Revue d'Evidence-Based Medicine



Apport réel de la triple association (béclométasone (CSI) - formotérol (LABA) - glycopyrronium (LAMA)) pour les patients BPCO sévère ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 5 Page 128 - 132

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Singh D, Papi A, Corradi M, et al. Single inhaler triple therapy versus inhaled corticosteroid plus long-acting β2-agonist therapy for chronic obstructive pulmonary disease (TRILOGY): a double-blind, parallel group, randomised controlled trial. Lancet 2016;388:963-73. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)31354-X


Question clinique
La triple association (béclométasone (CSI) - formotérol (LABA) - glycopyrronium (LAMA)) en un seul inhalateur, est-elle un traitement efficace et sûr, versus la double association béclométasone-formotérol, chez les patients atteints de BPCO sévère et à risque d’exacerbations ?


Conclusion
Cette étude sous contrôle de la firme à toutes les étapes de sa réalisation évalue l’escalade thérapeutique à partir de la double association LABA-CSI. Ceci ne répond pas de manière factuelle à la recommandation de première intention du guide de pratique clinique GOLD 2017 qui recommande plutôt l’association LABA-LAMA et l’ajout si nécessaire d’un CSI pour les patients BPCO du groupe D. A nouveau, les résultats sont exprimés en termes de taux d’exacerbations sans calculs statistiques sur la différence des proportions de patients avec au moins une exacerbation (calcul effectué par nous) et sans rapporter clairement le ou les sous-groupe(s) de patients où le traitement est efficace. Ceci pousse à tort les cliniciens à généraliser la prescription à tous les patients BPCO semblables à ceux inclus dans l’essai clinique. Des études supplémentaires sont attendues afin de définir si l’ajout d’un CSI à l’association LABA-LAMA est bénéfique pour les patients du groupe D.


Contexte

Les buts des traitements pharmacologiques de la BPCO sont de réduire à la fois les symptômes et les risques d’exacerbations. La nouvelle édition du guide de pratique clinique GOLD 2017 (1) propose, pour les patients du groupe D qui continuent de présenter des exacerbations sous LABA-LAMA (premier choix) ou LABA-CSI, une escalade thérapeutique avec une triple association CSI-LABA-LAMA. Si les patients continuent à présenter des exacerbations, GOLD recommande alors soit l’ajout de roflumilast ou d’un macrolide (azithromycine) et de stopper les CSI afin d’éviter les effets indésirables du type pneumonie (2). De plus l’arrêt des CSI produit des résultats équivoques et peu significatifs sur les symptômes, les exacerbations et la fonction pulmonaire (3-5). Il est donc important d’évaluer de manière factuelle l’intérêt de la triple association dans la prise en charge de la BPCO sévère.

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion :
    • diagnostic de BPCO avec un VEMS/CVF < 0,70 et un VEMS post bronchodilatation < 50%
    • ≥ 1 exacerbation modérée ou sévère dans l’année précédant l’inclusion
    • utilisation d’une association LABA-CSI ou LAMA-CSI ou LABA-LAMA ou LAMA seul, au moins dans les 2 mois précédant le dépistage pour l’éligibilité.
    • un CAT Score (COPD Assessment Test Score) ≥ 10 et un Baseline Dyspnea Index (BDI) focal score ≤ 10. Ceci afin de n’inclure que des patients symptomatiques à l’entrée de l’étude
  • critères d’exclusion : patient déjà sous la triple association (LABA-LAMA-CSI) afin d’éviter une désescalade chez certains patients qui auraient été alloués dans le bras LABA-CSI ; diagnostic d’asthme ou de rhinite allergique ou atopie ; exacerbation de BPCO dans les 4 semaines précédant le dépistage pour éligibilité ou durant la période de pré-inclusion (période de lavage (washout) si les patients arrêtent, durant cette période, le médicament qu’ils prenaient avant l’étude.">run-in period) ; pathologies cardiovasculaires significatives, anomalies biologiques compatibles avec une pathologie importante ; toute comorbidité instable pouvant affecter l’efficacité ou la sécurité
  • inclusion de 1368 adultes âgés d’au moins 40 ans (moyenne de 64 ans), 76% d’hommes, 47% de fumeurs actifs ; plus de 70% utilisaient une association LABA-CSI.

