Revue d'Evidence-Based Medicine



Clozapine dans la schizophrénie réfractaire : efficacité prouvée ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 10 Page 245 - 248

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Siskind D, McCartney L, Goldschlager R, Kisely S. Clozapine v. first- and second-generation antipsychotics in treatment-refractory schizophrenia: systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry 2016;209:385-92. DOI: 10.1192/bjp.bp.115.177261


Question clinique
La clozapine est-elle plus efficace que les neuroleptiques, de première ou de deuxième génération, pour réduire les symptômes psychotiques des patients atteints de schizophrénie réfractaire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse, correctement menée, conclut qu’en cas de schizophrénie réfractaire, les symptômes positifs sont mieux soulagés à court terme avec de la clozapine qu’avec d’autres neuroleptiques. Il est nécessaire de poursuivre la recherche en définissant correctement la résistance au traitement et en accordant suffisamment d’attention aux effets indésirables.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Bien que tous les guides de pratique clinique internationaux mettent en avant la clozapine comme premier choix pharmacologique pour le traitement de la schizophrénie réfractaire, nous pouvons conclure, sur la base de deux méta-analyses récemment publiées, qu’il existe peu de preuves scientifiques claires à ce sujet. Dans l’attente d’une recherche complémentaire, la clozapine reste une importante option thérapeutique de deuxième ligne pour les patients qui présentent des symptômes psychotiques persistants après des tentatives avec d’autres neuroleptiques. Pendant les 18 premières semaines du traitement, des échantillons de sang doivent être prélevés toutes les semaines pour déterminer la numération leucocytaire, et ensuite tous les mois jusqu’à 4 semaines après la fin du traitement. Il faut également informer le patient des signaux d’alarme, tels que l’apparition soudaine d’une fièvre, qui peut être le signe d’une toxicité hématologique. Un autre effet indésirable qui nécessite une attention particulière est le risque de constipation grave.



Contexte

La clozapine est réservée au traitement de la schizophrénie réfractaire (1-5). Le recours à cette molécule est souvent différé par crainte d’effets indésirables graves et potentiellement mortels, comme l’agranulocytose (1), et en raison du manque de preuves sur ses avantages. La seule méta-analyse ayant examiné l’effet de la clozapine en cas de résistance au traitement ne l’a comparée qu’avec les neuroleptiques de première génération (appelés neuroleptiques classiques) (chlorpromazine et halopéridol) (6). Entre-temps, plusieurs études randomisées contrôlées ont comparé l’effet de la clozapine avec celui des neuroleptiques de deuxième génération (rispéridone, olanzapine, quétiapine).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Schizophrenia Group’s Trials Register, PubMed, EMBASE ; jusqu’au 6/2/2015
  • listes des références des articles sélectionnés, synthèses méthodiques, posters, syllabus de conférences, études de cas, courriers des lecteurs, éditoriaux
  • contact avec les experts du domaine pour obtenir des données non publiées
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

Études sélectionnées

  • 21 études randomisée contrôlées (RCTs), dont 18 menées en double aveugle et 3 menées en ouvert, avec évaluation des critères de jugement réalisée en aveugle, qui comparaient la clozapine avec des neuroleptiques de première ou de deuxième génération (au total 25 groupes témoins) et rapportaient les symptômes psychotiques, la réponse au traitement, les effets indésirables et les sorties d’étude
  • exclusion des études croisées.

Population étudiée

  • 2364 patients présentant une schizophrénie réfractaire, un trouble schizoaffectif ou un trouble schizophréniforme. La résistance au traitement étant définie comme au moins une, mais de préférence deux tentatives de traitement avec un neuroleptique de première ou de deuxième génération pendant au moins 6 semaines à une dose équivalente à au moins 600 mg de chlorpromazine.

 

