Revue d'Evidence-Based Medicine



Le pharmacien clinicien, partenaire d’une meilleure utilisation des médicaments à l’hôpital et en continuité avec la première ligne



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 3 Page 55 - 56

Professions de santé


La pharmacie clinique a pour mission de contribuer à l’amélioration et à la sécurisation de l’utilisation des médicaments afin de participer au bien-être du patient et à la qualité de soins. Cette optimisation concerne aussi bien l’utilisation de médicaments pendant le séjour hospitalier que celle en lien avec la transition domicile-hôpital et vice-versa. En Belgique, une série de facteurs, dont notamment la mise en place de la forfaitarisation des médicaments et quelques expériences belges prometteuses, avaient permis en 2007 le lancement de projets pilotes à l’échelle nationale. Cette expérience, réalisée d’abord dans 28 et ensuite dans 54 hôpitaux, s’est avérée globalement très favorable (1). Depuis 2014, le financement de la pharmacie clinique est devenu structurel (0,25 ETP par tranche entamée de 200 lits agréés pour les hôpitaux aigus) et une note stratégique concernant la pharmacie clinique dans les hôpitaux belges a été publiée (2).

L’étude menée par Heselmans et al. (3) a été réalisée dans le cadre des projets pilotes. Il s’agit d’une étude prospective quasi-randomisée évaluant l’effet d’une révision de la médication par le pharmacien clinicien pour des patients transférés des soins intensifs vers une unité de soins médicale, chirurgicale ou gériatrique. L’étude a été conduite dans 3 hôpitaux de la région d’Anvers, pendant une durée de 12 mois. La révision de la médication a été réalisée par les pharmaciens pour les 600 patients inclus dans l’étude et a permis d’identifier 743 problèmes médicamenteux chez 60% des patients. Les propositions d’optimisation de traitement ont été communiquées immédiatement aux médecins des patients du groupe intervention mais tenues aveugles dans le groupe contrôle. L’évaluation principale a consisté en une comparaison du degré d’implémentation des optimisations de traitement dans le groupe contrôle par rapport au groupe intervention. Ce degré s’est avéré significativement plus élevé dans le groupe intervention par rapport au groupe contrôle (54,1% vs 12,8% ; OR de 10,1 avec IC à 95% de 6,3 à 16,1).

Il est très intéressant d’avoir profité de ces projets pilotes pour réaliser une étude contrôlée de ce type, par ailleurs de façon multicentrique et avec un nombre relativement élevé de patients. Le critère d’évaluation principal est un critère intermédiaire directement dépendant du travail réalisé par le pharmacien clinicien, et c’est la principale faiblesse de l’étude. Néanmoins, la comparaison au groupe contrôle permet de documenter la valeur ajoutée des interventions faites par le pharmacien pour optimiser les traitements. Quelques réflexions ou questionnements supplémentaires doivent être faits.

A la lecture de l’article, il est difficile d’avoir une idée précise du travail réalisé par le pharmacien. Sur base d’informations complémentaires fournies par un des auteurs, il s’avère que le travail réalisé est davantage un travail de réconciliation médicamenteuse (comparaison des discordances entre la liste de médicaments du domicile, des soins intensifs et de l’unité de soins, et résolution de celles-ci) que de révision de la médication (par exemple évaluation du caractère approprié de chaque médicament prescrit). Par ailleurs, le travail a été effectué depuis la pharmacie : les pharmaciens n’ont donc pas réalisé ce travail dans un réel contexte interdisciplinaire. Cela explique très probablement pourquoi (a) le taux d’acceptation des interventions par les médecins (environ 50%) était plus faible que dans d’autres études belges, et (b) la proportion d’interventions jugées comme mineures ou sans impact clinique par un groupe d’internistes était beaucoup plus élevée que dans d’autres études belges (4-7).

Au vu des problèmes les plus souvent rencontrés (notamment concernant le passage de la voie intraveineuse à la voie orale), il serait utile de considérer la mise en place d’approches complémentaires telles qu’un support électronique à la réconciliation et qu’une sensibilisation régulière des médecins à cet égard. Ces actions pourraient alors permettre aux pharmaciens cliniciens de dégager du temps pour d’autres tâches cliniques à haute valeur ajoutée, en proche collaboration avec les médecins, infirmiers, patients.

Que nous manque-t-il pour une implémentation à large échelle ?

Cette étude complète d’autres études scientifiques déjà réalisées pour évaluer l’effet de la pharmacie clinique en Belgique, avec (a) des populations cibles différentes, par exemple la gériatrie, les urgences, le séjour aux soins intensifs ; et/ou (b) des activités pharmaceutiques en partie différentes et impliquant un contact direct avec le patient et les médecins, par exemple la révision de la médication, la réconciliation médicamenteuse à l’admission et à la sortie et la communication avec la première ligne (5-13). Ces données confirment, comme démontré dans la littérature internationale, que les pharmaciens cliniciens permettent d’améliorer la qualité d’utilisation des médicaments en milieu hospitalier, avec des prescriptions plus appropriées, des transitions de soins plus sécures et, dans une certaine mesure, un impact pharmaco-économique favorable pour la société (14). L’impact sur des critères d’évaluation forts tels que les réadmissions reste encore à confirmer (14,15). Toutefois, l’activité de pharmacie clinique fait partie des interventions les mieux documentées pour réduire le risque iatrogène en milieu hospitalier (16).

Si les autorités de santé et les gestionnaires d’hôpitaux sont demandeurs de plus de preuves d’un niveau élevé, qui permettraient aussi à la profession de mieux prioriser et standardiser ses activités, il faut pouvoir donner aux équipes des opportunités de financement pour ce type de recherche. Force est de constater que ces opportunités restent assez maigres en Belgique. A l’échelle européenne, certains projets de recherche multicentrique impliquant des pharmaciens cliniciens sont en cours, dont le projet OPERAM (17) pour lequel une équipe belge est impliquée.

