Revue d'Evidence-Based Medicine



Faut-il traiter l’hypothyroïdie infraclinique ?



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 4 Page 40 - 42

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Feller M, Snel M, Moutzouri E, et al. Association of thyroid hormone therapy with quality of life and thyroid-related symptoms in patients with subclinical hypothyroidism. JAMA 2018;320:1349-59. DOI: 10.1001/jama.2018.13770


Question clinique
Quel est l’effet du traitement substitutif par hormone thyroïdienne sur la qualité de vie et sur les symptômes en rapport avec la thyroïde chez les patients présentant une hypothyroïdie infraclinique ?


Conclusion
Disposant d’un bon plan expérimental sur le plan méthodologique, cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées contrôlées avec un risque de biais globalement faible montre que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez des patients, à l’exclusion des femmes enceintes, qui présentent une hypothyroïdie infraclinique et des symptômes d’hypothyroïdie légers à modérés ne conduit pas à une amélioration de la qualité de vie générale ou à une diminution des symptômes en rapport avec la thyroïde.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le diagnostic d’hypothyroïdie infraclinique repose sur les résultats des analyses biologiques. Le terme « infraclinique » indique que la T4 libre est dans les limites de la norme du laboratoire, mais que la concentration de TSH est augmentée. La relation avec d’éventuels symptômes n’est pas toujours claire. Pour le moment, on ne sait pas si le dépistage de l’hypothyroïdie se justifie chez les patients asymptomatiques. En cas de découverte fortuite d’une hypothyroïdie infraclinique, il est recommandé de déterminer à nouveau la TSH et la T4 libre après 3 à 6 mois. Après confirmation d’une hypothyroïdie infraclinique, le traitement est conseillé en cas de TSH > 10 ou s’il s’agit d’une patiente enceinte. En cas de persistance d’une légère augmentation de la TSH (> 3,6 à 4 mU/l), un traitement peut être envisagé en présence de légers symptômes d’hypothyroïdie, chez les patients jeunes, chez les femmes enceintes, chez les patients présentant une augmentation du taux d’anticorps antithyroperoxydase, un goitre et une hypercholestérolémie. Il est souvent souhaitable de commencer par une période d’essai thérapeutique de 3 à 6 mois. Cependant, une étude menée chez des femmes enceintes présentant une hypothyroïdie infraclinique a montré que l’administration de l’hormone thyroïdienne, versus placebo, n’avait pas d’effet significatif sur l’évolution de la grossesse, ni sur le développement psychomoteur et cognitif de l’enfant à 5 ans. Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez des patients, à l’exclusion des femmes enceintes, qui présentent une hypothyroïdie infraclinique et des symptômes légers à modérés ne conduit pas à une amélioration de la qualité de vie générale ou à une diminution des symptômes en rapport avec la thyroïde.


 

Contexte

L’hypothyroïdie infraclinique est définie comme la combinaison d’une TSH augmentée et d’une concentration sanguine de T4 libre normale (1). La prévalence de l’hypothyroïdie infraclinique est estimée à 4% (2). La prise en charge de l’hypothyroïdie infraclinique est souvent basée sur un traitement substitutif par de la lévothyroxine, surtout en présence de symptômes pouvant être dus à une hypothyroïdie, comme de la fatigue, de la constipation et une prise de poids sans autre explication (3). Les synthèses méthodiques effectuées précédemment n’ont pas pu étayer l’utilité du traitement substitutif dans ce contexte (4,5).

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • PubMed, EMBASE, ClinicalTrials.gov, Web of Science, Cochrane Library, CENTRAL, Emcare, Academic Search Premier, jusqu’au 4 juillet 2018
  • les listes de références des synthèses et articles trouvés et des guides de bonne pratique.

Études sélectionnées

  • 21 études randomisées contrôlées qui ont comparé un traitement substitutif par hormone thyroïdienne d’une durée d’au moins un mois (en moyenne 3 à 18 mois) versus placebo (N = 18 études) ou à l’absence de traitement (N = 3 études) chez des adultes présentant une hypothyroïdie infraclinique ; avec un suivi d'au moins 3 mois
  • exclusion des études avec pseudo-randomisation.

Population étudiée

  • 2192 adultes (20 à 737 par étude), 46% à 100% étant de sexe féminin, l’âge moyen variant de 32 à 74 ans et la concentration moyenne de TSH allant de 4,4 à 12,8 mUI/l avant la randomisation (dans deux études totalisant 99 participants, la concentration moyenne de TSH était > 10 mUI/l)
  • exclusion des études avec uniquement des patients qui étaient également atteints d’une autre affection ainsi que des études avec uniquement des femmes enceintes ou des femmes souhaitant tomber enceintes.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : qualité de vie globale, symptômes d’hypothyroïdie
  • critères de jugement secondaires : symptômes dépressifs, fatigue, fonction cognitive, douleur, force musculaire, pression sanguine, IMC, événements cardiovasculaires, mortalité, effets indésirables
  • analyse suivant le modèle à effets aléatoires.

