telles que les hypothèse qui peut être évaluée dans une étude expérimentale contrôlée.">séries de cas) sur une population étudiée d’au moins 25 patients
  • critères d’exclusion : études portant sur le cannabis à utilisation récréative, études incomplètes ou aux résultats présentant peu d’intérêts, études dont la population était inappropriée (< 25 participants), doublons, études introuvables
  • sur 23754 publications identifiées, 505 ont été considérés comme potentiellement pertinentes sur base du titre et du résumé
  • un total de 79 RCTs (6462 participants) ont finalement été incluses ; des données sur les EI sont signalées dans 62 études.

 

Population étudiée

  • patients répondant aux indications préspécifiées par l’office fédéral de la santé publique suisse, à savoir : nausées et vomissements dus à la chimiothérapie, stimulation de l'appétit dans le VIH / SIDA, douleur chronique, spasticité due à la sclérose en plaques ou la paraplégie, dépression, anxiété, troubles du sommeil, psychose, glaucome, syndrome de Gilles de la Tourette.

  

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires: résultats des patients relevants/spécifiques à la maladie ; activités de la vie quotidienne ; qualité de vie ; impression globale de changement ; effets indésirables.

 

Résultats

  • versus placebo :
    • nausées et vomissements : réponse complète dans 47% des cas versus 20% : OR de 3,82 (avec IC à 95% de 1,55 à 9,42) (N = 3 ; n = 102) (niveau de preuve faible)
    • réduction de la douleur de ≥ 30% dans le cadre de douleurs chroniques cancéreuses ou neuropathiques : 37% versus 31% ; OR de 1,41 (avec IC à 95% de 0,99 à 2,00) (N = 8 ; n = 1370) ; qualité de vie en relation avec la douleur : non statistiquement significatif (niveau de preuve modéré) ; impression globale de changement d’état relatif à la douleur (évalué entre 3 et 14 semaines) : OR de 2,08 (avec IC à 95% de 1,21 à 3,59) (N = 6 ; n = 267) (niveau de preuve faible)
    • diminution de ≥50% de la spasticité dans le cadre de la sclérose en plaques ou de paraplégie : réduction moyenne sur l’échelle de spasticité d'Ashworth: OR de 1,40 (avec IC à 95% de 0,81 à 2,41) (N = 2 ; n = 519) ; impression globale de changement par le patient : OR de 1,44 (avec IC à 95% de 1,07 à 1,94) (N = 3 ; n = 461) (niveau de preuve faible)
    • les résultats d’autres critères d’évaluation pour ces mêmes indications ainsi que pour les autres indications sélectionnées pour cette revue n’atteignent pas la signification statistique
  • effets indésirables : risque d’effets indésirables (EI) augmenté à court terme avec les cannabinoïdes, incluant des EI sérieux ; les EI habituels ont été : vertiges, sécheresse de la bouche, nausées, fatigue, désorientation, somnolence, confusion, pertes d’équilibre et hallucinations.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à des preuves de qualité modérée pour soutenir l'utilisation des cannabinoïdes dans le cadre du traitement de la douleur chronique et de la spasticité. Ils concluent à des preuves de faible qualité en ce qui concerne la diminution des nausées et des vomissements dus à la chimiothérapie, le gain de poids dans le VIH, la réduction des troubles du sommeil et du syndrome de Gilles de la Tourette par l’utilisation du cannabis ou des cannabinoïdes. Les auteurs concluent par ailleurs que les cannabinoïdes sont associés à un risque accru d’effets indésirables à court terme.

 

Financement de l’étude

Office fédéral de santé publique de Suisse ( FOPH) qui n’est intervenu à aucun stade de l’étude.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun signalé  par 12 auteurs ; 1 a reçu des honoraires de l’Office fédéral de santé publique de Suisse, du National Institute for Health Research (NIHR) Collaboration for Leadership in Applied Health Research and Care West at University Hospitals Bristol NHS (National Health Service) Foundation Trust pour l’écriture de cette synthèse méthodique.

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques 

Les auteurs ont suivi les recommandations de la Cochrane Collaboration pour les synthèses méthodiques et méta-analyses. Deux chercheurs ont sélectionné les études de façon indépendante, avec discussions et consensus ou renvoi à un troisième examinateur en cas de désaccord. Seulement 57% des études mentionnent une méthode appropriée du double aveugle et seulement 24% des études mentionnent une méthode appropriée de l’évaluation en aveugle. La qualité des preuves pour chaque critère d’évaluation des indications retenues a été évaluée selon les directives du groupe de travail «Grading of Recommandation, Assessment, Development, and Evaluation» (GRADE) (2). Les risques de biais ont été quant à eux recherchés par l’utilisation du «The Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias» (3). Seulement 4 études sont à risque de biais faible ! 55 sont à haut risque et 20 études ont un risque peu clair. Des tests statistiques destinés à évaluer l’hétérogénéité des études ont été réalisés. Des analyses stratifiées et des analyses de méta-régression ont été effectuées pour vérifier l’association entre les types de cannabinoïdes, les types d’études, les indications, les comparateurs et durées de suivi. Plus de la moitié des études mentionnent l’arrêt prématuré des patients sans tenir compte de cet élément dans les analyses de résultats. Une étude sur 3 n’a pas mentionné les résultats des critères de jugements prédéfinis.

Enfin, les caractéristiques des populations incluses n’ont pas été décrites. De plus, les bénéfices cliniques et les effets indésirables évalués ne portaient que sur le court terme.

