Revue d'Evidence-Based Medicine



Place des veinotropes dans le traitement de l’insuffisance veineuse chronique ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 1 Page 17 - 21

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Martinez-Zapata MJ, Vernooij RW, Uriona Tuma SM, et al. Phlebotonics for venous insufficiency. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD003229.pub3


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des veinotropes en administration orale ou locale comme traitement des symptômes et des signes de l’insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de la Cochrane Collaboration montre qu’il semble y avoir une efficacité des veinotropes mais sur des objectifs souvent peu pertinents d’un point de vue clinique comme l’œdème aux MI (niveau de preuves modéré). Par contre pour des critères importants comme la guérison d’ulcères, ils ne font pas mieux que le placebo. Cette classe de médicaments n’est par contre pas dépourvue d’effets indésirables. Il est important de noter que la plupart des RCTs sont anciennes et sont de faible qualité méthodologique avec d’importants risques de biais. Le principal intérêt de la méta-analyse est de donner une estimation de la taille de l’effet observé lors d’un traitement par veinotropes par rapport à un placebo et de mettre en lumière les nombreuses limites méthodologiques des RCTs incluses, informations utiles pour élaborer des RCTs robustes pour valider ou non leur utilisation.


Contexte

Les veinotropes, alias phlébotoniques, sont régulièrement prescrits en pratique générale chez les patients atteints d’insuffisance veineuse. Il n’y a jusqu’à présent qu’une seule synthèse méthodique de littérature réalisée par la Cochrane Collaboration en 2005 (1), portant sur leur efficacité, notamment à prévenir des complications : œdème des membres inférieurs (MI), ulcères veineux, douleur, lourdeur, prurit, qualité de vie, etc. Il n’y a que peu de bonnes revues sur le sujet dans la littérature. A titre d’exemple, Minerva a publié quelques analyses sur les traitements des ulcères et les traitements invasifs des varices (2-4) et Prescrire n’a plus abordé le sujet depuis plus de 20 ans. Très récemment, cette revue a proposé une stratégie du traitement des varices des MI sans aborder le problème des veinotropes (5). Pourtant, ceux-ci sont facilement prescrits, les symptômes de cette pathologie, dont la prévalence exacte n’est pas connue mais évaluée à près de 1% de la population en UK, étant gênants (6). La Cochrane Collaboration a récemment mis à jour sa synthèse méthodique (1).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials construit à base de recherches électroniques hebdomadaires dans les bases de données MEDLINE, EMBASE, CINAHL et AMED (jusqu’en août 2015)
  • essais en cours: recherchés dans World Health Organization (WHO) International Clinical Trials Registry Platform
  • articles cités par les références et contacts avec des auteurs d’essais provenant de la recherche électronique et ceux des études non publiées
  • pas de restriction de langue.

Etudes sélectionnées 

  • critères d’inclusion: études cliniques randomisées contrôlées en double-aveugle d’efficacité et/ou de tolérance comparant un veinotrope à un placebo chez des patients avec une insuffisance veineuse chronique des MI, la compression pouvant être appliquée de façon semblable dans les deux groupes
  • critères d’exclusion : les études avec des thrombophlébites actives ou chez des femmes enceintes ont été exclues
  • médicaments considérés : produits naturels (flavonoïdes, saponosides) et synthétiques en administration orale ou topique sans restriction de posologie ni de durée de traitement
  • au total : 66 RCTs dont une RCT qui avait été exclue dans la précédente synthèse méthodique et 6 nouvelles RCTs parues depuis la première synthèse méthodique
  • 53 RCTs avec des données quantifiables pour l’efficacité, 66 RCTs utilisables pour la tolérance, toutes avec un veinotrope administré par voie orale : 28 avec le rutoside, 10 avec hidrosmine et diosmine, 9 avec le dobésilate de calcium, 2 avec l’hydrocotyle (Centella asiatica), 2 avec l’aminaftone, 2 avec des extraits d’écorce de pin maritime français et 1 avec des extraits de pépins de raisin.

