Revue d'Evidence-Based Medicine



Stratégies d’auto-régulation en prévention de la prise de poids et de l’obésité chez les jeunes adultes



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 2 Page 43 - 47

Professions de santé

Diététicien, Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Wing RR, Tate DF, Espeland MA, et al; Study of Novel Approaches to Weight Gain Prevention (SNAP) Research Group (2016). Innovative self-regulation strategies to reduce weight gain in young adults: the Study of Novel Approaches to weight gain Prevention (SNAP) randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2016;176:755-62. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.1236


Question clinique
Après 3 ans, quel est l’effet de stratégies d’auto-régulation, avec modifications plus ou moins importantes du mode de vie, sur la prévention de la prise de poids et de l’obésité chez de jeunes adultes versus groupe témoin pour lequel l’intervention est minimale ?


Conclusion
Cette étude contrôlée, randomisée, correctement menée sur le plan méthodologique, montre qu’une stratégie d’auto-régulation orientée sur une perte de poids rapide à court terme est plus efficace pour la prévention de la prise de poids et de l’obésité que les adaptations plus modestes du mode de vie. La pertinence clinique de ce gain n’est toutefois pas certaine et l’efficacité à long terme n’a pas été suffisamment montrée. En outre, les données sur le risque de troubles alimentaires ou d’autres difficultés psychiques sont manquantes.


Contexte

Des études d’observation ont montré que la prise de poids est plus rapide chez les jeunes adultes âgés de 18 à 35 ans (1) et qu’elle est associée à une mortalité plus élevée (2). L’effet des programmes de prévention pour limiter la prise de poids dans cette tranche d’âge n’a pas été suffisamment montré (3). Le nombre d’études est limité, et elles sont très hétérogènes. Le nombre de personnes incluses est souvent faible, et le suivi est généralement de courte durée.

 

Résumé

Population étudiée

  • 599 participants âgés de 18 à 35 ans (âge moyen de 28,2 ans (ET 4,4)), dont 78% de femmes, avec un IMC compris entre 21 et 30,9 (moyenne de 25,4 kg/m² (ET 2,6)) ; recrutement, par courrier électronique, de personnes inquiètes à l’idée de prendre à terme du poids
  • critères d’exclusion : antécédents de troubles alimentaires, incapacité de marcher suffisamment pour faire une promenade.

Protocole de l’étude

Étude contrôlée, randomisée

  • avec 3 bras d’étude :
    • bras contrôle (n = 202) : une seule séance d’information en colloque singulier au cours de laquelle des explications ont été données sur les risques liés à la prise de poids et sur le concept de l’auto-régulation ainsi qu’un aperçu des modifications plus ou moins importantes du mode de vie permettant de prévenir une prise de poids
    • intervention 1 (n = 200) : auto-régulation de la prise de poids grâce à de petits changements de la vie quotidienne sur le plan diététique (100 kcal/j en moins) et des activités physiques (100 kcal/j dépensées en plus) : par exemple en diminuant la consommation de boissons rafraîchissantes et de « fast food », en empruntant plus volontiers les escaliers, etc.
    • intervention 2 (n = 197) : auto-régulation de la prise de poids grâce à de grands changements de la vie quotidienne sur le plan de la consommation de calories (500 à 1000 kcal de moins que la consommation initiale) et de l’activité physique (augmentation progressive d’activités physiques modérément intenses jusqu’à 250 minutes/semaine) ; le but était de parvenir à perdre, au cours des 8 premières semaines, entre 2,3 kg (en cas d’IMC < 25) et 4,5 kg (en cas d’IMC ≥ 25), pour ensuite maintenir le poids atteint, principalement en faisant de l’activité physique et, au besoin, en réduisant aussi la consommation de calories
  • les deux bras « intervention » ont bénéficié de 10 séances de groupe en présentiel, réparties sur 4 mois, suivies par une « campagne de rappel » tous les ans
  • afin d’encourager l’auto-régulation, tous les participants devaient se peser quotidiennement et enregistrer leur poids en ligne ; ils recevaient mensuellement un feedback et des conseils ainsi qu’un bulletin d’information trimestriel et un rapport personnalisé sur leur poids
  • suivi aux mois 4, 12 et 24 (tous les participants) et aux mois 36 et 48 (respectivement 80% et 20% des participants).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire: modification moyenne du poids sur 3 ans de suivi
  • critères de jugement secondaires : pourcentage de participants avec prise de poids d’au moins 0,45 kg après 3 ans, incidence de l’obésité (IMC ≥ 30 kg/m²), différence entre le poids initial et le poids après 2 ans
  • modèle d’effets mixtes.

