Revue d'Evidence-Based Medicine



Suppléments de fer en cas d’anémie sur insuffisance rénale : par voie orale ou intraveineuse ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 5 Page 123 - 127

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Shepshelovich D, Rozen-Zvi B, Avni T, et al. Intravenous versus oral iron supplementation for the treatment of anemia in CKD : an updated systematic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis 2016;68:677-90. DOI: 10.1053/j.ajkd.2016.04.018


Question clinique
Pour des patients en insuffisance rénale chronique de grade 3 ou 5 présentant une anémie, quelle est la voie (orale ou intraveineuse) à préférer pour l’administration de fer, en termes d’efficacité (augmentation de l’hémoglobine) et de sécurité ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses, incluant des études avec des résultats hétérogènes et majoritairement de courte durée, conclut à une plus grande efficacité de l’administration de fer en IV versus oral chez des patients insuffisants rénaux en dialyse et chez ceux qui présentent une IRC de stade 3 à 5 en termes d’augmentation du taux d’hémoglobine (taux moyen et pourcentage de patients obtenant une augmentation d’Hb > 1 g/dl). La pertinence clinique de ces différences n’est pas certifiée d’autant plus qu’aucune différence n’est observée en termes de mortalité, de modifications de l’administration d’érythropoïétine ou de transfusions, ni de qualité de vie.


Contexte

Une anémie est une complication fréquente d’une insuffisance rénale chronique (IRC) et est associée à une morbi-mortalité accrue (1). Une des causes de cette anémie est une homéostasie déficitaire pour le fer. L’administration de fer (fer oral ou intraveineux) est donc recommandée. Une administration intraveineuse pourrait comporter un risque d’anaphylaxie, d’infection bactérienne voire de favoriser une athérosclérose (2). Une administration par voie orale pourrait être moins risquée et/ou avec des risques différents. L’efficacité des deux voies d’administration est-elle pareillement efficace ? Qu’en est-il pour les patients en insuffisance rénale chronique et plus précisément en fonction du stade d’insuffisance rénale, d’une dialyse en cours ou non, en termes de bénéfices/risques ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • bases de données : PubMed (de 1966 à octobre 2015), Cochrane Central Register of Controlled Trials (octobre 2015), actes de conférence de l’American Society of Nephrology et de l’European Renal Association - European Dialysis and Transplant (de 2001 à 2015)
  • consultation des listes de référence des études incluses.

Etudes sélectionnées

  • études RCT comparant une administration orale de fer versus administration IV pour différentes préparations de fer en cas d’insuffisance rénale chronique (GFR < 60 ml/min/1,73m²)
  • études publiées ou non, en toute langue
  • 24 études incluses
  • suivi limité à 3 mois dans la plupart des études.

Populations étudiées

  • études incluant des patients en insuffisance rénale chronique avec débit de filtration glomérulaire < 60 ml/min/1,73 m² (stades d’IRC de 3 à 5) et patients en hémodialyse ou dialyse péritonéale (stade d’IRC 5D)
  • 13 études incluant un total de 2369 patients avec une IRC de stade 3 à 5
  • 11 études incluant un total de 818 patients avec une IRC de stade 5D ; rares données pour une dialyse péritonéale (12 patients au total)
  • Hb moyenne initiale de 5,8 (ET ± 0,6) à 11,9 (± 0,7) g/dl ; ferritine initiale de 57,3 (± 48,6) à 345 (± 273) ng/ml ; saturation de la transferrine initiale de 15,4% (± 5,5 %) à 63,6% (± 11,1%)
  • fer IV utilisé : sucrose dans 9 études, gluconate dans 5 études, dextran dans 4 études ferumoxytol dans 2 études, carboxymaltose dans 2 études, isomaltoside et cideferron dans 1 étude chacun ; dose médiane totale de 1000 mg (administrée par étapes sur une période de 1 à 116 semaines).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : pourcentage de patients présentant une élévation d’au moins 1 g/dl de l’Hb après l’administration de fer
  • critères de jugement secondaires : concentration absolue en Hb, modification de la concentration en Hb, pourcentage de patients atteignant une Hb > 11 g/dl, les cibles en Hb de KDOQI (Kidney Disease Outcomes Quality Initiative), saturation de la transferrine et ferritine en fin de suivi, pourcentage de patients nécessitant une augmentation de la dose d’érythropoïétine ou des transfusions sanguines, qualité de vie
  • sécurité : mortalité de toute cause, effets indésirables, évènements cardiovasculaires, gastro-intestinaux, hypotension, infections, hospitalisation, initiation d’une dialyse.

