Revue d'Evidence-Based Medicine



Les médicaments pour la crise de migraine chez l’enfant et l’adolescent



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 3 Page 57 - 60

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Richer L, Billinghurst L, Linsdell MA, et al. Drugs for the acute treatment of migraine in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD005220.pub2


Question clinique
Quel est l’intérêt (efficacité, sécurité, tolérance), versus placebo, des médicaments, administrés par toute voie, en cas de crise de migraine chez les enfants (moins de 12 ans) et les adolescents (12 à 17 ans) ?


Conclusion
Pour le traitement médicamenteux de la crise de migraine chez l’enfant (moins de 12 ans) et l’adolescent (12 à 17 ans), cette synthèse méthodique de bonne qualité souligne l’absence de preuves (faute d’études) du paracétamol, les preuves faibles pour l’ibuprofène, les preuves modérées (nombreuses études sponsorisées) pour l’intérêt des triptans (sumatriptan surtout) mais cet intérêt reste limité en considérant le pourcentage de patients libres de douleur dans les deux heures post traitement.


Contexte

Les médicaments disponibles pour traiter la crise de migraine et prévenir ces crises sont bien évalués chez les adultes et les recommandations sont claires chez ceux-ci. Pour ce qui est des enfants et des adolescents, les études et preuves sont moins fournies. Le jury du consensus de l’INAMI de 2009 à propos de la migraine (1) avait conclu à l’intérêt de l’ibuprofène et du paracétamol pour traiter une crise de migraine chez l’enfant, avec une utilisation éventuelle des triptans à partir de l’âge de 12 ans. Une nouvelle synthèse de la littérature EBM concernant les médicaments utiles pour traiter la crise de migraine chez l’enfant et l’adolescent fait le point sur cette question en 2016.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • 8 bases de données: Cochrane Central Register of Controlled Trials, OvidSP Medline, Ovid MEDLINE In-Process & Other Non-Indexed Citations et EMBASE jusque février 2016; Database of Abstracts and Reviews of Effects, International Pharmaceutical Abstracts, PsychINFO et EBSCOhost CINAHL jusqu’avril 2013
  • consultation des listes de référence des études incluses, de la littérature grise via les experts dans le domaine, les firmes concernées (et leurs registres), les registres d’études cliniques ClinicalTrials.gov et Current Controlled Trials
  • jusqu’en février 2016.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études prospectives, randomisées, contrôlées versus placebo, évaluant un traitement pharmacologique symptomatique ou de crise de migraine, quelle que soit la voie d’administration, en ambulatoire
  • pas d’exclusion de type de RCT (groupes parallèles ou permutation), publiée ou non
  • pas de restriction de langue
  • critères d’exclusion : études sans contrôle versus placebo, comparaisons de cohortes, études quasi-expérimentales ou non expérimentales ; études sans résultats distincts pour les adultes et les enfants
  • sur base de 15811 citations (publications multiples exclues), 379 articles complets ont été évalués ; 27 RCTs ont été incluses ; nombre moyen de participants par étude de 359 (écarts de 13 à 888)
  • 24 RCTs concernaient les triptans (plus de la moitié évaluaient le sumatriptan).

 

Population étudiée

  • population âgée de maximum 17 ans : enfants si moins de 12 ans, adolescents si de 12 à 17 ans 
  • 9158 enfants et adolescents ont été randomisés, 7630 ont pris un médicament ; âge moyen de 12,9 ans (écarts des moyennes de 8,2 à 14,7 ans, écarts individuels maximaux de 4 ans à 18 ans)
  • diagnostic de migraine avec ou sans aura selon les critères d’une des versions de l’International Classification of Headache Disorders.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire d’efficacité : pourcentage de patients sans douleur après 2 heures, sans recours à un autre médicament
  • critères de jugement secondaires : diminution de l’intensité de la douleur à 2 heures ; recours à d’autres médicaments (après 2 heures, dans les 24 heures) ; récidive de la douleur dans les 2 à 48 heures ; nausées après 2 heures ; vomissements dans les 2 heures après la prise du médicament
  • critères de jugement primaires de sécurité : effet indésirable survenu durant le traitement ; proportion de patients avec effet indésirable sérieux
  • résultats donnés en risque relatif avec IC à 95%, NNT = 1/RAR *100.">NNT pour un cas de bénéfice supplémentaire ; pour les effets indésirables, différence (absolue) de risque avec IC à 95% et NNH pour un cas de nocivité supplémentaire.

 

Résultats

  • la qualité des études incluses est, en général, faible ou modérée
  • critère de jugement primaire d’efficacité
    • disparition de la douleur : voir tableau pour les résultats significatifs 
      • 1 étude avec l’ibuprofène chez des adolescents (n = 29) ne montre pas de résultat significatif
      • pour le paracétamol (N = 1, n = 80 enfants) et la dihydergotamine orale (N = 1, n = 13 enfants), pas d’efficacité significative versus placebo
  • critères de jugement primaires de sécurité
    • effets indésirables : voir tableau
  • critères de jugement secondaires 
    • diminution de la douleur sous ibuprofène chez des adolescents (N = 1, n = 29 ; RR à 2,50 avec IC à 95% de 1,02 à 6,10) et sous triptan chez les adolescents (N = 21, n = 7026 ; RR à 1,14 avec IC à 95% de 1,04 à 1,24) avec moindre recours à d’autres médicaments et moins de récidives
  • analyse de sensibilité : efficacité de plus forte ampleur dans les études en permutation.