Résultats

  • critère de jugement primaire 
    • pendant 3 ans, la perte de poids a été plus importante, et ce de manière statistiquement significative, dans les bras intervention 2 (grands changements) et 1 (petits changements) versus le bras contrôle (respectivement p < 0,001 et p = 0,02). Elle a été plus importante dans le bras intervention 2 versus le bras intervention 1 (p < 0,001) (voir tableau). La diminution du poids était maximale après 4 mois (-3,5 kg dans le bras intervention 2 et -1,5 kg dans le bras intervention 1), ensuite le poids a ré-augmenté jusqu’au poids de départ pour l’intervention 2 et 0,5 kg au-dessus pour l’intervention 1
  • critères de jugement secondaires 
    • pendant 3 ans, le pourcentage de personnes avec prise de poids de ≥ 0,45 kg était plus faible, et ce de manière statistiquement significative, dans le bras intervention 2 versus le bras contrôle (p < 0,001) et versus le bras intervention 1 (p = 0,02)
    • l’incidence de l’obésité était plus élevée dans le bras contrôle versus les bras intervention 1 et 2 (p = 0,002 et p = 0,02 respectivement), mais il n’y avait pas de différence entre les 2 bras intervention (p = 0,27) (voir tableau).

 

Tableau.

 

Contrôle

Intervention 1

Intervention 2

Critères de jugement primaires

Modification du poids (kg)***

0,26 (0,22)a,b

-0,56 (0,22)a,c

-2,37 (0,22)b,c

Critères de jugement secondaires

Prise de poids ≥ 0,45 kg après 3 ans (%)***

40,8 (4,4)b

32,5 (3,8)c

23,6 (2,8)b,c

Apparition d’une obésité** (%)

16,9 (2,7)a,b

7,9 (2,0)a

8,6 (2,0)b

Différence de poids après 2 ans (kg)***

0,54 (0,33)a,b

-0,77 (0,33)a

-1,50 (0,34)b

 

 ** < 0,01 ; *** < 0,001 ;a contrôle versus intervention 1 : < 0,05 ; b contrôle versus intervention 2 : p < 0,05 ; c intervention 1 versus intervention 2 : p < 0,05.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’auto-régulation du poids au moyen de changements, petits ou grands, sur le plan diététique et en matière d’exercices physiques, a réduit la prise de poids chez de jeunes adultes sur une période de 3 ans, versus un groupe contrôle. L’intervention au moyen de grands changements était plus efficace.

Financement de l’étude

National Heart, Lung, and Blood Institute.

Conflits d’intérêts des auteurs

Le deuxième auteur est membre du comité consultatif scientifique de Weight Watchers International.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement s’adressait explicitement à des personnes qui étaient inquiètes à l’idée de prendre du poids dans le futur. L’échantillon est donc composé de personnes motivées. Un biais de sélection ne peut donc être exclu. Des mesures ont également été prises pour limiter les sorties d’étude, notamment en prévoyant une rémunération pour les mesures de poids de suivi. Cet élément limitera aussi la possibilité de généraliser les résultats. La randomisation a été effectuée par ordinateur en blocs de patients, avec stratification en fonction du sexe, de l’origine ethnique et du centre d’étude. Les caractéristiques de base ne différaient pas entre les bras d’étude. La taille de l’échantillon prévue a été atteinte pour pouvoir montrer, avec une puissance de 90%, une différence moyenne de 1,36 kg quant à la modification du poids entre les bras de l’étude. On ignore cependant si cette différence est cliniquement pertinente. La valeur du critère de jugement secondaire « prise de poids ≥ 0,45 kg » peut également être remise en question car cette prise de poids peut tout aussi bien s’expliquer par les modifications quotidiennes des taux d’hormones et de la rétention d’eau. Les critères de jugement ont été mesurés en aveugle, et analysés selon le modèle linéaire d’effets mixtes (4). Cette analyse complexe par régression permet de calculer l’ampleur de l’effet en tenant compte de la variation des mesures avec le temps chez un même participant et de l’éventuelle interaction entre cette variation et l’ampleur de l’effet. Cette méthode tient également compte des facteurs de confusion.

