Revue d'Evidence-Based Medicine



Etudes de non-infériorité : risque médicamenteux dit non inférieur à celui d’un placebo… même s’il est plus élevé



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 236 - 237

Professions de santé



 

Nous avons souligné plusieurs fois dans la revue Minerva la prudence nécessaire dans l’interprétation des résultats des études de non-infériorité (1-4), notamment à propos de la signification de la borne (marge) de non-infériorité.

Dans ses recommandations aux firmes pharmaceutiques pour les études concernant la sécurité cardiovasculaire des nouveaux médicaments antidiabétiques, la Food and Drug Administration fixe une borne (marge) de non-infériorité à 1,3 (5).  Par exemple, dans l’étude de Marso et al. (6) que nous avons analysée dans la revue Minerva (7), c’est une marge de 1,3 qui est utilisée. Ceci signifie, selon le protocole d’étude initial, que le liraglutide peut être déclaré non inférieur au placebo s’il n’occasionne pas plus de 30% d’évènements cardiovasculaires (morbidité et mortalité) en plus que le placebo.

D’autres aspects concernant ces critères de jugement composites, le nombre de leurs cas et leurs différents composants doivent être soulignés.

 

  • Nombre d’évènements à enregistrer 

Des auteurs (8) ont clairement montré que, dans les études de non-infériorité, le nombre d’évènements à enregistrer pour le critère primaire était un élément essentiel et dépendant de la marge de non-infériorité choisie, de la puissance d’étude prévue (voir tableau 1) et du HR (voir tableau 2). Dans une phase précédant la mise sur le marché, une marge de 1,8 est acceptée pour soumettre le dossier d’un nouveau médicament. 

 

 

Tableau 1. Nombre d’évènements nécessaires en fonction de la marge d’infériorité et de la puissance d’étude voulue.

Marge d’infériorité

Puissance d’étude

 

80%

85%

90%

1,8

91

105

122

1,3

456

522

611

Source : Menon V, Lincoff AM. Cardiovascular safety evaluation in the development of new drugs for diabetes mellitus. Circulation 2014;129:2705-13.

 

 

Tableau 2. Trois exemples du nombre de cas nécessaires en fonction du HR (du résultat) et de la marge d’infériorité choisie, pour un résultat meilleur, non différent ou moins bon, du médicament actif versus comparateur (placebo).

HR

Marge d’infériorité

 

< 1,8

< 1,3

0,80

64

179

1

122

611

1,1

174

1505

Source : Menon V, Lincoff AM. Cardiovascular safety evaluation in the development of new drugs for diabetes mellitus. Circulation 2014;129:2705-13 (version adaptée).

 

Plus la marge est étroite, au plus le nombre d’évènements nécessaires est important.

Plus le nombre d’évènements est faible, au plus l’IC à 95% est large.

Plus la population incluse est à risque, plus la durée d’étude est espérée plus courte au vu d’un plus grand nombre d’évènements sur un délai plus court. Les études de non-infériorité ciblent donc des populations plus à risque.

Ceci peut aussi avoir comme conséquence un arrêt prématuré d’étude lorsque, lors d’une analyse intermédiaire, le constat d’un nombre suffisant d’évènements est fait, avec les incertitudes provoquées par cet arrêt prématuré dans l’interprétation des résultats d’étude.

 

  • Premier évènement enregistré 

Dans les études avec critère de jugement composite, c’est le premier évènement survenu qui est pris en compte pour un patient donné. Dans les récentes études montrant un intérêt d’un inhibiteur du SGLT2 dans l’étude EMPA-REG avec l’empagliflozine (9,10) et d’un analogue du GLP1 dans l’étude LEADER avec le liraglutide (6), un bénéfice de ces médicaments versus placebo en termes de prévention cardiovasculaire est observé. La puissance est calculée à 90% pour un HR de 1. Ces études ont inclus des patients à haut risque cardiovasculaire.