Population étudiée 

  • total de 6013 participants adultes (âge moyen de 50 ans (ET de 32 à 62)).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • œdème aux MI (absence ou présence ; mesure du volume de la jambe ; périmètre de la cheville)
    • qualité de vie évaluée par des échelles spécifiques
  • critères de jugement secondaires :
    • signes objectifs d’insuffisance veineuse chronique : ulcères, troubles trophiques, varices, etc.
    • symptômes subjectifs d’insuffisance veineuse chronique : douleurs, jambes sans repos, lourdeur, crampes, prurit des MI, gonflement des MI, paresthésies, etc.
    • effets indésirables du traitement.

Résultats

  • le tableau résume les résultats selon le critère de jugement :

 

Tableau. Taille de l’effet des veinotropes par rapport au placebo selon le critère de jugement et exprimée en risque relatif (RR), différence moyenne ou différence moyenne standardisée (DMS), avec IC à 95%, et niveau de preuve.

Critère de jugement

Nombre RCTs

Nombre de patients

Taille de l’effet par rapport au placebo (IC à 95%)

Hétérogénéité (I²) ; (niveau de preuve si disponible)

Critères de jugement primaires

 

Œdème MI

13

1245

RR : 0,70 (de 0,63 à 0,78)

I² = 20% ; (modéré)

Circonférence cheville (mm)

15

2010

différence moyenne : -4,27 (de -5,61 à -2,93)

I² = 47% ; (modéré)

Volume jambe (ml)

9

1041

DMS : -0,38 (de -0,50 à -0,25)

I² = 11%

Critères de jugement secondaires

 

Ulcères guéris

6

461

RR : 0,94 (de 0,79 à 1,13)

I² = 5% ; (bas)

Troubles trophiques

6

705

RR : 0,87 (de 0,81 à 0,95)

I² = 0%

Douleurs aux MI

20

 

Analysé par médicament

 

Crampes aux MI

14

1793

RR : 0,72 (de 0,58 à 0,89)

I² = 73%

Jambes sans repos

7

652

RR : 0,81 (de 0,72 à 0,91)

I² = 18%

Démangeaisons

4

 

Analysé par médicament

I² = 92%

Lourdeur des MI

10

 

Analysé par médicament

I² = 91%

Gonflement des MI

14

1072

RR : 0,63 (de 0,50 à 0,80)

I² = 69%

Paresthésies aux MI

9

1456

 RR : 0,67 (de 0,50 à 0,88)

I² = 72%

Qualité de vie

3

 

MA impossible - analysé par médicament

 

Evaluation globale par le patient

16

 

MA impossible - analysé par médicament

 

Effets indésirables

 

De tout type

34

4054

RR : 1,21 (de 1,05 à 1,41

I²=0% (modéré)

   * MA : méta-analyse ; DMS = SMD (standardised mean difference).

 

  • en raison de l’hétérogénéité : l’effet n’a pas été analysé globalement pour certains critères
  • les effets indésirables rapportés sont surtout digestifs ; dans la publication, des méta-analyses en sous-groupe ont été réalisées par classe de veinotropes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent avec à un niveau de preuve modéré que les veinotropes ont, versus placebo, une certaine efficacité sur les œdèmes de l’insuffisance veineuse chroniques des MI et sur certains symptômes et signes qui en résultent comme les désordres trophiques, crampes, jambes sans repos, gonflement et paresthésies, au prix d’effets indésirables plus fréquents que le placebo. Ils n’ont pas d’effet sur la cicatrisation des ulcères. Des RCTs de haute qualité se focalisant sur des critères cliniques importants sont nécessaires pour améliorer le niveau de preuve.

Financement de l’étude

Ce projet a été supporté par The Chief Scientist Office, Scottish Government Health Directorates, The Scottish Government (UK), et par l’Instituto de Salud Carlos III (Espagne).

Conflits d’intérêts des auteurs

Trois des auteurs rapportent des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, ayant participé à une étude clinique sponsorisée sur des veinotropes.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique (SM) suit les règles méthodologiques de la Cochrane Collaboration. 3 auteurs ont réalisé la SM, 2 sélectionnant les articles de façon indépendante et un troisième tranchant en cas de divergence. Les auteurs ont considéré les principales bases de données.

