Revue d'Evidence-Based Medicine



Tests performants pour la détection d’une dépression majeure chez des sujets présentant une démence non sévère



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 226 - 230

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Goodarzi ZS, Mele BS, Roberts DJ, Holroyd-Leduc J. Depression case finding in individuals with dementia: a systematic review and meta-analysis. J Am Geriatr Soc 2017;65:937-48. DOI: 10.1111/jgs.14713


Question clinique
Chez des sujets âgés en services de soins de longue durée ou non institutionnalisés, quelle est la performance de différents tests pour la détection d’une dépression en cas de démence non sévère ?


Conclusion
Cette synthèse de la littérature avec méta-analyses de bonne qualité montre que deux tests présentent une bonne performance pour la détection d’une dépression majeure chez des sujets présentant une démence non sévère : le Cornell Scale for Depression in Dementia (CSDD) et le Hamilton Depression Rating Scale (HDRS).


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique de NICE ne précise pas l’outil de référence à utiliser pour évaluer une dépression en cas de démence, tout en proposant un antidépresseur en cas d’association à une dépression sévère et en référant à son guide de pratique clinique concernant la dépression. La synthèse analysée ici montre l’intérêt préférentiel des tests CSDD et HDRS pour la détection d’une dépression majeure chez des patients présentant une démence. Pour rappel, en ce qui concerne le traitement de la dépression en cas de démence, nous disposons de preuves de l’intérêt d’approches non pharmacologiques et non des antidépresseurs.



Contexte

La prévalence d’une dépression majeure en cas de démence est importante : de 12,7% sur critères DSM à 42% pour des critères diagnostiques de dépression en cas de démence selon une synthèse de la littérature (1). Une importante étude de cohorte prospective effectuée aux USA (2) a montré une incidence plus importante (OR de 2,64 avec IC à 95% de 2,43 à 2,86) de dépression chez les personnes démentes que chez celles qui ne le sont pas. Différents tests sont proposés pour la détection des cas de dépression en cas de démence. La performance comparative (sensibilité, spécificité, rapports de vraisemblance) de ces tests, par rapport à des critères diagnostiques de référence, n’avait pas encore été établie de façon méthodique.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • bases de données : MEDLINE, EMBASE, PsycINFO de leur initiation au 27 mai 2015
  • recherche limitée aux publications en anglais
  • contact avec les auteurs si nécessaire
  • consultation de la littérature grise (du 10 au 25 juin 2015), y compris les résumés de conférence, les sites web de sociétés et de guides de pratique (modalités non décrites).

Etudes sélectionnées

  • études évaluant la précision d’un outil de détection de cas de dépression chez des sujets atteints de démence versus des critères de référence (voir liste*)
  • incluant suffisamment de données pour calculer la sensibilité, la spécificité, les rapports de vraisemblance des outils proposés
  • exclusion des études avec informations insuffisantes, non originales, non effectuées chez l’homme, non en anglais, concernant la démence liée à la maladie de Parkinson
  • sélection finale de 20 études pour une synthèse qualitative et inclusion finale de 15 études pour les méta-analyses.

Populations étudiées

  • 3035 sujets déments dont 504 présentant une dépression
  • 34 à 1239 sujets par étude
  • 4 études effectuées dans des services de soins de longue durée ; 11 études incluant des sujets non institutionnalisés
  • âge moyen de 75,2 ans (avec IC à 95% de 71,7 à 78,7)
  • score MMSE moyen de 11,2 à 24,8 ; aucune étude ne concerne la démence sévère (MMSE 0 à 10).

Mesure des résultats

  • prévalence (sommée) de dépression en cas de démence
  • précision diagnostique des tests de dépistage (détection) de dépression en cas de démence : sensibilité, spécificité, rapports de vraisemblance
  • des méta-analyses sont effectuées pour les résultats d’études concernant le même outil de détection, avec les différents seuils proposés (identiques ou différents selon les études) avec courbes ROC, AUC et calcul de la odds ou cote préalable au test est la probabilité d’être malade par rapport à la probabilité de ne pas être malade avant la réalisation d’un test diagnostique. Pretest odds = probabilité préalable / (1 - probabilité préalable).">probabilité pré et post-test.

