Revue d'Evidence-Based Medicine



Utilité d’une oxygénothérapie palliative en cas de dyspnée



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 8 Page 99 - 100

Professions de santé


Analyse de
Abernethy AP, McDonald CF, Frith PA, et al. Effect of palliative oxygen versus room air in relief of breathlessness in patients with refractory dyspnoea: a double-blind, randomised controlled trial. Lancet 2010;376:784-93.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une oxygénothérapie versus air ambiant sur la perception de la dyspnée chez des patients présentant une pathologie à risque vital et à un stade palliatif ?


Conclusion
Cette étude montre l’absence d’une supériorité d’une oxygénothérapie versus administration d’air ambiant (tous deux administrés via un concentrateur soit actif dans le premier cas soit inactif dans le second, et canule nasale) pour le traitement de la dyspnée chez des patients en phase terminale palliative avec saturation suffisante en oxygène. Les deux procédés améliorent légèrement la dyspnée et la qualité de vie.


 

Contexte

La survenue d’une dyspnée sévère est un problème fréquent chez des patients présentant une pathologie chronique et en stade terminal (1). Une désaturation en oxygène à l’effort peut souvent être imputée à la pathologie sous-jacente mais la cause exacte de l’impression subjective de dyspnée reste imprécise. Dans un contexte palliatif, de l’oxygène est très souvent administré en visant une amélioration symptomatique de cette dyspnée (2). Il n’existe cependant pas de preuve de l’utilité symptomatique d’une oxygénothérapie (3,4). Pour ce motif, une importante étude randomisée en double aveugle a été élaborée pour répondre à la question de l’utilité d’une oxygénothérapie pour lutter contre la dyspnée.

 

Résumé

Population étudiée

  • 239 patients âgés >18 ans (âge moyen de 73 ans), en ambulatoire, avec PaO2 au repos >55 mmHg et dyspnée réfractaire dans le cadre d’une pathologie terminale (selon le médecin traitant)
  • critères d’inclusion annexes : dyspnée au repos ou pour un effort minime ≥3 sur l’échelle du Medical Research Council, traitement optimal de la pathologie sous-jacente, espérance de vie >1 mois
  • critères d’exclusion : nécessité d’une oxygénothérapie au long cours, anémie, problème pulmonaire ou cardiaque récent (embolie ou infarctus p. ex.), déficit cognitif (MMSE <24), tabagisme, antécédent d’hypercapnie lors d’une oxygénothérapie.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, internationale, multicentrique
  • randomisation 1/1 entre oxygénothérapie par concentrateur actif (n=120) ou air ambiant par concentrateur non actif (n=119)
  • traitement administré durant 7 jours par un concentrateur, via une canule nasale, 2 L/min, au moins 15 h par jour
  • journalier complété par les patients, 2x/j (au lever et au coucher) pour la dyspnée et 1x/j pour les critères secondaires
  • suivi de 7 jours.

Mesure des résultats

  • critère primaire : dyspnée scorée par le patient sur une échelle numérique de 0 (absence totale de dyspnée) à 10 (dyspnée maximale envisageable) ; une différence d’un point pour une diminution est considérée comme cliniquement pertinente
  • critères secondaires : durant les précédentes 24 h : dyspnée moyenne, dyspnée la plus sévère et disparition de la dyspnée ; impact fonctionnel, troubles du sommeil, troubles de l’équilibre, anxiété, irritation nasale, épistaxis, qualité de vie.

Résultats

  • 6% de sorties d’étude
  • dyspnée matinale : diminution moyenne de 0,9 (IC à 95% de -1,3 à -0,5) point sous oxygène et de 0,7 (IC à 95% de -1,2 à -0,2) point sous air ambiant ; p=0,504 pour la différence entre les groupes
  • dyspnée vespérale : diminution moyenne de 0,3 (IC à 95% de -0,7 à 0,1) point sous oxygène et de 0,5 (IC à 95% de -0,9 à -0,1) point sous air ambiant ; p=0,554 pour la différence
  • réponse plus importante en cas de dyspnée initiale plus sévère
  • critères secondaires : pas de différence entre les groupes
  • effets indésirables : pas de différence entre les groupes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une oxygénothérapie n’apporte aucun bénéfice symptomatique complémentaire versus air ambiant pour traiter une dyspnée réfractaire chez des patients en phase terminale d’une pathologie. Il faut donc prendre en considération des interventions moins lourdes après une évaluation brève de l’effet d’une oxygénothérapie chez un patient en particulier.

