Revue d'Evidence-Based Medicine



Antibiothérapie prolongée pour des symptômes persistants d’une maladie de Lyme ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 5 Page 111 - 114

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Berende A, ter Hofstede HJ, Vos FJ, et al. Randomized trial of longer-term therapy for symptoms attributed to Lyme disease. N Engl J Med 2016;374:1209-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1505425


Question clinique
Chez des adultes présentant des symptômes persistants attribués à une maladie de Lyme, quelle est l’efficacité relative d’un traitement oral de 12 semaines (après 2 semaines de ceftriaxone IV pour tous les sujets) par doxycycline ou par clarithromycine + hydroxychloroquine versus placebo en termes de qualité de vie ?


Conclusion
Cette RCT de méthodologie correcte montre l’absence d’intérêt d’une antibiothérapie prolongée en termes de qualité de vie chez des sujets adultes présentant à long terme (médiane de 2 à 3 ans) des symptômes attribués à une maladie de Lyme initialement traitée par antibiotique.


Contexte

La maladie de Lyme est une borréliose causée, en Europe, par différents types de Borrelia transmis à l’homme par des tiques. Ses manifestations typiques sont cutanées (érythème migrant au stade précoce de l’infection), neurologiques ou cardiaques, articulaires (arthrite pauci-articulaire) à un stade plus tardif voire à long terme (1). Les termes de maladie de Lyme chronique ou de syndrome post Lyme sont utilisés par certains experts dans le domaine pour décrire des patients présentant des symptômes persistants attribués à une maladie de Lyme : douleurs musculosquelettiques, symptômes neurocognitifs, fatigue, association de ces symptômes (1). Si une antibiothérapie adaptée s’est montrée efficace au stade précoce de l’infection, l’intérêt d’une antibiothérapie prolongée pour faire disparaitre des symptômes persistants reste controversé (2).

 

Résumé

Population étudiée

  • 281 patients adultes (âge moyen de 48 à 50 ans, 40 à 47% de femmes selon le groupe) suivis dans 2 centres aux Pays-Bas
  • présentant : des douleurs musculosquelettiques, une arthrite, une arthralgie, une névralgie, des troubles sensitifs (tels que paresthésies ou dysesthésies), des troubles neuropsychologiques, des troubles cognitifs, avec ou sans fatigue persistante, soit
    • en lien temporel avec un épisode d’érythème migrant ou autre symptôme/signe prouvé de borréliose dans les 4 mois précédents
    • soit accompagné(s) d’un test IgG ou IgM positif pour le Borrelia burgdorferi
  • les patients inclus présentent une durée médiane des symptômes de 2,1 à 2,7 ans et ont reçu un traitement antibiotique précédent d’une durée médiane de 30 à 40 jours
  • critères d’exclusion : e.a. antibiothérapie active pendant plus de 5 jours dans les 4 semaines précédentes, neuroborréliose, VIH ou autre trouble immunologique, syphilis, hépatopathie modérée ou sévère, traitement concomitant par cisapride, astémizole, terfénadine, barbiturique, phénytoïne, carbamazépine, comorbidité physique ou psychiatrique sévère ou pouvant être (partiellement) responsable des symptômes, allergie aux tétracyclines, macrolides, à l’hydroxychloroquine ou au ceftriaxone.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée, en double aveugle, avec minimisation est une alternative acceptable à l'attribution par tirage au sort.">minimisation des différences entre groupes pour l’âge (< ou ³ 40 ans), le sexe, la durée des symptômes (< 1 an ou ≥ 1 an), le score RAND SF-36 initial
  • intervention : traitement initial de tous les patients par de la ceftriaxone (2000 mg/j) en IV pendant 14 jours, administrée par les chercheurs les 2 premiers jours, par une infirmière spécialisée au domicile ensuite) ; ensuite, traitement oral durant 12 semaines soit par doxycycline (2 x 100 mg/j + 2 x 1 gélule de placebo) (n = 86), soit par clarithromycine (2 x 500 mg/j) + hydroxychloroquine (2 x 200 mg/j) (n = 96), soit par placebo (2 x 2 gélules par jour de 2 placebo différents) (n = 98)
  • analyse en intention de traiter modifiée : tous les patients randomisés (n = 281) ayant reçu au moins une dose des traitements évalués (n = 280).

