Revue d'Evidence-Based Medicine



Qu'est-ce qu'un placebo ? (troisième partie)



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 1 Page 26 - 27

Professions de santé


Nous poursuivons avec ce numéro la série de 3 articles de méthodologie relatifs aux effets placebo et lessebo. Nous avons abordé différents aspects de l’effet placebo : définition et réponse placebo (juin 2016) (1) ; hypothèses de modes d’action et imagerie cérébrale associées (septembre 2016) (2). Nous terminons notre parcours en ce début 2017 avec un article sur l’effet lessebo.

 

Craindre de recevoir un placebo : l’effet lessebo dans les études

Pour évaluer le plus correctement possible l’efficacité et la sécurité d’un (nouveau) médicament, il est classique et correct de le comparer à un placebo. L’étude, de préférence une RCT, peut ainsi évaluer la réponse au traitement actif versus réponse au placebo. Une question est mal explorée dans ce domaine des RCTs contrôlées versus placebo : certains patients craignent-ils de recevoir un placebo plutôt que le traitement actif et cette attente négative (effet lessebo) peut-elle influencer les résultats de l’étude ?

Nous documentons la réponse à cette question dans deux domaines concernant le système nerveux : la maladie de Parkinson et la dépression.

Etudes concernant la maladie de Parkinson

Pour évaluer l’efficacité d’un médicament utilisé pour une maladie de Parkinson, les auteurs ont généralement recours au Unified Parkinson’s Disease Rating Scale (UPDRS) qui comporte 6 sections (état mental, activités de la vie quotidienne, examen moteur, complications très récentes, stade de gravité, pourcentage d’activité autonome) et particulièrement à la section III de cette échelle, celle qui concerne l’examen moteur (UPDRSm, 14 items concernant, entre autres, la parole, un tremblement, la stabilité posturale, la démarche, la bradykinésie et l’hypokinésie).

Dans une synthèse sur données individuelles provenant de 11 études évaluant l’efficacité de traitements médicaux ou chirurgicaux versus placebo en termes d’amélioration d’au moins 50% sur le UPDRSm, Goetz et al. (3) ont montré un ratio de réponse de 16% (écarts de 0 à 55%) de réponse au placebo, le risque de réponse positive sous placebo étant influencé par la probabilité de recevoir un placebo.

Plus récemment, Mestre et al. (4) ont évalué plus spécifiquement l’impact d’un effet lessebo potentiel sur les résultats d’étude dans 70 bras d’études avec traitement actif (agonistes dopaminergiques) pour le traitement symptomatique de la maladie de Parkinson, en termes de modification du UPDRSm. Parmi ces 70 bras, 28 (3277 patients) étaient issus d’études avec une comparaison versus traitement actif et 42 (4554 patients) provenaient d’études avec une comparaison agoniste versus placebo.

  • Pour les études versus placebo, l’amélioration moyenne sommée au UPDRSm est de 6,0 unités (avec IC à 95% de 5,2 à 6,8) pour les patients sous agoniste évalué.

  • Pour les études versus comparateur actif, l’amélioration moyenne sommée au UPDRSm est de 7,6 unités (avec IC à 95% de 6,5 à 8,7) pour les patients sous agoniste évalué.

L’ampleur d’effet est donc plus forte quand le comparateur est actif : différence de 1,6 unités avec IC à 95% de 0,2 à 3,0. Il faut cependant souligner la très forte hétérogénéité dans les méta-analyses réalisées (I² de 91%).

La présence d’un bras placebo (avec la crainte pour le patient de recevoir un placebo et non un produit actif) diminue l’ampleur du bénéfice observé en termes de UPDRSm sous agoniste dopaminergique. L’hypothèse d’une explication neuromédiée par le système dopaminergique au niveau du striatum a été avancée dans une précédente publication de Minerva (2).

Etudes concernant la dépression

Pour évaluer l’efficacité d’un médicament antidépresseur, dans la majorité des études, ce sont les critères de jugement « taux de rémission » (absence virtuelle de symptômes de dépression majeure) et de « réponse » (au moins 50% d’amélioration symptomatique) qui sont utilisés.

Sinyor et al. (5) ont évalué l’influence de l’inclusion d’un bras placebo et/ou du nombre de comparateurs actifs dans 90 RCTs analysant le taux de réponse et/ou de rémission d’une monothérapie antidépressive chez des sujets adultes présentant une dépression unipolaire majeure.

En sommant les résultats des différentes études, le taux de réponse moyen :

  • pour les patients avec traitement actif évalué est de :

    • 65,4% en cas d’absence de bras placebo (n = 12052, 1 comparateur actif)

    • 57,7% en cas de comparateur actif et d’un bras placebo (n = 6328)

    • 51,7% en cas de comparaison versus placebo (n = 1041)

  • pour les patients sous placebo est de :

    • 44,6% en cas de comparaison versus comparateur actif et versus placebo (n = 2893)

    • 34,3% en cas de comparaison uniquement versus placebo (n = 1066).

Des chiffres du même ordre sont mentionnés pour les taux de rémission. Les auteurs concluent que les taux de réponse à un traitement antidépresseur dans les RCTs peuvent être influencés par la présence d’un bras placebo et par le nombre de bras d’études (autres comparateurs actifs). Un effet lessebo est ainsi montré.

 

Importance pour la pratique d’un effet lessebo dans les études

Si d’autres publications confirment l’influence d’un effet lessebo dans plusieurs domaines médicamenteux, faudra-t-il en tenir compte pour la pratique ? Lors de la présentation des résultats de son étude (4) lors d’un congrès, Mestre a déclaré (6) que l’efficacité d’un antiparkinsonien pourrait être de plus grande ampleur que celle rapportée dans des études cliniques versus placebo… tout en mentionnant dans la même interview que l’effet lessebo mesuré correspondait à 50 à 80% d’une différence minimale cliniquement pertinente. Rappelons aussi la forte hétérogénéité des méta-analyses faites par Mestre et al. En tenant compte en plus du fait que seule l’efficacité est ici prise en compte et que le volet effets indésirables/tolérance n’est pas pris en considération, il n’y a actuellement pas d’argument suffisant pour conclure qu’un éventuel effet lessebo doit amener à remettre en question la pertinence des résultats d’une RCT avec comparaison versus placebo uniquement.

 

Références 

  1. Dagneaux I. Qu'est-ce qu'un placebo ? (première partie) MinervaF 2016;15(5):130-2.
  2. Dagneaux I. Qu'est-ce qu'un placebo ? (deuxième partie) MinervaF 2016;15(7):184-6.
  3. Goetz CG, Wuu J, McDermott MP, et al. Placebo response in Parkinson's disease: comparisons among 11 trials covering medical and surgical interventions. Mov Disord 2008;23:690-9. DOI: 10.1002/mds.21894
  4. Mestre TA, Shah P, Marras C, et al. Another face of placebo: the lessebo effect in Parkinson disease: meta-analyses. Neurology 2014;82:1402-9. DOI: 10.1212/WNL.0000000000000340
  5. Sinyor M, Levitt AJ, Cheung AH, et al. Does inclusion of a placebo arm influence response to active antidepressant treatment in randomized controlled trials? Results from pooled and meta-analyses. J Clin Psychiatry 2010;71:270-9. DOI: 10.4088/JCP.08r04516blu
  6. Brooks M. Lessebo effect in PD a game-changer for study design? Medscape Jun 19, 2013. URL: http://www.medscape.com/viewarticle/806549 (site consulté le 13 janvier 2017).

 




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