Revue d'Evidence-Based Medicine



Vaccin quadrivalent contre le papillomavirus humain chez l’homme



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 8 Page 97 - 98

Professions de santé


Analyse de
Giuliano AR, Palefsky JM, Goldstone S, et al. Efficacy of quadrivalent HPV vaccine against HPV infection and disease in males. N Engl J Med 2011;364:401-11.


Question clinique
Quelle est l’efficacité du vaccin quadrivalent HPV contre l’infection et les manifestions cliniques dues au papillomavirus humain chez les hommes ?


Conclusion
Cette étude, qui pose une importante question éthique, montre que l'utilisation du vaccin contre le HPV quadrivalent chez les hommes âgés de 16 à 26 ans diminue le risque de verrues génitales associées aux types HPV vaccinaux. Que ce soit une vaccination chez l’homme ou chez la femme, cette vaccination HPV ne doit pas faire oublier l’importance capitale d’un dépistage correct du cancer du col utérin.


 

Contexte

Le papillomavirus humain (HPV) est responsable du développement de condylomes acuminés ano-génitaux et chez l’homme de cancers du pénis, de l’anus et de l’oropharynx (1). Le taux d’infections génitales chez l’homme est similaire à celui de la femme. Les types HPV 16 et 18 sont associés à la majorité des cancers du col de l'utérus et de néoplasies intraépithéliales, les types HPV 6 et 11 sont associés à la grande majorité des verrues génitales. Le vaccin quadrivalent est actif contre les types 6, 11, 16 et 18 et est efficace pour prévenir des infections persistantes et des atteintes génitales dues à ces types chez les femmes. Cette étude a pour but de montrer l’efficacité du vaccin quadrivalent chez les hommes âgés entre 16 et 26 ans contre les infections ano-génitales et les verrues génitales associées au types 6, 11, 16 et 18.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : hommes hétérosexuels (n = 3463) âgés de 16 à 23 ans ayant eu de 1 à 5 partenaires féminins ; hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH, n = 602) âgés de 16 à 26 ans ayant eu 1 à 5 partenaires masculins
  • critères d’exclusion : présence de verrues génitales ou de lésions génitales non dues à l’HPV.

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée versus placebo, en double aveugle, multicentrique
  • administration soit du vaccin quadrivalent (contenant des particules virales d’HPV 6, 11, 16 et 18 conjuguées à un adjuvant composé d’hydroxyphosphate d’aluminium) (n = 2 032) soit d’un placebo (n = 2 033) au jour 1, au mois 2 (± 3 semaines) et au mois 6 (± 4 semaines)
  • à l’inclusion prise de sang avec sérologie HPV et frottis/biopsie ano-génitaux
  • visite de contrôle au jour 1 et aux mois 7, 12, 18, 24, 30 et 36 avec biopsie en cas de lésions suspectes et recherche par PCR d’ADN HPV, et frottis systématique des régions péniennes, scrotales, périnéales, péri-anales (et intra-anales chez les HSH)
  • suivi moyen de 2,9 ans.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : incidence des lésions génitales externes (pénis, scrotum, péri-anal) dues aux HPV 6, 11, 16 ou 18
  • critères de jugement secondaires : immunisation contre une infection persistante à HPV, mesurée par un frottis ano-génital ou des biopsies 6 (± 1) mois post-vaccination ; incidence des lésions génitales externes dues à tous les sérotypes d’HPV
  • intention de traiter stricte : nécessité d’au moins une prise d’un médicament évalué, nécessité d’au moins une évaluation en cours d’étude, etc… Il s’agit alors d’une analyse en intention de traiter modifiée.">analyse en intention de traiter modifiée incluant les patients (présentant ou non initialement des lésions dues à l’HPV ou une séropositivité aux HPV contenus dans le vaccin à l’inclusion) ayant reçu au moins une dose de vaccin et avec au moins une visite de suivi
  • analyse par protocole reprenant les hommes séronégatifs à l’inclusion et ayant une PCR négative tant à la biopsie qu’au frottis ano-génital initialement et au 7ème mois et ayant reçu 3 doses de vaccin et une ou plusieurs visite(s) après 7 mois, sans violation du protocole.

Résultats

  • 175 patients randomisés mais non inclus dans l’étude ITTm, 82 dans le groupe vaccin, 93 sous placebo
  • 97,4% des patients présentent une séroconversion pour HPV 6, 11, 16 et 18
  • résultats pour l’efficacité : voir tableau.
  • effets indésirables : 69% dans le groupe vaccin, 64% dans le groupe placebo, principalement de la douleur au site d’injection (60,1% groupe vacciné versus 53,7% dans le groupe placebo, p <0,001).

 

Tableau. Résultats de la vaccination pour les critères de jugement primaire et secondaire, en analyse en intention de traiter et en analyse par protocole.

