Revue d'Evidence-Based Medicine



Nos modalités de contrôle d’un programme de dépistage



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 2 Page 52 - 53

Professions de santé


Nous avons commenté dans la revue Minerva de ce mois, une étude clinique randomisée portant sur le dépistage du cancer de l’ovaire (1,2). Malgré que dans le groupe « dépistage multimodal » (détermination du taux de CA 125 avec suivi approprié), on ait trouvé un résultat favorable en termes de mortalité spécifique à la maladie après exclusion des cas de cancer de l’ovaire présents lors du démarrage du dépistage, trop de questions restent sans réponse pour pouvoir proposer un dépistage systématique. Il serait nécessaire de mener des études supplémentaires avec une période de suivi plus longue.

 

On est cependant confronté à un dilemme : comme on ne peut étudier l’utilité du dépistage qu’à grande échelle et sur une longue période, celui-ci devrait donc déjà être implémenté à cet effet. Le dépistage, et les résultats d’une étude l’évaluant, dépendent également du taux de participation. Le dépistage du cancer du col de l’utérus, a débuté dans les années 60 avec le frottis vaginal selon la méthode de Papanicolaou (PAP-test) alors qu’il n’avait jamais été étudié de manière approfondie. Le dépistage du cancer de la prostate n’a été étudié plus précisément qu’ultérieurement avec tous les biais et les controverses que cela a soulevé (3-9).

 

La controverse porte aussi sur le modèle à utiliser pour évaluer le dépistage. Les grandes études randomisées coûtent très chers et nécessitent une bonne logistique, on opte ainsi le plus souvent pour des études de cohorte ou des études cas-témoins. Ces protocoles d’études d’observation sont toutefois sujets à des biais entraînant parfois des résultats contradictoires. Ces résultats divergents alimentent alors deux camps antagonistes. Les discussions actuelles sur les avantages et les inconvénients du dépistage du cancer du sein en sont un bon exemple (10-16).

En théorie, les études randomisées sont plus aptes à déterminer l’intervalle de dépistage ou le seuil à utiliser pour un test. Tant le groupe intervention que le groupe contrôle doit être sélectionné au sein d’une même structure de soins de santé et dans une même période d’étude, et attribué par randomisation, éventuellement en grappes. Chaque nouveau programme de dépistage doit être établi de telle manière que, dès le début, plusieurs options soient comparées les unes aux autres et soient suivies et adaptées. On parle de « projets de recherche comparatifs d’efficacité » (comparative effectiveness research projects) ou d’études adaptatives et comparatives de l’efficacité. Les Norvégiens ont élaboré une recherche de ce type pour optimaliser leur programme de dépistage du cancer du côlon. Toutes les personnes âgées de 50 à 74 ans de deux régions de Norvège ont été randomisées en 2 bras : soit un test immunochimique de recherche de sang occulte dans les selles (IFOBT) tous les 2 ans soit une sigmoïdoscopie tous les ans. La mortalité par cancer du côlon a été suivie pendant 10 ans. Dans chaque bras, des études cliniques randomisées de moindre envergure ont été conduites pour répondre à des questions spécifiques en lien avec le dépistage : anxiété et modifications du mode de vie secondaires au dépistage, optimalisation du lavement avant sigmoïdoscopie. De nouvelles procédures de test peuvent ensuite être encore ajoutées comme nouveaux bras de l’étude en cours. Parallèlement à l’étude clinique randomisée, il y a aussi de la place pour des méthodes de recherche observationnelle visant notamment à examiner la performance endoscopique et à évaluer la qualité de la réalisation du programme de dépistage (3).

 

Lors du dépistage, on opte généralement pour un test spécifique (avec peu de faux positifs), mais c’est le plus souvent au détriment de la sensibilité (avec alors plus de faux négatifs) (17,18). Il faut souvent chercher le bon test ou la bonne séquence de tests ainsi que le seuil optimal et il convient donc de faire très attention au problème des faux positifs et des faux négatifs. Leur nombre absolu dépend fortement de la prévalence de la maladie étudiée. Le plus souvent, de nombreuses personnes en bonne santé doivent subir des examens complémentaires suite à un dépistage positif, alors que seul un petit nombre est réellement atteint de la maladie dépistée. Même si la spécificité du test utilisé est élevée, le nombre de faux positifs peut dépasser le nombre de vrais positifs.

 

Dans les études randomisées, des facteurs de confusion peuvent également augmenter ou diminuer l’effet mesuré. Les principaux critères de jugement du dépistage sont la mortalité spécifique de la maladie et la mortalité totale. La contamination du groupe contrôle (par des dépistages opportunistes par exemple) ou les cas présents lors du démarrage du dépistage peuvent diminuer l’effet mesuré. Le biais du temps d’avance au diagnostic (lead time bias), où l’on ne tient pas compte de l’effet d’un diagnostic précoce qui conduit à une survie artificiellement prolongée, peut surestimer l’effet mesuré (19). Des facteurs tels que le biais de lenteur d’évolution (length time bias), qui dépend de l’intervalle entre deux séances de dépistage, de la vitesse de croissance de la tumeur (19), et une mauvaise classification de la cause du décès peuvent influencer l’effet mesuré dans un sens ou dans l’autre.

