Revue d'Evidence-Based Medicine



Logopédie intensive chez les personnes atteintes d’aphasie de longue durée post-AVC



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 2 Page 24 - 27

Professions de santé

Logopède, Médecin généraliste

Analyse de
Breitenstein C, Grewe T, Flöel A, et al. Intensive speech and language therapy in patients with chronic aphasia after stroke: a randomised, open-label, blinded-endpoint, controlled trial in a health-care setting. Lancet 2017;389:1528-38. DOI: 10.1016/S0140-6736(17)30067-3


Question clinique
Quel est l’effet de 3 semaines de prise en charge logopédique sur la communication fonctionnelle verbale chez les personnes atteintes d’aphasie de longue durée post-AVC ?


Conclusion
Cette étude multicentrique randomisée contrôlée, de méthodologie correcte montre qu’une thérapie logopédique intensive durant 3 semaines dans la phase de longue durée ( > 6 mois) de l’aphasie après un AVC permet des progrès cliniquement pertinents de la communication fonctionnelle verbale. Cependant d’autres études seraient nécessaires pour connaître la durée optimale de cette thérapie. On ne sait pas non plus dans quelle mesure l’effet pourrait être extrapolé à tous les patients atteints d’aphasie post-AVC.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La logopédie, adaptée individuellement à la situation du patient, peut être utile dans la revalidation précoce des patients atteints d’aphasie post-AVC, que l’aphasie soit légère, modérée ou sévère. L’étude décrite ci-dessus montre l’utilité de la thérapie logopédique intensive pour l’aphasie de longue durée post-AVC.



Contexte

Après un AVC, 20% des patients sont atteints d’aphasie de longue durée (1). Ce trouble du langage est un symptôme dévastateur qui compromet les chances de revalidation à long terme (2) et qui accroît le risque d’incapacité de travail permanente (3). Jusqu’il y a peu, on pensait que, chez les personnes atteintes d’aphasie de longue durée, aucune amélioration de la communication fonctionnelle n’était possible. Cette idée a été infirmée suite à différentes méta-analyses (4,5). La plupart des études sont faibles d’un point de vue méthodologique, incluent un trop petit nombre de patients et/ou ne comportent pas de groupe contrôle (6,7).

Résumé

Population étudiée

  • 156 participants ayant entre 18 et 70 ans (âge moyen de 53 ans), 60% de femmes, atteints d’aphasie de longue durée depuis plus de 6 mois après un AVC ischémique ou hémorragique diagnostiqués avec l’Aachen Aphasia Test (8), ayant des compétences cognitives suffisantes pour comprendre et suivre des instructions simples et pour tenter de communiquer verbalement ; recrutés dans 19 centres de revalidation allemands spécialisés dans la revalidation post-AVC
  • critères d’exclusion : maladies graves non traitées, limites visuelles ou auditives graves non corrigées, aphasie suite à une lésion cérébrale traumatique ou à une maladie neurodégénérative, participation à une autre intervention intensive pour soulager les symptômes résiduels de l’AVC dans les 4 semaines précédant la participation à cette étude.

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée transversale multicentrique menée en ouvert avec évaluation des résultats en aveugle

  • groupe intervention (n = 78) : thérapie logopédique intensive immédiate durant 3 semaines, adaptée aux possibilités du patient, dont ≥ 10 heures par semaine individuellement ou en groupe avec accompagnement par des thérapeutes formés et ≥ 5 heures par semaine au moyen d’un programme informatique
  • groupe contrôle (n = 78) : thérapie logopédique intensive différée après une période d’attente de 3 semaines durant laquelle une thérapie logopédique non intensive pouvait néanmoins être poursuivie
  • pendant le suivi, d’une durée de 6 mois, la thérapie logopédique pouvait être poursuivie dans les deux groupes ; dans chaque groupe, un sous-groupe a bénéficié d’une thérapie logopédique intensive durant 5 semaines.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : modification de l’efficacité de la communication verbale dans la vie de tous les jours, mesurée après 3 semaines au moyen du test d’évaluation du langage dans la vie quotidienne Amsterdam-Nijmegen Everyday Language Test (échelle ANELT A)
  • critères de jugement secondaires : modification sur l’échelle ANELT A après 6 mois, modification sur l’échelle ANELT A 3 semaines après une thérapie logopédique intensive dans le groupe contrôle, gravité de l’AVC, intelligibilité de la parole dans la communication verbale dans la vie de tous les jours (échelle ANELT B), troubles aux mesures de langage spécifiques, domaines essentiels du langage (phonologie, lexique et syntaxe), qualité de vie (Stroke and Aphasia Quality of Life Scale-39, échelle SAQOL-39), communication selon le jugement du conjoint ou d’un proche (index d’efficacité de la communication (Communicative Effectiveness Index, CETI)), capacité d’apprentissage non verbale, attention visuelle et fonctions exécutives
  • analyse en intention de traiter modifiée (a bénéficié de l’intervention au moins un jour)
  • analyse par ANCOVA.