Résultats

  • prévalence sommée de dépression (15 études) : 30,3% (avec IC à 95% de 21,1 à 38,5%) avec forte hétérogénéité (prévalence de 5,4% à 76,6%, test I² à 97,1% ; p < 0,001)
  • prévalence de dépression majeure en fonction du score MMSE : 21,3% (avec IC à 95% de 14,4 à 28,2) en cas de MMSE de 21 à 25 et de 38,4% (avec IC à 95% de 20,5 à 56,3) en cas de MMSE de 11 à 20) avec hétérogénéité considérable au test I² (98,3%)
  • prévalence de dépression majeure pour la population non institutionnalisée : 32,3% (avec IC à 95% de 22,5 à 42,1)
  • précision des tests : seuls les résultats de 3 tests permettent de faire une méta-analyse, dont 2 avec une meilleure performance (voir tableau 1) et résultats modulables selon les valeurs-seuils choisies (voir tableau 2) ; pour les autres tests, les études présentent trop de différences (par ex. des critères diagnostiques de référence) pour permettre une méta-analyse et les sensibilités et spécificités sont fort variables
  • une hétérogénéité considérable est présente pour tous les tests.

 

Tableau 1. Sensibilité et spécificité des tests CSDD, GDS-30 et HDRS (avec IC à 95%, test I² et valeur p) et rapports de vraisemblance (RV) + et - (avec IC à 95%) pour la détection d’une dépression majeure.

Test

Sensibilité

(IC à 95%)

p

Spécificité

 (IC à 95%)

p

RV +

(IC à 95%)

RV -

(IC à 95%)

CSDD

10 études

0,84

(0,73 à 0,91)

75,18

< 0,001

0,80

(0,65 à 0,90)

92,5

< 0,001

4,21

(2,24 à 7,88)

0,20

(0,12 à 0,35)

GDS-30

6 études

0,62

(0,45 à 0,76)

87,08

< 0,001

0,81

(0,75 à 0,85)

72,87

< 0,001

3,21

(2,52 à 4,08)

0,47

(0,33 à 0,69)

HDRS

4 études

0,86

(0,63 à 0,96)

89,13

< 0,001

0,84

(0,76 à 0,90)

70,67

0,02

5,31

(3,60 à 7,84)

0,17

(0,06 à 0,49)

 

Tableau 2. Sensibilité et spécificité des tests CSDD et HDRS en fonction des valeurs-seuils choisies (avec IC à 95%).

Tests et seuils

Sensibilité (IC à 95%)

Spécificité (IC à 95%)

CSDD

   

6

0,91 (0,82 à 0,95)

0,73 (0,42 à 0,91)

7

0,86 (0,74 à 0,92)

0,75 (0,51 à 0,90)

8

0,78 (0,67 à 0,86)

0,84 (0,58 à 0,95)

HDRS

   

8

0,82 (0,55 à 0,95)

0,85 (0,75 à 0,91)

9

0,80 (0,57 à 0,93)

0,87 (0,82 à 0,91)

10

0,73 (0,55 à 0,85)

0,89 (0,85 à 0,92)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il existe plusieurs outils validés pour la détection d’une dépression chez des sujets présentant une démence. Les outils qui incluent une interview médicale avec le patient et son entourage, le CSDD et le HDRS, ont une plus grande sensibilité permettant de réduire le nombre de faux négatifs.

Financement de l’étude 

Pas de sponsoring ou de financement de cette étude par l’industrie.

Conflits d’intérêts des auteurs 

3 des 4 auteurs déclarent avoir reçu des fonds du Canadian Institutes for Health Research et/ou autre institut de recherche.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La sélection des études a été effectuée par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre, avec mesure de la variation interobservateurs pour la sélection des résumés d’études. L’extraction des données des études est effectuée de manière rigoureuse et systématique. La qualité méthodologique et le risque de biais sont analysés avec l’outil validé QUADAS-2 (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies) par 3 investigateurs indépendamment l’un de l’autre avec avis extérieur si nécessaire. Les analyses sont faites avec des outils validés, en modèle d’effets aléatoires, avec test I2 de Higgins et statistique Q de Cochrane. Les auteurs originaux ont été contactés pour éviter un biais de publications multiples. Des analyses en métarégression univariée ont été effectuées, si les données étaient suffisantes, pour explorer l’hétérogénéité en fonction de covariables identifiées par ailleurs (littérature, experts) : région de l’étude, type de démence, sévérité de la démence, score MMSE, contexte clinique, évaluateur.

Les auteurs ont exploré la considérable hétérogénéité des résultats. Ils estiment que les différents seuils utilisés dans les différentes études en sont responsables mais aussi, très probablement, des différences dans le type de démence et les comorbidités (données non précisées dans les études avec analyse donc non possible). Soulignons aussi qu’une précédente synthèse méthodique (3) avait montré la fréquence d’un biais d’observation et d’un biais d’information différentielle dans les études évaluant la précision diagnostique de tests, biais pouvant principalement influencer la sensibilité de l’outil.