Le critère de jugement primaire composite inclut l’infarctus du myocarde (IM) non fatal, l’AVC non fatal et le décès cardiovasculaire. L’analyse de ce critère primaire composite montre que, dans les 2 études, c’est le nombre de décès cardiovasculaires qui est le plus important et qui est le seul sous-critère pour lequel la différence est statistiquement significative (11).

 

Critère

EMPAREG

empagliflozine/placebo

HR (avec IC à 95%)

Valeur p

LEADER

liraglutide/placebo

HR (avec IC à 95%)

Valeur p

Primaire composite

0,86 (0,74 à 0,99)

p de non-infériorité < 0,001

p de supériorité = 0,04

0,87 (0,78 à 0,97)

p de non-infériorité < 0,001

p de supériorité = 0,01

IM non fatal

0,87 (0,70 à 1,09)

p = 0,22

0,88 (0,75 à 1,03)

p = 0,11

AVC non fatal

1,24 (0,92 à 1,67)

p = 0,16

0,89 (0,72 à 1,11)

p = 0,30

Décès CV

0,62 (0,49 à 0,77)

p < 0,001

0,78 (0,66 à 0,93)

p = 0,007

 

Le risque d’AVC pourrait être augmenté jusqu’à 67% avec l’empagliflozine.

Par ailleurs, comme nous l’avons mentionné dans notre analyse (7) de l’étude LEADER (6), la diminution de la mortalité cardiovasculaire est étonnante par rapport aux résultats de nombreuses autres larges études avec de nouveaux médicaments antidiabétiques (8). Cette diminution des décès, précocement enregistrée, non observée dans d’autres études, pourrait être liée au hasard et devrait être confirmée dans des études de supériorité (11). Des RCTs en protocole de supériorité restent indispensables pour confirmer ces données favorables. Menon et al. (8) soulignent aussi que les études de non-infériorité ne ciblent pas des patients à moindre risque ni des patients présentant une pathologie à un stade plus précoce, patients qui pourraient peut-être davantage bénéficier d’un traitement préventif efficace.

 

Conclusion

La population des études de non-infériorité est, particulièrement dans le domaine du diabète, une population plus à risque. Il faut en tenir compte lors de l’interprétation des résultats des études de non-infériorité qui devraient aussi être confirmés dans des études de supériorité au protocole adéquat.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Etude de non-infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
  2. Chevalier P. Etudes d’équivalence versus études d’infériorité ou de supériorité. MinervaF 2009;8(8):116.
  3. Chevalier P. Les bornes de non infériorité. MinervaF 2013;12(5):64.
  4. Chevalier P. Résultats dans les études de non infériorité : limites des rapports de hasards. MinervaF 2016;15(3):81-2.
  5. Diabetes mellitus - evaluating cardiovascular risk in new antidiabetic therapies to treat type 2 diabetes. Guidance for Industry. FDA 2008.
  6. Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K, et al. Liraglutide and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016;375:311-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1603827
  7. Vanhaeverbeek M. Le liraglutide est-il sans risque au plan cardiovasculaire dans le traitement du diabète de type 2, ou a-t-il même un effet cardioprotecteur ? Minerva bref 15/02/2017.
  8. Menon V, Lincoff AM. Cardiovascular safety evaluation in the development of new drugs for diabetes mellitus. Circulation 2014;129:2705-13. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.113.008221
  9. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, et al; EMPA-REG OUTCOME Investigators. Empagliflozin, cardiovascular outcomes, and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;373:2117-28. DOI: 10.1056/NEJMoa1504720
  10. Wens J. Empagliflozine : quel effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2 ? MinervaF 2016;15(4):98-101.
  11. Campbell-Scherer D. Reflections on using non-inferiority randomised placebo controlled trials in assessing cardiovascular safety of new agents for treatment of type 2 diabetes. Evid Based Med 2017;22:54-6. DOI: 10.1136/ebmed-2017-110685

 

 


Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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