Mesure des résultats

Résultats

  • amélioration plus importante des symptômes psychotiques avec la clozapine que dans le groupe témoin à court terme (différence moyenne standardisée (DMS) -0,39 avec IC à 95% de -0,61 à -0,17 ; N = 20 comparaisons ; I² = 68%), mais pas à long terme (N = 11 comparaisons ; I² = 39%) ; amélioration plus importante des symptômes psychotiques positifs avec la clozapine que dans le groupe témoin à court terme (DMS -0,27 avec IC à 95% de -0,47 à -0,08 ; N = 8 comparaisons ; I² = 32%) et à long terme (DMS -0,25 avec IC à 95% de -0,43 à -0,08 ; N = 7 comparaisons ; I² = 0%) ; amélioration plus importante des symptômes psychotiques négatifs avec la clozapine que dans le groupe témoin à court terme (DMS -0,25 avec IC à 95% de -0,40 à -0,10 ; N = 7 comparaisons ; I² = 6%), mais pas à long terme (N = 8 comparaisons ; I² = 64%) ; meilleurs résultats (tant à court terme qu’à long terme) dans les études chez les patients hospitalisés et dans les études sans promoteur issu de l’industrie pharmaceutique ; meilleurs résultats à long terme lorsque le score pour la psychose était plus élevé en début d’étude
  • versus groupe témoin, la réponse au traitement était plus importante avec la clozapine à court terme (risque relatif (RR) 1,17 avec IC à 95% de 1,07 à 2,73 ; réduction absolue du risque (RAR) 12,48% avec IC à 95% de 7,52 à 17,43 ; nombre de sujets à traiter (NST) 9 ; N = 8 études), mais pas à long terme (N = 5 études) ; pas de différence statistiquement significative lorsque l’on comparait avec des neuroleptiques de deuxième génération uniquement ; gain plus important après exclusion des études sans promoteur issu de l’industrie pharmaceutique
  • sorties d’étude : pas de différence entre la clozapine et le groupe témoin
  • augmentation statistiquement significative de certains d’effets indésirables avec la clozapine versus groupe témoin : plus de sialorrhée, (nombre nécessaire pour nuire (NNN) 4), de tachycardie (NNN 7), de convulsions (NNN 17), de fièvre (NNN 19), de vertiges (NNN 11), de sédation (NNN 7), de constipation (NNN 12), de nausées et vomissements (NNN 19) mais moins d’insomnie (NST 13) et de sécheresse buccale (NST 7).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la clozapine est supérieure en cas de maladie réfractaire, mais qu’en l’absence de réponse après six mois, il convient d’envisager des médicaments ayant moins d’effets indésirables.

 

Financement de l’étude

Le premier auteur a reçu un financement partiel d’une bourse de recherche du National Health and Medical Research Council (NHMRC) pour chercheurs à un stade précoce de leur carrière (Early Career Fellowships, ECF).

Conflits dintérêts des auteurs

Aucun n’est signalé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les investigateurs ont suivi les directives PRISMA pour l’élaboration du rapport de leur synthèse méthodique. La résistance au traitement est clairement définie, mais seulement 6 études répondent à tous les critères. 11 études ont inclus des patients présentant une intolérance au traitement plutôt qu’une résistance. Cela soulève des questions sur l’homogénéité clinique des groupes de patients inclus. Une récente publication a constaté que 50% des études portant sur la schizophrénie n’utilisaient aucun critère et que 45% des études utilisaient des critères obscurs concernant la réponse au traitement et la résistance au traitement (7). Les auteurs plaident ainsi pour des critères plus stricts, à savoir : présence des symptômes actuels depuis une durée minimale et avec une gravité minimale selon une échelle standardisée ; limitation fonctionnelle modérée à sévère (au moins 1 précédente tentative de traitement) ; traitement antérieur comprenant au moins deux autres neuroleptiques administrés à une dose suffisante pendant une durée minimale ; suivi systématique de l’observance, les critères minimaux pour l’observance étant satisfaits ; présence de critères précisant la limite entre réponse et résistance.

Les études incluses dans cette synthèse méthodique présentent une importante hétérogénéité clinique : pour le milieu de soins (en ambulatoire ou en hospitalisation), le médicament témoin utilisé (neuroleptique de première ou de deuxième génération) et la durée du suivi (6 semaines à 78 semaines). Par conséquent, les investigateurs ont effectué une analyse en sous-groupes (court terme versus long terme) ainsi que plusieurs autres analyses de sensibilité.

Ils ont effectué une recherche étendue dans la littérature scientifique, et l’on n’a pas pu montrer de biais de sélection. La sélection des études, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité des études ont chaque fois été effectuées par deux investigateurs indépendants. Les divergences ont été résolues par consensus, et un troisième investigateur a validé l’extraction des données.

La qualité globale des 21 études incluses était relativement bonne. 18 études ont rapporté une randomisation adéquate, et, dans 17 études, il y avait préservation du secret d’attribution (concealment of allocation). Bien que la réalisation en soit difficile en raison du profil spécifique des effets indésirables, 18 études ont quand même été menées en double aveugle. Pour toutes les études, les sorties d’étude ont été correctement décrites, et 17 études ont rapporté les données en intention de traiter.

 

Interprétation des résultats

Tant à court terme qu’à long terme, la clozapine obtient un meilleur score que les autres neuroleptiques pour la réduction des symptômes positifs en cas de schizophrénie réfractaire. En ce qui concerne les symptômes négatifs, on a observé uniquement à court terme une amélioration plus importante avec la clozapine. Bien que cela cadre avec les résultats d’une récente méta-analyse comparable (8), les auteurs n’ont pas d’explication directe à ce sujet. Ils suggèrent toutefois la possibilité que la clozapine ait été administrée à une dose trop faible dans certaines études. En absence de données sur les concentrations plasmatiques (connues dans seulement 3 études), cette hypothèse ne peut toutefois être prouvée. L’effet de la clozapine n’étant plus important qu’à court terme pour la réponse au traitement, les auteurs conseillent le passage à un neuroleptique ayant moins d’effets indésirables si le patient n’a pas répondu après six mois. Ils mettent en avant le NST de 9 pour la réponse thérapeutique à court terme et un NNN entre 4 pour la sialorrhée et 19 pour la fièvre. D’autres données cliniquement pertinentes comme la rechute et l’hospitalisation n’ont pas été prises en compte alors que des études d’observation ont montré la plus-value de la clozapine pour les jours d’hospitalisation (9). Il n’y a pas de données suffisantes sur les effets indésirables hématologiques, mais on n’a pas constaté un plus grand nombre de sorties d’étude avec la clozapine.