Mesure des résultats

  • via un questionnaire complété par le patient à 14, 26, 40 et 52 semaines
  • critère de jugement primaire : évolution du score sommé pour les aspects physiques du RAND SF-36 évaluant la qualité de vie liée à la santé (fonctionnement physique, limites d’activités dues à des problèmes de santé, douleur, perception générale de sa santé)
  • critères de jugement secondaires : différentes composantes (physiques et mentales) du RAND SF-36 complet, sévérité de la fatigue (Checklist Individual Strength).

Résultats

  • adhérence au traitement (prise d’au moins 75% des médicaments) similaire pour les 3 bras (de 81,3 à 87,2%)
  • critère de jugement primaire : pas de différence significative entre les 3 bras
  • critères de jugement secondaires :
    • composantes du RAND SF-36 : amélioration cliniquement pertinente pour les 3 bras pour les aspects physiques, avec stabilisation de ce bénéfice à 26, 40 et 52 semaines
    • fatigue : pas de différence
  • sécurité : pas de différence significative entre les 3 bras d’étude :
    • photosensibilité et nausées plus fréquentes dans le groupe doxycycline
    • nausées, diarrhée et rash dans le groupe clarithromycine-hydroxychloroquine.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, pour des patients présentant des symptômes persistants attribués à une maladie de Lyme, un traitement antibiotique prolongé versus traitement plus court ne montre pas d’effet bénéfique additionnel en termes de qualité de vie.

Financement de l’étude

Netherlands Organization for Health Research and Development Zon Mw.

Conflits d’intérêts des auteurs

Parmi les 10 auteurs listés, un seul déclare avoir reçu un financement du sponsor pour cette publication ; pas d’autres conflits d’intérêts déclarés.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est basée sur un dessin correct avec respect des critères classiques pour une randomisation aléatoire : au hasard les sujets d’un échantillon. Dans une étude randomisée contrôlée (RCT), les sujets doivent être attribués au hasard dans les différents bras de traitement, par exemple un nouveau traitement médicamenteux versus son placebo. La séquence de randomisation est la suite ordonnée prévue dans le dessin d’étude pour attribuer les sujets inclus dans une étude dans un des bras d’étude. Pour être méthodologiquement valide, une étude doit avoir une séquence d’attribution non prévisible pour les chercheurs.">séquence d’attribution correcte, avec minimisation pour des critères importants (voir résumé de l’étude), étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret d’attribution respecté, un double aveugle apparemment bien respecté également (e.a. aspect similaire des médicaments reçus).

Les auteurs avaient réalisé une étude pilote pour confirmer la différence minimale cliniquement pertinente au score SF-36 aspects physiques (2 à 5 points) et calculer ainsi leur puissance d’étude. La richesse comme la faiblesse du critère de jugement primaire sont liées au fait qu’il s’agit d’un questionnaire complété par le patient. Il aurait été intéressant de connaitre l’identification ou non par les patients du traitement réellement reçu (renseignement non mentionné) pour savoir si cette connaissance a pu modifier leur appréciation de l’effet ressenti.

Les auteurs ont réalisé différentes analyses de sensibilité qui ont montré des résultats similaires, entre autres pour différentes techniques d’imputation des résultats manquants et en analyse par protocole (exclusion des patients ayant pris moins de 75% des médicaments évalués (contrôle via microprocesseurs dans le flacon) ou ayant eu recours à des médicaments non autorisés).

Notons cependant une répartition non équilibrée entre les bras d’études (86 versus 96 et 98) non discutée par les auteurs de cette étude.

Interprétation des résultats

La principale difficulté dans l’interprétation des résultats de cette étude est l’individualisation d’un tableau de maladie/syndrome chronique de Lyme (ou dit post Lyme). Si les auteurs ont correctement tenté d’être le plus précis possible dans leurs critères d’inclusion, ceux-ci ont fait l’objet de critiques/questions (3). Les auteurs reconnaissent (3) que 9% des patients ont été inclus sur le seul critère de symptômes liés à la présence d’un test IgM positif et qu’un tel test peut être faussement positif chez moins de 10% de sujets sains (4).