 

La durée du suivi étant longue, il faut également surveiller un grand nombre de facteurs, comme les modifications du mode de vie, la plus grande attention portée à la maladie, l’amélioration du diagnostic et du traitement. Il est ainsi apparu que l’explication de la diminution de la mortalité liée au cancer du sein n’est pas que due au dépistage mais aussi à la plus grande attention portée au cancer du sein par l’introduction du dépistage, l’amélioration de la résolution de la mammographie et l’amélioration de la thérapie (10-16). Nous disposons de ces données grâce aux Norvégiens, qui ont élaboré leur programme de dépistage du cancer du sein en tant qu’étude (20).

 

Conclusion

Si les critères de base essentiels, ceux de Wilson et Jungner (21), sont en grande partie satisfaits, un programme de dépistage doit pouvoir être démarré avec la possibilité de mener une étude comparative randomisée. Le programme de dépistage devra progressivement être adapté en fonction des résultats. Dans le cas du cancer de l’ovaire, sa mise en œuvre n’est pas à l’ordre du jour car trop peu de critères essentiels sont satisfaits (22).

 

 

Références 

  1. Van Hal G. Dépistage annuel du cancer de l’ovaire ? MinervaF 2017;16(2):31-4.
  2. Jacobs IJ, Menon U, Ryan A, et al. Ovarian cancer screening and mortality in the UK Collaborative Trial of Ovarian Cancer Screening (UKCTOCS): a randomised controlled trial. Lancet 2016;387:945-56. doi: 10.1016/S0140-6736(15)01224-6
  3. Bretthauer M, Hoff G. Comparative effectiveness research in cancer screening programmes. BMJ 2012;344:e2864. DOI: 10.1136/bmj.e2864
  4. Spinnewijn B, Van den Bruel A. Cancer de la prostate : à dépister ou non ? MinervaF 2009;8(9):124-5.
  5. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ; ERSPC Investigators. Screening and prostate-cancer mortality in a randomized European study. N Engl J Med 2009;360:1320-8. DOI: 10.1056/NEJMoa0810084
  6. Weyler J. Dépistage du cancer de la prostate. MinervaF 2003;2(8):128-31.
  7. Gann PH, Ma J, Catalona WJ, Stampfer MJ. Strategies combining total and percent free prostate specific antigen for detecting prostate cancer: a prospective evaluation. J Urol 2002;167:2427-34.
  8. Weyler J. Prostaatkanker: kan screening de mortaliteit reduceren? Minerva 2001;30(3):127-31.
  9. Labrie F, Candas B, Dupont A, et al. Screening decreases prostate cancer death: first analysis of the 1998 Quebec prospective randomized controlled trial. Prostate 1999;38:83-91.
  10. Garmyn B. Quelle est l’efficacité d’un dépistage du cancer du sein à long terme (29 ans) ? MinervaF 2012;11(3):30-1.
  11. Tabár L, Vitak B, Chen TH, et al. Swedish two-county trial: impact of mammographic screening on breast cancer mortality during 3 decades. Radiology 2011;260:658-63. DOI: 10.1148/radiol.11110469
  12. Lemiengre M. Incertitude croissante quant à l’utilité du dépistage du cancer du sein. Minerva bref 15/07/2014.
  13. Miller AB, Wall C, Baines CJ, et al. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014;348:g366. DOI: 10.1136/bmj.g366
  14. Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial] MinervaF 2014;13(6):66.
  15. Michiels B. Dépistage du cancer du sein par mammographie. Minerva bref 15/03/2014.
  16. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858
  17. Henrard G. Médecine et mathématiques, je t’aime moi non plus. Des faux-positifs largement sous-estimés. MinervaF 2015;14(1):12-3.
  18. Tosteson AN, Fryback DG, Hammond CS, et al. Consequences of false-positive screening mammograms. JAMA Intern Med 2014;174:954-61. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.981
  19. Lemiengre M. Biais du temps d’avance au diagnostic et biais de sélection des cancers les plus favorables. MinervaF 2012;11(7):90.
  20. Kalager M, Zelen M, Langmark F, Adami HO. Effect of screening mammography on breast-cancer mortality in Norway. N Engl J Med 2010;363:1203-10. DOI: 10.1056/NEJMoa1000727
  21. Wilson JM, Jungner F. Principles and practice of screening for disease. Public Health Papers, No 34. Geneva, WHO 1968.
  22. Michiels B. Que penser de la prévention au moyen du dépistage ? [Editorial] MinervaF 2017;16(2):29-30.

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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