Résultats

  • à la fin du suivi, la TSH avait diminué dans le groupe intervention à une valeur moyenne se situant entre 0,5 et 3,7 mUI/l versus 4,6 à 14,7 mUI/l dans le groupe témoin
  • entre le groupe intervention et le groupe témoin, aucune différence n’a pu être constatée quant à la qualité de vie globale (différence moyenne standardisée (DMS) -0,11 avec IC à 95% de -0,25 à 0,03 ; I² =  66,7% ; N = 4 études avec n = 796 participants), ni quant aux symptômes d’hypothyroïdie (DMS 0,01 avec IC à 95% de -0,12 à 0,14 ; I² 0% ; N = 4 études avec n = 858 participants)
  • entre les deux groupes, aucune différence statistiquement significative en termes de symptômes dépressifs (N = 4 études ; n = 278 participants), de fonction cognitive (N = 4 études ; n = 859 participants), de force musculaire (N = 2 études ; n = 695 participants), de pression systolique (N = 8 études ; n = 1372 participants), d’IMC (N = 15 études ; n = 1633 participants), de fatigue, d’événements cardiovasculaires, de mortalité et d’effets indésirables (N = 1 étude ; n = 737 participants).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez les adultes présentant une hypothyroïdie infraclinique n’est pas associé à une amélioration de la qualité de vie globale ou des symptômes en rapport avec la thyroïde. Ces résultats n’étayent pas l’utilisation systématique du traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez les adultes présentant une hypothyroïdie infraclinique.

Financement de l’étude

Le Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui n’est intervenu à aucun stade de l’étude ou de l’élaboration de l’article.

Conflits dintérêt des auteurs

Un auteur mentionne la collaboration à une étude incluse dans cette synthèse méthodique et à une étude où les médicaments étudiés ont été mis à disposition par la firme Merck. Les autres auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans cette synthèse méthodique, deux chercheurs indépendants ont déterminé si les articles trouvés pouvaient être inclus. Deux auteurs ont également extrait les données, évalué le risque de biais à l’aide de The Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias et évalué la qualité de la preuve au moyen de l’outil GRADE. La qualité méthodologique des études incluses était globalement bonne. Deux études, dont l’étude la plus récente et aussi la plus vaste (6), avaient un faible risque de biais pour tous les domaines. Une seule étude avait un risque de biais élevé pour 3 des 6 domaines. Il y avait, entre les études, une grande hétérogénéité clinique quant à la durée du traitement et aux mesures des critères de jugement. Cependant, l’hétérogénéité statistique observée était faible, sauf pour la qualité de vie globale et l’IMC. Une analyse de sensibilité post hoc excluant les études montrant un avantage statistiquement significatif en faveur du placebo a toutefois pu confirmer l’absence d’un avantage avec le traitement substitutif.

 

Interprétation des résultats

Cette synthèse méthodique montre donc qu’un traitement de l’hypothyroïdie infraclinique par hormone thyroïdienne chez des patients qui ne sont pas des femmes enceintes n’apporte pas d’amélioration de la qualité de vie globale (GRADE élevé), des symptômes d’hypothyroïdie (GRADE élevé), des symptômes dépressifs (GRADE modéré), de la fatigue (GRADE modéré), de la fonction cognitive (GRADE modéré), de la force musculaire (GRADE élevé), de la pression sanguine (GRADE élevé), de l’IMC (GRADE élevé), des événements cardiovasculaires (GRADE faible) et de la mortalité (GRADE faible). L’inclusion de deux récentes études randomisées contrôlées (6,7) a seulement permis de confirmer les résultats négatifs de deux synthèses méthodiques plus anciennes (4,5).

Dans environ la moitié des études incluses, la concentration moyenne de TSH était inférieure à 7 mUI/l, et dans deux études seulement, la concentration moyenne de TSH était supérieure à 10 mUI/l. Il s’agissait ici de deux petites études qui examinaient l’effet du traitement substitutif sur le score des symptômes d’hypothyroïdie (8) et sur l’IMC (9). Aucune de ces deux études n’a pu montrer de différence statistiquement significative versus placebo. Pour le moment, on ne sait donc pas encore bien si le traitement substitutif a un effet clinique en cas d’hypothyroïdie infraclinique sévère (TSH > 10mUI/l), pour laquelle les guides de bonne pratique récents recommandent un traitement (3). De plus, seulement 7 des 21 études ont rapporté les symptômes d’hypothyroïdie au début de l’intervention. Il s’agissait chaque fois de symptômes d’hypothyroïdie légers à modérés. En outre, il n’est pas impossible que, dans un bon nombre d’études, les patients présentant des symptômes sévères aient dû être exclus parce qu’ils étaient déjà sous traitement par hormone thyroïdienne. Cette synthèse méthodique ne nous permet donc pas d’exclure que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne ait peut-être bien un effet chez les patients présentant une hypothyroïdie infraclinique sévère et des symptômes d’hypothyroïdie plus importants. Enfin, nous devons mentionner que le suivi des études incluses était globalement trop court (≤ 12 mois) pour que l’on puisse se prononcer sur les critères de jugement secondaires pertinents, tels que les événements cardiovasculaires et la mortalité. Par ailleurs, il vaudrait également mieux qu’une étude à plus long terme tienne compte des critères de jugement tels que le développement d’un goitre et d’un cancer de la thyroïde.

