Revue d'Evidence-Based Medicine



La varénicline et le bupropion sont-ils sûrs et efficaces pour les fumeurs atteints d’une affection psychiatrique ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 2 Page 48 - 51

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Anthenelli RM, Benowitz NL, West R, et al. Neuropsychiatric safety and efficacy of varenicline, bupropion, and nicotine patch in smokers with and without psychiatric disorders (EAGLES): a double-blind, randomised, placebo-controlled clinical trial. Lancet 2016;387:2507-20. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)30272-0


Question clinique
Quelles sont la sécurité et l’efficacité de la varénicline et du bupropion, versus placebo et des patchs de nicotine, chez des fumeurs atteints d’une affection psychiatrique comparés à des fumeurs sans affection psychiatrique ?


Conclusion
Cette étude clinique randomisée, contrôlée, menée en double aveugle auprès d’un grand nombre de fumeurs motivés, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’utilisation de la varénicline ou du bupropion n’entraîne pas un plus grand risque de symptômes neuropsychiatriques modérés à sévères qu’un placebo ou un patch de nicotine tant pour les fumeurs avec que sans trouble psychiatrique stabilisé. Dans les deux cohortes, il est en outre apparu que le taux d’abstinence était plus élevé avec la varénicline qu’avec le bupropion ou le patch de nicotine.


Contexte

Après sa commercialisation, la sécurité d’emploi de la varénicline a été mise en doute suite à des rapports de cas (1,2). Des études d’observation (3-5), des études randomisées (6-9) et des synthèses méthodiques et méta-analyses (10-12) n’ont cependant pas pu confirmer que la varénicline provoquait des symptômes neuropsychiatriques ou aggravait une affection psychiatrique sous-jacente. Avant la communication de ces résultats, la FDA avait déjà exigé des fabricants de la varénicline et du bupropion de mener une étude clinique randomisée suffisamment vaste portant sur les éventuels risques de ces produits en termes de sécurité d’emploi. Il fallait aussi poursuivre la recherche parce l’efficacité de la varénicline et du bupropion était encore mal connue, tant l’un par rapport à l’autre que versus traitement de substitution nicotinique (12), chez les fumeurs atteints d’une affection psychiatrique.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 8144 fumeurs âgés de 18 à 75 ans (âge moyen de 46,5 ans), dont 44% d’hommes, ayant fumé au cours de l’année écoulée ≥ 10 cigarettes par jour (en moyenne 21 cigarettes par jour), ayant une concentration en CO ≥ 10 ppm (parts per million) dans l’air expiré et motivés pour arrêter de fumer (date d’arrêt obligatoire à fixer en début d’étude) ; le recrutement s’est fait par le biais de la policlinique, d’annonces dans les journaux, à la radio et à la télévision, au moyen de dépliants et de posters
  • critères d’exclusion : trouble cognitif (démence), consommation abusive d’alcool ou de substances, risque de suicide, BPCO sévère, maladie cardiovasculaire au cours des 2 derniers mois
  • répartition des participants dans une cohorte avec (n = 4116) et une cohorte sans (n = 4028) affection psychiatrique selon les DSM V a été publié en 2013.">critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), 4e édition, texte révisé (DSM-IV-TR) : trouble de l’humeur (dépression majeure et trouble bipolaire), trouble anxieux (trouble panique, stress post-traumatique, trouble obsessionnel-compulsif, phobie sociale et trouble anxieux généralisé), affection psychotique (schizophrénie et trouble schizo-affectif), trouble de la personnalité borderline ; sans exacerbation au cours des 6 derniers mois, sans modification du traitement au cours des 3 derniers mois et sans changement thérapeutique prévu durant l’étude.

 

Protocole de l'étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en double aveugle, contrôlée tant par placebo que par substance active (triple placebo)