Comme dans toute SM de la Cochrane Collaboration, l’évaluation de la qualité des études sélectionnées s’est concentrée sur les risques de biais avec une méthode standardisée, à savoir les biais de sélection (génération de la séquence de randomisation, allocation), de performance (double aveugle), de détection, d’attrition, de publication et autres. Les auteurs n’ont identifié que 4 études à faible risque de biais sur les 66 incluses. Seules 18% des RCTs expliquent clairement l’allocation de la randomisation, le placebo est rapporté avoir un aspect identique au médicament testé dans 59% d’entre elles, il y a des pertes de patients dans l’analyse dans 77% des études mentionnant le pourcentage de perdus de vue. Dans 85% des RCTs, tous les objectifs prédéfinis dans cette SM sont analysés et rapportés dans l’article. Les auteurs ont réalisé un funnel plot pour les RCTs comparant un veinotrope versus placebo pour le critère de jugement œdème, et à part une, toutes se placent symétriquement sur le graphique.

Les critères de jugement sur lesquels porte la méta-analyse ont été clairement définis et analysés. Ils sont représentatifs de l’effet clinique attendu. Les auteurs ont amalgamé les différents types de veinotropes dans la méta-analyse mais ont réalisé des sous-analyses par catégorie de médicaments, souvent limitées par un nombre restreint d’études. Toutes ces analyses statistiques, de méthodologie adéquate, sont rapportées en détail dans la SM.

Il existe une hétérogénéité entre les études sélectionnées, tout particulièrement concernant la gravité de l’insuffisance veineuse chronique, les types de médicaments étudiés, les objectifs recherchés en termes d’efficacité et les outils utilisés pour les évaluer, la durée des traitements. Ceci n’a été évalué que partiellement par des analyses de sensibilité. Seule la moitié des RCTs ont rapporté les effets indésirables.

Il faut noter que trois des auteurs ont rapporté des liens d’intérêts avec une des firmes pharmaceutiques actives dans le domaine.

Interprétation des résultats et mise en perspective

Il s’agit d’une mise à jour d’une synthèse méthodique antérieure (1) de la Cochrane Collaboration sur le rôle des veinotropes dans le traitement de l’insuffisance veineuse chronique des MI. Il faut noter qu’il n’y a eu que 6 nouvelles RCTs versus placebo en 10 ans et que la littérature est essentiellement composée d’essais réalisés au siècle dernier. Les auteurs ne rapportent pas avoir identifié d’études non publiées mais comme les registres sont d’application récente, il se peut qu’il existe un biais de publication majeur en faveur de vieilles études positives.

Les résultats ne sont guère meilleurs que lors de la première méta-analyse, toujours en faveur d’une réduction de l’œdème des MI, ce qui est d’un intérêt clinique discutable. Les auteurs recommandent de nouveau la réalisation d’études randomisées de bonne qualité avec des effectifs adéquats de patients. Comme déjà mentionné, la littérature récente sur le sujet est assez pauvre et il n’y a pas non plus d’autre synthèse méthodique récente sur le sujet.

L’efficacité des veinotropes n’est établie d’après la méta-analyse que pour des critères de jugement peu convaincants, sans efficacité démontrée sur les complications comme la guérison des ulcères. Les auteurs n’ont pas rapporté le bénéfice ou les effets indésirables en termes de nombre de patients à traiter pour obtenir un événement donné (NNT) ou prévenir un effet indésirable (NNH).

