Revue d'Evidence-Based Medicine



La lévodopa a-t-elle une influence sur la progression de la maladie de Parkinson ?



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 10 Page 118 - 121

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Verschuur CV, Suwijn SR, Boel JA, et al; LEAP Study Group. Randomized delayed-start trial of levodopa in Parkinson’s disease. N Engl J Med 2019;380:315-24. DOI: 10.1056/NEJMoa1809983


Question clinique
Un traitement oral par lévodopa en association à la carbidopa influence-t-il la progression de la maladie de Parkinson chez les patients au stade précoce de la maladie ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, de bonne qualité méthodologique, montre qu’un traitement oral associant lévodopa (100 mg 3x/jour) et carbidopa (25 mg 3x/jour) pendant 80 semaines chez des patients ayant en moyenne 65 ans et présentant une maladie de Parkinson au stade précoce n’a pas d’influence sur la progression de la maladie, mais qu’il contribue à une maîtrise plus rapide des symptômes sans augmentation des effets indésirables.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Il n’existe aucune preuve qu’un quelconque médicament antiparkinsonien ralentisse la progression de la maladie de Parkinson. Le moment où une pharmacothérapie est instaurée dépend des limites fonctionnelles dues aux symptômes moteurs de la maladie. Le traitement médicamenteux est choisi de manière individuelle en tenant compte de l’âge et des comorbidités du patient. Chez les patients de plus de 60 ans, les patients vulnérables, ceux qui ont des comorbidités et ceux qui ont des symptômes graves, on débute généralement en associant la lévodopa et un inhibiteur de la dopadécarboxylase (carbidopa ou bensérazide). La lévodopa agit plus rapidement et est plus efficace que les agonistes de la dopamine, mais, sur le long terme, le risque de complications motrices (dyskinésie, diminution de la durée d’action et phénomène « on-off ») est plus élevé avec la lévodopa. De ce fait, chez les patients jeunes, on débute souvent avec un agoniste de la dopamine. Dans la plupart des cas où l’on débute avec un autre médicament, il faudra ajouter la lévodopa lorsque la maladie aura progressé. L’étude dont il a été question plus haut montre qu’un traitement oral associant lévodopa (100 mg 3x/jour) et carbidopa (25 mg 3x/jour) chez des patients ayant en moyenne 65 ans et présentant une maladie de Parkinson au stade précoce a un effet favorable sur la maîtrise des symptômes sans augmentation des effets indésirables.


Contexte

La lévodopa est l’élément essentiel du traitement pharmacologique de la maladie de Parkinson (1-3). Une recherche menée dans le passé n’a pas clairement montré si la lévodopa, outre son effet symptomatique, peut aussi ralentir la maladie elle-même (4). Une étude dans laquelle de la lévodopa est administrée précocement ou de façon différée à des patients au stade précoce de la maladie de Parkinson devrait permettre d’éclairer ce point.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients de plus de 30 ans et dont l’espérance de vie est supérieure à deux ans, atteints de la maladie de Parkinson diagnostiquée au cours des deux dernières années par un neurologue expérimenté sur la base de critères cliniques, mais que la maladie n’a pas encore rendues invalides au point de nécessiter des médicaments antiparkinsoniens
  • critères d’exclusion : traitement antérieur par des médicaments antiparkinsoniens ; maladie de Parkinson à prédominance de tremblements ; démence ; arguments pour la présence d’une autre étiologie du parkinsonisme
  • au total ont été inclus 445 patients ayant en moyenne 65 ans (58% ≥ 65 ans), 70% étant de sexe masculin, dont environ 10% présentaient des symptômes de la maladie de Parkinson depuis moins de six mois, recrutés dans 50 hôpitaux périphériques et 7 hôpitaux universitaires aux Pays-Bas.