  • répartition aléatoire en 2 cohortes en fonction de la présence ou de l’absence d’une affection psychiatrique, les participants ont ensuite, dans chaque cohorte, été randomisés en 4 bras de traitement : varénicline 1 mg deux fois par jour, bupropion 150 mg deux fois par jour, patch de nicotine 21 mg par jour ou placebo pendant 12 semaines
  • suivi sur 24 semaines avec 15 contacts en face à face (avec service de conseil et suivi de l’observance, de la consommation de nicotine, de la mesure du CO dans l’air expiré, des effets indésirables) et 11 entretiens par téléphone (suivi de la consommation de nicotine).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire de sécurité : incidence d’au moins un des 16 symptômes neuropsychiatriques prédéfinis qui influencent plus ou moins gravement les capacités fonctionnelles du patient
  • critère de jugement primaire d’efficacité : abstinence continue de la semaine 9 à la semaine 12, signalée par le participant lui-même et confirmée par une concentration en CO ≤ 10 ppm dans l’air expiré
  • critères de jugement secondaires : score sur une échelle du risque suicidaire (Columbia-Suicide Severity Rating Scale, C-SSRS), score sur une échelle de l’anxiété et de la dépression (Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS)), effets indésirables signalés par le participant, abstinence continue confirmée par la concentration en CO de la semaine 9 à la semaine 24.

 

Résultats

  • la proportion de sorties d’étude était de 22% dans chacune des 2 cohortes
  • critère de jugement primaire de sécurité
    • l’incidence des symptômes neuropsychiatriques était plus élevée dans la cohorte psychiatrique que dans la non psychiatrique (p < 0,0001)
    • dans la cohorte non psychiatrique, le risque de symptômes neuropsychiatriques était plus faible de manière statistiquement significative, dans le groupe varénicline versus placebo (différence de risque -1,28 avec IC à 95% de -2,40 à -0,15), et il était également plus faible dans le groupe varénicline versus le groupe bupropion (différence de risque -1,19 avec IC à 95% de -2,30 à -0,09)
    • dans la cohorte psychiatrique, il n’y avait pas de différence significative quant au risque de symptômes neuropsychiatriques entre les différents bras de traitement (voir tableau)
  • critère de jugement primaire d’efficacité
    • il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant à l’abstinence continue de la semaine 9 à la semaine 12 entre les 2 cohortes 
    • l’abstinence continue de la semaine 9 à la semaine 12 était meilleure avec la varénicline versus placebo (rapport de cotes (RC) 3,61 avec IC à 95% de 3,07 à 4,24), versus bupropion (RC 1,75 avec IC à 95% de 1,52 à 2,01) et versus patch de nicotine (RC 1,68 avec IC à 95% de 1,46 à 1,93) ; elle n’était pas différente entre le bupropion et le patch de nicotine ; elle était meilleure avec le bupropion versus placebo, et meilleure avec le patch de nicotine versus placebo (respectivement RC 2,07 avec IC à 95% de 1,75 à 2,45 et RC de 2,15 avec IC à 95% de 1,82 à 2,54) (voir tableau)
  • critères de jugement secondaires
    • les idées suicidaires étaient davantage présentes ou le comportement suicidaire était plus important chez les patients psychiatriques que chez les patients non psychiatriques, mais, par cohorte, il n’y avait pas de différence entre les bras de traitement quant à l’incidence
    • les effets indésirables les plus fréquents étaient les nausées (25% dans le bras varénicline), l’insomnie (12% dans le bras bupropion), les cauchemars (12% dans le bras patch de nicotine).

Tableau. Incidence des symptômes neuropsychiatriques et obtention d’une abstinence continue de la semaine 9 à la semaine 12 dans le bras varénicline (VAR), dans le bras bupropion (BUP), dans le bras substitution nicotinique (NIC) et dans le bras placebo (PL) des fumeurs des 2 cohortes psychiatrique et non psychiatrique.

 

Cohorte non psychiatrique

              Cohorte psychiatrique

 

VAR

BUP

NIC

PL

VAR

BUP

NIC

PL

Symptômes neuropsychiatriques

1,3%

2,2%

2,5%

2,4%

6,5%

6,7%

5,2%

4,9%

Abstinence continue semaines 9 à 12

38%

26,1%

26,4%

13,7%

29,2%

19,3%

20,4%

11,4%

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette étude ne montre pas d’augmentation significative des effets indésirables neuropsychiatriques de la varénicline ou du bupropion versus patch de nicotine ou placebo. La varénicline était plus efficace que le placebo, le patch de nicotine et le bupropion pour atteindre l’abstinence chez les fumeurs. Le bupropion et le patch de nicotine étaient plus efficaces que le placebo.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par les producteurs des produits pharmaceutiques utilisés : Pfizer et GlaxoSmithKline.