Sur le plan de la formation, la situation a fortement évolué depuis le début des projets pilotes, pour lesquels certains pharmaciens avaient démarré ces projets sans formation préalable très consistante. Depuis lors, la durée du master de spécialisation en pharmacie hospitalière a été allongée de deux ans, permettant une formation théorique et pratique importante en pharmacie clinique. La formation continue obligatoire contribue également à la mise à jour des connaissances et compétences en la matière.

Les pharmaciens hospitaliers sont prêts, la majorité des médecins hospitaliers sont très enthousiastes, comme le sont également certains médecins généralistes. Un financement structurel existe, mais il est actuellement totalement insuffisant (environ 20 fois inférieur aux standards internationaux). A l’heure où les hôpitaux se battent pour leur équilibre financier, il est difficile d’attendre un investissement important de leur part. A l’heure aussi où les autorités veulent renforcer l’interdisciplinarité, la qualité des soins, la continuité avec la première ligne, et réduire les gaspillages, on ose rêver à davantage de reconnaissance et de financement - quelles qu’en soient les modalités précises - pour les activités de pharmacie clinique.

 

Références 

  1. Direction Générale Organisation des Etablissements de Soins, Réseau des Comités Pharmaceutiques. La pharmacie clinique dans les hôpitaux belges. Résultat des 54 projets pilotes pour la période 2009-2010.SPF Santé Publique, Sécurité de la Chaîne Alimentaire et Environnement.
  2. URL : http://www.health.belgium.be/fr/sante/organisation-des-soins-de-sante/qualite-des-soins/soins-pharmaceutiques/pharmacie-clinique
  3. Heselmans A, van Krieken J, Cootjans S, et al. Medication review by a clinical pharmacist at the transfer point from ICU to ward: a randomized controlled trial. J Clin Pharm Ther 2015;40:578-83. DOI: 10.1111/jcpt.12314
  4. Spinewine A, Swine C, Dhillon S, et al. Effect of a collaborative approach on the quality of prescribing for geriatric inpatients: a randomized, controlled trial. J Am Geriatr Soc 2007;55:658-65. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2007.01132.x
  5. Steurbaut S, Leemans L, Leysen T, et al. Medication history reconciliation by clinical pharmacists in elderly inpatients admitted from home or a nursing home. Ann Pharmacother 2010;44:1596-603. DOI: 10.1345/aph.1P192
  6. Declaye C, Sennesael AL, Larock AS, et al. Partial economic evaluation of clinical pharmacy interventions on the prescription of direct oral anticoagulants in a teaching hospital. Eur J Hosp Pharm 2017, Published Online First: 02 January 2017. DOI: 10.1136/ejhpharm-2016-001024
  7. Somers A, Robays H, De Paepe P, et al. Evaluation of clinical pharmacist recommendations in the geriatric ward of a Belgian university hospital. Clin Interv Aging 2013;8:703-9. DOI: 10.2147/CIA.S42162
  8. Spinewine A, Dhillon S, Mallet L, Tulkens PM, Wilmotte L, Swine C. Implementation of ward-based clinical pharmacy services in Belgium-description of the impact on a geriatric unit. Ann Pharmacother 2006;40:720-8. DOI: 10.1345/aph.1G515
  9. Cornu P, Steurbaut S, Leysen T, et al. Effect of medication reconciliation at hospital admission on medication discrepancies during hospitalization and at discharge for geriatric patients. Ann Pharmacother 2012;46:484-94. DOI: 10.1345/aph.1Q594
  10. De Winter S, Spriet I, Indevuyst C, et al. Pharmacist- versus physician-acquired medication history: a prospective study at the emergency department. Qual Saf Health Care 2010;19:371-5. DOI: 10.1136/qshc.2009.035014
  11. Quennery S, Cornu O, Sneyers B, Yombi JC. Added value of pharmacist-acquired drug histories in an orthopaedic ward. Acta Clin Belg 2011;66:196-9. DOI : 10.2143/ACB.66.3.2062546
  12. Claus BO, Robays H, Decruyenaere J, Annemans L. Expected net benefit of clinical pharmacy in intensive care medicine: a randomized interventional comparative trial with matched before-and-after groups. J Eval Clin Pract 2014;20:1172-9. DOI: 10.1111/jep.12289
  13. Claus BO, Vandeputte FM, Robays H. Epidemiology and cost analysis of pharmacist interventions at Ghent University Hospital. Int J Clin Pharm 2012;34:773-8. DOI: 10.1007/s11096-012-9676-5
  14. Kaboli PJ, Hoth AB, McClimon BJ, Schnipper JL. Clinical pharmacists and inpatient medical care: a systematic review. Arch Intern Med 2006;166:955-6. DOI: 10.1001/archinte.166.9.955
  15. De Monie C. Réconciliation et revue médicamenteuse : poudre magique ou poil à gratter ? [Editorial] MinervaF 2015;14(9):104.
  16. Zegers M, Hesselink G, Geense W, et al. Evidence-based interventions to reduce adverse events in hospitals: a systematic review of systematic reviews. BMJ Open 2016;6:e012555. DOI: 10.1136/bmjopen-2016-012555
  17. URL: http://operam-2020.eu

 


Auteurs

Spinewine A.
Université Catholique de Louvain, (a) Louvain Drug Research Institute, Clinical Pharmacy Research Group, (b) CHU UCL Namur, site Godinne, service de pharmacie clinique
COI :

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