Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt d’une antibioprophylaxie en cas de cellulite récidivante ?



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 7 Page 89 - 92

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Dalal A, Eskin-Schwartz M, Mimouni D, et al. Interventions for the prevention of recurrent erysipelas and cellulitis. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD009758.pub2


Question clinique
Chez des adultes présentant une cellulite (érysipèle ou cellulite) récidivante, un traitement prophylactique (antibiotique ou autre) a-t-il montré un intérêt (efficacité, sécurité, résistance si antibiotique) versus absence de prophylaxie ou placebo ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre l’intérêt d’un traitement prophylactique antibiotique (pénicilline V essentiellement, à dose faible de 2 x 400000 UI/j) durant 18 mois maximum, en prévention des récidives de cellulite des membres inférieurs chez des adultes en ayant présenté au moins 2 épisodes précédents. Un bénéfice n’est plus observé après l’arrêt de la prophylaxie. De nouvelles études orientées soins ambulatoires, de durées plus longues et avec une attention particulière à la résistance aux antibiotiques sont nécessaires.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le NHG-Standaard concernant les infections cutanées bactériennes recommande de traiter les facteurs de risque sous-jacents pour prévenir les récidives de cellulite. Pour le traitement médicamenteux prophylactique, ce GPC prend comme référence la méta-analyse de Oh de 2014 pour formuler les avis suivants : - prendre en considération, en cas de cellulite récidivante (au moins 2 infections par an) chez l’adulte, un traitement par pénicilline V 500 mg 1x/j (ou pénicilline G 1200000 UI IM/3 ou 4 semaines) durant au moins 6 mois ; - en alternative : flucloxacilline 500 mg 4 x/j durant 10 jours aux premiers signes de récidive (clindamycine 600 mg 3x/j en cas d’allergie à la pénicilline) ; – antibiotiques semblables à ceux proposés dans le guide de la BAPCOC pour le traitement de la cellulite ; - en dépistant et traitant les porteurs de Staphylococcus aureus (éventuellement résistant). L’analyse de la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2017 montre combien ces choix sont consensuels plutôt que basés sur des études valides.



Contexte

Si, classiquement, l’érysipèle désigne une infection cutanée superficielle (avec lymphangite) et la cellulite une infection plus sous-cutanée, la distinction entre ces deux tableaux cliniques n’est pas toujours évidente en pratique et, aussi, dans les études cliniques. Le terme plus générique de cellulite est donc actuellement utilisé ici pour regrouper les 2 types d’infection (1). Des études rétrospectives de patients hospitalisés pour érysipèle ont montré la fréquence de l’aspect récidivant de cette infection : 22% (2) et 35% (3). Une synthèse récente d’études cas-contrôle (4) montre un odds ratio de 40,3 (avec IC à 95% de 22,6 à 72,0) d’un précédent épisode de cellulite en cas de cellulite (non purulente) des membres inférieurs. Une synthèse de la Cochrane Collaboration publiée en 2017 a évalué l’efficacité de mesures prophylactiques de ces récidives.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • bases de données : Cochrane Skin Group Specialised Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, Embase, LILACS
  • 5 bases de données de l’enregistrement des études
  • consultation des listes de référence des études incluses, des synthèses, rapports des conférences de dermatologie, BIOPSIS Previews (littérature grise)
  • auteurs des études incluses si nécessaire (données manquantes).

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCT évaluant tout traitement préventif de cellulite récidivante
  • critères d’exclusion : RCT concernant des patients avec lymphœdème sur filariose
  • inclusion finale de 6 RCTs, d’une durée de 15 semaines à 18 mois de traitement.

Populations étudiées

  • total de 573 participants dans l’ensemble des 6 RCTs incluses ; 32 à 274 sujets par étude
  • caractéristiques des patients : âge moyen de 50 à 70 ans, deux fois plus de femmes que d’hommes (373/200) ; peu d’épisodes de cellulite précédents (1 à 4 épisodes selon la RCT, en majorité 2).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : récidive de cellulite sous traitement prophylactique et après l’arrêt de celui-ci
  • critères secondaires : fréquence de récidive, délai de récidive, hospitalisation, qualité de vie, développement d’une résistance aux antibiotiques, effets indésirables et mortalité.