 

Conflits dintérêts des auteurs

Les auteurs ont reçu un soutien financier pour diverses missions et pour la participation à différentes activités de plusieurs firmes pharmaceutiques, parmi lesquelles les deux promoteurs de cette étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude peut être considérée comme innovante pour plusieurs raisons. Les investigateurs ont réussi à recruter un grand groupe de fumeurs, ce qui a permis d’effectuer une stratification entre une cohorte de patients présentant un trouble psychiatrique et une cohorte de patients sans trouble psychiatrique. Ils ont utilisé les critères validés du DSM-IV-TR pour cette répartition. Il s’agit de la première étude clinique randomisée permettant de comparer, avec suffisamment de puissance, l’effet de la varénicline et du bupropion sur l’arrêt du tabagisme versus patchs de nicotine et placebo, tant dans une cohorte de patients présentant une affection psychiatrique que dans une cohorte de patients sans affection psychiatrique. Toutefois, les auteurs reconnaissent eux-mêmes que la taille de l’échantillon était probablement trop petite pour montrer une différence au niveau des critères de jugement cliniquement pertinents, tels que des symptômes neuropsychiatriques rares mais sévères ou des suicides réussis. Pour mener l’étude en double aveugle, les investigateurs ont utilisé un triple placebo. Le critère de jugement primaire de sécurité n’avait pas été validé et il est constitué de 16 symptômes neuropsychiatriques rencontrés fréquemment dans les déclarations post commercialisation. Le suivi de ces symptômes a été obtenu tant par le rapportage des participants que par les observations réalisées par les investigateurs. Pour une période d’étude assez courte, la proportion de sorties d’étude était relativement élevée, mais elle ne présentait pas de différence d’un bras de traitement à l’autre. L’analyse statistique manque pour certains critères de jugement, tels que l’évolution du score HADS et la prévention des effets indésirables.

 

Mise en perspective des résultats

Durant l’étude, il y a eu plus d’effets indésirables neuropsychiatriques dans la cohorte des patients psychiatriques que dans celle des patients non psychiatriques. Dans les deux cohortes, on a toutefois observé que ni la varénicline, ni le bupropion n’entraînaient un plus grand nombre d’effets indésirables neuropsychiatriques qu’un patch de nicotine ou qu’un placebo. Il convient également de noter que, chez les patients non psychiatriques, on a observé moins d’effets indésirables neuropsychiatriques avec la varénicline qu’avec le placebo, et ce de manière statistiquement significative. On ignore comment cela doit être interprété. Les investigateurs n’ont pas non plus observé de différence quant à l’incidence du comportement suicidaire et des idées suicidaires entre les différents bras de traitement des deux cohortes. Ces études n’apportent rien de neuf sur les autres effets indésirables non psychiatriques. Comme soutien médicamenteux à l’arrêt du tabagisme, la varénicline et le bupropion paraissent donc aussi sûrs que le patch de nicotine, tant chez les fumeurs qui présentent une affection psychiatrique que chez les fumeurs sans affection psychiatrique. Il importe toutefois de souligner qu’il s’agissait de fumeurs dont l’affection psychiatrique était stabilisée. Il y avait un nombre limité de patients présentant un trouble psychotique (≤ 10%) ou un trouble de la personnalité (≤ 1%). Les patients qui faisaient une consommation abusive de substances et ceux qui présentaient un risque accru de suicide ont été exclus. Le constat de ce possible biais de sélection entraine que les résultats ne pourront peut-être pas être extrapolés aux personnes atteintes d’un trouble psychiatrique non traité ou non contrôlé. Les patients ont en outre été très bien suivis et ont bénéficié d’un coaching intensif, ce qui peut avoir favorablement influencé les résultats dans les 2 cohortes.

Les taux d’abstinence globalement plus élevés chez les fumeurs sans affection psychiatrique que chez les fumeurs présentant une affection psychiatrique n’étaient pas statistiquement significatifs. Le taux d’abstinence était néanmoins plus élevé avec la varénicline qu’avec le bupropion et qu’avec le patch de nicotine, tant après 12 semaines qu’après 24 semaines, et tant chez les patients psychiatriques que chez les patients non psychiatriques. Ces données permettent de conclure que les fumeurs qui présentent un trouble psychiatrique stabilisé et traité sont tout aussi à même d’arrêter de fumer que les fumeurs qui ne présentent pas de trouble psychiatrique, et les chances de réussite avec la varénicline sont plus élevées qu’avec les autres formes de soutien médicamenteux. Ce dernier point avait déjà été montré dans une récente méta-analyse (12). Mais une précision s’impose, une autre étude a également montré qu’un traitement par association de varénicline et d’un patch de nicotine pouvait conduire à un taux d’abstinence plus élevé qu’un traitement composé uniquement de varénicline (13,14).

