Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’utilité d’un régime pauvre en FODMAP dans le syndrome du côlon irritable ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 4 Page 92 - 95

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste

Analyse de
Eswaran SL, Chey WD, Han-Markey T, Ball S, Jackson K. A randomized controlled trial comparing the low FODMAP diet versus modified NICE guidelines in US adults with IBS-D. Am J Gastroenterol 2016;111:1824-32. DOI:10.1038/ajg.2016.434


Question clinique
Quel est l’effet d’un régime pauvre en oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentables (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols, FODMAP), versus des conseils nutritionnels plus généraux, sur les symptômes du syndrome du côlon irritable (SCI) ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée avec un petit nombre de patients présentant un syndrome du côlon irritable (SCI) sans constipation montre qu’à court terme, tant un régime pauvre en FODMAP que des conseils nutritionnels généraux diminuent les symptômes du SCI. Cette étude a permis de constater une diminution statistiquement significative avec un régime pauvre en FODMAP versus des conseils nutritionnels généraux, uniquement pour des symptômes du SCI pris en compte individuellement (critères de jugement secondaires).


Contexte

Les oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentables (FODMAP) sont des glucides à chaîne courte qui, faiblement absorbés par l’intestin, restent osmotiquement actif et fermentent sous l’action de la flore intestinale. L’augmentation de la teneur en eau et de la présence de gaz dans l’intestin provoquent une distension du tube digestif et un hyperpéristaltisme, ce qui explique probablement les douleurs abdominales et la sensation de ballonnement chez certains patients atteints de SCI (1,2). Les différentes études qui portent sur l’effet d’un régime pauvre en FODMAP ont donné des résultats contradictoires (3). Il existe aussi d’autres conseils nutritionnels plus généraux pour combattre les symptômes du SCI, comme la consommation fréquente de repas plus petits et la limitation de la consommation d’alcool, de caféine et des aliments responsables (4).

 

Résumé

Population étudiée

  • 92 patients (65 femmes), âge moyen de 43 ans (écart interquartile IQR de 19 à 75 ans), recrutés dans le service de gastro-entérologie d’un hôpital universitaire (75%) au moyen de publicités locales en ligne et imprimées (22%) et par le biais des cabinets des médecins généralistes (4%), qui remplissaient les critères de Rome III pour le SCI et avaient un score moyen de douleurs abdominales ≥ 4 sur une échelle de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur insupportable) et une consistance des selles ≥ 5 sur l'échelle BSFS (Bristol Stool Form Scale) pendant la période de sélection d’une durée de 2 semaines
  • autres critères d’inclusion : être d’accord de ne pas modifier la dose des antidépresseurs durant l’étude ; coloscopie ou sigmoïdoscopie normale avec biopsies du côlon normales au cours des 5 dernières années ; valeurs normales du bilan sanguin (formule sanguine, électrolytes et thyréostimuline (TSH)) ; sans diagnostic de maladie cœliaque
  • critères d’exclusion : SCI avec tableau mixte de constipation, comorbidité ayant une influence néfaste sur le transit intestinal et le péristaltisme (sclérodermie, diabète insuffisamment contrôlé), pathologie intestinale inflammatoire, pathologie rénale ou hépatique sévère, antécédents de chirurgie abdominale (à l’exception de l’appendicectomie et de la cholécystectomie remontant à plus de 6 mois), antécédent de traitement avec un régime pauvre en FODMAP, participation actuelle à une intervention nutritionnelle, grossesse, prise d’antibiotiques, de probiotiques ou de narcotiques.

 

Protocole de l’étude

  • étude unicentrique randomisée contrôlée menée en ouvert avec 2 bras :
    • groupe « régime pauvre en FODMAP » (n = 50) : éviter les aliments contenant des FODMAP
    • groupe « NICE modifié » (NICEm) (n = 42) : conseils pour prendre de fréquents petits repas et éviter l’alcool, la caféine et les aliments responsables ; basés sur les recommandations de NICE (4)
  • durée de l’étude : 4 semaines
  • suivi du régime à l’aide d’un journal nutritionnel de 3 jours et une anamnèse nutritionnelle portant sur les dernières 24 heures
  • suivi des symptômes gastro-intestinaux par un compte rendu journalier de la fréquence des selles, du score BSFS, de la douleur abdominale, de la sensation de ballonnement et d’urgence fécale, au téléphone (serveur vocal interactif) et sur des applications, ainsi que par la recherche hebdomadaire du soulagement suffisant des symptômes du SCI par rapport au début du régime.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence quant au nombre de participants ayant un soulagement suffisant des symptômes du SCI pendant ≥ 50% du temps au cours des 2 dernières semaines de l’étude
  • critères de jugement secondaires : critère de jugement composite de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA, pour Food and Drug Administration) (diminution ≥ 30% du score moyen des douleurs abdominales quotidiennes et diminution ≥ 1 point du score BSFS quotidien moyen par rapport au début de l’étude pendant au moins 2 semaines), éléments distincts du critère de jugement composite de la FDA, différences entre les 2 groupes en termes de modification du score de douleur abdominale, du score de sensation de ballonnement, des urgences fécales, du BSFS et de la fréquence des selles.