Mise en perspective des résultats

Cette étude se concentre uniquement sur le poids et passe sous silence la distinction entre poids normal et poids sain. On parle de « poids normal » lorsque l’IMC se situe dans des limites déterminées (d’après l’OMS, entre 18,5 et 25). Quand on parle de « poids sain », on met l’accent sur la manière d’atteindre ce poids et/ou si la personne souffre de symptômes (physiques ou psychosociaux) liés à son poids (5). On ne parle pas de poids sain chez une personne dont l’IMC est normal mais qui vomit ses repas ou prend des laxatifs. Inversement, une personne en surpoids n’ayant pas de comorbidité et menant un style de vie sain peut avoir un poids dit « sain ». Même si, à l’échelle de la population, le risque relatif d’une moins bonne « santé métabolique » augmente avec l’IMC, les conclusions au niveau individuel doivent donc être considérées avec toute la prudence requise (6).

Un des critères d’inclusion de l’étude était un IMC ≥ 21 kg/m². Le but des investigateurs était que la perte de poids escomptée, de 2,3 kg dans le groupe intervention avec grands changements, puisse être atteinte sans danger. Cependant, ils n’ont pas suffisamment tenu compte des facteurs liés au bien-être et à la santé. Les critères d’exclusion liés au risque de troubles alimentaires (antécédents de troubles alimentaires, apparition d’un trouble alimentaire en cours d’étude, perte de poids trop importante) étaient limités. Ils ont surtout inclus des jeunes femmes qui s’inquiétaient de prendre du poids, alors que c’est justement le principal groupe présentant un risque d’apparition d’un trouble alimentaire (7).

Dans cette étude, les interventions comportent des éléments judicieux qui cadrent avec la prévention et la prise en charge de l’obésité, mais elles ne se focalisent que sur la perte de poids, et cela peut avoir plusieurs inconvénients, comme un risque accru de troubles du comportement alimentaire (7) ainsi qu’une prise de poids plus importante dans le futur (8). Chaque intervention visant la prévention (ou la prise en charge) de l’obésité devrait aussi tenir compte de la prévention des troubles alimentaires (5,9,10). Dans cette étude, la stratégie centrale de l’auto-contrôle repose sur la pesée quotidienne couplée à la dépense de calories par de l’exercice physique. Les personnes du bras intervention 2 doivent enregistrer leur consommation de calories et de graisses et des substituts de repas sont prévus en cas de prise de poids durant la période de suivi. Cette approche ne correspond pas à un mode de vie sain, où l’on ne ressent pas de tensions par rapport à l’alimentation et à l’exercice physique. Ces stratégies peuvent donc favoriser les préoccupations liées à l’alimentation et au poids. Pour pouvoir se prononcer sur l’efficacité des interventions en termes de bienfait pour la santé et sur leur sécurité (éviter les effets nocifs), il manque aussi plusieurs données, comme une évaluation correcte et un bon suivi du comportement alimentaire des participants, de leur bien-être psychique (par exemple insatisfaction par rapport à son corps, souci concernant son poids) et de leur « bien-être métabolique ». On a observé une perte de poids initiale plus importante dans le bras intervention 2 versus les bras contrôle et intervention 1, mais ensuite, le poids dans ce bras d’intervention a de nouveau rapidement augmenté, après 3 ans, la différence de poids entre les 2 bras intervention avait quasiment disparu. La plupart des critères de jugement secondaires relatifs au poids n’avaient pas un meilleur résultat dans le bras intervention 2 versus le bras intervention 1. Ce constat suggère fortement un « effet yoyo », le corps brûlant moins d’énergie quand l’apport énergétique diminue. La conclusion des auteurs selon laquelle l’intervention 2 (avec perte de poids initialement importante) est plus efficace que l’intervention 1 - plus proche d’un mode de vie sain - est donc prématurée. Une autre étude a également pu montrer que les adolescents qui avaient recours à des techniques extrêmes comme méthode de contrôle du poids, avaient, après 10 ans, un IMC plus élevé que les personnes de leur âge qui n’avaient pas fait de régime (8). Des études à long terme sont donc nécessaires afin de tirer des conclusions claires.