Résultats

  • 5 RCTs évaluant une prévention par antibiotique pour la cellulite des membres inférieurs, 1 (n = 32) avec l’érythromycine, 4 (n = 481) avec la pénicilline ; 3 dans un seul centre et 2 multicentriques ; pays concernés : RU, Suède, Tunisie, Israël, Autriche ; durée de l’antibioprophylaxie : de 6 à 18 mois (avec suivi post prophylaxie dans 2 études)
  • critère primaire pour l’antibiothérapie versus absence de traitement ou placebo:
    • risque de récidive : RR à 0,31, avec IC à 95% de 0,13 à 0,72 ; I2 à 43% (non concordance modérée) ; NNT de 6 (avec IC à 95% de 5 à 15) ; preuve de qualité GRADE modérée
  • critères secondaires pour l’antibiothérapie versus absence de traitement ou placebo :
    • fréquence de récidive (épisodes par personne-mois d’étude) : RR à 0,44 avec IC à 95% de 0,22 à 0,89 ; I2 à 54% ; preuve de qualité GRADE modérée
    • délai jusqu’au prochain épisode (2 études) : HR à 0,51 avec IC à 95% de 0,34 à 0,78 ; I2 = 0% ; preuve de qualité GRADE modérée
    • hospitalisation et effets indésirables : différences non significatives, preuve de qualité GRADE faible
    • résultats favorables non maintenus après l’arrêt du traitement prophylactique
    • résultats surtout favorables pour les sujets ayant présenté au moins 2 épisodes de cellulite des membres inférieurs sur une période allant jusqu’à 3 ans
    • pas de données pour la résistance microbienne et la qualité de vie
  • 1 RCT évaluant le sélénium pour la prévention de la cellulite des membres supérieurs, sur 15 semaines (n = 60) : un seul auteur, risques de biais élevés ou impossibles à préciser ; validité externe impossible à déterminer.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une antibiothérapie est probablement un traitement prophylactique efficace contre la cellulite récurrente des membres inférieurs en termes de récidive, d'incidence et de délai avant le prochain épisode versus placebo ou absence de traitement, (preuve de niveau modéré). Cependant, cet effet préventif des antibiotiques semble diminuer après leur interruption (preuve de niveau faible). Ce traitement par antibiotique ne provoque aucun événement indésirable grave et ceux qui y sont associés sont mineurs, tels des nausées et des éruptions cutanées (preuves de niveau faible).

Les preuves sont limitées aux personnes ayant présenté au moins deux épisodes de cellulite des membres inférieurs sur une période allant jusque trois ans, et aucune des études n’a évalué d'autres interventions courantes telles que les méthodes de réduction du lymphœdème ou des soins cutanés appropriés. Des études plus larges, de haute qualité sont justifiées, assurant un suivi à long terme et avec d'autres mesures prophylactiques.

Financement de l’étude 

National Institute for Health Research (NIHR), Royaume-Uni.

Conflits d’intérêts des auteurs 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Deux auteurs ont, indépendamment l’un de l’autre, sélectionné les études, extrait les données, évalué les risques de biais et analysé les résultats. Les risques de biais sont évalués selon les critères du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions (5) : séquence d’attribution bien aléatoire et secrète, insu des participants, des chercheurs et des évaluateurs, données manquantes, mention sélective des résultats, caractéristiques semblables dans les bras d’étude, arrêt prématuré d’études, autres. Deux études sont jugées à faible risque de biais, trois autres à risque de biais élevé au vu de l’absence d’insu.

Les auteurs mentionnent qu’ils n’ont pas pu exclure un biais de non-publication d’études avec un résultat négatif.

Interprétation des résultats

Le diagnostic de cellulite est posé, dans les études incluses, par des médecins spécialistes expérimentés et, dans les deux études (6,7) qui ensemble totalisent 77% des sujets de la méta-analyse concernant l’antibiothérapie (avec un traitement par pénicilline V 2 x 250 mg/j (= 2 x 400.000 UI)), sur des critères bien précisés. Ce constat, ajouté au contexte de toutes les études (quatre études effectuées à l’hôpital, une en seconde ligne de soins et une dans une clinique privée), rend la validation externe des résultats plus aléatoire pour la médecine générale et pour d’autres antibiotiques à plus large spectre actuellement recommandés (ou non).

La population concernée par les études est représentative des pays européens, avec des facteurs prédisposant à une cellulite récidivante des membres inférieurs. De nombreuses études ont souligné l’importance de facteurs de risque généraux (diabète, obésité, …) ou locaux (œdème, ulcère, excoriation) pour la cellulite, particulièrement au niveau des membres inférieurs (4).

Le nombre d’épisodes de récidive est probablement important pour prendre la décision d’une antibiothérapie prophylactique. Une efficacité n’est montrée que dans les RCTs ayant inclus des sujets avec au moins 2 épisodes précédents (7,8). Nous n’apprenons rien pour les sujets multi récidivants, ni pour des traitements prolongés au-delà de 18 mois.

Le choix des antibiotiques utilisés ne correspond pas aux choix actuels proposés dans les GPC pour notre pays (1,9), qui tiennent compte de l’incertitude d’une part d’une distinction clinique entre streptocoque et staphylocoque comme agent étiologique, et, d’autre part, de la probabilité d’un MRSA. Il reste à établir une balance bénéfice/risque (y compris de résistance bactérienne) avec ces antibiotiques à plus large spectre.

Une précédente synthèse méthodique (10) se base sur les 5 même RCTs avec antibiothérapie pour aboutir aux mêmes conclusions que celle analysée ici.

Effets indésirables

Dans cette synthèse méthodique, les effets indésirables (symptômes gastro-intestinaux (nausées et diarrhée), éruption cutanée, candidose buccale) ne sont pas plus fréquents sous antibiotique que sous placebo/absence de traitement. Mais il s’agit majoritairement (77% du total de la population sous antibiothérapie prophylactique) de pénicilline V (phénoxyméthylpénicilline orale) à dose faible (2 x 400000 UI par jour).

Dans l’étude avec de l’érythromycine, 3 patients l’ont arrêtée pour douleurs abdominales et nausées.

Le poids des effets indésirables dans la balance bénéfice/risque avec d’autres antibiotiques reste donc à évaluer, notamment en prenant en compte le risque de développement d’une résistance bactérienne.

Résistance aux antibiotiques

Nous avons rapporté précédemment dans la revue Minerva (11) l’importance, même à l’échelle d’une pratique de médecine générale (12) de la diminution de la prescription d’antibiotiques pour toute indication : cette diminution va de pair avec une diminution des résistances observées pour les E. coli et autres coliformes urinaires dans la population concernée. Un tel bénéfice est à mettre en parallèle avec l’augmentation des résistances observées en cas de d’utilisation globalement plus fréquente d’antibiotiques à un niveau national (13,14).

Cette augmentation des résistances bactériennes n’a pas été évaluée dans les études incluses dans cette synthèse, ni, conséquemment, dans cette synthèse.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique montre l’intérêt d’un traitement prophylactique antibiotique (pénicilline V essentiellement, à dose faible de 2 x 400000 UI/j) durant 18 mois maximum, en prévention des récidives de cellulite des membres inférieurs chez des adultes en ayant présenté au moins 2 épisodes précédents. Un bénéfice n’est plus observé après l’arrêt de la prophylaxie. De nouvelles études orientées soins ambulatoires, de durées plus longues et avec une attention particulière à la résistance aux antibiotiques sont nécessaires.

 

Pour la pratique

Le NHG-Standaard concernant les infections cutanées bactériennes (1) recommande de traiter les facteurs de risque sous-jacents pour prévenir les récidives de cellulite.