 

Tableau. Efficacité de différents médicaments vs placebo pour la disparition de la douleur à 2h ; résultats en RR (risque relatif) avec NNT et DR (différence de risque) et NNH, avec IC à 95%.

Médicament évalué

Population

Disparition de la douleur

Effets indésirables

ibuprofène

enfant

N = 2

n = 162

RR de 1,87 (1,15 à 3,04)

NT = 4

QP faible

pas de différence versus placebo dans une étude - aucune mention dans l’autre

triptan

enfant

N = 3

n = 273

RR de 1,67 (1,06 à 2,62)

NNT = 13

QP modérée

NS

triptan

adolescent

N = 21

n = 7026

RR de 1,32 (1,19 à 1,47)

NNT = 6

QP modérée

DR 0,13 (0,08 à 0,18)

NNH = 8

sumatriptan + naproxène

adolescent

N = 1

n = 490

RR de 3,25

(1,78 à 5,94)

NT = 6

QP modérée

pas de différence

 NS = non significatif ; N (nombre d’études) ; n (nombre total de patients) ; QP (qualité de la preuve)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que des données de faible qualité issues de deux petites études montrent que l'ibuprofène semble améliorer la disparition de la douleur dans le traitement des migraines aiguës de l'enfant. Ils ne disposent que d'informations limitées sur les effets indésirables associés à l'ibuprofène dans les essais inclus dans leur synthèse. Les triptans, en tant que classe, sont également efficaces pour supprimer la douleur chez les enfants et les adolescents mais sont associés à des taux plus élevés d'évènements indésirables mineurs. L’association du sumatriptan et du naproxène sodique est également efficace pour le traitement des migraines chez l’adolescent.

 

Financement de l’étude

Aucun n’est déclaré, sinon une aide du département de pédiatrie de l’Université d’Alberta (Canada), de l’Alberta Research Centre for Child Health Evidence (Canada), de la Stollery Children’s Hospital Foundation (Canada) et de l’American Academy of Pediatrics Resident Research Grant (USA).

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts pertinents.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La recherche dans la littérature menée par les auteurs a été particulièrement exhaustive, faite en parallèle par deux d’entre eux. L’extraction des données faite par un auteur a été contrôlée par un autre, avec intervention d’un troisième auteur si nécessaire (en cas de controverse) pour ces 2 étapes. Les risques de biais ont été analysés selon le Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias : élaboration de la séquence de randomisation, secret d’attribution, respect de l’insu, rapport incomplet des résultats (biais d’attrition), mention sélective des résultats. Un risque élevé de biais n’est pas constaté sinon, de façon minime (= 1 étude), pour un biais d’attrition. La qualité des preuves a été évaluée selon le système GRADE. L’hétérogénéité est recherchée selon l’I² de Higgins et les sommations des résultats sont faites en modèle d’effets aléatoires. Les auteurs ont réalisé des études de sensibilité suivant des critères préétablis (risque de non-respect du secret d’attribution, groupes parallèles ou permutation, source de financement, et cetera).

Les auteurs soulignent l’importance de réaliser d’autres études, avec le paracétamol, en comparant aussi différents médicaments, au vu de l’absence actuelle de telles études.

 

Interprétation et mise en perspective des résultats

Nous avons analysé en 2002 dans la revue Minerva (2) une méta-analyse (3) concernant l’intérêt des triptans dans le traitement de la crise de migraine. Les études incluses ne concernaient que des patients âgés d’au moins 18 ans.

En 2010, nous avons aussi rapporté l’intérêt potentiel de l’aspirine 1 g dans cette indication (4,5), chez l’adulte également.

Pour ce qui est du traitement de la crise de migraine chez l’enfant, cette synthèse de la littérature montre l’absence de preuves de l’intérêt du paracétamol, de faibles preuves de l’intérêt de l’ibuprofène chez l’enfant et peut-être chez l’adolescent, avec une évaluation insuffisante des effets indésirables. Dans 2 études en permutation incluses dans cette synthèse, avec évaluation de 3 médicaments, l’ibuprofène n’est pas supérieur au zolmitriptan ni au paracétamol. Les triptans ont été beaucoup mieux évalués, principalement le sumatriptan, particulièrement chez l’adolescent, avec des résultats favorables au point de vue efficacité, au prix d’effets indésirables non sévères (voir ci-dessous). L’association de naproxène et de sumatriptan se montre également efficace chez des adolescents dans une étude.

