Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité et sécurité de la gabapentine pour les douleurs neuropathiques chroniques chez l’adulte ?



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 9 Page 117 - 120

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Wiffen PJ, Derry S, Bell RF, et al. Gabapentin for chronic neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD007938.pub4


Question clinique
Quels sont l’efficacité analgésique et la sécurité de la gabapentine dans le traitement des douleurs neuropathiques chroniques chez l’adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, de bonne qualité méthodologique, montre que la gabapentine à la dose quotidienne d’au moins 1200 mg/jour peut soulager quelques patients supplémentaires versus placebo souffrant de douleur neuropathique chronique (principalement post herpétique ou diabétique) mais au prix d’effets indésirables pouvant mener à l’arrêt du traitement. Pour les autres types de douleurs neuropathiques, les preuves manquent. Il reste nécessaire de bien informer le patient et d’intégrer ce traitement dans une prise en charge plus globale.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Guide de Pratique Clinique belge sur la douleur chronique recommande d’envisager la gabapentine pour le traitement de la douleur neuropathique (GRADE 2A). La Revue Prescrire propose la gabapentine en alternative à l’amitriptyline dans le traitement des névralgies post herpétiques. Le GPC NICE propose sur un pied d’égalité la gabapentine, la prégabaline, l’amitriptyline ou la duloxétine en traitement initial pour les douleurs neuropathiques. En cas de non réponse ou de non tolérance à une première option, ne pas hésiter à switcher vers une seconde. Le CBIP, qui s’inspire des synthèses méthodiques de la Cochrane Collaboration, propose également la gabapentine dans les premières options thérapeutiques. Cette revue systématique conforte ces recommandations. Au vu de l’impact global très négatif que peuvent avoir les douleurs chroniques dans tous les aspects de la vie des personnes qui en souffrent, toutes les options thérapeutiques doivent être considérées avec attention. La gabapentine fait partie des options pour les cas spécifiques de certaines douleurs neuropathiques chroniques, même s’il est impossible de prévoir pour chaque patient de quel côté penchera la balance bénéfices - risques. En bonne logique clinique il est de toute façon nécessaire de bien informer le patient, d’intégrer ce traitement médicamenteux dans une prise en charge plus globale (ce qui ne signifie pas associer tous les antalgiques disponibles), de prescrire la plus petite dose efficace et de ne pas poursuivre ce traitement en cas de non efficacité ou d’effets indésirables.



Contexte

Les douleurs neuropathiques se distinguent des douleurs nociceptives par un mécanisme de dysfonctionnement au niveau des nerfs afférents à la douleur. Ces douleurs nécessitent donc une approche pharmacologique spécifique. Elles ont souvent tendance à se chroniciser et ont un impact très lourd sur la qualité de vie des patients (1). Certains antiépileptiques, dont la gabapentine, ont montré une efficacité statistiquement significative sur ces douleurs. Cette méta-analyse de la Cochrane Collaboration publiée en 2017 est une mise à jour de celle de 2014 et ne se contente pas d’inclure les nouvelles études publiées au sujet de la gabapentine. Elle se veut plus attentive au nombre de patients douloureux chroniques ayant rapporté un bon résultat plutôt qu’à un résultat statistique moyen, et apporte une nouvelle définition de ce qu’est un « bon résultat », à savoir « un haut niveau de soulagement de la douleur et la possibilité de continuer le traitement sans effet indésirable qui le ferait arrêter ».

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • CENTRAL, MEDLINE, Embase
  • liste de références d’études sélectionnées et de synthèses méthodiques et des registres d’études cliniques en ligne entre janvier 2014 et janvier 2017
  • ClinicalTrials.gov et World Health Organization (WHO) International Clinical Trials Registry Platform (ICTRP).

