Revue d'Evidence-Based Medicine



La mort subite cardiaque à l’entraînement représente la principale cause de décès chez les jeunes joueurs de football et ne peut être complètement prévenue par un examen de dépistage cardiologique



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 9 Page 105 - 108

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Malhotra A, Dhutia H, Finocchiaro G, et al. Outcomes of cardiac screening in adolescent soccer players. N Engl J Med 2018;379:524‑34. DOI: 10.1056/NEJMoa1714719


Question clinique
Quelles sont l’incidence et les causes de la mort subite cardiaque dans une population bien définie d’adolescents joueurs de football précédemment dépistés ?


Conclusion
Même avec les restrictions liées aux problèmes méthodologiques mentionnés, il apparaît qu’il y a un risque important de morts cardiaques subites lié à l’entraînement physique des jeunes joueurs de football et ce malgré un dépistage avec un examen cardiologique poussé. Ces morts subites cardiaques sont la principale cause de décès dans cette population particulière.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le KCE estimait en 2015, sur bases des données disponibles à l’époque, l’incidence annuelle de mort subite cardiaque du jeune athlète à moins de 1/106 et qu’il n’y avait pas de données probantes fortes permettant de recommander la meilleure prise en charge de ces jeunes sportifs asymptomatiques. L’étude analysée ici montre que des maladies associées à un risque de mort subite d'origine cardiaque ont été identifiées chez 0,38% des footballeurs adolescents au Royaume-Uni. L’étude ne permet cependant pas – par absence de données contrôlées – d’établir l’efficacité du dépistage avant d’entrer dans un club de compétition. Les jeunes candidats footballeurs de compétition doivent être avertis du risque de décès par mort subite cardiaque lors de leur entraînement, risque qui ne peut être prévenu totalement par un bilan cardiologique en milieu spécialisé, avant d’être engagés dans un club.


Contexte 

La mort subite cardiaque représente la cause de décès la plus frappante et la plus fréquente sur les terrains de football. Des pathologies cardiovasculaires sous-jacentes prédisposent aux arythmies ventriculaires et aux morts subites chez ces joueurs. Une recherche rétrospective dans les bases de données électroniques (1) a permis de retrouver 54 cas survenus entre 2000 et 2013. Il n’y a pas de registre prospectif et les estimations du risque varient entre 0,5 et 13 décès pour 100000 athlètes selon la population étudiée et les méthodes de collecte de données utilisées. Ce problème pose la question du dépistage préventif de ces pathologies chez un athlète apparemment en bonne santé. Suite à la médiatisation de plusieurs morts subites de joueurs de football, la Fédération Internationale de Football (FIFA) a formulé des recommandations de dépistage plus approfondi que celles recommandées pour l'American Heart Association (2) et l’European Society of Cardiology (3). L’English Football Association (FA) a, depuis 1997, un programme de dépistage cardiaque obligatoire pour les athlètes adolescents au Royaume-Uni, avec plus de 11000 athlètes contrôlés depuis sa création. L’incidence et les causes de la mort subite cardiaque dans cette cohorte ont fait l’objet d’une analyse récemment publiée.

 

Résumé

Population étudiée

  • entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2016, un total de 11168 joueurs de football de 92 clubs professionnels affiliés à la FA ont subi un dépistage cardiovasculaire obligatoire
  • après obtention du consentement informé concernant l’examen médical, les candidats ont subi une évaluation avec un questionnaire médical, un examen physique, une électrocardiographie à 12 dérivations (ECG) et une échocardiographie
  • il en résultait un rapport envoyé au département médical de la FA, dans lequel chaque athlète a été classé dans l'une des trois catégories suivantes :
    • normale
    • nécessité d’une évaluation complémentaire en centre spécialisé en cas d’anomalie (inversion de l’onde T, des dimensions cardiaques anormalement élargies, faible fraction d’éjection, intervalle QT prolongé, anomalies ECG de type Wolff–Parkinson–White, et cetera) pour confirmer ou infirmer la présence d'une maladie cardiaque
    • détection d’une maladie cardiaque (anomalies associées à la mort subite cardiaque ou troubles englobant les affections septales et valvulaires congénitales)
  • 10581 athlètes dont l'âge moyen (± DS) était de 16,4 ± 1,2 ans ; 95% des hommes
  • les résultats de toutes les investigations ont été revus par deux des auteurs
  • la décision après la délibération du comité de consensus en cardiologie de la FA a été transmise au joueur en présence de son parent ou tuteur et du médecin du club par le cardiologue régional, avec recommandation de ne pas jouer en cas de troubles associés à un risque de mort subite d'origine cardiaque.

 

Protocole d’étude

  • étude observationnelle ; tous les sujets qui ont accepté l’examen d’aptitude, obligatoire pour pouvoir avoir accès à un club et y jouer, ont été inclus dans un registre (la cohorte) ; le calcul de la période de suivi par athlète a été basé sur le nombre d'années de compétition au sein de la FA, déterminé à partir du registre des joueurs de la FA.