Protocole d’étude

  • étude randomisée en double aveugle, contrôlée versus traitement actif, multicentrique
  • stratification par pays et sévérité de l’obstruction
  • allocation (1:1) en 2 bras parallèles : bras contrôle actif CSI-LABA (n = 681) : béclométasone 100 μg - formotérol 6 μg ; bras intervention sous association triple CSI-LABA-LAMA (n = 687) : béclométasone 100 μg - formotérol 6 μg - glycopyrronium 12,5 μg, deux prises par jour sous forme d’aérosol-doseur pressurisé pendant 52 semaines
  • médication de recours : salbutamol 100 μg
  • période de pré-inclusion de 15 jours pendant laquelle les patients ont reçu une association double de CSI - LABA (dipropionate de béclométasone 100 μg - formotérol 6 μg)
  • recrutement en centres primaires (n = 18), secondaires (n = 99), tertiaires (n = 28) et en centres spécialisés dans la recherche clinique (n = 14) ; 159 sites répartis dans 14 pays
  • enrôlement de mars 2014 à janvier 2016.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : 3 co-critères primaires analysés à 26 semaines : différence moyenne entre les deux bras des modifications dans les valeurs par rapport à l’état de base du VEMS pré-dose (matin), du VEMS deux heures post dose et du Transition Dyspnea Index (TDI)
  • étude avec une puissance globale de 85% pour détecter les différences spécifiées dans les co-analyses primaires en faveur de la triple association (60 ml pour le VEMS pré-dose, 70 ml pour le VEMS 2 h post dose et une différence de 0,6 point pour le TDI)
  • critères de jugement secondaires : co- critères primaires évalués à la 26ème et à la 52ème semaine ; score au questionnaire respiratoire de Saint-Georges (SGRQ) ; exacerbations à la 26ème et à la 52ème semaine
  • critères de jugement de sécurité : effets indésirables dont les pneumonies, à la 26ème et à la 52ème semaine
  • analyse en intention de traiter
  • suivi complet de 86% des patients.

 

Résultats

  • critères de jugement primaires : voir tableau 

 

Tableau. Différence à 26 semaines des modifications par rapport aux valeurs mesurées à l’état de base entre les deux bras de l’étude.

 

 

CSI-LABA-LAMA versus LABA-CSI

Valeur de p

Pertinence clinique (6,7)

Modification VEMS pré-dose - différence moyenne ajustée (avec IC à 95%) - ml

81 ml (avec IC à 95% de 52 à 109 ml)

< 0,001

> 100 - 140

Modification VEMS 2 h post dose - différence moyenne ajustée (avec IC à 95%) - ml

117 ml (avec IC à 95% de 86 à 147 ml)

< 0,001

> 100 - 140

 TDI : différence moyenne ajustée du score (avec IC à 95%) - point

0,21 point (avec IC à 95% de 0,08 à 0,51 point)

0,160

≥ 1

 

  • critères de jugement secondaires :
    • 3 co-critères de jugement primaires à 52 semaines : pas de modification des résultats qui restent concordants avec ceux obtenus à 26 semaines
    • le score au Questionnaire respiratoire de Saint Georges est statistiquement significatif en faveur de la triple association (p = 0,014) à 52 semaines mais cette différence moyenne n’atteint pas le seuil de pertinence clinique de ≥ -4 unités : -1,69 (avec IC à 95% de -3,20 à -0,17 ; p = 0,029) ; cependant, plus de patients sous la triple association atteignent le seuil de diminution de 4 unités : OR à 52 semaines de 1,33 (avec IC à 95% de 1,06 à 1,66 ; p = 0,014)
    • les auteurs rapportent une réduction statistiquement significative de 33% du taux d’exacerbations modérées à sévères en faveur du bras triple association : RR de 0,67 (avec IC à 95% de 0,48 à 0,94 ; p = 0,019) dans le sous-groupe des patients avec une histoire de plus d’une exacerbation ; la réduction est moindre chez ceux avec une seule exacerbation dans les 12 mois précédant l’inclusion ; le taux annualisé global est réduit de 23% sous la triple association ; le pourcentage de patients avec au moins une exacerbation modérée à sévère était de 31% dans le bras de la triple association et de 35% dans le bras LABA-CSI ; la différence des risques absolus est donc de 4% (avec IC à 95% de -0,99% à 8,98%) ; la valeur de p pour un test bilatéral est non statistiquement significative : 0,12 ; le temps de l’apparition de la première exacerbation modérée à sévère est discrètement plus long dans le bras de la triple association : HR de 0,80 (avec IC à 95% de 0,67 à 0,97)
  • il n’y avait de différence statistiquement significative en termes d’évènements indésirables entre les deux bras ; seuls 2% de patients dans la triple association et 1% dans la double association ont présenté une pneumonie.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la triple association CSI-LABA-LAMA induit une bronchodilatation supérieure à celle de l’association LABA-CSI mais sans modification de la dyspnée (co-critère primaire) chez des patients BPCO sévères à très sévères et à risque d’exacerbations. La triple thérapie a de plus grands effets sur la qualité de vie et sur la réduction des exacerbations modérées à sévères. C’est la première étude à montrer des bénéfices cliniques de l’intensification du traitement en passant de l’association CSI-LABA à la triple association.