Mise en perspective des résultats

Cette étude ne montre aucun intérêt à poursuivre une antibiothérapie orale après une antibiothérapie initiale de 15 jours par ceftriaxone IV en cas de symptômes persistants liés à une maladie de Lyme, en termes de qualité de vie. Elle ne peut également pas montrer, de par son dessin, de bénéfice d’un intérêt d’un traitement de 2 semaines de ceftriaxone IV, bénéfice pouvant être lié à un effet placebo (3). Plusieurs études ont évalué l’efficacité d’une antibiothérapie plus au moins prolongée en cas de maladie de Lyme chronique, en termes d’amélioration des symptômes. Elles ont montré une absence de bénéfice ou un bénéfice faible. Deux RCTs (78 et 51 patients) conduites par le même groupe d’auteurs (5) n’ont pas montré d’intérêt pour un traitement par ceftriaxone 2 g/j en IV pendant 30 jours, puis doxycycline orale 200 mg/j pendant 60 jours. Une RCT incluant 55 patients (6) a montré l’intérêt d’un traitement de 28 jours de ceftriaxone en IV sur un critère fatigue persistante, sans bénéfice pour les troubles cognitifs. Une RCT incluant 37 sujets présentant des troubles de mémoire liés à une maladie de Lyme (et 20 patients témoins) (7) a montré une amélioration temporaire pendant un traitement de ceftriaxone IV de 10 semaines, mais avec une perte du bénéfice ensuite. Une RCT incluant 84 adultes (8) a montré un bénéfice significatif de l’administration de 3 g d’amoxicilline orale par jour pendant 3 mois sur le score SF-36.

Une synthèse biostatistique des précédentes RCTs évaluant les (re)traitements antibiotiques en cas de maladie de Lyme chronique (2) insistait sur le manque de puissance des RCTs réalisées, tout en qualifiant les effets de la ceftriaxone d’encourageants mais à confirmer.  

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de méthodologie correcte montre l’absence d’intérêt d’une antibiothérapie prolongée en termes de qualité de vie chez des sujets adultes présentant à long terme (médiane de 2 à 3 ans) des symptômes attribués à une maladie de Lyme initialement traitée par antibiotique.

 

Pour la pratique

Un GPC basé sur une méthodologie factuelle correcte (9) concluait en 2006 à l’absence d’une définition bien acceptée d’un syndrome post maladie de Lyme, à l’absence de preuve biologique convaincante d’une infection symptomatique chronique à B. burgdorferi chez des patients ayant reçu un traitement recommandé pour une maladie de Lyme, et à l’absence de preuve de l’intérêt d’une antibiothérapie en cas de symptômes chroniques (≥ 6 mois).

La RCT ici analysée n’apporte pas de preuve de l’intérêt d’une antibiothérapie prolongée dans cette situation.

 

 

Références 

  1. Feder HM Jr, Johnson BJ, O'Connell S, et al; Ad Hoc International Lyme Disease Group. A critical appraisal of "chronic Lyme disease". N Engl J Med 2007;357:1422-30. DOI: 10.1056/NEJMra072023
  2. Delong AK, Blossom B, Maloney EL, Phillips SE. Antibiotic retreatment of Lyme disease in patients with persistent symptoms: a biostatistical review of randomized, placebo-controlled, clinical trials. Contemp Clin Trials 2012;33:1132-42. DOI: 10.1016/j.cct.2012.08.009
  3. Kullberg BJ, Berende A, Evers AW. Longer-term therapy for symptoms attributed to Lyme disease. N Engl J Med 2016;375:997-8. DOI: 10.1056/NEJMc1608044
  4. Ang CW, Brandenburg AH, van Burgel ND, et al. A Dutch nationwide evaluation of serological assays for detection of Borrelia antibodies in clinically well-defined patients. Diagn Microbiol Infect Dis 2015;83:222-8. DOI: 10.1016/j.diagmicrobio.2015.07.007
  5. Klempner MS, Hu LT, Evans J, et al. Two controlled trials of antibiotic treatment in patients with persistent symptoms and a history of Lyme disease. N Engl J Med 2001;345:85-92. DOI: 10.1056/NEJM200107123450202
  6. Krupp LB, Hyman LG, Grimson R, et al. Study and treatment of post Lyme disease (STOP-LD): a randomized double masked clinical trial. Neurology 2003;60:1923-30. DOI: 10.1212/01.WNL.0000071227.23769.9E
  7. Fallon BA, Keilp JG, Corbera KM, et al. A randomized, placebo-controlled trial of repeated IV antibiotic therapy for Lyme encephalopathy. Neurology 2008;70:992-1003. DOI: 10.1212/01.WNL.0000284604.61160.2d
  8. Cameron D. Severity of Lyme disease with persistent symptoms. Insights from a double-blind placebo-controlled clinical trial. Minerva Med 2008;99:489-96.
  9. Wormser GP, Dattwyler RJ, Shapiro ED, et al. The clinical assessment, treatment, and prevention of Lyme disease, human granulocytic anaplasmosis, and babesiosis: Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America. Clin Infect Dis 2006;43:1089-134. DOI: 10.1086/508667

 




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