Pour le traitement médicamenteux prophylactique, ce GPC prend comme référence la méta-analyse de Oh de 2014 (10) pour formuler les avis suivants :

  • prendre en considération, en cas de cellulite récidivante (au moins 2 infections par an) chez l’adulte, un traitement par pénicilline V 500 mg 1x/j (ou pénicilline G 1200000 UI IM/3 ou 4 semaines) durant au moins 6 mois
  • en alternative : flucloxacilline 500 mg 4 x/j durant 10 jours aux premiers signes de récidive (clindamycine 600 mg 3x/j en cas d’allergie à la pénicilline) – antibiotiques semblables à ceux proposés dans le guide de la BAPCOC pour le traitement de la cellulite (9)
  • en dépistant et traitant les porteurs de Staphylococcus aureus (éventuellement résistant).

L’analyse de la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2017 montre combien ces choix sont consensuels plutôt que basés sur des études valides.

 

 

Références 

  1. Bons SC, Bouma M, Draijer LW, et al. NHG-Standaard Bacteriële huidinfecties (Tweede herziening). NHG 2017. URL : https://www.nhg.org/standaarden/volledig/nhg-standaard-bacteriele-huidinfecties#idp545136
  2. Kozłowska D, Myśliwiec H, Kiluk P, et al. Clinical and epidemiological assessment of patients hospitalized for primary and recurrent erysipelas. Przegl Epidemiol 2016;70:575-84.
  3. Bläckberg A, Trell K, Rasmussen M. Erysipelas, a large retrospective study of aetiology and clinical presentation. BMC Infect Dis 2015;15:402. DOI: 10.1186/s12879-015-1134-2
  4. Quirke M, Ayoub F, McCabe A, et al. Risk factors for non-purulent leg cellulitis: a systematic review and meta-analysis. Br J Dermatol 2017;177:382-94. DOI: 10.1111/bjd.15186
  5. Higgins JP, Green S (editors). Cochrane handbook for systematic reviews of interventions. Version 5.1.0 [updated March 2011]. The Cochrane Collaboration, 2011. Available from http://handbook.cochrane.org.
  6. Thomas K, Crook A, Foster K, et al ; UK Dermatology Clinical Trials Network’s PATCH Trial Team. Prophylactic antibiotics for the prevention of cellulitis (erysipelas) of the leg: results of the UK Dermatology Clinical Trials Network’s PATCH II trial. Br J Dermatol 2012;166:169-78. DOI: 10.1111/j.1365-2133.2011.10586.x
  7. Thomas KS, Crook AM, Nunn AJ, et al ; Dermatology Clinical Trials Network's PATCH I Trial Team. Penicillin to prevent recurrent leg cellulitis. N Engl J Med 2013 May 2;368:1695-703. DOI: 10.1056/NEJMoa1206300
  8. Kremer M, Zuckerman R, Avraham Z, Raz R. Long-term antimicrobial therapy in the prevention of recurrent soft-tissue infections. J Infect 1991;22:37-40. DOI: 10.1016/0163-4453(91)90898-3
  9. BAPCOC. Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire. Troisième édition (2012).
  10. Oh CC, Ko HC, Lee HY, et al. Antibiotic prophylaxis for preventing recurrent cellulitis: A systematic review and meta-analysis. J Infect 2014;69:26-34. DOI: 10.1016/j.jinf.2014.02.011
  11. Belche JL, Chevalier P. Moins d’antibiotiques, moins de résistances. MinervaF 2008;7(5):68-9.
  12. Butler CC, Dunstan F, Heginbothom M, et al. Containing antibiotic resistance: decreased antibiotic-resistant coliform urinary tract infections with reduction in antibiotic prescribing by general practices. Br J Gen Pract 2007;57:785-92.
  13. Riedel S, Beekmann SE, Heilmann KP, et al. Antimicrobial use in Europe and antimicrobial resistance in Streptococcus pneumoniae. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2007;26:485-90. DOI: 10.1007/s10096-007-0321-5
  14. McDonnell L, Armstrong D, Ashworth M, et al. National disparities in the relationship between antimicrobial resistance and antimicrobial consumption in Europe: an observational study in 29 countries. J Antimicrob Chemother 2017;72:3199-3204. DOI: 10.1093/jac/dkx248



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