Financement

National Institutes of Health, Australian National Health and Medical Research Council, Duke Institute for Care at the End of Life, Doris Duke Charitable Foundation.

Conflits d’intérêt

Les sponsors ne sont impliqués ni dans l’étude ni dans le rapport des résultats ; 2 auteurs déclarent avoir reçu des honoraires de différentes firmes à titres divers ; les autres déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

Considérations méthodologiques

Cette étude est de bonne qualité méthodologique, avec une puissance statistique est la probabilité que l’hypothèse nulle soit rejetée dans une étude et que cette dernière puisse donc mettre en évidence une association réellement existante. La puissance est déterminée par différents facteurs parmi lesquels, la fréquence de la maladie étudiée (prévalence), la taille de l’effet du traitement, le protocole de l’étude et la taille de l’échantillon. Lors de l’instauration de l’étude, les chercheurs optent pour une certaine puissance en fonction de laquelle l’importance de l’échantillon est déterminée. Une puissance statistique de 80% est généralement considérée comme le minimum exigible. Ce qui signifie qu’il existe 80% de chance que l’étude puisse mettre un effet en évidence.">puissance suffisante pour montrer un effet. L’attribution a été correctement effectuée mais il y a une petite différence entre les 2 groupes pour la cause de la dyspnée : 68% des patients atteints de BPCO dans le groupe air ambiant versus 59% dans le groupe oxygénothérapie. L’analyse des caractéristiques initiales des participants montre aussi qu’il s’agit d’une population hétérogène ; ceci n’est pas un désavantage, cette situation reflétant très bien la pratique clinique en soins palliatifs. La mention « dyspnée d’autre origine » est bien énigmatique, ceci d’autant plus qu’elle concerne uniquement des patients (13%) dans le groupe oxygénothérapie (0 sous air ambiant). L’intervention est effectuée en double aveugle, l’alarme d’une concentration insuffisante en oxygène étant supprimée dans la moitié des concentrateurs rendus inactifs. Les patients, les installateurs de concentrateurs, les chercheurs et infirmières ignoraient l’activité ou non du concentrateur, ce qui rend valide l’évaluation d’un critère subjectif comme la dyspnée dans cette étude. Les auteurs considèrent une diminution de la dyspnée d’un point sur une échelle de 0 à 10 comme cliniquement pertinente sur base des résultats d’une étude comparant morphine et placebo et d’une synthèse des études évaluant la différence minimale pertinente pour la qualité de vie en cas de pathologie chronique (généralement la ½ d’un ET).

Les auteurs ont protocolé une durée d’étude de 7 jours sur avis de praticiens en soins palliatifs mais les arguments pour ce choix ne sont pas mentionnés. Est-ce lié à une espérance de vie parfois courte (au moins un mois) ? Seuls les patients avec données complètes à 7 jours sont repris dans les résultats. Le fait qu’il y a davantage de patients sortant de l’étude dans le bras air ambiant pourrait être un biais possible.