Les analyses de sensibilité ont donné quelques résultats intéressants. Ainsi, il apparaît que les études sponsorisées ont eu de moins bons résultats, contrairement à ce qui a été observé dans de précédentes synthèses méthodiques (7). L’explication avancée par les auteurs est que 12 des 14 études les plus récentes avaient comme promoteur un producteur de neuroleptiques de deuxième génération, tandis que les études plus anciennes avaient été le plus souvent commanditées par le producteur de la clozapine.

 

Autres études

Une méta-analyse publiée à peu près au même moment par Samara et al. (8) a examiné l’efficacité et la tolérance de différents neuroleptiques dans le traitement de la schizophrénie réfractaire. Les investigateurs ont inclus, à peu de chose près, les mêmes études portant sur la clozapine. Sur la base d’une méta-analyse classique et d’une méta-analyse en réseau, ils ont conclu qu’il n’existait pas suffisamment de preuves de la supériorité de la clozapine par rapport aux neuroleptiques de deuxième génération, mais bien par rapport à l’halopéridol.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique et méta-analyse, correctement menée, conclut qu’en cas de schizophrénie réfractaire, les symptômes positifs sont mieux soulagés à court terme avec de la clozapine qu’avec d’autres neuroleptiques. Il est nécessaire de poursuivre la recherche en définissant correctement la résistance au traitement et en accordant suffisamment d’attention aux effets indésirables.

 

Pour la pratique

Bien que tous les guides de pratique clinique internationaux mettent en avant la clozapine comme premier choix pharmacologique pour le traitement de la schizophrénie réfractaire (1-5), nous pouvons conclure, sur la base de deux méta-analyses récemment publiées, qu’il existe peu de preuves scientifiques claires à ce sujet. Dans l’attente d’une recherche complémentaire, la clozapine reste une importante option thérapeutique de deuxième ligne pour les patients qui présentent des symptômes psychotiques persistants après des tentatives avec d’autres neuroleptiques. Pendant les 18 premières semaines du traitement, des échantillons de sang doivent être prélevés toutes les semaines pour déterminer la numération leucocytaire, et ensuite tous les mois jusqu’à 4 semaines après la fin du traitement. Il faut également informer le patient des signaux d’alarme, tels que l’apparition soudaine d’une fièvre, qui peut être le signe d’une toxicité hématologique (1,10). Un autre effet indésirable qui nécessite une attention particulière est le risque de constipation grave.

 

Dénomination du médicament

  • clozapine = Leponex

 

Références 

  1. Clozapine. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP, octobre 2017.
  2. Traitement à la clozapine. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 13/10/2014.  Dernière revue: 05/08/2013.
  3. National Institute for Health and Care Excellence. Psychosis and schizophrenia in adults: prevention and management. Clinical guideline [CG 178]. NICE, March 2014.
  4. Barry SJ, Gaughan TM, Hunter R. Schizophrenia. BMJ Clinical Evidence. Web publication date: 28 June 2012 (based on May 2010 search).
  5. Warnez S, Alessi-Severini S. Clozapine: a review of clinical practice guidelines and prescribing trends. BMC Psychiatry 2014;14:102. DOI: 10.1186/1471-244X-14-102
  6. Moncrieff J. Clozapine v. conventional antipsychotic drugs for treatmentresistant schizophrenia: a re-examination. Br J Psychiatry 2003;183:161-6.
  7. Howes OD, McCutcheon R, Agid O, et al. Treatment-resistant schizophrenia: Treatment Response and Resistance in Psychosis (TRRIP) Working Group consensus guidelines on diagnosis and terminology. Am J Psychiatry 2017;174:216-29. DOI: 10.1176/appi.ajp.2016.16050503
  8. Samara MT, Dold M, Gianatsi M, et al. Efficacy, acceptability, and tolerability of antipsychotics in treatment-resistant schizophrenia: a network meta-analysis. JAMA Psychiatry 2016;73:199-210. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2015.2955
  9. Nyakyoma  K, Morriss  R.  Effectiveness of clozapine use in delaying hospitalization in routine clinical practice: a 2 year observational study.  Psychopharmacol Bull 2010;43:67-81.
  10. Schizophrénie. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 25/02/2014. Dernière revue: 25/02/2014. Dernière revue contextuelle: 26/02/2016.

 

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires