Revue d'Evidence-Based Medicine



Rémunération en fonction de la performance : à éviter ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 4 Page 82 - 83

Professions de santé


Rémunérer les prestataires de soins de santé (de première ligne) pour la prestation de soins de qualité reste un défi important. A côté des formes de rémunération classiques des intervenants de première ligne, la rémunération en fonction de la performance (« pay-for-performance », P4P) et la rémunération en fonction de la qualité (« pay-for-quality », P4Q), sont également en vogue depuis le début de ce siècle. Ces formes de rémunération associent des incitants financiers à des indicateurs de qualité. En Belgique, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé s’est penché en 2009 sur la rémunération en fonction de la qualité (1). Le rapport a alors conclu que le nombre de programmes P4Q avec des effets clairement positifs sur les indicateurs de qualité était relativement limité.

 

En 2013, une synthèse méthodique portant sur des effets des systèmes P4P a conclu qu’étant donné le nombre limité d’études avec une conception convenable, on ne pouvait tirer aucune conclusion (2). Au cours de l’été 2016, la revue The Lancet a publié une première étude sur l’effet de l’introduction du Cadre de qualité et de résultats (« Quality and Outcomes Framework », QOF) sur la mortalité (3). Le QOF a été mis en place en 2004 au Royaume-Uni pour, « de manière systématique », récompenser les cabinets en fonction de la qualité des soins prodigués aux patients (4). A ce jour, le QOF est la plus importante implémentation à grande échelle de la rémunération en fonction des performances. En recourant au QOF, les médecins généralistes peuvent générer jusqu’à 25% de leurs revenus en fonction du suivi de 100 indicateurs. Ces derniers concernent des indicateurs de qualité spécifiques pour des affections chroniques, ainsi que des indicateurs de processus concernant l’organisation des soins et l’expérience du patient. Le critère de jugement primaire retenu était la mortalité des affections auxquelles le QOF a accordé une attention particulière (coronaropathies, hypertension artérielle, AVC, diabète, néphropathie chronique, asthme et BPCO). Les critères de jugement secondaires étaient les différences quant aux causes de décès qui n’étaient pas directement ciblées par les interventions du QOF. Les données de la population du Royaume-Uni ont été mises en parallèle avec un pays « artificiel », défini à partir des données de pays qui n’utilisent pas le « pay-for-performance ». La morbidité, les données démographiques, les facteurs socioéconomiques, ont été modulés de telle sorte que « le pays artificiel soit comparable au Royaume-Uni ».

 

Entre 1994 et 2010, on a constaté une légère diminution de la mortalité pour les affections ciblées par le QOF, mais de manière non statistiquement significative. Une légère augmentation a même été observée pour la mortalité non ciblée par le QOF. Cette observation semble confirmer la constatation que, dans le cadre du programme QOF, les médecins généralistes s’orienteraient plus sur les affections ciblées par le QOF. La comparaison avec les données provenant de pays qui n’ont pas introduit le P4P n’a pas permis de constater d’effet statistiquement significatif de l’introduction du P4P sur la mortalité.

 

Ces efforts importants - le Royaume-Uni a investi 5,86 milliards de livres sterling - ne s’accompagnent donc pas d’une réduction significative de la mortalité.

 

La temporisation vis-à-vis de la mise en place de la P4Q, comme le recommande le Centre d’expertise, était donc probablement judicieuse, même si cette attitude était à l’époque dictée en grande partie par un contexte de conditions minimales insuffisantes concernant l’efficacité de la surveillance. Les présupposés de départ de la rémunération en fonction de la performance sont probablement erronés : les processus de soins ne sont pas linéaires (stimulus-réponse), mais circulaires et la complexité et le contexte sont très importants. En outre, les initiatives de P4P ciblées font que les « autres affections » reçoivent moins d’attention, certains patients n’ayant dès lors pas la « bonne » maladie (inégalité selon la maladie, inequity by disease). Une autre constatation est que les programmes P4Q donnent bien des résultats à court terme (surtout au niveau des indicateurs de processus), mais pas sur le long terme. De plus, la transition vers un nombre de plus en plus élevé d’affections chroniques (multimorbidité) a pour conséquence de rendre problématique la mise en œuvre de recommandations et de guides de pratique clinique « standards », spécifiques à une maladie. Ces guides de pratique clinique sont en effet en grande partie basés sur une recherche scientifique excluant les patients atteints de multimorbidité. Au Royaume-Uni, on a essayé de solutionner ce problème en offrant au médecin généraliste la possibilité d’exclure des patients du programme QOF. La multimorbidité étant en croissance, l’exclusion est devenue la règle plutôt que l’exception. La prise en charge des multimorbidités demande un changement de paradigme vers des soins ciblés (goal-oriented care), où les objectifs du patient servent de point d’entrée (5). On ne sait pas actuellement comment intégrer des soins ciblés en P4P.

