Revue d'Evidence-Based Medicine



Dropéridol en cas d’agressivité ou d’agitation induite par la psychose



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 8 Page 94 - 97

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Khokhar MA, Rathbone J. Droperidol for psychosis-induced aggression or agitation. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD002830.pub3


Question clinique
Quel est l’effet du dropéridol par comparaison avec un placebo ou d’autres traitements pour maîtriser un comportement extrêmement perturbé et réduire les symptômes psychotiques chez les patients psychotiques ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse, qui a inclus six études randomisées contrôlées dont la qualité méthodologique est moyenne à bonne, permet de montrer que l’ajout de dropéridol par voie parentérale, comparé à un placebo, à l’halopéridol, à l’olanzapine et au midazolam, est efficace et sûr pour, en 30 minutes, calmer et mettre sous sédation des patients psychotiques présentant de l’agressivité ou de l’agitation.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Devant un patient psychotique agité ou agressif, le plus important est de créer un environnement de soins calme et sécurisant à l’aide de techniques verbales de désescalade. Le code éthique interdit de faire une injection à un patient contre son gré. Dans des circonstances exceptionnelles où une sédation rapide est nécessaire pour la sécurité du patient et de son entourage, il est toutefois nécessaire d’administrer des médicaments à l’aide d’une injection. À cet effet, il est recommandé d’avoir recours à des neuroleptiques, tels que l’halopéridol et l’olanzapine. Si le patient doit être isolé, une injection intramusculaire de lorazépam peut être ajoutée aux neuroleptiques. La synthèse méthodique avec méta-analyse dont il a été question plus haut montre que le niveau de preuve est suffisant pour l’utilisation de dropéridol comme médicament d’intervention aiguë en cas de comportement agité ou agressif chez les patients psychotiques. De cette étude s’est également avéré qu’il n’y avait pas de différence quant aux effets indésirables (graves) entre le dropéridol et l’halopéridol, l’olanzapine et le midazolam pour cette indication à bref délai.Les faits probants présents constituent un bon point de départ pour une réévaluation du dropéridol dans les guides de pratique clinique concernant les interventions aiguës en cas de comportement agité et agressif.


Contexte

Les soignants confrontés à un patient psychotique agité ou agressif doivent avant tout essayer de créer un environnement de soins sécurisant à l’aide de techniques verbales de désescalade (1). Il n’est toutefois pas toujours possible de calmer le patient en lui parlant, et il peut alors être nécessaire d’administrer un calmant efficace à action rapide par voie intramusculaire ou intraveineuse. Différents médicaments entrent en ligne de compte à cet effet, comme le dropéridol, qui bloque les récepteurs dopaminergiques. Cette molécule n’est cependant plus utilisée parce que l’on redoute le risque d’allongement de l’intervalle QT (2,3).

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • registre des essais du Cochrane Schizophrenia Group (résultat d’une recherche systématique dans AMED, BIOSIS, CINAHL, Embase, MEDLINE, PsycINFO, PubMed ainsi que dans les registres d’étude ; recherche manuelle dans la littérature, consultation de la littérature grise et des syllabi des congrès ; sans restriction quant à la langue de publication, la date de publication et le statut de publication)
  • consultation des listes de références et prise de contact avec les premiers auteurs des études incluses.

Études sélectionnées

  • 6 études randomisées contrôlées, menées dans un service d’urgence (N = 2), dans une unité de soins psychiatriques intensifs (N = 1), dans un service d’urgence et accueil de crise psychiatrique (N = 1) et dans un service hospitalier sans précision (N = 2) ; les patients y ont reçu pour un comportement extrêmement perturbé du dropéridol (5 à 10 mg, par voie intramusculaire ou intraveineuse) (N = 5), de l’halopéridol (5 à 10 mg, par voie intramusculaire) (N = 2), de l’olanzapine (5 mg, par voie intraveineuse) (N = 1), du midazolam (5 mg, par voie intraveineuse) (N = 1) ou un placebo (par voie intraveineuse) ; 3 études ont inclus > 100 patients ; 4 des 6 études étaient d’une durée de moins de 2 heures ; une étude a duré 24 heures, et une étude a duré 30 jours.