Protocole de l’étude

Étude multicentrique en double aveugle, contrôlée par placebo, avec deux groupes parallèles :

  • groupe recevant un traitement précoce (n = 222) : traitement oral par lévodopa (100 mg 3x/jour) et carbidopa (25 mg 3x/jour) pendant 80 semaines
  • groupe recevant un traitement différé (n = 223) :traitement oral par placebo 3x/jour pendant les 40 premières semaines, suivi par l’administration de lévodopa (100 mg 3x/jour) et de carbidopa (25 mg 3x/jour) pendant les 40 semaines suivantes
  • suivi effectué les semaines 4, 22, 40, 44, 56, 68 et 80 par du personnel infirmier formé.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence entre les deux groupes quant à la variation moyenne du score total sur l’échelle d’évaluation unifiée pour la maladie de Parkinson (Unified Parkinson’s Disease Rating Scale, UPDRS) entre la semaine 0 et la semaine 80
  • critères de jugement secondaires :
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • critère de jugement primaire :
    • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à la variation moyenne du score UPDRS total entre la semaine 0 et la semaine 80 (-1,0 ± 13,1 dans le groupe traitement précoce versus -2,0 ± 13,0 dans le groupe traitement différé)
    • entre les deux groupes, il y avait cependant une différence statistiquement significative quant à la variation moyenne du score UPDRS total entre la semaine 0 et la semaine 40 (-3,1 ± 10,2 dans le groupe traitement précoce versus +2,0 ± 12,3 dans le groupe traitement différé ; différence de -5,1 avec IC à 95% de -7,2 à -2,9 points à l’avantage du groupe traitement précoce)
  • critères de jugement secondaires :
    • pas de différence statistiquement significative entre le groupe traitement précoce et le groupe traitement différé quant à la variation hebdomadaire moyenne du score UPDRS total entre la semaine 4 et la semaine 40 (différence de -0,02 point (avec IC à 95% de -0,07 à 0,03 point))
    • entre la semaine 44 et la semaine 80, pas de non-infériorité démontrée (avec un seuil de 0,055 point) entre le groupe traitement précoce et le groupe traitement différé quant à la variation hebdomadaire moyenne du score UPDRS total (différence de 0,07 point (avec IC de 90% entre 0,03 et 0,10 point))
    • pas de différence entre les deux groupes quant au score ALDS, au MMSE, au BDI-II, au PDQ-39 ni quant aux effets indésirables à la semaine 80.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement associant lévodopa et carbidopa pendant 80 semaines n’a pas d’influence sur la progression de la maladie de Parkinson chez les patients au stade précoce.

Financement de l’étude

ZonMW, Parkinson Vereniging, Stichting Parkinsonfonds, Stichting Parkinson Nederland

Conflits dintérêts des auteurs

À consulter sur le site Internet du New England Journal of Medicine (accessible au public) :

8 auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts ; les 6 autres ont reçu des subventions des organisations et des firmes en dehors du sujet étudié.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La randomisation des patients dans cette étude randomisée contrôlée par placebo a été effectuée de manière stratifiée (hôpital universitaire versus hôpital périphérique ; < 65 ans versus ≥ 65 ans ; symptômes depuis moins de six mois versus depuis plus de six mois) avec un programme informatique en ligne central. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant aux caractéristiques de base en début d’étude. Les patients ignoraient quel traitement était administré de même que les personnes appliquant le traitement et celles qui en ont évalué l’effet. Pendant les 40 premières semaines de l’étude, le traitement en aveugle a été arrêté chez 39% des patients du groupe traitement différé et chez 11% dans le groupe traitement précoce, et un traitement en ouvert par lévodopa pour aggravation des symptômes a été respectivement instauré et poursuivi. L’aveugle vis-à-vis du traitement initial a cependant été maintenu, et ces patients ont finalement aussi été intégrés dans l’analyse en intention de traiter. Cette contamination a peut-être eu une influence défavorable sur la puissance statistique de cette étude pour constater une différence quant à l’influence de la lévodopa sur la progression de la maladie. Une analyse par protocole, qui a tenu compte du fait que certains patients sont passés à la lévodopa en ouvert, a cependant apporté des résultats similaires.

Pour choisir le dosage de la lévodopa et calculer la taille de l’échantillon, les chercheurs se sont appuyés sur les résultats de l’étude ELLDOPA (4). Des études antérieures portant sur d’autres médicaments antiparkinsoniens (5-7) ont également déterminé qu’une durée de traitement de 40 semaines était suffisante pour détecter une éventuelle influence de la lévodopa sur la progression de la maladie. Les résultats pour le critère de jugement primaire ont été correctement analysés par une ANCOVA(8).

