Revue d'Evidence-Based Medicine



De l’impertinence clinique de méta-analyses versus RCTs



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 9 Page 240 - 242

Professions de santé


Du seuil de pertinence clinique

Nous avons déjà insisté dans Minerva sur l’importance d’analyser d’abord si une différence statistiquement significative est observée pour un résultat d’une étude, puis, ensuite, d’évaluer si cette différence statistique est cliniquement pertinente. Si une amélioration statistiquement significative est observée pour un critère intermédiaire comme le VEMS dans la BPCO par exemple, encore faut-il que cette différence versus placebo ou comparateur actif corresponde à une amélioration ressentie par le patient (1). Nous n’aborderons pas ici la différence entre critère intermédiaire (comme le VEMS dans l’exemple présenté ci-dessus) et critère clinique fort (par exemple une exacerbation sévère de BPCO), différence très importante quand il s’agit de parler de pertinence clinique. 

Dans une méta-analyse de qualité (après synthèse méthodique exhaustive de la littérature),  il en va de même : il faut progresser de la significativité statistique vers la pertinence clinique, avec un seuil de pertinence clinique prédéfini (2).

Mais la détermination de ce seuil de pertinence clinique n’est pas suffisante pour évaluer si les résultats d’une méta-analyse sont cliniquement pertinents pour un praticien, autrement dit pour lui permettre de décider que les résultats de la méta-analyse lui apportent des preuves cliniques utiles pour sa pratique quotidienne.

 

Du seuil de réflexion quant à l’impertinence

Lors de la description d’une méta-analyse publiée en 2007 (3) évaluant l’utilité des IEC et des sartans en tant que rénoprotecteurs, nous avions souligné l’hétérogénéité clinique importante des études incluses dans la méta-analyse (4). Les études sélectionnées concernaient des populations fort différentes quant à leur risque de développer une insuffisance rénale (patients souffrant de diabète ou non, populations mixtes), présentant initialement une insuffisance rénale de sévérité variable, avec ou sans protéinurie, avec, donc, des résultats variables pour les différents antihypertenseurs (antagonistes calciques pouvant aggraver une protéinurie) et en fonction de la protéinurie (en soi facteur de risque d’évolution d’une insuffisance rénale) Les effets rénoprotecteurs globalement (pour l’ensemble des études) positifs pour ces médicaments dans la méta-analyse n’étaient cependant pas montrés pour des catégories spécifiques de patients (par exemple pour des sujets souffrant de diabète).

 

Dans notre analyse (5) de la synthèse méthodique concernant le diagnostic de sévérité en cas d’œil rouge parue dans ce numéro de Minerva (6), nous soulignons l’hétérogénéité très importante des populations incluses dans les différentes études originales, avec une prévalence d’affection sévère fort variable, allant de 4 à 59% selon les études. Pour des études (ou leurs synthèses) diagnostiques, il est connu qu’une différence de prévalence, via différents biais, peut modifier la précision, la force probante (LR+) et la force excluante (1/LR-) d’un test de manière cliniquement pertinente, principalement en fonction de la différence de spécificité du test qui diminue en fonction de la prévalence (7,8).

 

Ces deux exemples illustrent la nécessité de dépasser l’analyse de la significativité statistique des résultats d’une méta-analyse pour évaluer si ses résultats sont pertinents pour notre pratique quotidienne, au chevet de patients qui ne sont jamais « moyens », comme dans les méta-analyses (classiques) présentant les résultats agrégés d’études incluant des patients aux caractéristiques variables. De tels résultats relèvent de l’impertinence clinique ; autrement dit, de tels résultats ne sont pas cliniquement pertinents.

 

Impertinence de méta-analyses versus pertinence de RCTs de bonne qualité : les NAOs

Les méta-analyses concernant l’efficacité ou la sécurité des nouveaux anticoagulants oraux (NAOs) versus antagonistes de la vitamine K (AVK) dans les différentes indications possibles se multiplient comme les gremlins. Nous en avons analysé plusieurs dans la revue Minerva, notamment celle de Holster (9,10) concernant le risque de saignement gastro-intestinal. Cette publication montrait un risque globalement accru de saignement pour les NAOs (dont 89% de saignements majeurs) versus comparateurs avec une importante hétérogénéité statistique (test I² de 61%) entre les études (42 RCTs parues avant 2012) et également un risque accru de saignement cliniquement pertinent (= saignement gastro-intestinal majeur + saignement non majeur mais cliniquement pertinent) avec non concordance encore plus importante entre les études (test I² de 83%). Ce risque doit cependant être modulé selon l’indication de prescription et selon le médicament précis.