Population étudiée 

  • 733 patients présentant un comportement extrêmement perturbé, agressif, agité secondaire à une affection psychotique telle qu’une schizophrénie, une affection schizo-affective, une affection affective de type mixte, la phase maniaque d’une affection bipolaire ou une courte période psychotique.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • patient calme ou endormi dans les 30 minutes
    • agression ou nouvel épisode d’agressivité dans les 24 heures
    • effets indésirables graves dans les 24 heures
  • critères de jugement secondaires :
    • patient calme ou endormi après 30 minutes ; délai jusqu’au moment où le patient est calme ou endormi
    • variables comportementales spécifiques telles que l’automutilation (y compris le suicide), les blessures à autrui, l’agressivité
    • statut global, tel que l’amélioration générale, l’utilisation de médicaments supplémentaires, l’acceptation du traitement, la récidive, la nécessité de mesures coercitives
    • effets indésirables, y compris le décès
    • durée de l’hospitalisation, nouvelle hospitalisation
    • statut mental
    • sorties d’étude
    • satisfaction vis-à-vis du traitement et acceptation du traitement
    • qualité de vie
    • coûts
  • méta-analyses selon le modèle à effets fixes.

Résultats

  • résultats des critères de jugement primaires :
    • dans les différentes études, des résultats n’étaient disponibles que pour le critère de jugement primaire « patient calme ou endormi dans les 30 minutes » :
      • le dropéridol (5 mg IV) était plus efficace que le placebo (risque relatif (RR) de 1,18 avec IC à 95% de 1,05 à 1,31 ; N = 1 avec n = 227 ; GRADE élevé) ;
      • pas de différence entre :
        • le dropéridol (5 mg ou 10 mg IM) et l’halopéridol (5 mg ou 10 mg IM) (N = 1 avec n = 228 ; GRADE élevé)
        • le dropéridol (5 mg IV) et le midazolam (5 mg IV) (N = 1 avec n = 153 ; GRADE élevé)
        • le dropéridol (5 mg IV) et l’olanzapine (5 mg IV) (N = 1 avec n = 221 ; GRADE élevé)
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • l’utilisation de médicaments supplémentaires dans les 60 minutes après la sédation initiale réussie jusqu’à la sortie des urgences était moins importante avec le dropéridol qu’avec le placebo : RR de 0,55 (avec IC à 95% de 0,36 à 0,85 ; N = 1 avec n = 227 ; GRADE élevé) 
    • l’utilisation de médicaments supplémentaires dans les 60 minutes après la sédation initiale réussie jusqu’à la sortie des urgences :
      • était moins importante avec le dropéridol versus halopéridol : RR de 0,37 (avec IC à 95% de 0,16 à 0,90 ; N = 2 avec n = 255 ; GRADE élevé)
      • était moins importante avec le dropéridol versus olanzapine : RR de 0,56 (avec IC à 95% de 0,36 à 0,87 ; N = 1 avec n = 221 ; GRADE élevé)
      • ne montrait pas de différence avec le dropéridol versus midazolam (N = 1 avec n = 153)
    • pas de différence entre le dropéridol et le placebo quant aux effets indésirables cardiovasculaires et respiratoires ni quant à la possibilité de quitter l’hôpital
    • pas de différence quant aux effets indésirables cardiovasculaires et respiratoires entre le dropéridol et l’halopéridol (N= 1 avec n = 228), entre le dropéridol et le midazolam (N = 1 avec n = 153) et entre le dropéridol et l’olanzapine (N = 1 avec n = 221).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que si seulement six études ont pu être incluses, elles ont tout de même pu livrer des faits probants de grande qualité pour affirmer que le dropéridol est efficace et peut être utilisé chez les patients présentant un comportement extrêmement perturbé et agressif induite par une psychose.

