Revue d'Evidence-Based Medicine



Lévodopa pour les jambes sans repos ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 8 Page 95 - 96

Professions de santé


Analyse de
Scholz H, Trenkwalder C, Kohnen R, et al. Levodopa for restless legs syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 2.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la lévodopa versus placebo ou autres traitements dans le syndrome des jambes sans repos ?


Conclusion
Cette étude montre une efficacité à court terme de l’association lévodopa + inhibiteur de dopadécarboxylase pour les patients souffrant du syndrome des jambes sans repos et ayant des répercussions importantes sur le sommeil. Les limites méthodologiques sont cependant trop importantes que pour en faire une recommandation. La sécurité de la prise en charge médicamenteuse doit être mise en balance avec des symptômes parfois très gênants, mais n’entraînant jamais de complication grave.


 

Contexte 

Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est une plainte neurologique commune caractérisée par des sensations désagréables dans les membres inférieurs au repos associée à un besoin nocturne, parfois irrépressible, de bouger les jambes. Les troubles du sommeil sont souvent le motif de rencontre avec le médecin. Le SJSR est considéré comme un problème de santé chronique. La lévodopa plus un inhibiteur de la dopadécarboxylase est un traitement courant pour le SJSR (1). Les auteurs de cette synthèse-ci veulent explorer également des paramètres plus qualitatifs ainsi que la sécurité d’une telle option thérapeutique versus placebo ou d’autres agents actifs.

 

Résumé 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées 

  • CENTRAL (The Cochrane Library 2008, Numéro 4), MEDLINE, EMBASE, PsycINFO et CINAHL, de janvier 1985 à décembre 2008
  • consultation des firmes pharmaceutiques, des auteurs et des listes de références des articles retenus.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études contrôlées randomisées (RCTs) en double aveugle comparant la lévodopa au placebo ou à un autre traitement pendant au moins sept jours
  • critères d’exclusion : moins de 7 jours, non RCT, groupes de contrôle inadéquats
  • six études contrôlées versus placebo et trois versus autre principe actif (cabergoline, pergolide et pramipexole) ont été retenues
  • 218 patients (N=6) versus placebo
  • 303 patients (N=3) versus autre traitement actif.
  • dosage utilisé de 100 mg lévodopa/25 mg inhibiteur dopamine décarboxylase à 400 mg lévodopa/100 mg inhibiteur dopamine décarboxylase.

Population étudiée

  • 521 patients (57% de femmes) âgés d’au moins 18 ans atteints du SJSR (âge moyen de 57,2 ans) ; études réalisées en Europe et en Amérique du Nord.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • évaluation subjective des symptômes du SJSR par les patients (questionnaire International Restless Legs Syndrome - IRLS) sur un score de 0 à 10 (10 = le plus sévère)
    • mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil par heure de sommeil (Periodic Limb Movements in Sleep Index - PLMSI) ; durée du sommeil (min) ; nombre d’abandons de traitement pour effet indésirable
  • critères de jugement secondaires : impression d’amélioration globale clinique (Clinical Global Impressions-Improvement - CGI-I) et qualité du sommeil (par le patient).

Résultats

  • durée moyenne de traitement : 23,6 jours (7 jours à 8 semaines)
  • versus placebo :
    • gravité des symptômes (N=2) : davantage réduite sous lévodopa : DM de -1,34 (IC à 95% de -2,18 à -0,5, p = 0,002 ; I² = 0%)
    • mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil par heure de sommeil (N=5) : DM de -26,28 / h (IC à 95% de -30,53 à -22,02, p <0,00001 ; I² = 4%)
    • durée de sommeil et nombre d’abandons de traitement pour effet indésirable : NS
    • impression d’amélioration globale clinique sur l’échelle CGI-I (N=2) : en faveur du lévodopa : DM de -1,25 (IC à 95% de -1,89 à -0,62, p = 0,0001 ; I² = 0%)
    • qualité du sommeil (N=2) : amélioration sous lévodopa : DMS de 0,92 (IC à 95% de 0,52 à 1,33, p <0,00001 ; I² = 0%)
    • qualité de vie (N=2) : améliorée sous lévodopa : 3,23 (IC à 95% de 1,64 à 4,82 ; p <0,0001 ; I² = 0%) sur EVA de 50 mm
    • peu de patients ont abandonné le traitement (3 des 218 patients), mais les patients traités par lévodopa ont présenté plus d’effets indésirables que ceux sous placebo : OR = 2,61 (IC à 95% de 1,35 à 5,04 ; p = 0,004).
  • versus autres traitements :
    • gravité des symptômes (N=2) : moins réduite avec lévodopa versus autres traitements : DM de 5,25 (IC à 95% de 2,1 à 8,4 ; p = 0,001 ; I² =55%) ; différence non significative versus pramipexole, différence significative en faveur de la cabergoline
    • autres critères de jugement primaires : pas de différence significative entre les groupes.

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que la lévodopa est efficace pour le traitement à court terme du SJSR. L’amplification du SJSR à long terme par les agonistes dopaminergiques n'a pas été suffisamment étudiée.

Financement

BMBF – the German Federal Ministry for Education and Research.

Conflits d’intérêt

4 auteurs sur 6 signalent de nombreuses collaborations avec de multiples firmes pharmaceutiques.