 

Etudes sélectionnées

  •  critères d’inclusion : études cliniques randomisées (RCTs) en double aveugle comparant, durant au moins 2 semaines, l’effet de la gabapentine à un placebo ou à un autre traitement actif sur les douleurs neuropathiques chroniques, quelle qu’en soit l’origine, chez des patients adultes > 18 ans
  • exclusion des études expérimentales sur la douleur, rapports de cas cliniques, observations cliniques
  • 37 études incluses dont 4 nouvelles et 3 retirées de la précédente synthèse méthodique
  • durée de suivi de 4 à 12 semaines.

 

Population étudiée

  • total de 5914 patients
  • les données disponibles concernaient principalement les névralgies post-herpétiques et les neuropathies diabétiques, pour lesquelles la gabapentine prescrite à 1200 mg/j au moins était comparée à un placebo.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • nombre de patients avec bénéfice substantiel de la douleur, évalué soit par un soulagement de la douleur d’au moins 50%, soit par un score de douleur « très fortement » amélioré à la Patient Global Impression of Change scale (PGIC en anglais)
    • nombre de patients avec bénéfice modéré de la douleur, évalué soit par un soulagement de la douleur d’au moins 30%, soit par une PGIC « très fortement » ou « fortement » améliorée
  • critères de jugement secondaires :
    • tout critère amélioré et en lien avec la douleur
    • sorties d’études
    • effets indésirables graves, quels qu’ils soient
    • effets indésirables spécifiques (somnolence, vertiges)
    • tout effet indésirable.

 

Résultats 

Les résultats sont présentés dans les tableaux ci-dessous. Les résultats sont exprimés en RR, NNT ou NNH avec un intervalle de confiance à 95%.

 

Efficacité d’au moins 1200 mg/j de gabapentine versus placebo

Névralgie post herpétique

(avec IC à 95%)

Neuropathie diabétique douloureuse

(avec IC à 95%)

Nombre de patients avec bénéfice substantiel

32% versus 17%

RR 1,8 (1,5 - 2,1)

NNT 6,7 (5,4 - 8,7)

N = 8 études ; n = 2260 patients

Niveau de preuve modéré

38% versus 21%

RR 1,9 (1,5 - 2,3)

NNT 5,9 (4,6- 8,3)

N = 6 ; n = 1277 patients

Niveau de preuve modéré

Nombre de patients avec bénéfice modéré

46% versus 25%

RR 1,8 (1,6 - 2,0)

NNT 4,8 (4,1 - 6,0)

N = 8 ; n = 2260 patients

Niveau de preuve modéré

52% versus 37%

RR 1,4 (1,3 - 1,6)

NNT 6,6 (4,9 - 9,9)

N = 7 ; n = 1439 patients

Niveau de preuve modéré

 

 

Effets indésirables de la gabapentine versus placebo, toutes pathologies confondues

Sorties d’études

11% versus 8,2%

RR 1,4 (1,1 - 1,7)

NNH 30 (20 - 65)

N = 22 ; n = 4346 patients

Niveau de preuve élevé

Effets indésirables graves

3,2% versus 2,8% (différence non significative)

RR 1,2 (0,8 - 1,7)

N = 19 ; n = 3948 patients

Niveau de preuve modéré

Au moins 1 effet indésirable

63% versus 49%

RR 1,3 (1,2 - 1,4)

NNH 7,5 (6,1 - 9,6)

N = 18 ; n = 4279 patients

Niveau de preuve modéré

Effets indésirables les plus fréquents : vertiges (19%), somnolence (14%), œdème périphérique (7%), troubles de la marche (14%)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la gabapentine aux doses de 1800 mg à 3600 mg/j (1200 mg/j à 3600 mg/j de gabapentine) peut bien soulager la douleur chez quelques personnes souffrant de névralgie post herpétique ou de neuropathie diabétique. Pour les autres types de douleurs neuropathiques, les preuves manquent. Le critère de réduction de l’intensité de la douleur d’au moins 50% est considéré comme un critère de traitement utile par les patients et l’atteinte de cet objectif s’accompagne d’effets bénéfiques sur l’insomnie, la fatigue, la dépression ainsi que sur la qualité de vie et le travail de ces patients. 3 à 4 patients sur 10 participants ont obtenu ce degré de soulagement de la douleur avec la gabapentine versus 1 à 2 patients sur 10 avec le placebo. Plus de la moitié des patients ne verront pas de bénéfice avec ce traitement et souffriront d’effets indésirables. Les conclusions n’ont pas changé depuis la précédente synthèse méthodique de 2014.

 

Financement de l’étude

Oxford Pain Relief Trust, UK ; NHS Cochrane Collaboration Program Grant Scheme, UK ; European Union Biomed 2 Grant, UK ; The National Institute for Health Research (NHIR), UK.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun connu pour 4 des 7 auteurs, déclarés pour les 3 autres.

 

Discussion 

 

Considérations sur la méthodologie

La sélection et l’inclusion des études ont été effectuées par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre, de même que l’extraction des données effectuée par trois chercheurs. Les risques de biais ont été évalués par la méthodologie Cochrane et le niveau de preuve de chaque critère de jugement a été évalué par la méthode GRADE. Les biais les plus importants rapportés étaient dus à des tailles d’échantillon trop petites ou au manque de transparence quant aux données après des sorties d’études. Ces 2 biais pourraient avoir tendance à améliorer artificiellement l’efficacité des interventions.

La durée minimale du traitement (2 semaines) est précisée, mais pas la durée minimale des douleurs pour les patients inclus. La limite entre douleur aiguë et chronique n’est donc pas clairement précisée.

Dans la plupart des études incluses, la douleur a été évaluée par échelle numérique ou visuelle analogique validées. Lorsque cela était possible, les résultats ont ensuite été analysés de façon dichotomique afin de calculer les risques relatifs, les nombres de sujets à traiter et les nombres nécessaires pour nuire. Analyser par méthode dichotomique avec un niveau élevé ou modéré de soulagement de douleur plutôt que par moyennes de score permet des conclusions qui ont du sens à la fois d’un point de vue statistique mais aussi pour le patient (2).

Les études incluses concernaient de façon majoritaire des patients avec névralgie post-herpétique ou neuropathie diabétique, ce qui n’a pas permis de tirer des conclusions à propos de l’efficacité de la gabapentine dans les autres causes de douleur neuropathique.

Cette méta-analyse comporte deux autres limites importantes. Tout d’abord, tous les résultats des études comparant la gabapentine au placebo, quelle que soit la dose de gabapentine prescrite, qu’elle ait été titrée ou non jusqu’à un effet attendu ou jusqu’à une dose déterminée, qu’elle ait été poursuivie ou non malgré des effets indésirables, ont été pris en compte. Ensuite, il n’est pas précisé si la « réponse au traitement » n’inclut que les patients qui à la fois sont soulagés par le traitement et peuvent le supporter. Il est probable que, pour les patients qui sont sortis de l’étude à cause des effets indésirables, la technique du Last Observation Carried Forward (3) ait surestimé le bénéfice.

 

Interprétation des résultats

La gabapentine montre une efficacité convaincante pour traiter les névralgies post herpétiques et les douleurs neuropathiques diabétiques chez 3 à 4 patients sur 10, mais ses effets indésirables (6 patients sur 10) doivent inciter à la prudence lorsqu’elle est prescrite. Cette synthèse méthodique ne permet pas de savoir à quelle dose elle est la plus efficace ni si les effets indésirables sont dose dépendant.

La question d’une éventuelle association d’antalgiques tels que la nortriptyline et la gabapentine versus monothérapies pour le traitement de la douleur polyneuropathique diabétique a déjà été analysée dans Minerva (4,5) et montrait une efficacité supérieure, mais cliniquement peu pertinente.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, de bonne qualité méthodologique, montre que la gabapentine à la dose quotidienne d’au moins 1200 mg/jour peut soulager quelques patients supplémentaires versus placebo souffrant de douleur neuropathique chronique (principalement post herpétique ou diabétique) mais au prix d’effets indésirables pouvant mener à l’arrêt du traitement. Pour les autres types de douleurs neuropathiques, les preuves manquent. Il reste nécessaire de bien informer le patient et d’intégrer ce traitement dans une prise en charge plus globale.