Financement de l’étude

  • Sources internes :
    • Département de psychiatrie, Université de Leeds, Royaume-Uni ;
    • Saïd Business School, Université d’Oxford, Royaume-Uni.
  • Source externe :
    • programme national de R&D du NHS sur la santé mentale médico-légale, Royaume-Uni.

Conflits dintérêt des auteurs

Absence de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été menée correctement. Deux auteurs, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné des articles pertinents à partir d’une base de données existante dans laquelle était systématiquement conservée la littérature sur le sujet jusqu’en décembre 2015. En raison du petit nombre d’études, il n’a pas été possible de détecter un biais de publication au moyen d’un funnel plot. L’évaluation de la qualité méthodologique et l’extraction des données des études incluses ont été effectuées principalement par un seul auteur. Dans toutes les études, les patients ont été randomisés, mais, dans trois études, le secret d’attribution (concealment of allocation) n’était pas clairement décrit. La plupart des études ont été menées en double aveugle. Pour la majorité des résultats des méta-analyses, le risque de biais était donc faible. Pour certains critères de jugement, le niveau GRADE a toutefois dû être revu à la baisse en raison d’une inexactitude (larges intervalles de confiance) et de critères de jugement de « substitution ». Ces critères de jugement ne correspondaient pas tout à fait à ceux que les auteurs de la revue avaient prédéfinis. Les auteurs avaient élaboré à l’avance une très longue liste de critères de jugement (surtout secondaires). Pour certains critères de jugement, comme la qualité de vie et la rentabilité, aucun résultat n’a pu être trouvé dans les études incluses. Lors du traitement des données, les auteurs ont tenu compte des données qui ne suivaient pas une distribution normale. L’hétérogénéité a joué un rôle moins important car, pour la plupart des méta-analyses, on ne s’est basé que sur une seule étude. C’est aussi pour cette raison que les auteurs ont choisi le modèle à effets fixes.

Interprétation des résultats

L’action sédative du dropéridol, versus placebo, a été montrée de manière constante tant pour le critère de jugement primaire (sédation dans les 30 minutes) que pour les critères de jugement secondaires : outre le fait qu’il fallait moins de médicaments supplémentaires dans les 60 minutes après la sédation, on a également observé qu’après 10 minutes (RR de 1,36 avec IC à 95% de 1,08 à 1,71) et après 60 minutes (RR de 1,09 avec IC à 95% de 1,00 à 1,18), le taux de sédation était plus important avec le dropéridol qu’avec le placebo. Les patients traités par dropéridol se sont également calmés ou endormis plus rapidement (différence moyenne -46,50 minutes avec IC à 95% de -86,83 à -6,17). Pour la pratique, il est également important de relever qu’aucune différence n’a été observée quant aux effets indésirables. À ce sujet, il faut toutefois signaler que cette conclusion repose sur des études à très court terme chez un nombre limité de patient.

Il est paradoxal que les auteurs rapportent « nettement » plus de sédation dans les 30 minutes avec le dropéridol qu’avec l’halopéridol alors que ce résultat n’était pas statistiquement significatif. Il est néanmoins apparu qu’il fallait moins de médicaments supplémentaires avec le dropéridol dans les 60 minutes après la sédation initiale. C’était également le cas lorsque le dropéridol était comparé à l’olanzapine, mais pas lorsqu’il était comparé au midazolam. Avec le midazolam, il y avait, par comparaison avec l’halopéridol, significativement plus de patients calmés ou endormis après 5 minutes (RR de 0,37 avec IC à 95% de 0,21 à 0,64), différence qui disparaissait toutefois après 10 minutes. Dans une étude comparant le dropéridol et l’halopéridol, du midazolam a été ajouté aux médicaments initiaux dans respectivement 6% et 2% des cas (4). Il est cependant peu probable que cela ait influencé les résultats. Par comparaison avec le midazolam, il convient de signaler que le midazolam est une benzodiazépine dont la concentration plasmatique maximale est atteinte 5 minutes après son administration par IV et dont la demi-vie d’élimination varie entre 1,5 et 2,5 heures. Le midazolam induit rapidement une sédation, mais n’agit pas sur la psychose (5). La plus-value de l’ajout de midazolam à l’halopéridol ou au dropéridol pour obtenir plus rapidement un effet sédatif a été montrée dans deux études randomisées contrôlées (4,6) qui ont été incluses dans une récente synthèse méthodique avec méta-analyse (7). Comme critère de jugement primaire, les auteurs de cette revue ont cependant examiné l’effet sédatif de différentes interventions pharmacologiques sur une période de deux heures après leur administration à un groupe hétérogène de patients psychiatriques agités et agressifs et à des patients abusant de substances. Les patients présentant de l’agitation ou de l’agressivité suite à une consommation abusive d’alcool ou de drogues ont été exclus de la présente revue Cochrane.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique et méta-analyse, qui a inclus six études randomisées contrôlées dont la qualité méthodologique est moyenne à bonne, permet de montrer que l’ajout de dropéridol par voie parentérale, comparé à un placebo, à l’halopéridol, à l’olanzapine et au midazolam, est efficace et sûr pour, en 30 minutes, calmer et mettre sous sédation des patients psychotiques présentant de l’agressivité ou de l’agitation.