Résultats

  • critère de jugement primaire : après 3 semaines, l’amélioration du score ANELT A moyen était statistiquement plus importante dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (+ 2,61 points avec IC à 95% de 1,49 à 3,72 vs - 0,03 point avec IC à 95% de - 0,94 à 0,88 ; p = 0,0004 pour la différence entre les deux groupes) ; amélioration plus importante lorsque AVC moins grave (p < 0,0001)
  • critères de jugement secondaires : amélioration similaire dans le groupe contrôle après 3 semaines de thérapie logopédique intensive ; les effets du traitement se sont maintenus après 6 mois dans les 2 groupes ; amélioration plus importante des domaines essentiels du langage (phonologie, lexique et syntaxe) et de la qualité de vie (SAQOL-39) dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (p < 0,05)
  • lorsque la thérapie logopédique intensive était appliquée pendant une période d’une durée médiane de 6 semaines (interquartile 5 à 7) au lieu de 3 semaines, le score ANELT A s’est amélioré de + 4,23 points (IC à 95% de 2,74 à 5,73) vs + 3,32 points (IC à 95% de 1,35 à 5,29).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une thérapie logopédique intensive durant 3 semaines améliore la communication verbale de manière significative chez les personnes âgées de 70 ans et moins et qui sont atteintes d’aphasie de longue durée post-AVC. Selon les auteurs, il s’agit donc d’une stratégie thérapeutique factuelle efficace pour cette population. Des études futures devront déterminer quelle est l’intensité thérapeutique minimale pour obtenir des effets thérapeutiques significatifs et si les effets du traitement peuvent se cumuler après renouvellement des périodes d’intervention.

Financement de l’étude

Le ministère fédéral allemand de l’éducation et de la recherche ; l’association allemande pour la recherche et le traitement de l’aphasie (Gesellschaft für Aphasieforschung und -behandlung).

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette étude est correctement menée. La randomisation des participants a respecté le secret d’attribution. Les deux groupes étaient composés de manière similaire sur le plan des variables démographiques, de la gravité de l’aphasie (environ 40% légèrement sévère et 50% modérément sévère), ainsi que sur le plan de la gravité et du type d’AVC (60 à 70% d’AVC ischémique). Le délai entre l’AVC et l’inclusion dans l’étude était toutefois plus long dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (médiane de 43 mois (interquartile 16 à 68,3) versus 27 mois (interquartile 13 à 48,8)). On ignore si l’AVC était le premier et le seul que les participants avaient fait. En outre, on ne sait pas quel était l’emplacement spécifique de la lésion cérébrale et quel était son impact fonctionnel. Les auteurs ne donnent pas non plus d’informations sur un éventuel traitement antérieur des participants. Des thérapies successives pourraient en effet faciliter ou accélérer les processus de restauration neuronale. Les critères de jugement choisis donnent une image complète des capacités des participants. Le score ANELT A est un instrument de mesure validé pour mesurer la communication fonctionnelle verbale (9). On a aussi utilisé le CETI (10) comme mesure subjective dans la manière dont le patient et ses proches vivent la situation. Les deux instruments se complètent car les progrès fonctionnels mesurés ne sont pas toujours perçus de la même manière par les patients et leurs proches. Deux logopèdes expérimentés ont évalué tous les résultats en aveugle avec une fiabilité inter-observateur élevée ce qui renforce la méthodologie de cette étude. Pour une estimation correcte de l’effet de l’intervention sur les variables continues, ils ont correctement utilisé l’analyse de régression multiple ANCOVA (11).