 

Pour la pratique 

Le Guide de Pratique Clinique belge sur la douleur chronique recommande d’envisager la gabapentine pour le traitement de la douleur neuropathique (GRADE 2A) (6). La Revue Prescrire (7) propose la gabapentine en alternative à l’amitriptyline dans le traitement des névralgies post herpétiques. Le GPC NICE (8) propose sur un pied d’égalité la gabapentine, la prégabaline, l’amitriptyline ou la duloxétine en traitement initial pour les douleurs neuropathiques. En cas de non réponse ou de non tolérance à une première option, ne pas hésiter à switcher vers une seconde. Le CBIP (9,10), qui s’inspire des synthèses méthodiques de la Cochrane Collaboration, propose également la gabapentine dans les premières options thérapeutiques. Cette revue systématique conforte ces recommandations.

Au vu de l’impact global très négatif que peuvent avoir les douleurs chroniques dans tous les aspects de la vie des personnes qui en souffrent, toutes les options thérapeutiques doivent être considérées avec attention. La gabapentine fait partie des options pour les cas spécifiques de certaines douleurs neuropathiques chroniques, même s’il est impossible de prévoir pour chaque patient de quel côté penchera la balance bénéfices - risques. En bonne logique clinique il est de toute façon nécessaire de bien informer le patient, d’intégrer ce traitement médicamenteux dans une prise en charge plus globale (ce qui ne signifie pas associer tous les antalgiques disponibles), de prescrire la plus petite dose efficace et de ne pas poursuivre ce traitement en cas de non efficacité ou d’effets indésirables.

 

 

Références 

  1. Moore RA, Derry S, Taylor RS, et al. The costs and consequences of adequately managed chronic noncancer pain and chronic neuropathic pain. Pain Practice 2014;14:79-94. DOI: 10.1111/papr.12050
  2. Moore AR. What works for whom? Determining the efficacy and harm of treatments for pain. Pain 2013;154 (Suppl 1):S77-86. DOI: 10.1016/j.pain.2013.03.024
  3. Chevalier P. LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent… MinervaF 2008;7(8):128.
  4. Hans G. Nortriptyline et gabapentine pour la douleur neuropathique. MinervaF 2010;9(10):118-9.
  5. Gilron I, Bailey JM, Tu D, et al. Nortriptyline and gabapentin, alone and in combination for neuropathic pain: a double-blind, randomised controlled crossover trial. Lancet 2009;374:1252-61. DOI: 10.1016/S0140-6736(09)61081-3
  6. Henrard G, Cordyn S, Chaspierre A, et al. Guide de Pratique Clinique. Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Mise à jour 2017.
  7. Douleurs postzostériennes. Rev Prescrire 2016;36:766-9. Premiers Choix Prescrire, actualisation décembre 2017.
  8. Neuropathic pain in adults: pharmacological management in non-specialist settings. Clinical guideline 173. NICE, 2013. Last updated: April 2018.
  9. Gabapentine. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP, octobre 2018.
  10. Douleur neuropathique. Fiche de transparence. CBIP, juin 2010. Date des recherches jusqu'au 15 mars 2015.

 




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Commentaires

Rémy Boussageon 07/03/2019 12:29

Cette analyse fort pertinente omet selon nous un critère de jugement d'efficacité : la supériorité à ce qu'on appelle la "minimal important difference". Pour les douleurs neuropathiques, celle-ci est une amélioration de 2 points sur 10 (Farrar et al. Pain 2001). Avec ce concept, des auteurs ont récemment mis en évidence que les opiacés dans la douleur chronique non cancéreuse ont un effet, mais que cet effet n'atteint pas le seuil de la pertinence clinique (défini ici comme une supériorité à une amélioration de 1 sur 10 : voir Busse JW et al. JAMA 2018).