 

Financement de l’étude

La firme Chiesi, productrice de l’inhalateur contenant les 3 molécules, a réalisé la conception, l’analyse, la surveillance de la conduite de l’étude et la préparation du rapport pour les auteurs.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Des 10 auteurs, 5 sont des employés de la firme et les 5 autres auteurs déclarent de multiples liens financiers avec l’industrie pharmaceutique.

Discussion

Considération sur la méthodologie

Les 3 critères de jugement primaires, qui sont des co-critères de jugement, c.-à-d. qu’ils sont analysés tous les 3 pour chaque patient, ont été évalués avec un modèle linéaire à effets mixtes qui est une extension du modèle linéaire qui prend en compte la variabilité entre les individus et l’aspect longitudinal des données. Ce modèle est composé d’une partie fixe et d’une partie aléatoire. La partie fixe est identique pour chaque patient et représente l’effet population. La partie aléatoire traduit la variabilité liée à chaque patient (8). Afin d’éviter une inflation du risque α une procédure statistique hiérarchique a été appliquée. Des analyses en sous-groupes, préspécifiées, pour les critères de jugement primaires ont été effectuées.

Signalons le fait qu’un des co-critères primaires n’est pas statistiquement significatif, et donc on ne peut considérer les critères secondaires que sous l’angle exploratoire. De plus, il n’y a pas eu de prise en compte de la multiplicité des tests au niveau de ceux-ci. Les analyses en sous-groupes pour les taux d’exacerbations ont été effectuées en post hoc.

 

Interprétation des résultats

Plusieurs remarques sont à faire. Tout d’abord la conception de l’étude n’évalue pas l’escalade vers la triple thérapie à partir de la double association LABA-LAMA puisque pendant la période d’inclusion, tous les patients recevaient une association CSI-LABA. Dès lors on ne peut évaluer le bénéfice de l’ajout d’un CSI dans la création d’une triple association, ni l’apport de la triple versus la double association LABA-LAMA, escalade thérapeutique recommandée en première intention par GOLD 2017 en cas d’exacerbations persistantes chez les BPCO du groupe D (1).

Une autre remarque générale sur la méthodologie des essais cliniques dans le traitement de la BPCO est aussi valable pour cette étude. Elle concerne l’expression des résultats en termes d’exacerbations modérées à sévères, le taux annualisé est mis en évidence et la proportion de patients avec au moins une exacerbation vient en seconde ligne et sans calcul statistique (mais non significatif selon nos propres calculs). Nous avons déjà signalé que le clinicien a besoin des deux expressions de la taille des résultats ainsi que des sous-groupes de patients qui sont les plus enclins à bénéficier de l’approche thérapeutique. En effet, les taux annualisés répartissent les exacerbations de manière uniforme sur tous les patients, créant ainsi chez le clinicien l’impression que tous les patients peuvent bénéficier du traitement (9).

L’amélioration obtenue au niveau de la fonction respiratoire ne se traduit pas dans une diminution de la dyspnée ce qui semble aussi le cas dans les essais cliniques qui comparent une bronchodilatation simple à une double association (10). Ceci peut être secondaire soit à des différences cliniquement non pertinentes des valeurs du VEMS entre les deux bras de l’essai, soit à l’insensibilité des mesures de la dyspnée, soit au caractère multidimensionnel de ce symptôme (11).

Le taux faible de pneumonies dans les deux bras pourrait s’expliquer par la taille de la population étudiée et la durée courte du suivi (2).

 

Mise en perspective des résultats

L’étude de non-infériorité WISDOM publiée en 2014 (5) avait montré que chez les patients BPCO sévères qui recevaient une triple association, le retrait des CSI versus le maintien était non-inférieur pour les taux d’exacerbations modérées à sévères sur un suivi d’un an et la différence dans le VEMS pré-dose n’était que de 43 ml, soit une valeur clairement non pertinente du point de vue clinique. Ces résultats couplés avec ceux de l’analyse actuelle sont peu probants cliniquement pour l’utilisation de la triple association et appellent à des études supplémentaires. On attend les résultats d’études du passage de la double association LABA-LAMA, premier choix thérapeutique pour GOLD 2017 pour les BPCO groupe D, à la triple association avec ajout de CSI pour les patients qui continuent à présenter des exacerbations.

