Revue d'Evidence-Based Medicine



Réduction d’un traitement chronique par inhibiteur de la pompe à protons, possible ?



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 5 Page 65 - 68

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Boghossian TA, Rashid FJ, Thompson W, et al. Deprescribing versus continuation of chronic proton pump inhibitor use in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD011969.pub2


Question clinique
Peut-on réduire (arrêt ou passage à la demande) la durée d’un traitement chronique par inhibiteur de la pompe à protons (IPP) chez l’adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de bonne qualité méthodologique mais basées sur des études aux nombreuses limites, ne permet pas de recommander à tous les patients l’arrêt brutal ou le traitement à la demande d’un traitement par IPP au long cours (> 28 jours) pour un RGO ou de la dyspepsie. En effet, une telle stratégie entraîne chez nombre de patients une augmentation des symptômes gastro-intestinaux (par exemple, dyspepsie, régurgitation) et de l’insatisfaction.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Une conférence de consensus sur l’usage adéquat des inhibiteurs d’acide dans le RGO et la dyspepsie avait été organisée par l’INAMI en 2003 et concluait (niveau de preuve : avis d’experts) qu’un traitement empirique à la demande peut être poursuivi pour les œsophagites de faible grade 0, A ou B, ou sans endoscopie mais que pour les œsophagites de grade plus élevé, un traitement à la demande n’était pas indiqué. Les données de la présente synthèse méthodique proviennent d’études de mauvaise qualité à haut risque de biais et il est difficile d’en tirer des conclusions solides. Le praticien tiendra compte des résultats de cette synthèse méthodique conduisant à nuancer les recommandations issues de la conférence de consensus de l’INAMI de 2003. Comme le rappelle justement le groupe Deprescribing, « les lignes directrices (qui recommandent une déprescription des IPP à l’exception des situations cliniques les plus sévères) se veulent un outil devant être utilisé en tenant compte du contexte personnel et médical du patient. Les patients sont parfois moins familiers avec le dialogue sur la réduction ou l’arrêt des médicaments ; pour favoriser l’acceptation du patient, le fournisseur de soins doit donc faire preuve d’une sensibilisation aiguisée quant aux inquiétudes potentielles. La décision de poursuivre, de réduire ou d’arrêter un médicament repose sur l’équilibre entre la connaissance de ses indications et de son efficacité, et des risques liés à son utilisation, y compris les effets indésirables réels ou potentiels, les interactions médicamenteuses, le nombre de comprimés à prendre et le coût. Les valeurs et préférences du patient et de la famille jouent un rôle de premier plan. La décision de poursuivre, de réduire la dose ou d’arrêter un médicament doit s’inscrire dans les objectifs de soins du patient ». On est dans l'attente du rapport de la conférence de consensus de l’INAMI sur le sujet qui a eu lieu le 31 mai 2018.



Contexte

Les IPP sont des médicaments très largement prescrits, essentiellement pour le reflux gastro-œsophagien et ses complications, l’œsophagite, l’ulcère peptique gastroduodénal qu’il soit dû à la prise d’anti-inflammatoires ou à une infection à Helicobacter pylori ou la dyspepsie. Ils soulagent efficacement les patients de leurs plaintes : brûlant (pyrosis), régurgitation, douleur thoracique, toux, dyspnée (bronchospasme), raucité, douleur épigastrique, nausées sans parler des complications (anémie, perforation digestive, cancérisation dans le cas d’un œsophage de Barrett) (1). Les patients sont souvent opposés à l’arrêt du traitement par IPP car un rebond d’acidité gastrique source d’inconfort survient lors de l’arrêt de l’inhibition de la sécrétion acide gastrique pendant une à deux semaines voire plus. Outre le coût économique qu’entraîne la prescription au long cours de ces médicaments, il faut tenir compte des effets indésirables (essentiellement troubles digestifs et céphalées) et des interactions médicamenteuses qu’ils engendrent (2). Toutes ces raisons ont conduit une équipe canadienne à faire une synthèse méthodique sur la réduction (arrêt ou passage à la demande) d’un traitement chronique par IPP dans le cadre de la Cochrane Collaboration.   