Résultats

  • critère de jugement primaire : pourcentage de patients présentant une élévation d’au moins 1 g/dl de l’Hb :
    • en cas d’IRC de stade 3 - 5 (n = 1404) : % plus important après fer IV : RR à 1,61 (avec IC à 95% de 1,39 à 1,87) avec des résultats similaires pour les différentes formes de fer IV (meilleurs pour le ferrumoxytol) ; NNT de 6 (avec IC à 95% de 4 à 8)
    • en cas d’IRC de stade 5D (n = 300) : % plus important après fer IV : RR à 2,14 (avec IC à 95% de 1,68 à 2,72) ; NNT de 3 (avec IC à 95% de 2 à 4)
  • critères de jugement secondaires 
    • en cas d’IRC de 3 à 5 : différence moyenne d’Hb de 0,40 (avec IC à 95% de 0,23 à 0,56) g/dl en fin d’étude avec une différence versus valeur initiale de 0,36 (avec IC à 95% de 0,20 à 0,51) dans le groupe fer IV; absence de différence significative pour le nombre de patients atteignant une Hb > 11 g/dl ; absence de différence pour le nombre de patients avec nécessité d’augmenter la dose d’érythropoïétine ou les transfusions ; absence de différence de bénéfice en termes de qualité de vie dans 4 études, pour une avec amélioration en cas d’administration IV de fer
    • en cas d’IRC de stade 5D : différence moyenne d’Hb de 0,98 (avec IC à 95% de 0,22 à 1,74) g/dl en fin d’étude mais avec une différence versus valeur initiale non significative dans le groupe fer IV ; modification de l’Hb versus valeur initiale en moyenne de 0,33 g/dl (avec IC à 95% de -0,11 à 0,76) ; absence de différence significative pour le nombre de patients atteignant une Hb > 11 g/dl ; absence de différence pour le nombre de patients avec nécessité d’augmenter la dose d’érythropoïétine ou les transfusions 
  • critères de sécurité :
    • fréquences similaires de décès, d’effets indésirables totaux ou sévères, d’infections
    • davantage d’hypotensions après une administration IV : RR de 3,71 (avec IC à 95% de 1,74 à 7,94)
    • moins d’effets indésirables gastro-intestinaux après une administration IV : RR de 0,43 (avec IC à 95% de 0,28 à 0,67).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leurs résultats concordent avec les recommandations actuelles d’une administration de suppléments de fer en IV pour les patients présentant une IRC de stade 5D et étayent un usage plus important de l’administration IV de fer en cas d’IRC de stade 3 à 5.

Financement de l’étude 

Aucun.

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit financier pertinent.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses repose sur une méthodologie correcte. La recherche a été effectuée dans plusieurs bases de données. Deux auteurs ont, indépendamment l’un de l’autre, déterminé l’inclusion des études en fonction de critères préétablis, évalué leur qualité méthodologique selon le Cochrane Handbook (recherche des risques de biais classiques : respect du secret d’attribution, génération de la séquence d’attribution, aveugle, mention incomplète des résultats, mention sélective des résultats) et extrait les données. Toutes les études sont cependant non en insu. Une analyse en fonction des risques de biais observés par les auteurs de cette synthèse ne montre pas de modification des différences observées pour le critère primaire. Les auteurs soulignent aussi l’hétérogénéité des résultats entre les différentes études. Celle-ci apparaît surtout pour les taux de ferritine obtenus dans les études en cas d’IRC de grade de 3 à 5 ( de 97%).

Interprétation des résultats

Comme souligné dans les caractéristiques des patients inclus, le degré d’anémie initiale est fort variable selon les études, par exemple Hb moyenne initiale de 5,8 à 11,9 g/dl ; la population des différentes études est donc hétérogène.