 

Au regard des connaissances actuelles, nous devons être particulièrement prudents et circonspects à propos de la mise en application de la P4Q en Belgique. Les conditions minimales (impliquer tous les intervenants, utiliser les critères pertinents basés sur les preuves, traiter tant la surutilisation que la sous-utilisation, introduire par étapes) telles que formulées par le Centre d’expertise en 2009 doivent être remplies, et les indicateurs doivent être à même de rendre compte également des soins axés sur les personnes et des soins ciblés. Les auteurs de « Together we change » préconisent d’acquérir au maximum 10% des revenus par le P4Q ; cet avis semble judicieux selon les résultats actuels (6). Comme il s’agit d’une faible proportion de revenus, cela favoriserait les effets à court terme que nous observons actuellement sur certains indicateurs de processus dans les soins ambulatoires, mais, en même temps, il faut reconnaître qu’à ce jour, aucun effet à long terme n’a été montré (7). Il vaut également mieux introduire les incitants au niveau d’un groupe plutôt que de les donner à des intervenants individuellement, ceci afin de diminuer les effets indésirables liés à une injuste sélection des patients. Un tel modèle de financement orienté sur le groupe favorisera aussi la collaboration interprofessionnelle pour une population géographique donnée.

 

Conclusion

D’après cette étude récente et les recommandations du rapport du KCE, la mise en œuvre d’un programme P4Q demande une réflexion préalable approfondie et l’introduction des conditions minimales nécessaires. Un projet pilote dans la pratique pourrait être indicatif à ce propos.

 

 

Références 

  1. Annemans L, Boeckxstaens P, Borgermans L, et al. Avantages, désavantages et faisabilité de l’introduction de programmes “P4Q” en Belgique. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2009. KCE Reports 118 B. D/2009/10.273/51.
  2. Eijkenaar F, Emmert M, Scheppach M, Schöffski O. Effects of pay-for-performance in healthcare: a systematic review of a systematic reviews. Health Policy 2013;110:115-30. DOI: 10.1016/j.healthpol.2013.01.008
  3. Ryan AM, Krinsky S, Kontopantelis E, Doran T. Long-term evidence for the effect of pay-for-performance in primary care on mortality in the UK: a population study. Lancet 2016;388:268-74. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)00276-2
  4. NHS. National Quality and Outcomes Framework Statistics for England 2004/2005. Available at: http://content.digital.nhs.uk/catalogue/PUB01946
  5. De Maeseneer J, Boeckxstaens P. James Mackenzie Lecture 2011: multimorbidity, goal-oriented care, and equity. Br J Gen Pract 2012;62:e522-4. DOI: 10.3399/bjgp12X652553
  6. De Maeseneer J, Aertgeerts B, Remmen R, Devroey D. Together we change: eerstelijnsgezondheidszorg: nu meer dan ooit! Brussel, 2014. ISBN 9789491125096.
  7. Ryan AM, Doran T. The effect of improving processes of care on patient outcomes: evidence from the United Kingdom's quality and outcomes framework. Med Care 2012;50:191-9. DOI: 10.1097/MLR.0b013e318244e6b5

 

 


Auteurs

De Maeseneer J.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, Universiteit Gent
COI :

Boeckxstaens P.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Glossaire

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