Mise en perspective des résultats

Réaliser de grandes études randomisées avec consentement éclairé n’est pas chose facile dans le contexte des soins palliatifs. La question de recherche de la présente étude est certainement pertinente, une oxygénothérapie étant souvent prescrite pour améliorer symptomatiquement une dyspnée (2), sans que cette attitude repose sur des données de qualité (3,4). Une synthèse récente de la Cochrane Collaboration (5) regroupe les données de 4 études en permutation et ne montre pas d’efficacité substantielle d’une oxygénothérapie chez des patients en phase terminale d’un cancer ou d’une insuffisance cardiaque. L’étude analysée ici, chez des patients en phase terminale avec une PaO2 >55 mmHg montre une amélioration subjective de la suffocation, non différente cependant de celle obtenue avec de l’air ambiant administré par canule nasale 2L/min. Dans les 2 bras d’étude, une réduction de 9 à 18% de la sévérité de la dyspnée versus valeurs initiales est obtenue, réduction estimée probablement cliniquement pertinente par les auteurs. Une différence absolue inférieure à 1 point sur une échelle de 0 à 10 pose quand même question. Une telle différence peut être obtenue avec un ventilateur ou un éventail (6). Ces procédés simples n’augmentent pas le risque d’hypercapnie et pourraient être considérés comme des alternatives sans risque et meilleur marché.  

Malgré le manque de preuve de l’efficacité d’une oxygénothérapie, celle-ci est parfois préférée à un traitement de référence avec des opiacés. Une étude randomisée en double aveugle et permutation a montré que la morphine améliore la sensation subjective de dyspnée chez des patients souffrant de BPCO traitée de façon optimale (7). Une autre RCT chez des patients en phase terminale d’un cancer suggère que le midazolam peut être associé à la morphine en cas d’efficacité insuffisante de celle-ci (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre l’absence d’une supériorité d’une oxygénothérapie versus administration d’air ambiant (tous deux administrés via un concentrateur soit actif dans le premier cas soit inactif dans le second, et canule nasale) pour le traitement de la dyspnée chez des patients en phase terminale palliative avec saturation suffisante en oxygène. Les deux procédés améliorent légèrement la dyspnée et la qualité de vie.

 

Pour la pratique

Un guide de pratique récent (9) recommande aux médecins d’avoir recours à des traitements suffisamment efficaces pour lutter contre la dyspnée chez des patients en phase terminale de leur pathologie : chez des patients sans hypoxie sévère au repos, la morphine reste le premier choix de traitement ; une oxygénothérapie peut être envisagée pour réduire à court terme une hypoxie. Cette étude confirme qu’une oxygénothérapie est peu utile pour améliorer la sensation subjective de dyspnée chez des patients en soins palliatifs sans désaturation en oxygène.

 

Références

  1. Lynn J, Teno JM, Phillips RS, et al. Perceptions by family members of the dying experience of older and seriously ill patients. Ann Intern Med 1997;126:97-106.
  2. Abernethy AP, Currow DC, Frith P, Fazekas B. Prescribing palliative oxygen: a clinician survey of expected benefit and patterns of use. Palliat Med 2005;19:168-70.
  3. Chevalier P, Sturtewagen JP. Soins palliatifs en fin de vie : des preuves ?
    MinervaF 2008;7(10):148-51.
  4. Lorenz KA, Lynn J, Dy SM, et al. Evidence for improving palliative care at the end of life: a systematic review. Ann Intern Med 2008;148:147-59.
  5. Cranston JM, Crockett A, Currow D. Oxygen therapy for dyspnoea in adults. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 3.
  6. Galbraith S, Fagan P, Perkins P, et al. Does the use of a handheld fan improve chronic dyspnea? A randomized, controlled, crossover trial. J Pain Symptom Manage 2010;39:831-8.
  7. Abernethy AP, Currow DC, Frith P, et al. Randomised, double blind, placebo controlled crossover trial of sustained release morphine for the management of refractory dyspnoea. BMJ 2003;327:523-8.
  8. Navigante AH, Cerchietti LC, Castro AM, et al. Midazolam as adjunct therapy to morphine in the alleviation of severe dyspnea perception in patients with advanced cancer. J Pain Symptom Manage 2006;31:38-47.
  9. Qaseem A, Snow V, Shekelle P, et al. Evidence-based interventions to improve the palliative care of pain, dyspnea, and depression at the end of life: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2008;148:141-6.
Utilité d’une oxygénothérapie palliative en cas de dyspnée

Auteurs

Clement P.
Departement Oncologie, KU Leuven en Dienst Algemene Medische Oncologie, Leuvens Kankerinstituut, UZ Leuven
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