Cette synthèse avec méta-analyses permet des conclusions essentiellement pour des critère de jugement intermédiaire ou de substitution. Les critères de jugement intermédiaires sont des paramètres secondaires souvent liés uniquement indirectement au critère de jugement fort. Dans une recherche relative à l’efficacité d’une thérapie, la mesure des lipides dans le sérum par exemple, peut être considérée comme un critère de jugement intermédiaire alors qu’un décès dû à une maladie cardiovasculaire est un critère de jugement fort. Quand aucune relation directe n’est montrée entre un critère de jugement intermédiaire et un critère de jugement fort pertinent, la validité d’une étude se basant uniquement sur des critères intermédiaires est très limitée.">critères intermédiaires. Pour les patients en IRC de stade 3 à 5, comme les sujets présentant une IRC de stade 5D, un pourcentage plus élevé de patients atteint une concentration d’Hb > 1 g/l après une administration de fer IV plutôt qu’oral. Constater qu’il ne faut traiter par fer IV plutôt qu’oral que 6 patients en IRC 3 à 5 ou 3 en IRC 5D pour qu’un en plus atteigne une hausse de son Hb > 1 g/l est peut-être réjouissant… mais ne répond pas à la question de la pertinence clinique de cette modification ni des autres résultats observés.

Il n’y a, en effet, pas de bénéfice montré à administrer le fer en IV versus oral en termes de nombre de patients atteignant une Hb > 11 g/dl ni pour le nombre de patients avec nécessité d’augmenter la dose d’érythropoïétine ou les transfusions. 

Une fréquence similaire de décès est observée, avec donc absence de preuve d’un bénéfice de l’administration intraveineuse de fer pour ce critère décès. Il en va de même pour les effets indésirables totaux ou sévères dans cette synthèse. Le nombre d’hospitalisations, le nombre d’évènements cardiovasculaires ne sont rapportés que dans une seule étude pour chacune de ces variables, ce qui ne permet aucune conclusion. Le suivi (en majorité de 3 mois, 2 études à 52 mois et une à 56 mois) est bien trop court pour permettre une évaluation correcte de critères de jugement cliniques forts.

Mise en perspective des résultats

Les résultats observés pour l’administration de fer en cas d’anémie sur insuffisance rénale chronique rejoignent ceux observés en dehors d’une insuffisance rénale. Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2014 (3) soulignait la très faible qualité des preuves de l’intérêt de l’administration de suppléments de fer en cas d’anémie ferriprive (sans insuffisance rénale) pour le critère nécessité de transfusions (proportion moindre de patients nécessitant une transfusion) et l’absence de preuve d’un bénéfice en termes de mortalité. De meilleures preuves devraient être fournies par d’autres études.

Effets indésirables

Différentes publications récentes ont évalué de manière comparative les effets indésirables des différentes formes de suppléments de fer.

Une première méta-analyse (4) qui inclut 103 études publiées entre 1965 et 2013, montre une tendance à davantage d’effets indésirables sévères sous fer IV versus comparateur (fer oral, absence de fer, placebo, fer intramusculaire) : RR à 1,04 (avec IC à 95% de 0,93 à 1,17; I² à 9%). Des réactions sévères lors de l’administration (perfusion) sont plus fréquentes avec le fer IV : RR à 2,47 (avec IC à 95% de 1,43 à 4,28; I² à 0%). Le risque d’infection n’est pas augmenté et le risque d’effets gastro-intestinaux indésirables est diminué lors d’une administration IV versus comparateur.

Une deuxième synthèse méthodique avec méta-analyse publiée en 2015 (5) confirme une survenue plus fréquente d’effets gastro-intestinaux avec le sulfate ferreux oral versus placebo : OR de 2,32 (avec IC à 95% de 1,74 à 3,08 ; p < 0,0001 ; I² à 53,6%) et versus fer IV : OR de 3,05 (avec IC à 95% de 2,07 à 4,48 ; p < 0,0001 ; I² à 41,6%).