Interprétation des résultats 

Les résultats de cette étude randomisée contrôlée multicentrique confirment l’efficacité de la thérapie logopédique intensive chez des personnes atteintes d’aphasie de longue durée post-AVC et viennent réfuter l’idée que la communication verbale des personnes atteintes d’aphasie de longue durée ne pourrait pas s’améliorer. Après une thérapie logopédique intensive, le score sur l’échelle ANELT A a augmenté d’au moins 3 points chez 44% des patients dans les deux groupes. Pour beaucoup de participants, cela signifie passer de la non-participation à une participation sociale limitée. Le gain supplémentaire dans le sous-groupe ayant bénéficié de l’intervention durant 6 semaines au lieu de 3 plaide pour une plus longue session de thérapie intensive ou pour plusieurs sessions. Le groupe contrôle, durant la période d’attente, a bénéficié d’une thérapie logopédique non intensive (médiane 1,5 heure par semaine (interquartile 1 à 2,3 heures par semaine)). Les deux groupes ont également bénéficié d’une thérapie non intensive (médiane 1 heure par semaine (interquartile 0,6 à 1,7 heure par semaine)) durant le suivi. On ignore dans quelle mesure ces traitements ont influencé les résultats. Cette thérapie de faible intensité explique peut-être le maintien de l’effet après la thérapie intensive. Il est donc utile de poursuivre la recherche sur la durée minimale de la thérapie intensive et sur l’effet des différentes périodes de traitement.

Le terme « intensif » fait autant référence à la quantité de la thérapie (nombre d’heures total) qu’à sa fréquence (nombre d’heures par semaine), indépendamment du contenu de la thérapie. Les auteurs spécifient la fréquence de la thérapie (minimum 10 heures par semaine), mais pas sa quantité. Il a ainsi été montré que les personnes bénéficiant de la même quantité de thérapie font plus de progrès si la fréquence est plus élevée (5). Outre l’intensité (quantité et fréquence), d’autres variables de la thérapie peuvent avoir une influence sur les progrès fonctionnels des personnes atteintes d’aphasie. Pensons ici au contenu de la thérapie (thérapie fonctionnelle ou axée sur le trouble), au timing de la session de thérapie intensive (y a-t-il une période critique au cours de laquelle le cerveau est plus sensible à la thérapie ?), à la nature de l’aphasie, à sa gravité et au déroulement de la restauration ainsi qu’à l’étendue de la lésion. Les auteurs ne décrivent pas le contenu de la thérapie. Il a été montré que la thérapie n’est efficace que si elle est intensive et spécifique, la « spécificité » faisant référence au contenu (12). L’intensité et la spécificité correspondent aux principes neurobiologiques de l’apprentissage (13) qui distinguent différents réseaux neuronaux pour différentes tâches langagières. Le fait de se focaliser sur un réseau bien déterminé avec une thérapie axée sur le trouble influence peut-être la rapidité et l’ampleur de la réorganisation périlésionnelle. Dans la littérature, on associe souvent la logopédie intensive et la thérapie par contrainte induite en aphasiologie (constraint induced aphasia therapy, CIAT) (6). Celle-ci se base sur quatre principes : 1) logopédie intensive (30 à 35 heures sur 2 semaines) ; 2) shaping (augmentation progressive de la complexité de la tâche et du matériel de stimulation) ; 3) évitement des stratégies de compensation ; et 4) communication visant le lien social. Sur le plan du contenu, la CIAT est centrée sur la communication fonctionnelle et sur le trouble du langage sous-jacent.

Les auteurs n’ont pas étudié l’impact des facteurs liés à la personne, tels que la nature et la gravité de l’aphasie. Il n’existe aucune uniformité à ce propos dans la littérature. La plupart des études ont inclus des patients atteints d’aphasie non fluente* (14). Le fait que l’on ne se rende pas compte de l’installation de la maladie, l’absence de trouble linguistique uniforme clair et les déficits moteurs limités expliquent la sous-représentation des personnes atteintes d’aphasie fluente*. Les résultats sont également contradictoires en ce qui concerne l’influence de la gravité de l’aphasie sur l’effet d’une intervention. La question est donc de savoir si les résultats de cette étude et d’autres études peuvent être appliqués tels quels à d’autres groupes cibles.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude multicentrique randomisée contrôlée, de méthodologie correcte montre qu’une thérapie logopédique intensive durant 3 semaines dans la phase de longue durée ( > 6 mois) de l’aphasie après un AVC permet des progrès cliniquement pertinents de la communication fonctionnelle verbale. Cependant d’autres études seraient nécessaires pour connaître la durée optimale de cette thérapie. On ne sait pas non plus dans quelle mesure l’effet pourrait être extrapolé à tous les patients atteints d’aphasie post-AVC. 