 

 

Analyse en ITTm (n=4 055) (IC à 95%)

Analyse par protocole (n=2 805) (IC à 95%)

Critère de jugement primaire

Réduction des lésions génitales externes

60,2% (40,8 à 73,8)

83,8%  (61,2 à 94,4)

Réduction des lésions dues aux HPV 6, 11, 16 et 18

65,5% (45,8 à 78,6)

 

Réduction des condylomes accuminés dus aux sérotypes 6 et 11

67,2% (47,3 à 80,3)

89,4% (65,5 à 97,9)

Réduction des néoplasies PIN

NS

Pas de lésion PIN dans le groupe vacciné

Critère de jugement secondaire

Diminution de l’incidence d’une infection persistante aux HPV contenus dans le vaccin

47,8% (36 à 57,6)

68,3% (57,1 à 76,9)

 

Conclusion des auteurs 

La vaccination quadrivalente contre les HPV 6, 11, 16 et 18 prévient les infections dues à ces sérotypes et le développement de lésions ano-génitales externes dues à ces sérotypes chez les hommes âgés entre 16 et 26 ans.

Financement

National Center for Research Resources, Nationale Institute of Health et la firme pharmaceutique Merck, qui a fourni également les vaccins.

Conflits d’intérêt 

Les sponsors sont intervenus à tous les stades de l’étude; plusieurs auteurs déclarent avoir reçu des honoraires d’une ou plusieurs firme(s) (dont Merck) à titres divers ; 7 auteurs sont employés par cette firme.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les critères de calcul de puissance statistique est la probabilité que l’hypothèse nulle soit rejetée dans une étude et que cette dernière puisse donc mettre en évidence une association réellement existante. La puissance est déterminée par différents facteurs parmi lesquels, la fréquence de la maladie étudiée (prévalence), la taille de l’effet du traitement, le protocole de l’étude et la taille de l’échantillon. Lors de l’instauration de l’étude, les chercheurs optent pour une certaine puissance en fonction de laquelle l’importance de l’échantillon est déterminée. Une puissance statistique de 80% est généralement considérée comme le minimum exigible. Ce qui signifie qu’il existe 80% de chance que l’étude puisse mettre un effet en évidence.">puissances sont donnés et celles-ci sont atteintes. L’efficacité du vaccin chez l’homme a été étudiée dans une étude randomisée en double aveugle (2) ; elle montre une séroconversion >99% pour les quatre types de souches HPV. Les choix des auteurs de l’analyse ici commentée, d’une efficacité vaccinale supérieure à 20% ou à 0% dans le sous-groupe des HSH sont donc très étonnants. L'efficacité du vaccin est mesurée seulement par la prévention de l'infection virologique ou des événements cliniques liés. L'immunogénicité des vaccins contre le HPV n'est pas assimilée à l'efficacité du vaccin principalement parce qu'il n'y a pas de corrélation établie entre un niveau d’anticorps et la protection contre l'infection par le HPV ou le développement d'une néoplasie intraépithéliale et/ou le cancer. Les résultats sont analysés en intention de traiter et par protocole. Une analyse en ITT est préférable car elle maintient la comparaison de base établie par la randomisation et évite le biais d’attrition pouvant être rencontré dans les analyses par protocole (3). L’analyse en ITT dans cette étude exclut de nombreux patients, c’est donc une ITT modifiée. Il n’y a pas eu d’imputation des résultats manquants.

Les résultats sont présentés en risque relatif et ne donnent dès lors pas une idée de la réduction du risque absolu. Les données concernant les néoplasies cytologiques (PIN) ne sont pas prévues dans le protocole rapporté. Il est par ailleurs étonnant que les consultations de suivi ne soient pas accompagnées de conseils de réduction de risque et de distribution de préservatifs comme le préconise le CDC (4). Une importante question éthique se pose dès lors concernant le protocole de cette étude.

Mise en perspective des résultats

Le taux d’infections génitales chez l’homme est similaire à celui de la femme. Le risque d’acquisition d’un nouveau sérotype HPV est chez l’homme sexuellement actif de 0,29 à 0,39 par 1000 personnes-mois, ce qui est similaire au risque de la femme. Il y a cependant des réponses immunitaires différentes selon le sexe : une plus grande proportion de femmes sont HPV positives, 17,9% versus 7,9% pour les hommes. Les femmes ont aussi un titre plus élevé d’anticorps. Les hommes semblent avoir une réponse immune plus basse face à l’infection naturelle, ce qui expliquerait en partie la prévalence élevée des infections dues à HPV et la prévalence et l’incidence constantes de l’infection parmi une large tranche d’âge chez les hommes (1).

La vaccination HPV bivalente (HPV 16 et 18) chez les hommes a été évaluée dans une étude phase I/II (5) chez 270 garçons finlandais âgés de 10 à 18 ans recevant soit le vaccin bivalent HPV soit un vaccin contre l'hépatite B en tant que contrôle dans un rapport 2:1. A l’inclusion, 11% des participants étaient séropositifs pour le HPV 16 et/ou 18. L'étude a démontré que le vaccin est très immunogène avec 100% des sujets vaccinés présentant une séroconversion pour les HPV 16 et 18 à deux mois et sept mois. Il n’y a pas d’autre étude concernant le vaccin bivalent chez l’homme, et il n’existe pas d’enregistrement du vaccin bivalent dans cette indication.