 

Mesure des résultats

  • le critère de jugement est la mort d’origine cardiaque
  • les auteurs ont complété les données du registre en recherchant les sujets décédés et les causes de décès
  • l’identification des décès s’est faite via la déclaration volontaire à la FA, l’interrogation des médecins des clubs et des recherches régulières sur Internet ; à noter que seuls 86 clubs (93%) ont répondu au questionnaire concernant la mortalité toutes causes confondues
  • les causes de décès ont été obtenues des autorités via les certificats de décès (accident, suicide, médicament, cancer ou causes cardiaques) ; les données de l'autopsie ont été disponibles pour tous les cas de mort subite cardiaque
  • les données de survie pour les athlètes diagnostiqués comme souffrant de troubles cardiaques à risque de mort subite d'origine cardiaque ont été obtenues auprès de cardiologues des patients.

 

Résultats

  • sur les 11168 sujets dépistés, 10338 n'ont pas eu d'anomalie détectée et 830 ont subi une évaluation complémentaire (dont 104 pour des raisons non cardiaques) ; le dépistage a identifié 42 athlètes (0,38%) avec des troubles cardiaques associés à un risque de mort subite ; 225 autres athlètes (2%) présentant des anomalies congénitales ou valvulaires ont été identifiés ; à noter que la plupart des pathologies étaient considérées comme légères (97%) et les athlètes ont pu continuer à jouer, certains après traitement ; 276 autres n'ont pas eu de diagnostic de pathologie précise (la plupart avaient une inversion d'onde T) ; ils ont été médicalement suivis néanmoins, enfin, chez 287, il n’y a eu aucune anomalie détectée et ils ont été considérés comme normaux
  • les troubles cardiaques associés à un risque de mort subite d'origine cardiaque (42 cas – 0,38% - dont 2 symptomatiques au dépistage) étaient : 5 cardiomyopathies hypertrophiques (0,04%), 2 cardiomyopathies ventriculaires droites arythmogènes (0,02%), 1 cardiomyopathie dilatée (0,01%), 3 syndromes du QT long (0,03%), 2  origines anormales d’une artère coronaire (0,02%), 3 valves aortiques bicuspides associées à un élargissement de la racine aortique de 50 mm ou plus ou à une régurgitation (0,03%) ; et 26 un trouble ECG de Wolff–Parkinson–White (0,23%) ; la plupart ont été autorisés à jouer après ou sous traitement
  • après le dépistage, il y a eu 23 décès de toutes causes, dont 8 subits attribués à une maladie cardiaque (35%) ; les autres causes étaient : 7 accidents de la route (30%), 5 cancers (5%), 2 surdosages en drogue (9%) et 1 suicide (4%)
  • les 8 décès d’origine cardiaque identifiés sont tous survenus en cours d’entraînement ; à l’autopsie, une cardiomyopathie a été à l'origine de 7 décès cardiaques sur 8 (88%) : 3 cardiomyopathies hypertrophiques, 2 cardiomyopathies arythmogènes du ventricule droit, 1 cardiomyopathie dilatée et 1 hypertrophie ventriculaire gauche idiopathique ; 6 athlètes (75%) avaient eu des résultats de dépistage cardiaque normaux, un était dans les 42 considérés à risque ; le délai moyen entre le dépistage et la mort subite cardiaque était de 6,8 ans
  • sur un total de 118351 années-personnes, l'incidence de la mort subite cardiaque chez les footballeurs adolescents préalablement dépistés était de 1 sur 14794 années-personnes (6,8 pour 100000 athlètes).

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que des maladies associées à une mort subite d'origine cardiaque ont été identifiées chez 0,38% des footballeurs adolescents au Royaume-Uni d'une cohorte soumise à un dépistage cardiovasculaire. L'incidence de la mort subite cardiaque été de 1 pour 14794 années-personnes, ou 6,8 pour 100000 athlètes. La plupart de ces décès étaient dus à des cardiomyopathies non détectées lors du dépistage.

 

Financement de l’étude

L’English Football Association, et les fondations “ Cardiac Risk in the Young ” et “ Charles Wolfson Charitable Trust ”.

 

Conflits d’intérêts des auteurs 

Les auteurs n’en rapportent aucun avec l’industrie.

 

Discussion 

Considérations sur la méthodologie

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une étude de cohorte – il n’y a d’ailleurs pas mention de protocole – mais de l’analyse d’un registre constitué prospectivement pour les jeunes footballeurs qui sont soumis obligatoirement à un examen cardiologique avant d’être acceptés dans un club de football anglais. Tous les sujets sont inclus dans le registre qui a été analysé dans son entièreté. A noter qu’il s’agit essentiellement de garçons. Pour répondre à l’objectif de l’étude (la mort d’origine cardiaque), les auteurs ont rétrospectivement complété leur banque de données par diverses méthodes. Les résultats présentés donnent donc une incidence minimale, il se peut que des décès n’aient pas été identifiés.