L’efficacité réelle des traitements ici évalués peut être mieux appréciée en analysant les résultats d’une RCT, comme par exemple la dernière en date sur une population importante, celle de Derosier et al., publiée en 2012 (6). Ils avaient évalué l’efficacité d’une association orale, versus placebo, de sumatriptan et de naproxène (à des doses de 10/60 mg, 30/180 et 85/500 mg) - avec randomisation inégale 3/2/2/3 ! - chez 589 adolescents âgés de 12 à 17 ans. Pour le critère de jugement primaire d’efficacité, à savoir le pourcentage de patients sans douleur à 2 heures post traitement, les chiffres suivants ont été constatés : 10% sous placebo, 29% sous sumatriptan 10 mg/naproxène 60 mg, 27% sous 30/180 et 24% sous 85/500 mg, soit un patient sur 10 sans douleur sous placebo, 1 patient sur 4 sous dose forte de l’association, donc 3 sur 4 avec douleur toujours présente. Des pourcentages semblables étaient mentionnés pour la persistance de l’absence de douleurs dans les 2 à 24 heures post traitement.

Clinical Evidence (7) a conclu, sur base d’une recherche dans la littérature EBM clôturée en juin 2014, à un bénéfice du sumatriptan nasal chez des enfants (adolescents) âgés de 12 à 17 ans pour traiter leurs crises de migraine, avec des preuves plus limitées pour d’autres triptans, et à une probabilité d’un bénéfice des AINS et du paracétamol dans cette indication.

 

Effets indésirables : trop peu évalués chez les enfants

Les effets indésirables des médicaments ici analysés ont été fort mal évalués dans une population d’enfants/adolescents. Les effets indésirables relevés dans la méta-analyse discutée ici pour les triptans ont été : fatigue, troubles de l’équilibre, asthénie, sècheresse de bouche, nausées et vomissements pour les préparations orales, et pour les préparations nasales, dysgueusie, symptômes nasaux et nausées. De multiples autres effets indésirables et des interactions médicamenteuses sont décrits avec les triptans (8).

En usage répété et/ou chronique, il reste à prendre en considération la possibilité d’une tachyphylaxie (9), le risque d’abus (10) et le risque de céphalées induites (9,11).

 

Conclusion de Minerva

Pour le traitement médicamenteux de la crise de migraine chez l’enfant (moins de 12 ans) et l’adolescent (12 à 17 ans), cette synthèse méthodique de bonne qualité souligne l’absence de preuves (faute d’études) du paracétamol, les preuves faibles pour l’ibuprofène, les preuves modérées (nombreuses études sponsorisées) pour l’intérêt des triptans (sumatriptan surtout) mais cet intérêt reste limité en considérant le pourcentage de patients libres de douleur dans les deux heures post traitement.

 

Pour la pratique

Le jury du consensus de l’INAMI de 2009 à propos de la migraine (1) avait conclu à l’intérêt de l’ibuprofène et du paracétamol pour traiter une crise de migraine chez l’enfant, avec une utilisation éventuelle des triptans à partir de l’âge de 12 ans.

La bonne synthèse méthodique présentée ici souligne l’absence de preuves pour le paracétamol (faute d’évaluation !), les preuves faibles en faveur de l’ibuprofène (et non pour d’autres AINS, les preuves modérées d’efficacité limitée du sumatriptan (plus que des autres triptans). Le répertoire commenté des médicaments du CBIP (12) précise qu’une utilisation des triptans chez les enfants et les adolescents ne figure pas dans leur RCP sauf pour le sumatriptan par voie nasale à partir de l’âge de 12 ans.

 

 

Références 

  1. INAMI. L’usage efficient des médicaments dans le traitement de la migraine. Réunion de consensus du 26-11-2009. Rapport du jury - Texte long.
  2. Heyrman J. Les triptans dans le traitement de la migraine. MinervaF 2002;1(9):21-4.
  3. Ferrari MD, Roon KI, Lipton RB, Goadsby PJ. Oral triptans (serotonin 5-HT agonists) in acute migraine treatment : a meta-analysis of 53 trials. Lancet 2001;358:1668-75. DOI: 10.1016/S0140-6736(01)06711-3
  4. Chevalier P. Migraine : aspirine avec ou sans métoclopramide. Minerva bref 28/08/2010.
  5. Kirthi V, Derry S, Moore RA, McQuay HJ. Aspirin with or without an antiemetic for acute migraine headaches in adults. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD008041.pub2
  6. Derosier FJ, Lewis D, Hershey AD, et al. Randomized trial of sumatriptan and naproxen sodium combination in adolescent migraine. Pediatrics 2012;129:e1411-20. DOI: 10.1542/peds.2011-2455
  7. Barnes NP. Migraine headache in children. Systematic review 318. BMJ Clinical Evidence, June 2015. URL: http://clinicalevidence.bmj.com/x/systematic-review/0318/overview.html (Accessed February 2017).
  8. Les triptans. Dans : Éviter les effets indésirables par interactions médicamenteuses. Comprendre et décider. Guide interactions médicamenteuses. La revue Prescrire, 2016:368.
  9. Williams D. Medication overuse headache. Aust Prescr 2005;28:143-5.
  10. Migraine : risque d'abus et risque cardiaque avec les triptans. Rev Prescrire 2005;25:671
  11. Céphalées dues aux antimigraineux agonistes des récepteurs 5HT1 (alias triptans).  Rev Prescrire 1999;19:518-9.
  12. Triptans. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP, janvier 2017.

 




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