 

Discussion 

Considérations méthodologiques

Cette synthèse méthodique est de bonne qualité : question clinique claire, méthodologie bien décrite, sources consultées nombreuses, critères de définition correctement présentés, critères d’inclusion et d’exclusion bien explicités, population correctement décrite, critères de jugement primaires cohérents avec la question clinique, outils d’évaluation bien référencés ou explicités, résultats bien présentés et en rapport avec les critères de jugement précédemment présentés. Si la méthodologie de cette étude respecte les critères de qualité de la Cochrane, elle est limitée par les nombreux défauts méthodologiques des études incluses. En effet, les différents biais étudiés par les auteurs sont importants. Séquence d’attribution, attribution correcte des patients, assurance par rapport au déroulement en aveugle de l’étude, assurance de disposer de l’entièreté des données : tous ces points posent problème, d’autant plus que les auteurs n’ont pas eu de réponses des différents auteurs des études incluses.

Interprétation des résultats

Le syndrome des jambes sans repos regroupe un ensemble de symptômes fluctuant dans le temps ; il est parfois très gênant et peut avoir des répercussions sur le sommeil. Néanmoins, il ne présente pas de complications physiques graves. Il peut être secondaire à une déficience en fer, une grossesse, une insuffisance rénale, une neuropathie périphérique ou d’origine médicamenteuse mais la cause est généralement inconnue (2).

Suite aux nombreux biais constatés, les auteurs eux-mêmes reconnaissent que le GRADE (3) accordé aux résultats est dans le meilleur des cas modéré, ce qui, selon la méthodologie Cochrane, veut dire que des études ultérieures pourront avoir un impact important sur les conclusions de cette étude. Relevons quelques grosses lacunes dans les études sélectionnées : la plupart incluent un nombre de patients inférieur à 30, ce qui rend caduque toute conclusion ultérieure. Seule une étude comprend 301 patients. Autre questionnement : bien que basé sur les critères officiels de diagnostic du SJSR (4), on retrouve le critère suivant : « une réponse aux agonistes dopaminergiques »… ce qui ne peut manquer d’influencer les résultats des premières études (versus placebo) et rendre toute interprétation difficile. Aucun NST ou NNN n’est calculé. La durée moyenne d’intervention de 24 jours pose également question pour un problème de santé chronique. Aucune évaluation sur plusieurs mois voire années n’est présentée alors que le médecin généraliste suit son patient sur de longues périodes et qu’il ne peut se contenter d’une réponse ponctuelle pour ce type d’affection.

Vu le faible nombre d’études et de patients inclus, aucune analyse n’est possible en fonction de la sévérité de l’affection, même en méta-analyse de toutes ces études. Aucune conclusion donc possible pour la pratique : où placer ce traitement-ci par rapport à d’autres suivant la sévérité de ce syndrome ?

La balance bénéfice-risque de la lévodopa, du pramipexole ou de la cabergoline est peut-être positive à court terme, mais toutes ces médications peuvent potentiellement aggraver les symptômes. De plus, toutes ont des effets indésirables : nausées, somnolence, endormissements soudains, hallucinations, troubles psychiatriques. La lévodopa aggrave les symptômes du SJSR dans 80% des cas sur le long terme (5).

 

Conclusions

Cette étude montre une efficacité à court terme de l’association lévodopa + inhibiteur de dopadécarboxylase pour les patients souffrant du syndrome des jambes sans repos et ayant des répercussions importantes sur le sommeil. Les limites méthodologiques sont cependant trop importantes que pour en faire une recommandation. La sécurité de la prise en charge médicamenteuse doit être mise en balance avec des symptômes parfois très gênants, mais n’entraînant jamais de complication grave.

 

Pour la pratique

Il n’y a pas de guide de pratique basé sur des preuves concernant le syndrome des jambes sans repos. Bien que non évaluée de façon rigoureuse, une prise en charge non médicamenteuse est recommandée faute de mieux : massages, étirements, règles d’hygiène du sommeil (6).

Cette méta-analyse apporte de faibles preuves de l’intérêt de l’administration de lévodopa, de cabergoline ou de pramipexole, mais ces preuves sont insuffisantes pour en faire une recommandation. Dans les formes très gênantes de cette affection, les bénéfices-risques des médications peuvent être discutés avec le patient et, en cas de prescription, l’évolution sera étroitement suivie.

 

Références

  1. Conti CF, de Oliveira MM, Andriolo RB, et al. Levodopa for idiopathic restless legs syndrome: evidence-based review. Mov Dis 2007;22:1943-51.
  2. Syndrome des jambes sans repos d’origine médicamenteuse. Rev Prescr 2010;30:270-2.
  3. The Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation (GRADE) Working Group. URL: http://www.gradeworkinggroup.org/intro.htm
  4. Walters AS, LeBrocq C, Dhar A, et al. International Restless Legs Syndrome Study Group. Validation of the International Restless Legs Syndrome Study Group rating scale for restless legs syndrome. Sleep Med 2003;4:121-32.
  5. Traitement du "restless legs syndrome”. Folia Pharmacotherapeutica 2011;31:104-5. (consulté le 14 juin 2011)
  6. Les jambes sans repos. Rev Prescr 2006;26:516-20.

 

Nom de marque des produits (juillet 2011)  

  • Lévodopa + inhibiteur de la dopadécarboxylase : Levodopa/Benserazide Teva®, Prolopa®
  • Cabergoline : pas d’indication comme antiparkinsonien en Belgique
  • Pergolide : Permax®
  • Pramipexole : Mirapexin®, Pramipexol Sandoz®, Pramipexol EG®, Pramipexol Mylan®, Sifrol®
 
Lévodopa pour les jambes sans repos ?

Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

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