Revue d'Evidence-Based Medicine



Discuter et fixer des objectifs thérapeutiques pour prendre en charge des personnes fort âgées souffrant de démence avancée



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 222 - 225

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Hanson LC, Zimmerman S, Song MK, et al. Effect of the goals of care intervention for advanced dementia: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2017;177:24-31. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.7031


Question clinique
Pour des personnes âgées atteintes de démence, en maison de repos, un outil d’information pour un référent légal, avec une discussion/détermination des objectifs thérapeutiques avec l’équipe soignante, améliore-t-il la communication et la prise de décision ainsi que les soins palliatifs ?


Conclusion
Cette RCT concernant des personnes fort âgées présentant une démence avancée, institutionnalisées depuis environ 2 ans, bénéficiant du soutien d’un représentant légal, montre un intérêt limité d’une intervention comportant un outil d’information (vidéo) du représentant légal accompagné d’une concertation avec les soignants en termes d’amélioration de la communication concernant les soins de fin de vie et de réduction des hospitalisations.


Que disent les guides de pratique clinique ?
En 2009, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) évaluant l’efficacité de la prise en charge, médicamenteuse ou non, de la maladie d’Alzheimer, constatait qu’un soutien professionnalisé et de longue durée apporté aux soignants informels constituait la seule intervention retardant significativement l'institutionnalisation du patient. L'effet potentiel de ce type d’intervention non pharmacologique semble être supérieur à ce qui peut être observé avec les médicaments actuellement disponibles. En 2011, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) précisait, dans le domaine de la prise en charge non médicamenteuse des patients atteints de démence, 4 types d’intervention qui apportaient des preuves (de qualité modérée) d’efficacité. Aucune des interventions précitées ne concernait spécifiquement la prise en charge des patients présentant une démence avancée. La RCT analysée ici montre un intérêt limité d’une intervention visant une aide à la décision basée sur des GOC (Goals of Care) ciblant le représentant légal d’une personne fort âgée, institutionnalisée et souffrant d’une démence avancée.



Contexte

Dans le domaine de la prise en charge non médicamenteuse des patients atteints de démence, 4 types d’intervention ont apporté des preuves (de qualité modérée) d’efficacité (1) :

  • des interventions à composantes multiples avec composante psychosociale/psychoéduca- tive des soignants informels (alias aidants naturels) réduisent le risque d’institutionnalisation et en augmentent le délai
  • la formation du personnel soignant en institution diminue l’usage des contentions mais les autres effets sur les résidents restent à prouver
  • des programmes d’activité physique
  • des programmes de stimulation/entraînement cognitif du patient ont montré un intérêt variable selon les études et à court terme chez des patients atteints de démence légère à modérée.

Des preuves d’efficacité d’interventions non médicamenteuses spécifiques aux patients atteints de démence “avancée”, de modérée et impliquant un représentant légal étaient manquantes. Cette RCT étatsunienne évalue une telle intervention.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : dyade constituée d’un patient ≥ 65 ans, présentant une démence à un stade avancé selon la Global Deterioration Scale, de modérée (GDS 5 : vie indépendante impossible, patient régulièrement désorienté) à sévère (GDS 6, modérément sévère et GDS 7 : sévère : parole rare, complètement dépendant d’une tierce personne et ne reconnaissant jamais les membres de la famille) et de leur représentant légal légitimement reconnu comme tel par les autorités compétentes
  • 302 dyades ont été incluses 
    • caractéristiques des patients atteints de démence inclus : âge moyen de 86,5 ans ; 81,5% de femmes ; risque de décès à 12 mois de 33% (score ADEPT, Advanced Dementia Prognostic Tool) ; score GDS 5 (modéré) pour 25%, 6 (modérément sévère) pour 50%, 7 (sévère) pour 25% ; en MR depuis en moyenne 707 à 811 jours
    • caractéristiques du représentant légal : âge moyen de 63 ans, généralement la fille ou la belle-fille.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en simple aveugle, en grappes
  • rétribution des représentants légaux
  • 22 maisons de repos (MRs) à 60 minutes de voiture maximum de l’université guidant la recherche (University of North Carolina-Chapel Hill) ; 11 MRs avec intervention à évaluer, 11 MRs contrôle
  • intervention à évaluer : projection vidéo d’aide à la décision (GOC, Goals of Care) aux représentants familiaux puis discussion avec l’équipe soignante du home ; programme vidéo de 18 minutes comportant des informations concernant la démence, les buts d’une prolongation de la vie, d’aide fonctionnelle ou d’amélioration du confort, les traitements spécifiques à chaque objectif, la priorisation des objectifs ; discussion ensuite avec l’équipe thérapeutique préalablement formée (1 session d’une heure) à l’aide à la décision GOC et à la communication avec la famille (principes + jeux de rôle)
  • intervention contrôle : vidéo informative sur l’interaction avec une personne démente et réunion avec le staff pour fixer un plan de soin habituel, staff préalablement informé (1 session de 45 minutes) du processus d’étude.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : qualité de la communication et de la prise de décision à 3 mois au moyen de 3 mesures auprès de la famille : score de qualité de la communication du personnel soignant (QOC pour Quality of Communication), concordance avec les objectifs thérapeutiques des cliniciens, score de problème concernant la planification anticipée des soins 
  • critères de jugement secondaires : qualité des soins palliatifs à 6 et 9 mois (ou décès) : Symptom Management at the End of Life in Dementia (SM – EOLD) et le Satisfaction with Care at the End of Life in Dementia (SWC – EOLD) ; nombre de transferts vers l’hôpital et survie à 9 mois
  • analyse en ITT.