 

Résultats

  • patients sortis de l’étude : 5 du groupe régime pauvre en FODMAP et 2 du groupe NICEm
  • les symptômes du SCI ont été suffisamment soulagés pendant ≥ 50% du temps au cours des 2 dernières semaines de l’étude chez 52% (IC à 95% de 0,37 à 0,68) du groupe régime pauvre en FODMAP versus 41% (IC à 95% de 0,26 à 0,58) du groupe NICEm (p = 0,31)
  • pas de différence entre les 2 groupes quant au pourcentage de patients ayant atteint le critère de jugement composite d’une diminution ≥ 30% du score de douleur abdominale et d’une diminution ≥ 1 point du score BSFS (27% vs 13% ; p = 0,13) ; mais plus grand nombre de patients ayant une diminution ≥ 30% de la douleur abdominale, et ce de manière statistiquement significative (51% vs 23% avec p = 0,008) dans le groupe régime pauvre en FODMAP
  • après 4 semaines, il y avait un avantage statistiquement significatif du régime pauvre en FODMAP versus groupe NICEm pour la douleur abdominale, la sensation de ballonnement, la consistance des selles, la fréquence des selles et les urgences fécales.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude américaine concluent que 40 à 50% des patients ont obtenu un soulagement suffisant de leurs symptômes de SCI avec un régime pauvre en FODMAP ou avec un régime s’appuyant sur les recommandations du guide de pratique clinique NICE. Versus le régime NICE modifié, le régime pauvre en FODMAP a permis une amélioration significativement plus importante des symptômes individuels du SCI, surtout de la douleur abdominale et de la sensation de ballonnement.

 

Financement de l’étude

Partiellement public (Michigan Nutrition Obesity Research Center) et privé (Prometheus Therapeutics and Diagnostics).

 

Conflits dintérêts des auteurs

Un auteur a été consultant pour l’entreprise Nestlé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Comme pour la plupart des études portant sur des interventions nutritionnelles, l’insu n’a pas été possible pour les diététiciens et les patients dans cette étude randomisée contrôlée. La randomisation a été effectuée par ordinateur, mais on ne sait pas avec certitude si les patients ont été affectés aux groupes d’étude de manière aveugle. Après la randomisation, les caractéristiques relatives à l’alimentation et aux symptômes gastro-intestinaux étaient réparties de manière égale entre le groupe régime pauvre en FODMAP et le groupe NICEm. Mais il y avait une différence statistiquement significative quant à l’indice de masse corporelle (IMC) entre les 2 groupes (moyenne de 27,2 kg/m2 dans le groupe régime pauvre en FODMAP vs 31,7 kg/m2 dans le groupe NICEm). Les investigateurs n’en n’ont pas tenu compte lors de l’analyse des résultats.

Dans le SCI, il n’est pas possible d’utiliser des paramètres objectifs (comme des biomarqueurs) pour suivre l’effet d’un traitement. Le patient signale lui-même des symptômes subjectifs, comme la sensation de ballonnement, les douleurs abdominales et les problèmes de selles, et cela peut fausser les résultats. L’insu de la randomisation a été respecté pour les investigateurs qui ont effectué l’analyse des données.

Les auteurs ont calculé que chacun des 2 bras de l’étude devait inclure 50 participants pour détecter, avec une puissance de 80%, une différence quant au soulagement suffisant des symptômes du SCI pendant ≥ 50% du temps au cours des 2 dernières semaines. La taille d’échantillon prédéfinie n’a pas été atteinte (total de 92 personnes randomisées, dont 45 dans le groupe régime faible en FODMAP et 39 dans le groupe NICEm). Le fait de ne pas avoir obtenu l’amélioration présupposée dans les 2 groupes (70% avec un régime pauvre en FODMAP et 40% avec un régime selon le NICE modifié) pourrait être responsable d’une erreur de type II dans cette étude.

 

Interprétation des résultats

On a observé une amélioration de 40 à 50% des symptômes du SCI tant avec un régime selon le NICE modifié qu’avec un régime pauvre en FODMAP. Une récente étude de 2015, de conception semblable, a obtenu des chiffres similaires (5). Dans la présente étude, on a également pu constater une amélioration de 13 à 27% des douleurs abdominales et de la consistance des selles. Cependant, pour aucun des 2 critères de jugement cliniquement pertinents, il n’a été possible de montrer une différence statistiquement significative entre les 2 groupes. Comme décrit plus haut, on ne peut exclure une erreur de type II. Au terme des 4 semaines de l’étude, on a toutefois observé une amélioration plus importante, et ce de manière statistiquement significative, des douleurs abdominales, de la sensation de ballonnement, de la consistance des selles, de la fréquence des selles et des urgences fécales avec un régime pauvre en FODMAP versus un régime NICEm. Mais il s’agit ici de critères de jugement secondaires. La question est de savoir si, pour la douleur abdominale, la diminution d’un point sur une échelle de 0 à 10 après seulement 4 semaines est cliniquement pertinente.