Les modifications rapides du poids peuvent aussi provoquer des crises de boulimie à cause de déficits physiologiques, mais aussi suite au sentiment de privation. Les pensées dichotomiques (tout ou rien, noir ou blanc) à propos de l’« alimentation saine » et de la « malbouffe » ainsi que les règles diététiques strictes peuvent aussi créer un sentiment de privation, et, par conséquent, l’auto-régulation finit tôt ou tard par échouer. Par contraste, il existe une approche plus flexible et modérée, où certains aliments sont consommés en quantité plus petite, sans les éliminer du menu et où les objectifs fixés sont plus réalistes. Une autre étude a montré que l’accent mis sur un mode de vie sain, éventuellement combiné à un régime alimentaire avec un apport énergétique limité, est associé à un moindre risque de crises de boulimie (11).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée, randomisée, correctement menée sur le plan méthodologique, montre qu’une stratégie d’auto-régulation orientée sur une perte de poids rapide à court terme est plus efficace pour la prévention de la prise de poids et de l’obésité que les adaptations plus modestes du mode de vie. La pertinence clinique de ce gain n’est toutefois pas certaine et l’efficacité à long terme n’a pas été suffisamment montrée. En outre, les données sur le risque de troubles alimentaires ou d’autres difficultés psychiques sont manquantes.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique belges actuels ne donnent pas d’informations sur la prévention de la prise de poids et de l’obésité chez les jeunes adultes (12). Plusieurs guides de pratique clinique étrangers déconseillent une perte de poids rapide chez des jeunes et des adultes afin de prévenir l’apparition de troubles alimentaires ainsi qu’une nouvelle prise de poids (5,9). Les résultats de l’étude commentés dans cette analyse ne sont pas convaincants pour mettre en œuvre des stratégies d’auto-régulation orientées sur une perte de poids initialement importante. En outre, l’étude ne parle pas de la nécessité d’associer prévention de l’obésité et prévention des troubles alimentaires. On court peut-être le risque de simplement déplacer le problème de l’obésité vers des troubles alimentaires si l’on se focalise uniquement sur les risques liés à une masse grasse trop importante et que l’on ne s’emploie qu’à perdre du poids. Les procédures d’Eetexpert proposent aux médecins généralistes et aux autres intervenants des éléments utiles pour la prévention de l’obésité dans le cadre d’une vision holistique de la santé (13).

 

  

Références 

  1. Williamson DF, Kahn HS, Remington PL, Anda RF. The 10-year incidence of overweight and major weight gain in US adults. Arch Intern Med 1990;150:665-72. DOI: 10.1001/archinte.1990.00390150135026
  2. Adams KF, Leitzmann MF, Ballard-Barbash R, et al. Body mass and weight change in adults in relation to mortality risk. Am J Epidemiol 2014;179:135-44. DOI: 10.1093/aje/kwt254
  3. Hebden L, Chey T, Allman-Farinelli M. Lifestyle intervention for preventing weight gain in young adults: a systematic review and meta-analysis of RCTs. Obes Rev 2012;13:692-710. DOI: 10.1111/j.1467-789X.2012.00990.x
  4. Poelman T, Michiels B. Comment analyser des mesures répétées ? MinervaF 2016;15(6):155-7.
  5. Northern Health. Position on health, weight and obesity. An integrated population health approach, 2012.
  6. Tomiyama A, Hunger JM, Nguyen-Cuu J, Wells C. Misclassification of cardiometabolic health when using body mass index categories in NHANES 2005–2012. Int J Obes 2016;40:883-6. DOI: 10.1038/ijo.2016.17
  7. Pennesi JL, Wade TD. A systematic review of the existing models of disordered eating: Do they inform the development of effective interventions? Clin Psychol Rev 2016;43:175-92. DOI: 10.1016/j.cpr.2015.12.004
  8. Neumark-Sztainer D, Wall M, Story M, Standish AR. Dieting and unhealthy weight control behaviors during adolescence: associations with 10-year changes in body mass index. J Adolesc Health 2012;50:80-6. DOI: 10.1016/j.jadohealth.2011.05.010
  9. Academy for Eating Disorders. Guidelines for childhood obesity prevention programs, 2009.
  10. Debray L, Vandeputte A; Eetexpert.be. Communiceren over gewicht en leefstijl. Nutrinews 2013;4:3-7.
  11. Schaumberg K, Anderson D, Anderson L, et al. Dietary restraint: what's the harm? A review of the relationship between dietary restraint, weight trajectory and the development of eating pathology. Clin Obes 2016;6:89-100. DOI: 10.1111/cob.12134
  12. Van Royen P, Bastiaens H, D’hondt A, et al. Overgewicht en obesitas bij volwassenen in de huisartsenpraktijk. Huisarts Nu 2006;35:118-40.
  13. URL: http://www.eetexpert.be/



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