Interprétation des résultats

La dépression en cas de démence est associée à des capacités cognitives moindres, une charge plus lourde pour les soignants, des capacités physiques moindres, une mortalité accrue, une institutionnalisation plus fréquente, une moindre qualité de vie (4). Il est donc important de rechercher (dépistage ciblé) une dépression majeure chez des personnes présentant une démence. Nous avons déjà présenté dans la revue Minerva différents tests utilisés pour évaluer l’état dépressif de patients atteints de démence (légère, dans le cadre d’une maladie d’Alzheimer) (5,6). Cette synthèse méthodique-ci nous offre une vue plus globale et synthétique, tout en nous montrant les limites de nos (mé)connaissances actuelles.

Une méta-analyse n’est possible que pour 3 outils. Le GDS-30 (Geriatric Depression Scale -30) montre une sensibilité inférieure aux tests CSDD (Cornell Scale for Depression in Dementia) et HDRS (Hamilton Depression Rating Scale ) avec un risque plus élevé de faux négatifs.

Les tests CSDD et HDRS ont une performance semblable : force probante respectivement de 4,2 et de 5,3 (à la limite d’un bon argument) et force excluante de 5 et de 6 (à la limite du bon argument également). Il s’agit donc, suivant la positivité ou la négativité du résultat du test, d’un bon argument pour retenir ou pour exclure le diagnostic.

Il faut cependant souligner les limites des conclusions possibles à partir de ces résultats. Ces valeurs ne sont pas extrapolables aux sujets présentant une démence sévère, sujets chez lesquels il reste important de faire un diagnostic différentiel entre dépression majeure, apathie et délire (CSS 2016) (7). Nous ne possédons également pas de renseignements sur le type et la sévérité de la démence. Les limites méthodologiques ont été soulignées au précédent paragraphe.

Diagnostic mais aussi prise en charge thérapeutique

Cette publication n’aborde pas l’aspect thérapeutique. Il est, pour le praticien, essentiel afin de déterminer si un dépistage ciblé est utile. Sur base d’une méta-analyse, nous avions conclu dans la revue Minerva (8,9) que l’efficacité des antidépresseurs chez des patients présentant une démence et un état dépressif n’était pas prouvée. En 2013, une nouvelle RCT confirmait ce manque de preuve (10).

Des interventions non pharmacologiques se sont, par contre, montrées efficaces.

Une synthèse méthodique de la littérature publiée en 2012 (11), relative à la prise en charge non médicamenteuse au domicile, par les aidants familiaux, des symptômes psychologiques et comportementaux liés à la démence, confirmait la nécessité d’interventions multifactorielles et non ponctuelles, centrées sur les besoins des aidants (12).

Une RCT effectuée au Danemark (6) montrait qu’une intervention psychosociale à composantes multiples, par comparaison avec un suivi structuré seul, chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer (à un stade léger) et chez le principal aidant naturel, après 12 mois, ne conduisait pas à de meilleurs résultats sur le plan de la dépression, de la qualité de vie et des fonctions cognitives chez le patient.

Une synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration (13) montrait que les traitements psychologiques sont efficaces dans le traitement des symptômes de la dépression et de l’anxiété chez les patients atteints de démence, mais avec une forte hétérogénéité clinique des études, avec leurs limites sur le plan méthodologique (14).

Un Consensus  canadien destiné aux médecins généralistes (15) propose de prendre en considération l’administration d’un antidépresseur chez les patients déments en cas de réponse inadéquate à des interventions non pharmacologiques ou en cas de trouble dépressif majeur, de dysthymie sévère ou de labilité émotionnelle sévère (grade 2A). Il souligne l’absence de données probantes de l’intérêt des antidépresseurs dans la prise en charge des troubles de comportement liés à la démence.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse de la littérature avec méta-analyses de bonne qualité montre que deux tests présentent une bonne performance pour la détection d’une dépression majeure chez des sujets présentant une démence non sévère : le Cornell Scale for Depression in Dementia (CSDD) et le Hamilton Depression Rating Scale (HDRS).