 

Pour la pratique

Devant un patient psychotique agité ou agressif, le plus important est de créer un environnement de soins calme et sécurisant à l’aide de techniques verbales de désescalade. Le code éthique interdit de faire une injection à un patient contre son gré. Dans des circonstances exceptionnelles où une sédation rapide est nécessaire pour la sécurité du patient et de son entourage, il est toutefois nécessaire d’administrer des médicaments à l’aide d’une injection. À cet effet, il est recommandé d’avoir recours à des neuroleptiques, tels que l’halopéridol et l’olanzapine. Si le patient doit être isolé, une injection intramusculaire de lorazépam peut être ajoutée aux neuroleptiques (1). La synthèse méthodique avec méta-analyse dont il a été question plus haut montre que le niveau de preuve est suffisant pour l’utilisation de dropéridol comme médicament d’intervention aiguë en cas de comportement agité ou agressif chez les patients psychotiques. De cette étude s’est également avéré qu’il n’y avait pas de différence quant aux effets indésirables (graves) entre le dropéridol et l’halopéridol, l’olanzapine et le midazolam pour cette indication à bref délai.Les faits probants présents constituent un bon point de départ pour une réévaluation du dropéridol dans les guides de pratique clinique concernant les interventions aiguës en cas de comportement agité et agressif.

            

Références  

  1. Psychose aiguë. Ebpracticenet. Duodecim Medical Publications 23/11/2011. Dernière mise à jour: 24/08/2017. Ebpracticenet, site consulté le 27/06/2019.
  2. Dropéridol. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP septembre 2019.
  3. Rédaction Prescrire. Dropéridol : risques cardiaques graves. Rev Prescrire 2013;33:187.
  4. Calver L, Drinkwater V, Gupta R, et al. Droperidol v. haloperidol for sedation of aggressive behaviour in acute mental health : randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2015;206:223-8. DOI: 10.1192/bjp.bp.114.150227
  5. Midazolam. Informatorium Medicamentorum. Koninklijke Nederlandse Maatschappij ter bevordering van de Pharmacie (KNMP), 2019:1306-9.
  6. Taylor DM, Yap CY, Knott JC, et al. Midazolam-droperidol, droperidol, or olanzapine for acute agitation: a randomized clinical trial. Ann Emerg Med 2017;69:318-26.e1. DOI: 10.1016/j.annemergmed.2016.07.033
  7. Bak M, Weltens I, Bervoets C, et al. The pharmacological management of agitated and aggressive behaviour: a systematic review and meta-analysis. Eur Psychiatry 2019;57:78-100. DOI: 10.1016/j.eurpsy.2019.01.014

 

 


Auteurs

Desplenter F.
Z.org KU Leuven, UPC KU Leuven; Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

Bervoets C.
Z.org KU Leuven, UPC KU Leuven
COI :

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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