Résultats

  • en tenant compte des décès prévus, participation à 99% à 3 et 6 mois et de 100% à 9 mois
  • critère de jugement primaire :
    • score QOC sur 10 points à 3 mois : 6,0 (DS 2,0) sous intervention et 5,6 (DS 1,8) sous contrôle ; p = 0,05 pour la différence ; différence non significative pour le sous-score “les aptitudes à une communication en général” mais significatif pour celui évaluant “la communication concernant les soins de fin de vie” : 3,7 vs 3 ; p = 0,02
    • concordance avec les objectifs thérapeutiques des cliniciens à 3 mois, le but principal visé étant le confort : 77,2% sous intervention évaluée, 70,1% sous contrôle ; p = 0,12
    • problème dans la planification anticipée des soins : différence non significative
  • critères de jugement secondaires :
    • qualité des soins palliatifs : pas de différence significative au score concernant les symptômes (SM - EOLD) ni pour la satisfaction (SWC - EOLD) à 6 et 9 mois, mais avec plus de domaines couverts par des soins palliatifs à 6 mois sous intervention (5,6% versus 4,7% ; p = 0,02)
    • réduction du nombre de transferts vers l’hôpital à 9 mois (ou décès) : p = 0,02
    • pas de différence significative en termes de temps de survie à 9 mois.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une intervention visant une aide à la décision basée sur des GOC (Goals of Care) est efficace pour améliorer la communication concernant la fin de vie pour des résidents en maison de repos souffrant d’une démence avancée et qu’elle améliore les plans de soins palliatifs tout en réduisant les hospitalisations.

Financement de l’étude

National Institutes of Health et National Institute on Aging qui ne sont intervenus à aucun des stades de cette recherche.

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun conflit d’intérêts n’est rapporté.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT repose sur un dessin d’étude correct. Du fait du type d’intervention, la recherche est en simple aveugle mais les évaluateurs ne connaissent pas l’intervention dont ont bénéficié les dyades qu’ils évaluent via le représentant familial. La randomisation est effectuée en grappes, ce qui, correctement, évite une « contamination » entre les 2 interventions au sein du même établissement.

La randomisation a été effectuée avec respect du secret d’attribution (pour les chercheurs), par blocs de 4 (sauf 2 pour le dernier bloc), avec appariement pour les institutions commerciales versus non commerciales et pour le pourcentage de résidents afro-américains. Les auteurs déclarent avoir fait leurs analyses en intention de traiter et avec une correction pour l’effet de grappes et pour le risque de mortalité à 6 mois.

La puissance (non mentionnée !) d’étude avait été calculée en fonction d’une différence moyenne de 0,8 au score QOC général (différence non significative de 0,4 atteinte à 3 mois) et de 1,5 au sous-score QOC soins de fin de vie (différence significative de 0,7 atteinte à 3 mois).

Une limite importante de cette publication est la nette insuffisance de références correctes concernant les scores utilisés pour évaluer les critères de jugement de l’étude et leur validité.

Une autre limite potentielle est le fait que cette étude est réalisée dans un seul état étatsunien ; les résultats devraient être confirmés en d’autres lieux. Le fait que le représentant familial soit rémunéré (dans les 2 groupes) peut avoir influencé les résultats.

Interprétation des résultats

Cette étude concerne une population de personnes présentant une démence avancée, modérée à sévère au score GDS, et institutionnalisées depuis presque ou plus de 2 ans en MR, personnes bénéficiant du soutien d’un représentant légal. Le personnel soignant a bénéficié d’une formation appropriée au projet et à la communication avec la famille.

Dans les deux groupes, le confort est l’objectif principal des représentants familiaux.

L’estimation de la communication concernant les soins de fin de vie par les représentants légaux est meilleure dans le groupe intervention GOC, et ces représentants sont aussi davantage persuadés que les soignants priorisent le même but qu’eux. Il n’y a cependant pas de différence significative nette pour le critère de jugement primaire, la valeur p étant limite (par manque de puissance d’étude ?).

La communication entre les représentants légaux et les soignants est clairement meilleure avec les infirmières et les travailleurs sociaux qu’avec les médecins qui ne participent que très rarement aux discussions de staff avec les représentants familiaux. Seuls ¼ des représentants légaux ont communiqué avec le médecin responsable du traitement à 9 mois.