 

Conclusion

Cette étude clinique randomisée, contrôlée, menée en double aveugle auprès d’un grand nombre de fumeurs motivés, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’utilisation de la varénicline ou du bupropion n’entraîne pas un plus grand risque de symptômes neuropsychiatriques modérés à sévères qu’un placebo ou un patch de nicotine tant pour les fumeurs avec que sans trouble psychiatrique stabilisé. Dans les deux cohortes, il est en outre apparu que le taux d’abstinence était plus élevé avec la varénicline qu’avec le bupropion ou le patch de nicotine. 

 

Pour la pratique

Les résultats de cette étude confirment les recommandations du GPC de Domus Medica le plus récent, qui souligne l’efficacité plus grande de la varénicline (15). La présente étude ajoute aussi la sécurité neuropsychiatrique de la varénicline et celle du bupropion, et ce tant pour les fumeurs atteints d’un trouble psychiatrique que pour les fumeurs non psychiatriques. La varénicline peut donc être considérée comme le produit de premier choix pour le soutien médicamenteux à l’arrêt du tabagisme.

 

 

Références 

  1. Kintz P, Evans J, Villain M, Cirimele V. Smoking cessation with varenicline: a suicidal fatality. J Anal Toxicol 2009;33:118-20. DOI: 10.1093/jat/33.2.118
  2. Laine P, Marttila J, Lindeman S. Hallucinations in the context of varenicline withdrawal. Am J Psychiatry 2009;166:619-20. DOI: 10.1176/appi.ajp.2008.08091370
  3. Meyer TE, Taylor LG, Xie S, et al. Neuropsychiatric events in varenicline and nicotine replacement patch users in the Military Health System. Addiction 2013;108:203-10. DOI: 10.1111/j.1360-0443.2012.04024.x
  4. Kotz D, Viechtbauer W, Simpson C, et al. Cardiovascular and neuropsychiatric risks of varenicline: a retrospective cohort study. Lancet Respir Med 2015;3:761-8. DOI: 10.1016/S2213-2600(15)00320-3
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  6. McClure J, Swan GE, Jack L, et al. Mood, side-effects and smoking outcomes among persons with and without probable lifetime depression taking varenicline. J Gen Intern Med 2009,24:563-9. DOI: 10.1007/s11606-009-0926-8
  7. Anthenelli RM, Morris C, Ramey TS, et al. Effects of varenicline on smoking cessation in adults with stably treated current or past major depression: a randomized trial. Ann Intern Med 2013;159:390-400. DOI: 10.7326/0003-4819-159-6-201309170-00005. Erratum in: Ann Intern Med 2013;159:576.
  8. Evins AE, Cather C, Pratt SA, et al. Maintenance treatment with varenicline for smoking cessation in patients with schizophrenia and bipolar disorder: a randomized clinical trial. JAMA 2014;311:145–54. DOI: 10.1001/jama.2013.285113
  9. Raich A, Ballbè M, Nieva G, et al. Safety of varenicline for smoking cessation in psychiatric and addicts patients. Subst Use Misuse 2016;51:649-57. DOI: 10.3109/10826084.2015.1133646
  10. Thomas KH, Martin RM, Knipe DW, et al. Risk of neuropsychiatric adverse events associated with varenicline: systematic review and meta-analysis. BMJ 2015;350:h1109. DOI: 10.1136/bmj.h1109
  11. Wu Q, Gilbody S, Peckham E, et al. Varenicline for smoking cessation and reduction in people with severe mental illnesses: systematic review and meta-analysis. Addiction 2016;111:1554-67. DOI: 10.1111/add.13415
  12. Cahill K, Stevens , Perera R, Lancaster T. Pharmacological interventions for smoking cessation: an overview and network meta-analysis. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 5. DOI: 10.1002/14651858.CD009329.pub2
  13. Boudrez H. Associer varénicline et traitement de substitution nicotinique ? Minerva bref 15/03/2015.
  14. Koegelenberg CFN, Noor F, Bateman ED, et al. Efficacy of varenicline combined with nicotine replacement therapy vs varenicline alone for smoking cessation. JAMA 2014;312:155-61. DOI: 10.1001/jama.2014.7195
  15. Hoengenaert JP. Richtlijn voor goede medische praktijkvoering: ‘Stoppen met roken’. Opvolgrapport. Domus Medica, 2013.



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