Mise en perspective des résultats 

Les résultats globaux de cette synthèse méthodique avec méta-analyse ne sont pas statistiquement significatifs, ni pour la spasticité, ni pour la réduction de ≥ 30% de la douleur chronique (douleurs cancéreuses ou neuropathiques) et quand le résultat semble positif, comme dans les nausées et vomissements (notamment secondaires à une chimiothérapie), le niveau de preuve est faible. Les auteurs ont réalisé un tableau reprenant l’ensemble des résultats plus spécifiques : certains résultats sont statistiquement significatifs, mais les études sont hétérogènes, sont à fort risque de biais, si bien que l’interprétation en devient quasi impossible.

De plus, les auteurs ne font pas la distinction entre cannabis naturel et cannabis médical ; pour seulement 2 études nous sommes certains que la thérapeutique utilisée est le  cannabis naturel.

Ni l’âge, ni le sexe, ni la situation psycho-médico-sociale de la population étudiée ne sont décrits. Et pourtant, la douleur chronique est un exemple classique de paramètre subjectif et plurifactoriel. L’absence de ces caractéristiques de base de la population incluse rend mal aisée l’extrapolation des résultats.

L’objectif de cette synthèse méthodique était de l’ordre de l’établissement d’un « état des lieux » global de l’intérêt d’une famille de molécules pour une série d’indications thérapeutiques, ce qui aboutit nécessairement à de multiples analyses dont l’interprétation individuelle est rendue difficile par manque d’éléments disponibles notamment sur les études primaires incluses.

Au global, si la qualité de la synthèse méthodique est correcte dans l’ensemble, nous ne pouvons en tirer aucune conclusion car les études incluses sont de trop mauvaise qualité. Dès lors, il ne reste qu’une solution : attendre des RCTs correctes d’un point de vue méthodologique, suffisamment puissante, assurant le moins de biais possible, pour que pour chaque indication thérapeutique nous puissions tirer une conclusion valable.

En Belgique, la ministre fédérale de la Santé a signé un arrêté royal le 11 juin 2015 autorisant la distribution d’un spray oral contenant un cannabinoïde (composé de Delta-9-tétrahydrocannabinol 2,7 mg / 100 µl et de cannabidiol 2,5 mg / 100 µl) pour la seule indication des spasticités sévères dans le cadre de la sclérose en plaques (4) et le patient ne peut bénéficier du remboursement que s’il a été délivré par une pharmacie hospitalière sous supervision du neurologue (5,6).

 

Conclusion de Minerva 

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse aux objectifs larges et de qualité méthodologique correcte mais incluant de très nombreuses études de qualité faible à très faible, ne permet pas de préciser les indications potentielles du cannabis médical et des dérivés cannabinoïdes chez l’adulte. Des études de bonne qualité méthodologique doivent être menées pour chaque indication thérapeutique, souvent potentiellement intéressante pour certaines spécialités et pour le médecin généraliste.

 

Pour la pratique

Un guide de pratique clinique américain (7) recommande (haut grade) l’usage d’extrait de cannabis pour la douleur et la spasticité en cas de sclérose en plaques. La place des cannabinoïdes est discutée dans les guides de pratique par problème de santé. Il faut donc rechercher si l’utilisation de cannabinoïdes est recommandée pour chaque problème de santé ou non. Il y a toujours lieu de tenir compte des effets indésirables associés et du risque de dépendance.

La prescription de cannabis médical ou de dérivés cannabinoïdes ne concerne pas le médecin généraliste en Belgique. Cependant, le sujet faisant partie des actualités de société et au vu de l’importante consommation récréative de ces substances, l’apport de données solides sur le sujet est nécessaire pour permettre aux médecins généralistes d’assurer au mieux leur rôle de conseil.

 

 

Nom de marque

  • Delta-9-tétrahydrocannabinol + cannabidiol : Sativex® spray buccal.

 

 

Références 

  1. Le cannabis médicinal et sa législation en Europe. URL: http://ufcmed.org/cannabis-medical/histoire-legislation/le-cannabis-medicinal-et-sa-legislation-en-europe/ (site consulté le 15/06/2016).
  2. La méthodologie «Grading of Recommendation, Assessment, Development, and Evaluation» (GRADE). Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, 2011. URL: http://canadiantaskforce.ca/methods/grade/ (site consulté le 15/06/2016).
  3. Hróbjartsson A, Boutron I, Turner L, et al. Assessing risk of bias in randomised clinical trials included in Cochrane Reviews: the why is easy, the how is a challenge. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.ED000058
  4. Des médicaments contenant la substance active du cannabis bientôt disponibles légalement dans notre pays. Communiqué de presse, 12/06/2015. URL : http://www.deblock.belgium.be/fr/timeline (site consulté le 15/06/2016).
  5. Conditions de remboursement du médicament Sativex. INAMI, Nouvelles et Presse, 10/03/2016. URL : http://www.riziv.fgov.be/fr/nouvelles/Pages/remboursement-medicament-sativex.aspx#.WAdHmSS2WK8 (site consulté le 15/06/2016).
  6. Médicaments des états spastiques. Cannabinoïdes. Répertoire commenté des médicaments. CBIP 2016.
  7. Yadav V, Bever C, Bowen J, et al. Summary of evidence-based guideline: complementary and alternative medicine in multiple sclerosis: report of the guideline development subcommittee of the American Academy of Neurology. Neurology 2014;82:1083-92. DOI: 10.1212/WNL.0000000000000250

 

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires