Revue d'Evidence-Based Medicine



Psychothérapie cognitivo-comportementale dans la douleur chronique : regrouper les patients et simplifier le message ?



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 7 Page 77 - 80

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Thorn BE, Eyer JC, Van Dyke BP, et al. Literacy-adapted cognitive behavioral therapy versus education for chronic pain at low-income clinics: a randomized controlled trial. Ann Intern Med 2018;168:471-80. DOI: 10.7326/M17-0972


Question clinique
Quelle est l’efficacité, en termes de réduction de l’intensité de la douleur chez des patients adultes douloureux chroniques à bas niveau de littératie en santé, de séances de thérapie cognitive comportementale ou de simples séances éducatives (EDU), toutes deux dispensées en groupes et sous formes simplifiées, par rapport aux soins usuels (SU) ?


Conclusion
Cette étude de bonne qualité méthodologique démontre qu’une prise en charge de la douleur chronique au moyen de séances de psychothérapie cognitive comportementale ou éducatives, réalisées en groupe et de forme simplifiée, dispensées auprès d’un public économiquement défavorisé, est envisageable et au moins aussi efficace que les soins usuels.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique belge actuel en matière de douleur chronique recommande d’envisager la thérapie cognitive comportementale chez ces patients (GRADE 2C). Cette étude renforce cette recommandation tout en ouvrant la voie à son implémentation sous forme simplifiée (dite « pro-littératie ») et de groupe.


Contexte

Les recommandations actuelles pour la prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins mettent l’accent sur l’approche non médicamenteuse, notamment la thérapie cognitive comportementale (1). Malheureusement, ces thérapies restent globalement peu accessibles, tant matériellement que culturellement, particulièrement pour les patients les plus défavorisés économiquement et/ou possédant un plus faible niveau de littératie en santé. Pour rappel, la littératie en santé, notion apparentée à celle d’alphabétisation, est définie comme la capacité à trouver, comprendre et utiliser l’information dans le domaine de la santé (2). L’idée de tester auprès d’un public à bas niveau de littératie en santé l’efficacité d’une version simplifiée (dite « pro-littératie ») de TCC, qui plus est dispensée en groupe, était donc la bienvenue.

 

Résumé

 

Protocole d’étude

  • étude contrôlée randomisée en protocole ouvert (sauf pour les évaluateurs)
  • répartition aléatoire en 3 groupes selon un rapport 1/1/1: soins usuels (SU) ; séances de thérapie cognitive comportementale (TCC) (composées de renforcement motivationnel, d’une éducation sur la douleur comprenant support écrit et CD-audio et enfin d’un entraînement pratique à différentes techniques de relaxation et d’autogestion de la douleur) et séances éducatives (EDU) (mêmes informations et discussions de groupe que dans le groupe TCC mais sans entraînements pratiques) ; pour chacune de ces deux dernières interventions, séances en groupes de 7 à 9 participants à raison de 10 séances hebdomadaires de 90 minutes, animées par un tandem de psychologues ; tant le protocole d’animation des séances que le matériel mis à disposition des patients étaient spécialement conçus pour l’étude et dits « pro-littératie », c’est-à-dire convenant à des patients se situant au 5e niveau de littératie sur l’échelle WRAT4 (3).

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients atteints de douleur chronique (c’est-à-dire la plupart des jours depuis plus de 3 mois) parlant l’anglais et capable de fournir un moyen de contact (voir mode de recrutement et de suivi ci-dessous)
  • exclusion des patients souffrant de douleurs cancéreuses, avec déficit cognitif « cliniquement significatif », avec maladie mentale « sérieuse et non contrôlée », avec consommation courante de substances illicites auto-rapportée, dont le traitement antidouleur et/ou psychotrope avait été modifié le mois précédent ou dont le niveau de lecture était en dessous du premier niveau sur l’échelle WRAT4
  • le recrutement avait lieu dans 4 centres de santé primaires privés à but non lucratifs desservant des populations fragilisées aux USA
  • des 485 patients correspondant a priori aux critères d’inclusion et activement contactés, 82 étaient injoignables et 96 ont refusé de participer ; 290 patients ont finalement été inclus (70,7% de femmes, âge moyen de 50,6 années (ET 8,9 années), souffrant depuis en moyenne 16,6 ans (ET 12,2 ans), dont 144 de lombalgies, 191 sous opiacés et 210 (72,4%) en dessous du seuil de pauvreté) ; 66,9% appartenaient en outre à une minorité ethnique et 35,8% avec un niveau de lecture en dessous du cinquième niveau sur l’échelle WRAT4.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : intensité de la douleur autoévaluée par le Brief Pain Inventory-Short Form (BPI-SF) à 10 semaines
  • critères de jugement secondaires : fonctionnement physique, évaluée par le BPI-SF- Pain Interference subscale, et dépression, évaluée par le Patient Health Questionnaire-9 (PHQ-9)
  • analyse en intention de traiter, ajustée pour le sexe, l’appartenance à une minorité, les années de scolarité et la durée préalable de la douleur
  • les critères d’évaluation étaient mesurés avant la randomisation, à 5 semaines (mi-traitement), à 10 semaines (post-traitement) et à 6 mois lors d’entretiens présentiels d’une heure ; le modèle à effets mixtes a été choisi de manière à pouvoir calculer l’ampleur de l’effet
  • les participants étaient défrayés pour leurs déplacements et pour chaque entretien de suivi.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : plus grandes diminutions de l’intensité de la douleur autoévaluée avant et après intervention pour les groupes TCC et EDU versus SU (TCC : -0,80 (avec IC à 95% de -1,48 à -0,11 ; p = 0,022) ; EDU : -0,57 (avec IC à 95% de -1,04 à -0,10 ; p = 0,018) ; la douleur moyenne de départ étant de 6,5 dans les 3 groupes ; à 6 mois, seul le groupe EDU maintient un avantage sur le groupe SU
  • critères de jugement secondaires : améliorations statistiquement significatives pour le fonctionnement physique pour les groupes TCC et EDU versus SU, toutes deux maintenues à 6 mois ; pas de différence observée pour la dépression par rapport aux SU.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les séances de thérapie cognitive comportementale ainsi que les séances éducatives, de groupe et simplifiées pour tenir compte du niveau de littératie en santé des participants, dispensées dans des centres de santé recevant des patients à bas revenus, améliorent significativement la douleur et le fonctionnement physique par rapport aux soins usuels.

 

Financement de l’étude

Patient-Centered Outcomes Research Institute et Université de l’Alabama aux USA.

Conflits d’intérêts des auteurs

Le premier auteur déclare des défraiements liés à l’étude, reçus de la part de l’Université de l’Alabama.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette étude nous parait suffisamment rigoureuse et clairement rapportée. La population de l’étude est précisément décrite et le diagramme de flux illustre bien les sorties d’étude. La randomisation est également bien décrite (36 groupes répartis sur 4 sites de recrutement). Le caractère partiellement ouvert de l’étude était inévitable au vu du type d’interventions. Un quart des séances de groupes, aléatoirement sélectionnées, étaient filmées et l’adhésion des psychologues animateurs aux protocoles d’animation y étaient vérifiée. Les auteurs notent un risque de biais d’auto-sélection des patients lors du recrutement qu’ils jugeaient inévitable. Comme l’intensité de la douleur est un critère de jugement subjectif, un biais d’information ne peut être exclu. Le caractère pragmatique de l’étude (4) est appréciable avec notamment, outre le caractère très « ancrés dans la pratique » de la question et du terrain de recherche, des critères d’inclusion larges et bien sûr une analyse en intention de traiter. Une série de modifications du protocole (intervenues entre 2013 et 2014) sont brièvement signalées dans un tableau des annexes sans que nous ne puissions en évaluer les motivations.

 

Interprétation des résultats

La pertinence clinique des différences statistiquement significatives mesurées peut raisonnablement être discutée. Par exemple, pour le critère primaire, TCC vs SU, une diminution de l’intensité de la douleur de 0,8 sur une échelle de 0 à 10, avec une borne inférieure de l’intervalle de confiance à -0,11 seulement. Mais au vu de l’hypothèse d’une plus grande accessibilité financière et culturelle de l’intervention TCC sous sa forme simplifiée et de groupe, ces résultats, même à conclure à une simple équivalence, sont néanmoins encourageants. Des comparaisons séparées de la TCC sous sa forme individuelle ou de groupe, et simplifiée ou non, aurait été scientifiquement intéressante pour tâcher de dissocier l’effet intrinsèque de ces deux variables. De même, il s’agirait également de tester la TCC « simplifiée » sur des populations avec différents niveaux de littératie pour déterminer à quel point cette approche doit être considérée comme spécifique à un public à bas niveau de littératie ou comme universellement recommandable. Les auteurs n’ont pas réalisé d’analyse en fonction du type de douleur chronique présentée par le patient. La permanence à plus long terme des effets observés ainsi que l’éventuelle efficacité de séances « de rappel » à distance seraient également intéressante à évaluer. L’étude se déroulait bien en première ligne de soins même s’il est difficile de juger de la comparabilité de ce contexte avec notre première ligne de soins belge, notamment en termes d’intensité des soins usuels, de possibilité d’organisation et de financement de l’intervention en pratique et de la formation des soignants à ces approches. Les auteurs rapportent deux recours aux urgences pour idéation suicidaire, a priori non en relation avec les interventions. Les raisons de sorties d’études sont qualifiées de « perte de contact » (n=107), « d’incapacité à poursuivre les séances malgré un intérêt marqué » (n=8) ou « d’un manque d’intérêt » (n=6). Il aurait été intéressant de tâcher de préciser a posteriori les raisons exactes de ces nombreuses « pertes de contact ». Le néanmoins très bon taux de rétention des patients dans l’étude (83,1% en post-traitement) a été facilité par l’implication active d’employés des centres de santé, qui participaient au recrutement et téléphonaient régulièrement aux participants, implication qui diminue peut-être le caractère pragmatique de l’intervention.

De manière plus générale, les études s’intéressant à l’influence d’une modification de la forme d’une intervention sur son impact (notamment en termes de niveau de littératie en santé requise pour le patient, avec pour objectif d’en réduire la « complexité non nécessaire ») sont très peu nombreuses (5) bien que parfois prometteuses (6). L’étude ici analysée s’inscrit dans cet objectif. Le souci des auteurs de fournir en libre accès le matériel simplifié utilisé dans l’étude (voir le lien http://pmt.ua.edu/publications.html) est appréciable et pourraient, d’une part, outiller les acteurs de terrain pour la prise en charge de la douleur chronique et, d’autre part, contribuer à mieux les sensibiliser à l’importance de la littératie en santé dans leur pratique quotidienne (7).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de bonne qualité méthodologique démontre qu’une prise en charge de la douleur chronique au moyen de séances de psychothérapie cognitive comportementale ou éducatives, réalisées en groupe et de forme simplifiée, dispensées auprès d’un public économiquement défavorisé, est envisageable et au moins aussi efficace que les soins usuels.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique belge actuel en matière de douleur chronique (1) recommande d’envisager la thérapie cognitive comportementale chez ces patients (GRADE 2C). Cette étude renforce cette recommandation tout en ouvrant la voie à son implémentation sous forme simplifiée (dite « pro-littératie ») et de groupe.

 

Références 

  1. Henrard G, Cordyn S, Chaspierre A, et al. Guide de Pratique Clinique - Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Mise à jour 2017.
  2. Sørensen K, Van den Broucke S, Fullam J, et al. Health literacy and public health: a systematic review and integration of definitions and models. BMC Public Health 2012;12:80.  DOI: 10.1186/1471-2458-12-80
  3. Wilkinson GS. WRAT4: Wide Range Achievement Test. Psychological Assessment Resources; 2006. 494 p. DOI: 10.1002/9780470479216.corpsy1038
  4. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.
  5. Berkman ND, Sheridan SL, Donahue KE, et al. Health literacy interventions and outcomes: an updated systematic review. Evid Rep Technol Assess 2011;(199):1-941.
  6. Barton JL, Trupin L, Schillinger D, et al. Use of low-literacy decision aid to enhance knowledge and reduce decisional conflict among a diverse population of adults with rheumatoid arthritis: results of a pilot study. Arthritis Care Res (Hoboken) 2016;68:889-98.  DOI: 10.1002/acr.22801
  7. Henrard G, Vanmeerbeek M, Belche JL, et al. En quoi la «littératie» en santé intéresse-t-elle le clinicien de terrain? Un cadre stimulant pour réfléchir à l’efficacité pratique des soins. Rev Méd Liège 2017;72:1-12. Disponible sur: https://orbi.uliege.be/handle/2268/219753



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