Les auteurs rapportent moitié moins d’hospitalisations grâce à l’intervention GOC, sans modification du taux de mortalité.

Mise en perspective

Nous avons abordé plusieurs fois dans la revue Minerva la prise en charge non médicamenteuse de patients déments, dans des contextes et à des stades de démence différents.

Pour des personnes démentes avec des troubles comportementaux et institutionnalisées, nous avons mentionné à propos d’une RCT en grappes (2,3) qu’une conclusion n’était pas possible concernant une approche centrée sur le patient ou l’approche dementia-care mapping, en termes d’efficacité cliniquement pertinente sur l’agitation et la qualité de vie.

Pour des patients souffrant d’une démence d’Alzheimer et de troubles associés (sans caractéristiques bien décrites !), une synthèse méthodique de la littérature, de qualité méthodologique moyenne, ne permettait aucune conclusion pratique pour les cliniciens (4,5).

Pour la prise en charge non médicamenteuse au domicile, par les aidants familiaux, des symptômes psychologiques et comportementaux liés à la démence, une synthèse méthodique de la littérature, de qualité méthodologique moyenne, confirmait la nécessité d’interventions multifactorielles et non ponctuelles, centrées sur les besoins des aidants (6,7).

Dans la rubrique « contexte » de cette analyse-ci, nous avons repris les 4 types d’intervention ayant apporté des preuves (de qualité modérée) d’efficacité dans le domaine de la prise en charge non médicamenteuse des patients atteints de démence selon le KCE (1).

Le FormulR/info publié par Farmaka en novembre 2016 (8), apporte des éléments détaillés et référencés concernant la prise en charge palliative et la planification des soins chez les personnes souffrant d’une démence avancée.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT concernant des personnes fort âgées présentant une démence avancée, institutionnalisées depuis environ 2 ans, bénéficiant du soutien d’un représentant légal, montre un intérêt limité d’une intervention comportant un outil d’information (vidéo) du représentant légal accompagné d’une concertation avec les soignants en termes d’amélioration de la communication concernant les soins de fin de vie et de réduction des hospitalisations.

 

Pour la pratique

En 2009, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) évaluant l’efficacité de la prise en charge, médicamenteuse ou non, de la maladie d’Alzheimer (9), constatait qu’un soutien professionnalisé et de longue durée apporté aux soignants informels constituait la seule intervention retardant significativement l'institutionnalisation du patient. L'effet potentiel de ce type d’intervention non pharmacologique semble être supérieur à ce qui peut être observé avec les médicaments actuellement disponibles.

En 2011, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) précisait, dans le domaine de la prise en charge non médicamenteuse des patients atteints de démence, 4 types d’intervention qui apportaient des preuves (de qualité modérée) d’efficacité (1).

Aucune des interventions précitées ne concernait spécifiquement la prise en charge des patients présentant une démence avancée. La RCT analysée ici montre un intérêt limité d’une intervention visant une aide à la décision basée sur des GOC (Goals of Care) ciblant le représentant légal d’une personne fort âgée, institutionnalisée et souffrant d’une démence avancée.

 

Références 

  1. Kroes M, Garcia-Stewart S, Allen F, et al. Démence : quelles interventions non pharmacologiques ? Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles : Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), 2011. KCE Reports 160B. D/2011/10.273/36.
  2. Chenoweth L, King MT, Jeon YH, et al. Caring for Aged Dementia Care Resident Study (CADRES) of person-centred care, dementia-care mapping, and usual care in dementia: a cluster-randomised trial. Lancet Neurol 2009;8:317-25. DOI: 10.1016/S1474-4422(09)70045-6
  3. Schoenmakers B. Démence : soins centrés sur la personne et dementia-care mapping. MinervaF 2011;10(3):34-5.
  4. Olazarán J, Reisberg B, Clare L, et al. Nonpharmacological therapies in Alzheimer's disease: a systematic review of efficacy. Dement Geriatr Cogn Disord 2010;30:161-78. DOI: 10.1159/000316119
  5. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques dans la démence d’Alzheimer et troubles associés. MinervaF 2013;12(3):34-5.
  6. Brodaty H., Arasaratnam B. Meta-analysis of nonpharmacological interventions for neuropsychiatric symptoms of dementia. Am J Psychiatry 2012;169:946-53. DOI: 10.1176/appi.ajp.2012.11101529
  7. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences. MinervaF 2014;13(1):6-7.
  8. La démence avancée. FormulR/info 2016;23:25-31.
  9. Hulstaert F, Thiry N, Eyssen M, Vrijens F. Interventions pharmaceutiques et non pharmaceutiques dans la maladie d’Alzheimer : une évaluation rapide. Health Technology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre fédéral d'expertise des soins de santé́ (KCE), 2009. KCE Reports 111B. D/2009/10.273/28.

 

 




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