Une étude rétrospective de 2015 (6) des données de  688183 patients étatsuniens ayant reçu une administration IV de fer a montré un risque de réaction anaphylactique plus fréquent pour la forme dextran (68 personnes sur 100000, avec IC à 95% de 57,8 à 78,7) que sous autre présentation de fer IV (24 pour 100000 avec IC à 95% de 20,0 à 29,5), soit un OR ajusté de 2,6 (avec IC à 95% de 2,0 à 3,3 ; p < 0,001).

En 2016, une conférence internationale de néphrologues (2), a souligné l’impossibilité actuelle de conclure de manière robuste quant aux risques potentiels de hautes doses de fer IV et de taux élevés de ferritine pour ce qui est des décès, évènements cardiovasculaires, infections. Une étude (7) est en cours à ce sujet.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses, incluant des études avec des résultats hétérogènes et majoritairement de courte durée, conclut à une plus grande efficacité de l’administration de fer en IV versus oral chez des patients insuffisants rénaux en dialyse et chez ceux qui présentent une IRC de stade 3 à 5 en termes d’augmentation du taux d’hémoglobine (taux moyen et pourcentage de patients obtenant une augmentation d’Hb > 1 g/dl). La pertinence clinique de ces différences n’est pas certifiée d’autant plus qu’aucune différence n’est observée en termes de mortalité, de modifications de l’administration d’érythropoïétine ou de transfusions, ni de qualité de vie.

 

Pour la pratique

Le NHG-Standaard recommande l’administration de fer par voie orale en cas d’anémie liée à un déficit en fer. Une administration par voie parentérale peut-être nécessaire en cas de problème de déglutition, de mauvaise observance thérapeutique, d’inefficacité du traitement oral ou de non tolérance de petites doses orales (8). Le National Guideline Clearinghouse (NGC) appuie ces recommandations chez le patient insuffisant rénal chronique présentant un déficit en Hb, tout en insistant sur un choix éclairé du patient. Une discussion doit également être entamée quant à la pertinence ou non d’un traitement par érythropoïétine (9), débat non abordé dans cette analyse de Minerva.

La synthèse analysée ici ne concerne que des patients anémiques en insuffisance rénale chronique et n’apporte pas de preuves suffisantes pour une administration de fer systématiquement en IV en première ligne de traitement (avant un essai oral) chez de tels patients.

 

Références 

  1. Hsu CY, McCulloch CE, Curhan GC. Epidemiology of anemia associated with chronic renal insufficiency among adults in the United States: results from the Third National Health and Nutrition Examination Survey. J Am Soc Nephrol 2002;13:504-10.
  2. Macdougall IC, Bircher AJ, Eckart KU, et al. Iron management in chronic kidney disease: conclusions from a “Kidney Disease: Improving Global Outcomes” (KDIGO) Controversies Conference. Kidney Int 2016;89:28-39. DOI: 10.1016/j.kint.2015.10.002
  3. Gurusamy KS, Nagendran M, Broadhurst JF, et al. Iron therapy in anaemic adults without chronic kidney disease. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD010640.pub2
  4. Avni T, Bieber A, Grossman A, et al. The safety of intravenous iron preparations: systematic review and meta-analysis. Mayo Clin Proc 2015;90:12-23. DOI: 10.1016/j.mayocp.2014.10.007
  5. Tolkien Z, Stecher L, Mander AP, et al. Ferrous sulfate supplementation causes significant gastrointestinal side-effects in adults: a systematic review and meta-analysis. PLoS One 2015;10:e0117383. DOI: 10.1371/journal.pone.0117383
  6. Wang C, Graham DJ, Kane RC, et al. Comparative risk of anaphylactic reactions associated with intravenous iron products. JAMA 2015;314:2062-8. DOI: 10.1001/jama.2015.15572
  7. Macdougall I. Proactive IV iron therapy for haemodialysis patients (PIVOTAL), UK – MHRA, Ongoing since 2013-07-17. URL: https://www.clinicaltrialsregister.eu/ctr-search/trial/2013-002267-25/GB
  8. Van Wijk MA, Mel M, Muller PA, et al. NHG-Standaard anemie (Eerste herziening). Huisarts Wet 2014;57:528-36.
  9. National Clinical Guideline Centre. Anaemia management in people with chronic kidney disease. National Institute for Health and Care Excellence, Partial update 2015. NICE Guideline, No. 8.



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