 

Pour la pratique

La logopédie, adaptée individuellement à la situation du patient, peut être utile dans la revalidation précoce des patients atteints d’aphasie post-AVC (15,16), que l’aphasie soit légère, modérée ou sévère. L’étude décrite ci-dessus montre l’utilité de la thérapie logopédique intensive pour l’aphasie de longue durée post-AVC.

 

* Les personnes atteintes d’aphasie non fluente (appelée aussi aphasie de Broca) prononcent de courtes phrases dont les petits mots tels que « est », « et » et « le » sont omis. Le plus souvent, ces personnes comprennent relativement bien ce qu’on leur dit et sont nosognosiques (conscientes de leur problème), et, par conséquent, elles se sentent vite frustrées. Les personnes atteintes d’aphasie fluente (appelée aussi aphasie de Wernicke) peuvent dire de longues phrases qui n’ont pas de sens, qui contiennent des mots superflus et même des mots inventés. Ces personnes éprouvent généralement beaucoup de difficultés à comprendre ce qu’on leur dit, et sont anosognosiques (pas conscientes de leur trouble).

 

Références 

  1. Dijkerman HC, Wood VA, Hewer RL. Long-term outcome after discharge from a stroke rehabilitation unit. J R Coll Physicians Lond 1996;30:538-46.
  2. Pollock A, StGeorge B, Fenton M, Firkins L. Top ten research priorities relating to life after stroke. Lancet Neurol 2012;11:209. DOI: 10.1016/S1474-4422(12)70029-7
  3. Doucet T, Muller F, Verdun-Esquer C, et al. Returning to work after stroke: a retrospective study at the Physical and Rehabilitation Medicine Center La Tour de Gassies. Ann Phys Rehabil Med 2012;55:112-27.  DOI: 10.1016/j.rehab.2012.01.007
  4. Brady MC, Kelly H, Godwin J, et al. Speech and language therapy for aphasia following stroke. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD000425.pub4
  5. Bhogal SK, Teasell R, Speechley M. Intensity of aphasia therapy, impact on recovery. Stroke 2003;34:987-93. DOI: 10.1161/01.STR.0000062343.64383.D0
  6. Pülvermuller F, Neininger B, Elbert T, et al. Constraint-induced therapy of chronic aphasia after stroke. Stroke 2001;32:1621-6. DOI: 10.1161/01.STR.32.7.1621
  7. Doesborgh SJ, van de Sandt-Koenderman MW, Dippel DW, et al. Effects of semantic treatment on verbal communication and linguistic processing in aphasia after stroke: a randomized controlled trial. Stroke 2004;35:141-6. DOI: 10.1161/01.STR.0000105460.52928.A6
  8. Huber W, Poeck K, Willmes K. The Aachen Aphasia Test. Adv Neurol 1984;42:291-303.
  9. Blomert L, Koster C, Kean ML. Amsterdam-Nijmegen Test voor Alledaagse Taalvaardigheid. Lisse: Swets & Zeitlinger, 1995.
  10. Lomas J, Pickard L, Bester S, et al. The communicative effectiveness index: development and psychometric evaluation of a functional communication measure for adult aphasia. J Speech Heari Disord 1989;54:113-24. DOI: 10.1044/jshd.5401.113
  11. Poelman T. Analyse des variables continues au moyen d’une ANCOVA. MinervaF 2014;13(8):103.
  12. Barthel G, Meinzer M, Djundja D, Rockstroh B. Intensive language therapy in chronic aphasia: which aspects contribute most. Aphasiology 2008; 22:408-21. DOI: 10.1080/02687030701415880
  13. Maher LM, Kendall D, Swearengin JA, et al. A pilot study of use-dependent learning in the context of constraint-induced language therapy. J Int Neuropsychol Soc 2006;12:843-52. DOI: 10.1017/S1355617706061029
  14. Cherney LR, Patterson JP, Raymer A, et al. Evidence-based systematic review: effects of intensity of treatment and constraint-induced language therapy for individuals with stroke-induced aphasia. J Speech Lang Hear Res 2008;51:1282-99. DOI: 10.1044/1092-4388(2008/07-0206)
  15. Rééducation d'un patient ayant subi un AVC. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 13/08/2014.  Dernière revue: 13/08/2014.
  16. Aphasie. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 05/08/2013. Dernière revue: 05.08.2013.



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