 

Conclusion de Minerva  

Cette étude sous contrôle de la firme à toutes les étapes de sa réalisation évalue l’escalade thérapeutique à partir de la double association LABA-CSI. Ceci ne répond pas de manière factuelle à la recommandation de première intention du guide de pratique clinique GOLD 2017 qui recommande plutôt l’association LABA-LAMA et l’ajout si nécessaire d’un CSI pour les patients BPCO du groupe D. A nouveau, les résultats sont exprimés en termes de taux d’exacerbations sans calculs statistiques sur la différence des proportions de patients avec au moins une exacerbation (calcul effectué par nous) et sans rapporter clairement le ou les sous-groupe(s) de patients où le traitement est efficace. Ceci pousse à tort les cliniciens à généraliser la prescription à tous les patients BPCO semblables à ceux inclus dans l’essai clinique. Des études supplémentaires sont attendues afin de définir si l’ajout d’un CSI à l’association LABA-LAMA est bénéfique pour les patients du groupe D.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique GOLD 2017 recommande en premier lieu pour les patients du groupe D, quand cela s’avère nécessaire, une escalade thérapeutique en ajoutant à la double association LABA-LAMA un CSI (1). Cet essai clinique ne permet pas d’étayer de manière factuelle cette recommandation puisque le passage se fait de LABA-CSI à la triple association. De plus, L’étude WISDOM de désescalade avec retrait des CSI, suggère que la double thérapie n’est pas inférieure à la triple association.

Dans l’attente d’études apportant des informations supplémentaires, le clinicien est appelé à juger au cas par cas, en se souvenant du risque potentiel de pneumonie en cas de prise de CSI.

 

 

Références 

  1. From the Global Strategy for the Diagnosis, Management and Prevention of COPD. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD) 2017. Available from: http://goldcopd.org/ (site web consulté le 09/05/2017).
  2. Van Meerhaeghe A. BPCO et arrêt des corticostéroïdes inhalés : risque de pneumonie diminué ? Minerva bref 15/11/2016.
  3. Suissa S, Coulombe J, Ernst P. Discontinuation of inhaled corticosteroids in COPD and the risk reduction of pneumonia. Chest 2015;148:1177-83. DOI: 10.1378/chest.15-0627
  4. Nadeem NJ, Taylor SJ, Eldridge SM. Withdrawal of inhaled corticosteroids in individuals with COPD: a systematic review and comment on trial methodology. Respir Res 2011;12:107. DOI: 10.1186/1465-9921-12-107
  5. Magnussen H, Disse B, Rodriguez-Roisin R, et al; WISDOM Investigators. Withdrawal of inhaled glucocorticoids and exacerbations of COPD. N Engl J Med 2014;371:1285-94. DOI: 10.1056/NEJMoa1407154
  6. Chevalier P, Van Meerhaeghe A. Intérêt relatif du glycopyrronium en cas de BPCO ? MinervaF 2014;13(1):4-5.
  7. Kerwin E, Hébert J, Gallagher N, et al. Efficacy and safety of NVA237 versus placebo and tiotropium in patients with COPD: the GLOW2 study. Eur Respir J 2012;40:1106-14. DOI: 10.1183/09031936.00040712
  8. Gaudart J, Giorgi R, Thalabard JC, et al. Modèles linéaires à effets mixtes. Séance 3, 2010.
  9. Van Meerhaeghe A, Vanhaeverbeek M. QVA149 versus glycopyrronium for COPD. Lancet Respir Med 2013;1:e22-3. DOI: 10.1016/S2213-2600(13)70115-2
  10. Decramer M, Anzueto A, Kerwin E, et al. Efficacy and safety of umeclidinium plus vilanterol versus tiotropium, vilanterol, or umeclidinium monotherapies over 24 weeks in patients with chronic obstructive pulmonary disease: results from two multicentre, blinded, randomised controlled trials. Lancet Respir Med 2014;2:472-86. DOI: 10.1016/S2213-2600(14)70065-7
  11. Caverley PM. COPD therapy : if two is good, is three better ? Lancet 2016;388:937-8. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)31464-7



Ajoutez un commentaire

Commentaires