 

Interprétation des résultats

Le résultat de cette étude selon lequel, après 80 semaines, il n’y avait pas de différence entre le groupe traitement précoce et le groupe traitement différé quant à la gravité des symptômes de la maladie de Parkinson implique que la lévodopa (à raison d’une dose de 300 mg par jour) n’a pas d’influence sur la progression de la maladie. L’amélioration statistiquement significative du score UPDRS total après 40 semaines dans le groupe traitement précoce versus groupe traitement différé confirme de nouveau l’effet symptomatique connu de la lévodopa. Une différence de 5,1 points en moyenne sur l’échelle UPDRS est observée, ce qui peut être considéré comme cliniquement pertinent (9).

Contrairement aux 40 premières semaines, où l’on n’a pas constaté de différence entre les deux groupes quant à la progression hebdomadaire du score UPDRS, cette progression était plus nette, et ce de manières statistiquement significative, dans le groupe traitement précoce que dans le groupe traitement différé après 40 semaines. Cela confirmeaussi l’absence d’influence de la lévodopa sur la progression de la maladie. Le fait que cette différence quant à la progression diminue à partir de la 56e semaine de traitement peut indiquer que, dans le groupe traitement différé, l’effet du traitement n’était pas immédiatement visible. Après 80 semaines, aucune différence entre les deux groupes quant aux effets indésirables n’est observée.

Ces résultats n’apportent pas d’argument pour différer un traitement par lévodopa au stade précoce de la maladie de Parkinson à condition qu’il y ait une indication clinique pour instaurer un traitement dopaminergique. À cet égard, il demeure naturellement important d’opter, comme dans cette étude, pour une dose de lévodopa où il existe un équilibre entre une très bonne réponse clinique et un faible risque d’effets indésirables (4). On note la persistance d’une réticence certaine à instaurer la lévodopa au stade précoce de la maladie de Parkinson en raison de préoccupations liées à l’induction d’effets secondaires en rapport avec la lévodopa (entre autres des fluctuations motrices et de la dyskinésie) (10-12) et à une possible neurotoxicité de la lévodopa en conséquence d’un stress oxydatif (13). C’est pour cela que, par le passé, un traitement par lévodopa était souvent différé et qu’en première intention, on instaurait d’autres médicaments, comme les inhibiteurs de la MAO-B et les agonistes de la dopamine.

Les études futures devront examiner de manière plus approfondie les avantages et désavantages cliniques d’un traitement précoce avec différentes doses de lévodopa dans des groupes de patients plus vastes, éventuellement à différents stades de la maladie de Parkinson, et qui seront traités par lévodopa durant des périodes plus longues. En effet, la présente étude n’a inclus que des patients au stade précoce de la maladie de Parkinson. Nous devons tenir compte du fait qu’à ce stade précoce, le diagnostic de maladie de Parkinson est erroné chez environ 15% des patients (14). En outre, seulement 22% des patients de la population totale de l’étude ont passé une imagerie du transporteur de la dopamine (DaTSCAN) pour étayer le diagnostic par la confirmation de la perte des neurones dans le locus niger. Enfin, les patients qui avaient déjà été traités avec des médicaments pour la maladie de Parkinson ont été exclus de cette étude. Il est possible que, de ce fait, on ait sélectionné un groupe de patients présentant une évolution moins péjorative, d’où il s’ensuit que les résultats de l’étude pourraient ne pas s’appliquer à la pratique clinique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée, de bonne qualité méthodologique, montre qu’un traitement oral associant lévodopa (100 mg 3x/jour) et carbidopa (25 mg 3x/jour) pendant 80 semaines chez des patients ayant en moyenne 65 ans et présentant une maladie de Parkinson au stade précoce n’a pas d’influence sur la progression de la maladie, mais qu’il contribue à une maîtrise plus rapide des symptômes sans augmentation des effets indésirables.