La consommation calorique durant l’étude a diminué de 329 kcal dans le groupe régime pauvre en FODMAP et de 171 kcal dans le groupe régime NICEm. L’écart-type important dans la consommation calorique (661 kcal pour une moyenne de 2020 kcal dans le groupe régime pauvre en FODMAP) permet d’ailleurs de supposer un manque de données rapportées par les patients. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas exclure que la diminution plus importante des symptômes gastro-intestinaux dans le groupe régime pauvre en FODMAP puisse être attribuée en partie ou totalement à une diminution importante de la consommation calorique. Il est paradoxal de voir que, dans le groupe régime NICEm, le nombre de repas par jour a diminué et que la consommation d’alcool a augmenté alors qu’il avait été conseillé de prendre de fréquents petits repas et d’éviter l’alcool.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée avec un petit nombre de patients présentant un syndrome du côlon irritable (SCI) sans constipation montre qu’à court terme, tant un régime pauvre en FODMAP que des conseils nutritionnels généraux diminuent les symptômes du SCI. Cette étude a permis de constater une diminution statistiquement significative avec un régime pauvre en FODMAP versus des conseils nutritionnels généraux, uniquement pour des symptômes du SCI pris en compte individuellement (critères de jugement secondaires).

 

Pour la pratique

Les recommandations Duodecim sur le syndrome du côlon irritable (SCI) proposent aux patients qui souffrent de douleurs abdominales et qui ont une sensation de ballonnement de suivre pendant 4 à 6 semaines un régime d’essai d’éviction des glucides FODMAP (comme les céréales, les pommes et les poires, les légumineuses, les édulcorants, et cetera). Dans le cas du SCI avec prédominance de constipation, des fibres solubles ou du psyllium sont recommandés (6,7). Tout comme le Guide de Pratique Clinique NICE (4), les recommandations de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) (8) pour le SCI, mettent l’accent sur une alimentation saine à l’exclusion du conseil de consommer des fibres (au moins 30 à 40 gr par jour). Les patients peuvent aussi individuellement adapter leur schéma alimentaire s’ils font clairement un lien avec les symptômes du SCI. Il ressort de l’étude analysée que les conseils nutritionnels généraux, comme ceux de NICE et de la NHG, ont autant d’effets qu’un régime pauvre en FODMAP. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la relative complexité du régime pauvre en FODMAP. Le régime débute le plus souvent avec un régime d’éviction strict pendant 6 semaines, pour ensuite réintroduire progressivement des glucides en fonction des symptômes. Dans la pratique, il est évidemment beaucoup plus simple de commencer avec des recommandations simples (petits repas fréquents, pas d’alcool, pas de caféine et rechercher les aliments responsables des symptômes).

 

 

Références 

  1. Barrett JS, Gearry RB, Muir JG, et al. Dietary poorly absorbed, short-chain carbohydrates increase delivery of water and fermentable substrates to the proximal colon. Aliment Pharmacol Ther 2010;31:874-82. DOI: 10.1111/j.1365-2036.2010.04237.x
  2. Ong DK, Mitchell SB, Barrett JS, et al. Manipulation of dietary short chain carbohydrates alters the pattern of gas production and genesis of symptoms in irritable bowel syndrome. J Gastroenterol Hepatol 2010;25:1366-73. DOI: 10.1111/j.1440-1746.2010.06370.x
  3. McKenzie YA, Bowyer RK, Leach H, et al; (IBS Dietetic Guideline Review Group on behalf of Gastroenterology Specialist Group of the British Dietetic Association). British Dietetic Association systematic review and evidence-based practice guidelines for the dietary management of irritable bowel syndrome in adults (2016 update). J Hum Nutr Diet 2016;29:549-75.
  4. National Institute for Health and Care Excellence. Managing irritable bowel syndrome. NICE Pathways 2017.
  5. Bohn L, Storsrud S, Liljebo T, et al. Diet low in FODMAPs reduces symptoms of irritable bowel syndrome as well as traditional dietary advice: a randomized controlled trial. Gastroenterology 2015;149:1399-407.e2. DOI: 10.1053/j.gastro.2015.07.054
  6. Troubles fonctionnels intestinaux et le syndrome du côlon irritable (SCI). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 17/09/2014. Dernière revue contextuelle: 01/02/2015.
  7. De Jonghe M. Psyllium ou son de blé pour le côlon irritable ? MinervaF 2010;9(7):84-5.
  8. Van der Horst HE, De Wit NJ, Quartero AO, et al. NHG-Standaard Prikkelbaredarmsyndroom (PDS) (Eerste herziening). Huisarts Wet 2012;55:204-9.

 

 


Auteurs

Mullie P.
Centre for Evidence-Based Medicine, Leuven; Military Performance Amplification Research Centre, DG H&W, Belgian Defence, Evere
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