Une nouvelle publication en 2015 (11) reprend les résultats de 23 RCTs et aboutit à une conclusion différente : les NAOs ne sont pas associés à un risque accru d’hémorragies gastro-intestinales majeures versus autres anticoagulants.

 

Mais où se situe la vérité ? S’il en existe une…

Dans certaines RCTs, le risque d’hémorragie gastro-intestinale sévère est plus important sous NAOs que sous AVK : c’est le cas sous dabigatran 150 mg en cas de FA (12,13) et sous rivaroxaban en cas de FA (14,15).

Les deux méta-analyses précitées incluent un nombre différent d’études et aussi des études différentes, avec des populations différentes, population à risque hémorragique variable. Les résultats d’une méta-analyse regroupant des patients à risque hémorragique initialement différent, dans différentes indications thérapeutiques, avec différents médicaments, à différentes doses parfois, sont-ils plus utiles que les résultats d’une RCT (avec un médicament, dans une indication, dans une population avec des caractéristiques précises) pour le praticien quand il essaie d’évaluer le bénéfice et les risques d’instaurer un traitement avec un médicament précis pour un patient présentant des caractéristiques précises ? La réponse est clairement non ! L’étude de la RCT permet généralement de mieux déterminer si le patient aurait pu y être inclus et donc si ses conclusions sont applicables à sa situation, dans les mêmes conditions de traitement.

 

Conclusion

Les méta-analyses qui reprennent des études avec des résultats statistiquement hétérogènes mais surtout concernant des populations cliniquement hétérogènes ne sont d’aucune utilité pour le praticien par rapport à une RCT de bonne méthodologie dans une indication précise et avec un médicament précis (avec un schéma thérapeutique donné) quand il doit proposer un traitement au patient qui le consulte.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Indacatérol, nouveau LABA, dans le traitement de la BPCO ? MinervaF 2011;10(1):10-1.
  2. Chevalier P. Pertinence clinique d’un seuil de différence. MinervaF 2011;10(8):103.
  3. Casas JP, Chua W, Loukogeorgakis S et al. Effect of inhibitors of the renin-angiotensin system and other antihypertensive drugs on renal outcomes: systematic review and meta-analysis. Lancet 2005;366:2026-33. DOI: 10.1016/S0140-6736(05)67814-2
  4. Verpooten GA. IEC et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II : rénoprotecteurs ? MinervaF 2007;6(1):4-6.
  5. Chevalier P. Oeil rouge : diagnostiquer et évaluer la sévérité de l’affection. MinervaF 2016;15(9):215-20.
  6. Narayana S, McGee S. Bedside diagnosis of the ‘red eye’: a systematic review. Am J Med 2015;128:1220-4. DOI: 10.1016/j.amjmed.2015.06.026.
  7. Chevalier P. Précision d’un test diagnostique et prévalence. MinervaF 2011;10(4):51.
  8. Leeflang MM, Bossuyt PM, Irwig L. Diagnostic test accuracy may vary with prevalence: implications for evidence-based diagnosis. J Clin Epidemiol 2009;62:5-12. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2008.04.007
  9. Holster IL, Valkhoff VE, Kuipers EJ, Tjwa ET. New oral anticoagulants increase risk for gastrointestinal bleeding: a systematic review and meta-analysis. Gastroenterology 2013;145:105-12.
  10. La rédaction Minerva. Saignements gastro-intestinaux avec les NAOs. Minerva bref 15/02/2014.
  11. Caldeira D, Barra M, Ferreira A, et al. Systematic review with meta-analysis: the risk of major gastrointestinal bleeding with non-vitamin K antagonist oral anticoagulants. Aliment Pharmacol Ther 2015;42:1239-49. DOI: 10.1111/apt.13412
  12. Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51. DOI: 10.1056/NEJMoa0905561
  13. Chevalier P. Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire. MinervaF 2010;9(6):74-5.
  14. Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91. DOI: 10.1056/NEJMoa1009638
  15. Chevalier P. FA et nouvel anticoagulant oral : le rivaroxaban utile ? MinervaF 2011;10(9):106-7.

 


Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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