 

Pour la pratique

Il n’existe aucune preuve qu’un quelconque médicament antiparkinsonien ralentisse la progression de la maladie de Parkinson (1,2). Le moment où une pharmacothérapie est instaurée dépend des limites fonctionnelles dues aux symptômes moteurs de la maladie (3). Le traitement médicamenteux est choisi de manière individuelle en tenant compte de l’âge et des comorbidités du patient (1). Chez les patients de plus de 60 ans, les patients vulnérables, ceux qui ont des comorbidités et ceux qui ont des symptômes graves, on débute généralement en associant la lévodopa et un inhibiteur de la dopadécarboxylase (carbidopa ou bensérazide) (2). La lévodopa agit plus rapidement et est plus efficace que les agonistes de la dopamine, mais, sur le long terme, le risque de complications motrices (dyskinésie, diminution de la durée d’action et phénomène « on-off ») est plus élevé avec la lévodopa (2). De ce fait, chez les patients jeunes, on débute souvent avec un agoniste de la dopamine. Dans la plupart des cas où l’on débute avec un autre médicament, il faudra ajouter la lévodopa lorsque la maladie aura progressé (2). L’étude dont il a été question plus haut montre qu’un traitement oral associant lévodopa (100 mg 3x/jour) et carbidopa (25 mg 3x/jour) chez des patients ayant en moyenne 65 ans et présentant une maladie de Parkinson au stade précoce a un effet favorable sur la maîtrise des symptômes sans augmentation des effets indésirables.

 

Références 

  1. Maladie de Parkinson. Duodecim Medical Publications 2000. Dernière mise à jour: 30/08/2017. Dernière révision contextuelle: 19/12/2019.
  2. Antiparkinsoniens. Répertoire commenté des medicaments. CBIP novembre 2019.
  3. Draijer LW, Eizenga WH, Sluiter A. NHG-Standaard Ziekte van Parkinson. Huisarts Wet 2011:54:380-92.
  4. Fahn S, Oakes D, Shoulson I, et al. Levodopa and the progression of Parkinson’s disease. N Engl J Med 2004;351:2498-508. DOI: 10.1056/NEJMoa033447
  5. Schapira AH, McDermott MP, Barone P, et al. Pramipexole in patients with early Parkinson’s disease (PROUD): a randomised delayed-start trial. Lancet Neurol 2013; 12:747-55. DOI: 10.1016/S1474-4422(13)70117-0
  6. Olanow CW, Rascol O, Hauser R, et al. A double-blind, delayed-start trial of rasagiline in Parkinson’s disease. N Engl J Med 2009;361:1268-78. DOI: 10.1056/NEJMoa0809335
  7. Parkinson Study Group. A controlled, randomized, delayed-start study of rasagiline in early Parkinson disease. Arch Neurol 2004;61:561-6. DOI: 10.1001/archneur.61.4.561
  8. Poelman T. Analyse des variables continues au moyen d’une ANCOVA .MinervaF 2014;13(8):103.
  9. Shulman LM, Gruber-Baldini AL, Anderson KE, et al. The clinically important difference on the Unified Parkinson’s Disease Rating Scale. Arch Neurol 2010;67:64-70. DOI: 10.1001/archneurol.2009.295
  10. Rascol O, Brooks DJ, Korczyn AD, et al. A five-year study of the incidence of dyskinesia in patients with early Parkinson’s disease who were treated with ropinirole or levodopa. N Engl J Med 2000;342:1484-91. DOI: 10.1056/NEJM200005183422004
  11. Parkinson Study Group. Pramipexole vs levodopa as initial treatment for Parkinson disease: A randomized controlled trial. Parkinson Study Group. JAMA 2000;284:1931-8. DOI: 10.1001/jama.284.15.1931
  12. Stocchi F, Rascol O, Kieburtz K, et al. Initiating levodopa/carbidopa therapy with and without entacapone in early Parkinson disease: the STRIDE-PD study. Ann Neurol 2010;68:18-27. DOI: 10.1002/ana.22060
  13. Murer MG, Raisman-Vozari R, Gershanik O. Levodopa in Parkinson’s disease: neurotoxicity issue laid to rest? Drug Saf 1999;21:339-52. DOI: 10.2165/00002018-199921050-00001
  14. Rizzo G, Copetti M, Arcuti S, et al. Accuracy of clinical diagnosis of Parkinson disease: A systematic review and meta-analysis. Neurology 2016;86:566-76. DOI: 10.1212/WNL.0000000000002350

 

 

 

 




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