Il faut noter qu’il s’agit d’une population d’adolescents déjà sélectionnée au départ pour sa bonne santé vu le peu de cardiomyopathies hypertrophiques détectées (1/1861), ce qui contraste avec la fréquence dans une population tout venant (4). Les chiffres ne sont donc pas extrapolables pour l’ensemble des adolescents.

Le registre ne comprenant pas le suivi médical des patients, les auteurs n’ont aucune donnée sur les éventuelles complications cardiaques non fatales, y compris les cas d’arrêt cardiaque éventuellement réanimés avec succès. On ne sait pas non plus si les traitements éventuellement instaurés pour les anomalies découvertes lors du dépistage ont eu une influence sur l’incidence de la mort subite, notamment par absence de contrôles sans dépistage.

 

Mise en perspective des résultats

L’étude révèle une incidence particulièrement élevée de décès par mort subite d’origine cardiaque chez les jeunes athlètes anglais joueurs de football : 6,8 pour 100000. C’est d’ailleurs la principale cause de mort chez ces jeunes bien avant les causes habituelles (accidents et suicides) (5). A titre de comparaison, en Belgique, en 2016, on a enregistré 1 et 5 décès par maladie de l’appareil circulatoire chez les jeunes garçons et filles de 15 à 19 ans respectivement selon le registre national (5) (98 et 51 décès en tout), les morts non naturelles et les cancers étant bien plus fréquents. 

Il faut noter que cette incidence est considérablement plus élevée que les estimations précédentes réalisées chez des athlètes dépistés avec l'utilisation des antécédents et de l'examen physique seulement ou n'ayant pas subi de dépistage cardiaque. On ne peut pas non plus la comparer avec celle liée à la pratique d’autres sports par manque de données. Cette étude est donc princeps en son genre.

Des maladies associées à un risque de mort subite d'origine cardiaque ont été identifiées chez 0,38% des footballeurs adolescents au Royaume-Uni. L’étude ne permet cependant pas – par absence de données contrôlées – d’établir l’efficacité du dépistage avant d’entrer dans un club de compétition.

 

Conclusion de Minerva

Même avec les restrictions liées aux problèmes méthodologiques mentionnés, il apparaît qu’il y a un risque important de morts cardiaques subites lié à l’entraînement physique des jeunes joueurs de football et ce malgré un dépistage avec un examen cardiologique poussé. Ces morts subites cardiaques sont la principale cause de décès dans cette population particulière.

 

Pour la pratique

Le KCE estimait en 2015 (6), sur bases des données disponibles à l’époque, l’incidence annuelle de mort subite cardiaque du jeune athlète à moins de 1/106 et qu’il n’y avait pas de données probantes fortes permettant de recommander la meilleure prise en charge de ces jeunes sportifs asymptomatiques.

L’étude analysée ici montre que des maladies associées à un risque de mort subite d'origine cardiaque ont été identifiées chez 0,38% des footballeurs adolescents au Royaume-Uni. L’étude ne permet cependant pas – par absence de données contrôlées – d’établir l’efficacité du dépistage avant d’entrer dans un club de compétition.

Les jeunes candidats footballeurs de compétition doivent être avertis du risque de décès par mort subite cardiaque lors de leur entraînement, risque qui ne peut être prévenu totalement par un bilan cardiologique en milieu spécialisé, avant d’être engagés dans un club.

 

 

Références 

  1. Davogustto G, Higgins J. Sudden cardiac death in the soccer field: a retrospective study in young soccer players from 2000 to 2013. Phys Sportsmed 2014;42:20-9. DOI: 10.3810/psm.2014.11.2088
  2. Levine BD, Baggish AL, Kovacs RJ, et al. Eligibility and disqualification recommendations for competitive athletes with cardiovascular abnormalities: Task Force 1: Classification of sports: dynamic, static, and impact: a scientific statement from the American Heart Association and American College of Cardiology. Circulation 2015;132:e262-6. DOI: 10.1161/CIR.0000000000000237
  3. Pelliccia A. Fagard R, Bjørnstad HH, et al. Recommendations for competitive sports participation in athletes with cardiovascular disease: a consensus document from the Study Group of Sports Cardiology of the Working Group of Cardiac Rehabilitation and Exercise Physiology and the Working Group of Myocardial and Pericardial Diseases of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 2005;26:1422-45. DOI: 10.1093/eurheartj/ehi325
  4. Maron BJ. Hypertrophic cardiomyopathy: a systematic review. JAMA 2002;287:1308-20. DOI: 10.1001/jama.287.10.1308
  5. Causes de décès. Statbel; 2016. Disponible sur: https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/causes-de-deces#figures
  6. Desomer A, Gerkens S, Vinck I, et al. Cardiovascular pre-participation screening in young athletes. Health Technology Assessment (HTA) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2015. KCE Reports 241. D/2015/10.273/30.

 

 

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
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