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées 

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL) (2016, Numéro 10) ; MEDLINE (1946 au 15 novembre 2016); Embase (1980 au 15 novembre 2016) ; ClinicalTrials.gov; World Health Organization International Clinical Trials
  • articles cités par les références provenant de la recherche électronique.

Etudes sélectionnées 

  • études cliniques randomisées contrôlées (RCTs) ou quasi-randomisées comparant, chez l’adulte (> 18 ans), la poursuite d’un IPP versus un arrêt ou une désescalade lors d’une prescription chronique (supérieure à 28 jours) dans les indications suivantes : RGE, dyspepsie fonctionnelle, maladie ulcéreuse peptique (hémorragique ou non, à Helicobacter pylori ou non), sténose peptique de l’œsophage récidivante, œsophagite de Barrett
  • exclusion des études avec de hautes doses d’anti-inflammatoires imposant une gastroprotection chronique ; dans les autres situations (faibles doses d’aspirine ou d’AINS, corticoïdes), les études étaient éligibles
  • parmi les 2357 références criblées, 6 RCTs ont pu être inclues dans les analyses qualitatives et quantitatives (méta-analyses).

 

Population étudiée

  • total de 1753 participants dans 6 RCTs (105 à 598 patients par étude, âge moyen de 48 à 57 ans sauf dans une étude avec des sujets de > 65 ans et un âge moyen de 73 ans) ; la majorité des patients inclus présentaient un RGE symptomatique et une oesophagite de classe A ou B selon la Los Angeles Classification
  • une étude portait sur l’arrêt brutal des IPP et les 5 autres sur une prescription à la demande.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires 
    • absence de contrôle des symptômes : récidive, aggravation, persistance apparition de plaintes d’origine gastro-intestinale : pyrosis, régurgitation, dyspepsie, douleurs épigastriques, nausées, ballonnement, éructations
    • recours aux IPP/ quantité d’IPP prise
    • coût économique
  • critères de jugement secondaires 
    • effets positifs liés à l’arrêt comme une amélioration cognitive, une résolution de la diarrhée ou une amélioration du taux de vitamine B12
    • effets négatifs liés à l’arrêt comme une hémorragie digestive ou une aggravation endoscopique
    • satisfaction du patient
  • les résultats ont été exprimés sous forme de risque relatif (RR) avec une estimation de l’intervalle de confiance (IC) à 95% ; dans les méta-analyses, l’hétérogénéité a été évaluée par un test statistique Chi² ou , avec des analyses de sous-groupes en cas de positivité.

 

Résultats

  • critères de jugement primaires 
    • manque de contrôle des symptômes (N = 6 ; n = 1653) : 16,3% dans le bras réduction vs 9,2% dans le bras poursuite : RR 1,71 (avec IC à 95% de 1,31 à 2,21)
    • consommation en IPP (N = 4, n = 1152) : réduction de 3,79 (avec IC à 95% de -4,73 à -2,84) pilules par semaine (P < 0,00001) ; hétérogénéité significative (I² > 96%)
    • coût économique : absence de données
  • critères de jugement secondaires 
    • effets positifs liés à l’arrêt : absence de données
    • effets négatifs liés à l’arrêt (N=2 en recalculant dans 1) : 69,6% de rechute d’œsophagite dans le bras arrêt brutal vs 20,4% dans le bras poursuite
    • satisfaction des patients (N=5) : taux d’insatisfaction de 15,8% dans le bras à la demande vs 8,8% dans le bras poursuite : RR de 1,82 (avec IC à 95% de 1,26 à 2,65).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les personnes souffrant de RGO léger, le passage à la prescription à la demande peut entraîner une augmentation des symptômes gastro-intestinaux (par exemple, dyspepsie, régurgitation) et probablement une réduction du nombre de pilules consommées. La satisfaction des participants a diminué, bien que l'hétérogénéité ait été élevée. Il y n’avait pas de données suffisantes pour tirer une conclusion sur les avantages et les inconvénients à long terme de l'interruption du traitement par IPP. 

Financement de l’étude

Ce projet a été supporté par l’Institut de recherche Bruyère (Ottawa), l’Ontario Pharmacy Research Collaboration (OPEN) et le ministère de la santé de l’Ontario (Canada).

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Un des 8 auteurs rapporte des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique suit les règles méthodologiques de la Cochrane Collaboration.  Trois auteurs ont sélectionné les articles et en ont extrait les données de façon indépendante, un quatrième tranchant en cas de divergence. Les auteurs ont considéré les principales bases de données.

Les auteurs n’ont retenu que 6 RCTs pour la synthèse méthodique sur base d’un protocole avec des critères précis établis avant la sélection des articles. La principale raison d’exclusion des études a été l’absence de bras contrôle (73/83).

Comme dans toute synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, l’évaluation de la qualité des études sélectionnées s’est concentrée sur le risque de biais avec une méthode standardisée, à savoir les biais de sélection (génération de la séquence de randomisation, allocation), de performance (double aveugle), de détection, d’attrition, de publication et autres. Souvent un haut risque de biais a été identifié : 6 études pour la détection ; 5 pour la performance ; 4 pour l’attrition ; 3 pour le report sélectif. Le risque de biais est souvent non clairement évalué. Tout ceci montre la faible qualité de ces travaux.

Les critères de jugement sur lesquels porte la synthèse méthodique ont été clairement définis et analysés. Ils sont représentatifs de l’effet clinique attendu. Mais les données sont souvent manquantes.

Il faut noter qu’un des auteurs a rapporté des liens d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques, il est « joint coordinating editor of the Cochrane Upper Gastrointestinal and Pancreatic Diseases Group » mais n’a pas géré lui-même le rapport au niveau éditorial.

 

Interprétation des résultats et mise en perspective

Il s’agit de la première synthèse méthodique de la Collaboration Cochrane sur l’arrêt brutal/passage à la demande, des IPP en prescription chronique.  

La désescalade à la demande des IPP peut entraîner une augmentation des symptômes gastro-intestinaux en cas de RGO et est associée à une diminution de la consommation médicamenteuse au prix d’une moindre satisfaction des patients. Il n’a pas été possible de tirer des conclusions sur les avantages et les inconvénients à long terme de l'interruption du traitement.

Une conférence de consensus sur l’usage adéquat des inhibiteurs d’acide dans le RGO et la dyspepsie avait été organisée par l’INAMI en 2003 (3) et concluait (niveau de preuve : avis d’experts) qu’un traitement empirique à la demande peut être poursuivi pour les œsophagites de faible grade 0, A ou B, ou sans endoscopie mais que pour les œsophagites de grade plus élevé, un traitement à la demande n’était pas indiqué. Dans une analyse d’une synthèse méthodique sur le sujet de faible qualité, Minerva en 2008 proposait d’en rester au consensus de l’INAMI (4,5). Une méta-analyse avec deux RCTs a été publiée en 2013, concluant en faveur des IPP à la demande (6).

Les données de la présente synthèse méthodique, la plus récente et la plus complète, proviennent d’études de mauvaise qualité à haut risque de biais et il est difficile d’en tirer des conclusions solides. Comme le soulignent très bien des synopsis parus récemment dans la revue Prescrire pour le RGO (7) ou l’ulcère gastrique ou duodénal (8), l’arrêt du traitement par IPP n’est pas toujours facile. Un rebond d’acidité gastrique survient souvent pendant une à deux semaines conduisant certains patients à reprendre le traitement antiacide.

Comme le pointent très bien les auteurs de la synthèse méthodique, de nouvelles études sont nécessaires. Mais celles-ci sont devenues quasiment irréalisables dans des pays comme la Belgique où des IPP sont disponibles en vente libre.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de bonne qualité méthodologique mais basées sur des études aux nombreuses limites, ne permet pas de recommander à tous les patients l’arrêt brutal ou le traitement à la demande d’un traitement par IPP au long cours (> 28 jours) pour un RGO ou de la dyspepsie. En effet, une telle stratégie entraîne chez nombre de patients une augmentation des symptômes gastro-intestinaux (par exemple, dyspepsie, régurgitation) et de l’insatisfaction.

 

Pour la pratique

Une conférence de consensus sur l’usage adéquat des inhibiteurs d’acide dans le RGO et la dyspepsie avait été organisée par l’INAMI en 2003 (3) et concluait (niveau de preuve : avis d’experts) qu’un traitement empirique à la demande peut être poursuivi pour les œsophagites de faible grade 0, A ou B, ou sans endoscopie mais que pour les œsophagites de grade plus élevé, un traitement à la demande n’était pas indiqué. Les données de la présente synthèse méthodique proviennent d’études de mauvaise qualité à haut risque de biais et il est difficile d’en tirer des conclusions solides.

Le praticien tiendra compte des résultats de cette synthèse méthodique conduisant à nuancer les recommandations issues de la conférence de consensus de l’INAMI de 2003. Comme le rappelle justement le groupe Deprescribing, « les lignes directrices (qui recommandent une déprescription des IPP à l’exception des situations cliniques les plus sévères) se veulent un outil devant être utilisé en tenant compte du contexte personnel et médical du patient. Les patients sont parfois moins familiers avec le dialogue sur la réduction ou l’arrêt des médicaments ; pour favoriser l’acceptation du patient, le fournisseur de soins doit donc faire preuve d’une sensibilisation aiguisée quant aux inquiétudes potentielles. La décision de poursuivre, de réduire ou d’arrêter un médicament repose sur l’équilibre entre la connaissance de ses indications et de son efficacité, et des risques liés à son utilisation, y compris les effets indésirables réels ou potentiels, les interactions médicamenteuses, le nombre de comprimés à prendre et le coût. Les valeurs et préférences du patient et de la famille jouent un rôle de premier plan. La décision de poursuivre, de réduire la dose ou d’arrêter un médicament doit s’inscrire dans les objectifs de soins du patient » (9).

On est dans l'attente du rapport de la conférence de consensus de l’INAMI sur le sujet qui a eu lieu le 31 mai 2018.

 

 

Références 

  1. Wallace JL, Sharkey KA. Pharmacotherapy of gastric acidity, peptic ulcers, and gastroesophageal reflux disease. In: Brunton LL, Chabner BA, Knollman CB editor(s). Goodman & Gilman’s The Pharmacological Basis of Therapeutics. 12th Edition. New York: McGraw-Hill, 2011:1309-22.
  2. Troubles gastriques. Fiche de transparence. CBIP. Dernière mise à jour : 28/11/2016. Disponible sur: https://ft.farmaka.be/fr/frontend/indication-group/29/summary
  3. INAMI. L’usage adéquat des inhibiteurs d’acide dans le reflux gastro-oesophagien et la dyspepsie. Réunion de consensus du 15-05-2003. Rapport du jury - texte long.
  4. Van De Casteele M. Reflux gastro-œsophagien : IPP en continu ou à la demande ? MinervaF 2008;7(2):28-9.
  5. Pace F, Tonini M, Pallotta S, et al. Systematic review: maintenance treatment of gastro-oesophageal reflux disease with proton pump inhibitors taken 'on-demand'. Aliment Pharmacol Ther 2007;26:195-204. DOI: 10.1111/j.1365-2036.2007.03381.x
  6. Jiang YX, Chen Y, Kong X, et al. Maintenance treatment of mild gastroesophageal reflux disease with proton pump inhibitors taken on-demand: a meta-analysis. Hepatogastroenterology 2013;60:1077–82. DOI: 10.5754/hge11461
  7. Reflux gastro-œsophagien chez un adulte. Premiers choix Prescrire. Rev Prescrire 2017;1-5.
  8. Ulcère gastrique ou duodénal. Premiers choix Prescrire. Rev Prescrire 2017;1-6.
  9. Farrell B,  Pottie K, Thompson W, et al. Déprescrire les inhibiteurs de la pompe à protons. Lignes directrices de pratique clinique fondées sur les données probantes. Can Fam Physician 2017;63:e253-e265. Disponible sur: http://www.cfp.ca/content/63/5/e253

 




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