                                                                                                                                 

Conclusion de Minerva

Disposant d’un bon plan expérimental sur le plan méthodologique, cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées contrôlées avec un risque de biais globalement faible montre que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez des patients, à l’exclusion des femmes enceintes, qui présentent une hypothyroïdie infraclinique et des symptômes d’hypothyroïdie légers à modérés ne conduit pas à une amélioration de la qualité de vie générale ou à une diminution des symptômes en rapport avec la thyroïde.

 

Pour la pratique

Le diagnostic d’hypothyroïdie infraclinique repose sur les résultats des analyses biologiques. Le terme « infraclinique » indique que la T4 libre est dans les limites de la norme du laboratoire, mais que la concentration de TSH est augmentée. La relation avec d’éventuels symptômes n’est pas toujours claire (10). Pour le moment, on ne sait pas si le dépistage de l’hypothyroïdie se justifie chez les patients asymptomatiques (1). En cas de découverte fortuite d’une hypothyroïdie infraclinique, il est recommandé de déterminer à nouveau la TSH et la T4 libre après 3 à 6 mois (1). Après confirmation d’une hypothyroïdie infraclinique, le traitement est conseillé en cas de TSH > 10 (1,11) ou s’il s’agit d’une patiente enceinte (11). En cas de persistance d’une légère augmentation de la TSH (> 3,6 à 4 mU/l), un traitement peut être envisagé en présence de légers symptômes d’hypothyroïdie, chez les patients jeunes, chez les femmes enceintes, chez les patients présentant une augmentation du taux d’anticorps antithyroperoxydase, un goitre et une hypercholestérolémie. Il est souvent souhaitable de commencer par une période d’essai thérapeutique de 3 à 6 mois (11). Cependant, une étude menée chez des femmes enceintes présentant une hypothyroïdie infraclinique a montré que l’administration de l’hormone thyroïdienne, versus placebo, n’avait pas d’effet significatif sur l’évolution de la grossesse, ni sur le développement psychomoteur et cognitif de l’enfant à 5 ans (12,13). Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que le traitement substitutif par hormone thyroïdienne chez des patients, à l’exclusion des femmes enceintes, qui présentent une hypothyroïdie infraclinique et des symptômes légers à modérés ne conduit pas à une amélioration de la qualité de vie générale ou à une diminution des symptômes en rapport avec la thyroïde.

 

Références   

  1. Avonts M, Cloetens H, Leyns C, et al. Aanvraag van laboratoriumtests door huisartsen. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2011;40:S1-S55.
  2. Hollowell JG, Staehling NW, Flanders WD, et al. Serum TSH, T(4), and thyroid antibodies in the United States population (1988 to 1994): National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES III). J Clin Endocrinol Metab 2002;87:489-99. DOI: 10.1210/jcem.87.2.8182
  3. Pearce SH, Brabant G, Duntas LH, et al. 2013 ETA guideline: management of subclinical hypothyroidism. Eur Thyroid J 2013;2:215-28. DOI: 10.1159/000356507
  4. Villar HC, Saconato H, Valente O, Atallah AN. Thyroid hormone replacement for subclinical hypothyroidism. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD003419.pub2
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  6. Stott DJ, Rodondi N, Kearney PM, et al; TRUST Study Group. Thyroid hormone therapy for older adults with subclinical hypothyroidism. N Engl J Med 2017;376:2534-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1603825
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  8. Meier C, Staub JJ, Roth CB, et al. TSH-controlled L-thyroxine therapy reduces cholesterol levels and clinical symptoms in subclinical hypothyroidism: a double blind, placebo-controlled trial (Basel Thyroid Study). J Clin Endocrinol Metab 2001;86:4860-6. DOI: 10.1210/jcem.86.10.7973
  9. Cooper DS, Halpern R, Wood LC, et al. L-thyroxine therapy in subclinical hypothyroidism. A double-blind, placebo-controlled trial. Ann Intern Med 1984;101:18-24. DOI: 10.7326/0003-4819-101-1-18                                
  10. Van Lieshout J, Felix-Schollaart B, Bolsius EJM, et al. NHG-Standaard Schildklieraandoeningen (Tweede herziening). Huisarts Wet 2013;56:320-30.
  11. Hypothyroïdie. Duodecim Medical Publications 2000. Dernière mise à jour: 08/08/2017. Dernière révison contextuelle: 21/12/2017.
  12. Kang T, Henrard G. Faut-il traiter l’hypothyroïdie infraclinique chez la femme enceinte ? Minerva bref 15/06/2018.
  13. Casey BM, Thom EA, Peaceman AM, et al. Treatment of subclinical hypothyroidism or hypothyroxinemia in pregnancy. N Engl J Med 2017;376:815-25. DOI: 10.1056/NEJMoa1606205

 




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