La vaccination quadrivalente (HPV 6, 11, 16 et 18) a été évaluée dans diverses études. Une étude randomisée vaccin quadrivalent versus placebo chez 598 HSH (6) a montré une réduction du risque de développer des lésions de type PIN chez près de 78% des HSH négatifs tant au niveau sérologique que frottis/biopsie pour l’HPV. Une autre étude montre une efficacité coût-bénéfice sur la réduction des PIN et du cancer anal en faveur de la vaccination quadrivalente chez l’homme quel que soit son statut immunologique (7). Une synthèse méthodique (8) suggère que la vaccination des hommes, ayant pour but de protéger les femmes contre l’infection, ne donne qu’un léger avantage et n’est pas rentable en cas de taux élevés de couverture vaccinale chez les femmes. Mais les avantages de cette vaccination chez l’homme en termes de cout-efficacité augmentent lorsque la couverture vaccinale des femmes est faible. Il n'y a aucune preuve que la formulation du vaccin contre le HPV modifie l’histoire naturelle des infections dues aux HPV de type 6, 11, 16 et 18 présentes avant la vaccination.

Aux Etats-Unis, en 2009 la Food and Drug Administration FDA a approuvé l’utilisation du vaccin HPV quadrivalent chez les hommes (9) .

En Belgique, le Conseil Supérieur d’Hygiène ne se prononce pas actuellement sur la vaccination HPV chez l’homme.

Pour évaluer l’intérêt pour la société d’une vaccination, le NHG a proposé 7 critères dans son guide de pratique concernant l’influenza (note 34 (10)).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude, qui pose une importante question éthique, montre que l'utilisation du vaccin contre le HPV quadrivalent chez les hommes âgés de 16 à 26 ans diminue le risque de verrues génitales associées aux types HPV vaccinaux. Que ce soit une vaccination chez l’homme ou chez la femme, cette vaccination HPV ne doit pas faire oublier l’importance capitale d’un dépistage correct du cancer du col utérin.

 

Pour la pratique

Le CDC (11) recommande la vaccination HPV quadrivalente chez les hommes n’ayant pas encore eu de rapports sexuels, et les jeunes HSH, principalement ceux n’ayant pas ou peu de partenaires. Le CDC mentionne que les jeunes hommes sexuellement actifs peuvent aussi bénéficier du vaccin, mais ils auront moins de bénéfice s’ils ont déjà été infectés par l’HPV. Cette étude-ci conforte cet avis favorable. L’utilité potentielle de cette vaccination devra encore être évaluée dans notre population.

 

Références

  1. International Agency for Reseach on Cancer. HPV. In: IARC monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans, volume 90. Lyon, France: IARC, 2007
  2. Reisinger KS, Block SL, Lazcano-Ponce E, et al. Safety and persistent immunogenicity of a quadrivalent human papillomavirus types 6, 11, 16, 18 L1 virus-like particle vaccine in preadolescents and adolescents: a randomized controlled trial. Pediatr Infect Dis J 2007;26:201-9.
  3. Chevalier P. Analyse en intention de traiter. MinervaF 2010;9(2):28.
  4. Workowski KA, Berman S; Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Sexually Transmitted Diseases Treatment Guidelines, 2010. MMWR Recomm Rep. 2010;59(RR-12):1-110.
  5. Petäjä T, Keränen H, Karppa T, et al. Immunogenicity and safety of human papillomavirus (HPV)-16/18 AS04-adjuvanted vaccine in healthy boys aged 10-18 years. J Adolesc Health 2009;44:33-40.
  6. Palefsky J, Male Quadrivalent HPV Vaccine Efficacy Trial Team. Quadrivalent HPV vaccine efficacy against anal intraepithelial neoplasia in men having sex with men [Abstract]. Eurogin 9th International Multidisciplinary Congress, Monte Carlo, Monaco. February 17–20, 2010.
  7. Kim JJ. Focus on research: weighing the benefits and costs of HPV vaccination of young men. N Engl J Med 2011;364:393-5.
  8. Marra, F, Cloutier, K, Oteng, B, et al. Effectiveness and cost effectiveness of human papillomavirus vaccine: a systematic review. Pharmacoeconomics 2009;27:127-47.
  9. Food and Drug Administration. Male indication for Gardasil. 2009.
  10. Van Essen GA, Bueving HJ, Voordouw AC, et al. NHG-Standaard Influenza en influenzavaccinatie (Eerste herziening). Huisarts Wet 2008;51:4;bijlage:1-2.
  11. Advisory Committee on Immunization Practices. Recommended adult immunization schedule: United States, 2010. Ann Intern Med 2010;152:36-9.
Vaccin quadrivalent contre le papillomavirus humain chez l’homme

Auteurs

Semaille P.
Département de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires