Revue d'Evidence-Based Medicine



Démarche EBM : modifier l’éclairage scientifique en impliquant les acteurs de terrain dans la recherche



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 7 Page 87 - 88

Professions de santé



Vous connaissez peut-être l’histoire du type qui, la nuit tombée, cherche ses clés de voiture sous un lampadaire, loin de l’endroit où il pourrait les avoir perdues. Quand on lui demande pourquoi il s’emploie dans cette direction, il répond que c’est le seul endroit où il y voit clair…

Le clinicien de terrain concerné par l’EBM ne rejoue-t-il pas parfois cette scène ? Ne privilégie-t-il pas dans son travail, plus ou moins consciemment, les domaines d’action et les interventions pour lesquelles des « faits probants », souvent assimilés aux seuls résultats de la recherche scientifique biomédicale, sont disponibles ? Dans une démarche EBM rigoureuse, nous devrions pourtant d’abord définir avec le patient un problème prioritaire et formuler une question clinique aussi adaptée que possible à la situation pour ensuite voir si les résultats de la science, au sens large du terme, peuvent nous aider dans la décision partagée. Et assumer qu’ainsi l’éventail des « meilleures preuves disponibles » pour nous aider en pratique se réduise comme une peau de chagrin. Car les préoccupations du monde de la recherche ne sont pas toujours les mêmes que celles des acteurs de terrain. Dans les années 90, Barbara Starfield, figure de proue des soins de santé primaires, regrettait déjà que la recherche privilégie souvent « l’élégance interne » des études à leur « pertinence externe » (1).

 

La recherche s’intéresse-t-elle à ce qui compte vraiment ?

Si la recherche doit pouvoir être fondamentale et émergente, elle devrait aussi, plus pragmatiquement, pouvoir apporter des réponses concrètes à des problèmes perçus sur le terrain. Mais entre intérêts industriels, logiques institutionnelles et carriérisme académique, qui décide réellement des domaines prioritaires de recherche ? Qui, plus fondamentalement, décide de la manière de nommer les problèmes et de les mesurer ? Un éditorial récent du BMJ (2) se penche sur la question. Il invite le monde de la recherche à changer de culture pour plus souvent choisir des critères d’évaluation qui implique les patients, soit en les questionnant sur les résultats d’une intervention, ce sont les « PROMs » (Patient Reported Outcome Measures ), soit en les interrogeant sur la qualité du processus de soins, les « PREMs » (Patient Reported Experience Measures). Pour aller encore plus loin, si l’on veut réellement envisager les patients comme des partenaires de soins, ne devraient-ils pas être associés, en tant qu’expert du vécu avec la maladie, à la définition même de ces critères afin que les preuves issues des recherches fassent plus sens à leurs yeux ? C’est une démarche qui reste très rare (3) mais, quand elle est réalisée par exemple en cas de maladies chroniques (4), les patients privilégient des critères comme la préservation d’une autonomie malgré la maladie, comme la minimisation de la charge liée aux traitements ou encore comme la diminution du sentiment de solitude versus des critères plus centrés sur le fonctionnement physique. De manière intéressante, quand on interroge conjointement les acteurs de terrain, c’est-à-dire les patients, leurs aidants proches et leurs soignants, les priorités de recherche divergent sensiblement des recherches effectivement en cours : selon eux, il existe une surreprésentation des interventions médicamenteuses dans la recherche (5). Pour en arriver à s’intéresser à d’autres interventions et choisir de nouveaux critères de résultats, la recherche devra peut-être aussi adopter une nouvelle définition, plus large et fonctionnelle, de la santé (6).

 

Lecture critique : au-delà de la validité méthodologique

Nous pourrions donc pratiquer l’EBM avec une « vision tunnellaire », sans éclairage sur des aspects pourtant jugés essentiels par les acteurs de terrain. Le travail de Minerva ne prémunit pas fondamentalement contre ce risque. Pour vous fournir les informations EBM les plus récentes, nous pratiquons une veille scientifique. Si nous sélectionnons les articles qui seront analysés sur base de leur pertinence pour la première ligne de soins, c’est bien le monde de la recherche qui reste globalement à l’initiative des sujets abordés, et qui choisit la manière de le faire. Ce que vous lirez dans nos lignes ne sera jamais que le reflet, même sélectionné et critiqué, de leurs propres préoccupations. Il est donc primordial de rappeler qu’aucune recherche n’est jamais tout-à-fait neutre (7). Aussi rigoureuse scientifiquement soit-elle, les preuves qui en découlent sont aussi le fruit de courants épistémologiques, de valeurs et de conflits d’intérêts. Pourquoi avoir choisi tel sujet d’étude plutôt qu’un autre ? Telle hypothèse de départ et pas une autre ? Telle méthodologie plutôt qu’une autre ? Tel indicateur plutôt qu’un autre ? Autant de questions dont les réponses ne sont pas que techniques et dont l’analyse a posteriori mériterait probablement autant d’énergie que celle concernant la validité méthodologique, sur laquelle Minerva se concentre. Tâcher de répondre à ces questions en amont de la réalisation des études et avec les utilisateurs finaux de l’EBM, patients et soignants, permettrait peut-être de gagner en pertinence et en diversité des preuves disponibles. Et d’éclairer la démarche EBM dans des directions inédites.

 

 

Références 

  1. Starfield B. Quality-of-care research: internal elegance and external relevance. JAMA 1998;280:1006-8. DOI: 10.1001/jama.280.11.1006
  2. Coulter A. Measuring what matters to patients. BMJ 2017;356:j816. DOI: 10.1136/bmj.j816
  3. Wiering B, de Boer D, Delnoij D. Patient involvement in the development of patient-reported outcome measures: a scoping review. Health Expect 2017;20:11-23. DOI: 10.1111/hex.12442
  4. Kelly L, Potter CM, Hunter C, et al. Refinement of the Long-Term Conditions Questionnaire (LTCQ): patient and expert stakeholder opinion. Patient Relat Outcome Meas 2016;7:183‑93. DOI: 10.2147/PROM.S116987
  5. Huber M, Knottnerus JA, Green L, et al. How should we define health? BMJ 2011;343:d4163. DOI: 10.1136/bmj.d4163
  6. Crowe S, Fenton M, Hall M, et al. Patients’, clinicians’ and the research communities’ priorities for treatment research: there is an important mismatch. Res Involv Engagem 2015;1:2. DOI: 10.1186/s40900-015-0003-x
  7. Jouquan J. L’influence de l’industrie pharmaceutique sur la formation des étudiants en médecine : une situation paradigmatique de l’exigence d’une formation plus radicale à la pensée critique. Pédagogie Médicale 2016;17:141‑6. DOI: 10.1051/pmed/2017007



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Commentaires

Dirk Avonts 04/09/2018 08:52

Prima beschrijving van de huidige positie van EBM: de wetenschappelijke wereld bepaalt focus en onderwerp. Daardoor blijven niet beschenen gebieden in het duister. En die duistere gebieden krijgen het etiket: 'er is geen evidence... ' En dat is niet juist geformuleerd. Het gaat om gebieden waar niet gezocht is naar evidence, en dat is iets heel anders dan belichte gebieden waar gezocht is, maar geen evidence werd gevonden. Ik juich de inbreng van samenleving en patiënten toe, om de donkere gebieden in kaart te brengen en de wetenschap uit te nodigen daar de spot op te richten. - Dirk Avonts, hoofdredacteur Huisarts Nu (Domus Medica)