 

Pour la pratique

Le guide de pratique de NICE (16) ne précise pas l’outil de référence à utiliser pour évaluer une dépression en cas de démence, tout en proposant un antidépresseur en cas d’association à une dépression sévère et en référant à son guide de pratique clinique concernant la dépression. La synthèse analysée ici montre l’intérêt préférentiel des tests CSDD et HDRS pour la détection d’une dépression majeure chez des patients présentant une démence. Pour rappel, en ce qui concerne le traitement de la dépression en cas de démence, nous disposons de preuves de l’intérêt d’approches non pharmacologiques et non des antidépresseurs.

 

* Tests de détection évalués

  • CSDD : Cornell Scale for Depression in Dementia
  • GDS : Geriatric Depression Scale (version 4, 10, 15 et 30)
  • HDRS : Hamilton Depression Rating Scale
  • csGDS : collateral source GDS
  • MADRS : Montgomery Asberg Depression Rating Scale
  • NORD : Nijmegen Observed-Rated Depression Scale.

Critères de diagnostic de référence

  • DSM-III-R
  • DSM-IV
  • ICD-10 International Classification of Disease - 10
  • PDC-dAD Provisional Diagnostic Criteria for Depression of Alzheimer’s Disease
  • RDC Research Diagnostic Criteria
  • Structured Clinical Interview for DSM disorders.

 

Références 

  1. Chi S, Wang C, Jiang T, et al. The prevalence of depression in Alzheimer's disease: a systematic review and meta-analysis. Curr Alzheimer Res 2015;12:189-98. DOI: 10.2174/1567205012666150204124310
  2. Snowden MB, Atkins DC, Steinman LE, et al. Longitudinal association of dementia and depression. Am J Geriatr Psychiatry 2015;23:897-905. DOI: 10.1016/j.jagp.2014.09.002
  3. Whiting PF, Rutjes AW, Westwood ME, et al. A systematic review classifies sources of bias and variation in diagnostic test accuracy studies. J Clin Epidemiol 2013;66:1093-104. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2013.05.014
  4. Watson LC, Garrett JM, Sloane PD, et al. Depression in assisted living: results from a four-state study. Am J Geriatr Psychiatry 2003;11:534-42. DOI: 10.1097/00019442-200309000-00008
  5. Vermeulen B. Intervention psychosociale à composantes multiples en cas de maladie d’Alzheimer légère ? MinervaF 2013;12(8):95-6.
  6. Waldorff FB, Buss DV, Eckermann A, et al. Efficacy of psychosocial intervention in patients with mild Alzheimer’s disease: the multicentre, rater blinded, randomized Danish Alzheimer Intervention Study (DAISY). BMJ 2012;345:e4693. DOI: 10.1136/bmj.e4693
  7. Démence : diagnostic, gestion du comportement et questions éthiques. Conseil Supérieur de la Santé, Avis 8890, 2016. Update février 2017.
  8. Chevalier P. Patient dément et dépressif : antidépresseur utile ? Minerva bref 28/10/2011.
  9. Nelson JC, Devanand DP. A systematic review and meta-analysis of placebo-controlled antidepressant studies in people with depression and dementia. J Am Geriatr Soc 2011;59:577-85. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2011.03355.x
  10. Banerjee S, Hellier J, Romeo R, et al. Study of the use of antidepressants for depression in dementia: the HTA-SADD trial - a multicentre, randomised, double-blind, placebo-controlled trial of the clinical effectiveness and cost-effectiveness of sertraline and mirtazapine. Health Technol Assess 2013;17:1-166. DOI: 10.3310/hta17070
  11. Brodaty H., Arasaratnam B. Meta-analysis of nonpharmacological interventions for neuropsychiatric symptoms of dementia. Am J Psychiatry 2012;169:946-53. DOI: 10.1176/appi.ajp.2012.11101529
  12. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences. MinervaF 2014;13(1):6-7.
  13. Orgeta V, Qazi A, Spector AE,  Orrell M. Psychological treatments for depression and anxiety in dementia and mild cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD009125.pub2
  14. Van Daele T. Les traitements psychologiques de la dépression et de l’anxiété sont-ils efficaces chez le patient dément ? Minerva bref 15/10/2014.
  15. Moore A, Patterson C, Lee L, et al; Canadian Consensus Conference on the Diagnosis and Treatment of Dementia. Fourth Canadian consensus conference on the diagnosis and treatment of dementia: recommendations for family physicians. Can Fam Physician 2014;60:433-8.
  16. National Institute for Health and Care Excellence. Dementia: supporting people with dementia and their carers in health and social care. Clinical guideline [CG42]. Published date: November 2006. Last updated: September 2016.

 

 




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