Le grand défaut de cette méta-analyse est l’amalgame fait entre tous les veinotropes comme s’ils avaient tous le même effet s’il y en avait un. Cette approche n’est pas opérationnelle mais elle a l’avantage d’offrir des données pour définir les considérations statistiques pour de futures RCTs amenées à trancher la question. Comme les effets indésirables ne sont pas négligeables, il vaut mieux attendre un meilleur niveau de preuve avant de prescrire cette catégorie de médicaments. 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de la Cochrane Collaboration montre qu’il semble y avoir une efficacité des veinotropes mais sur des objectifs souvent peu pertinents d’un point de vue clinique comme l’œdème aux MI (niveau de preuves modéré). Par contre pour des critères importants comme la guérison d’ulcères, ils ne font pas mieux que le placebo. Cette classe de médicaments n’est par contre pas dépourvue d’effets indésirables. Il est important de noter que la plupart des RCTs sont anciennes et sont de faible qualité méthodologique avec d’importants risques de biais. Le principal intérêt de la méta-analyse est de donner une estimation de la taille de l’effet observé lors d’un traitement par veinotropes par rapport à un placebo et de mettre en lumière les nombreuses limites méthodologiques des RCTs incluses, informations utiles pour élaborer des RCTs robustes pour valider ou non leur utilisation.

 

Pour la pratique

Un consensus de 2008 élaboré par des experts sous les auspices de différentes sociétés scientifiques américaines et européennes de pathologie vasculaire (7) recommande le recours aux veinotropes en se basant sur leur propre interprétation de la méta-analyse de la Cochrane Collaboration de 2005 (1). Ce consensus qui veut se baser sur les niveaux de preuve n’a pas de méthodologie très claire et ressemble beaucoup plus à une revue narrative qu’à un travail méthodologique de qualité. L’European Society for Vascular Surgery a publié en 2005 un guide de pratique clinique pour la prise en charge de la maladie veineuse chronique (8). La méthodologie décrite est nettement meilleure. La section sur les veinotropes se base aussi sur la méta-analyse de 2005 (1). Les auteurs recommandent le recours à ces médicaments contre l’œdème et la douleur liée à l’insuffisance veineuse chronique ainsi que dans le traitement des ulcères, en mentionnant que la recommandation se base sur des niveaux de preuve venant d’études aux résultats contradictoires mais allant globalement dans la direction d’un effet favorable.

La méta-analyse de la Cochrane Collaboration analysée ici permet pour le praticien de se faire une idée de l’efficacité des veinotropes dans le traitement de l’insuffisance veineuse chronique des MI, efficacité observée pour des critères de jugement primaires peu pertinents du point de vue clinique. Elle contribue à relativiser certaines recommandations de sociétés scientifiques ou d’experts.

A l’heure actuelle, faute de niveau de preuve suffisant, mieux vaut éviter les veinotropes comme traitement systématique de l’insuffisance veineuse chronique des MI et recourir par contre à des moyens thérapeutiques non médicamenteux comme la compression veineuse qui est reconnue comme le traitement de première ligne (9).

 

Spécialités disponibles en Belgique

  • rutosides : Venoruton®
  • diosmine : Daflon®

  

Références 

  1. Martinez MJ, Bonfill X, Moreno RM, et al. Phlebotonics for venous insufficiency. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD003229.pub2
  2. Poelman T. Ulcère de jambe veineux : traitement par compression. MinervaF 2010;9(7):82-3.
  3. Poelman T Récidive d’ulcère de jambe : prévention par la contention ? Minerva bref 15/12/2013.
  4. Poelman T. Traitements invasifs des varices des jambes : une différence quant à la qualité de vie après six mois ? MinervaF 2015;14(4):48-9.
  5. Prescrire Rédaction. Varices des membres inférieurs: divers traitements. Rev Prescrire 2016;36:269-75.
  6. Robertson LA, Evans CJ, Lee AJ, et al. Incidence and risk factors for venous reflux in the general population: Edinburgh Vein Study. Eur J Vasc Endovasc Surg 2014;48:208-14. DOI: 10.1016/j.ejvs.2014.05.017
  7. Nicolaides AN, Allegra C, Bergan J, et al. Management of chronic venous disorders of the lower limbs: guidelines according to scientific evidence. Int Angiol 2008;27:1-59.
  8. Wittens C, Davies AH, Bækgaard N, et al. Editor’s Choice - Management of chronic venous disease: clinical practice guidelines of the European Society for Vascular Surgery (ESVS). Eur J Vasc Endovasc Surg 2015;49:678-737. DOI: 10.1016/j.ejvs.2015.02.007
  9. National Institute for Health and Care Excellence. Varicose veins: diagnosis and management. Clinical guideline 168. Published July 2013.

 




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