Revue d'Evidence-Based Medicine



Dextrose 5%, une alternative à l’injection de corticostéroïdes dans le traitement du syndrome du canal carpien ?



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 3 Page 31 - 34

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Wu YT, Ke MJ, Ho TY, et al. Randomized double-blinded clinical trial of 5% dextrose versus triamcinolone injection for carpal tunnel syndrome patients. Ann Neurol 2018:84:601-10. DOI: 10.1002/ana.25332


Question clinique
Pour le traitement non chirurgical d’un syndrome du canal carpien d’intensité moyenne, est-il plus efficace de procéder à une injection péri-neurale de corticostéroïdes ou de dextrose 5% ?


Conclusion
Cette étude bénéficiant d’une bonne méthodologie ouvre la porte à une alternative à l’injection de corticostéroïde dans le cadre du traitement du syndrome du canal carpien d’intensité moyenne. Elle révèle que l’utilisation de dextrose à 5% génère une amélioration significative de la douleur et de la capacité fonctionnelle à 6 mois post injection par rapport aux corticostéroïdes. Cette utilisation relativement récente du dextrose pour le traitement du syndrome du canal carpien présente un intérêt certain au vu des effets potentiellement indésirables des corticostéroïdes (neurotoxicité) mais nécessite d’autres études pour mieux évaluer la balance bénéfice-risque clinique à court et à long terme.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Selon les recommandations d’Ebpracticenet pour le traitement du syndrome du canal carpien (SCC), une gradation thérapeutique est généralement recommandée, débutant par la recherche et l’éviction des facteurs déclenchants, notamment au travail. Voir l’évolution naturelle des symptômes est une option thérapeutique cohérente. Dans les SCC modérés, le port d’une attelle la nuit, dans une position neutre, peut être recommandé. En cas de réponse thérapeutique insuffisante au bout de quelques semaines, proposer une injection de corticostéroïdes est justifié.Cette proposition thérapeutique est retrouvée dans un GPC américain. Au vu de l’étude présentée, le remplacement des corticostéroïdes par le dextrose 5% pourrait être une alternative crédible. Cela constituerait une option thérapeutique intéressante par rapport aux corticostéroïdes qui présentent des effets indésirables potentiels non négligeables. Mais à ce stade des connaissances, la collecte d’un plus grand nombre de données obtenue par des études complémentaires est indispensable pour permettre de se positionner clairement par rapport à cette approche thérapeutique.


Contexte

Nous avons déjà analysé dans Minerva (1-6) des études relatives à la prise en charge du syndrome du canal carpien. Nous avions conclu qu’il n’existe pas de protocole universellement reconnu. Il est donc d’usage de pratiquer une gradation thérapeutique allant de la prise d’AINS combinée à une attelle en passant par l’injection de corticostéroïdes et en terminant par l’intervention chirurgicale. L’acte médical le plus approprié en fonction de la sévérité clinique est mal défini. Pour les syndromes d’intensité moyenne, l’injection par corticostéroïdes est souvent pratiquée. L’étude présentée propose une alternative à l’injection de corticostéroïdes par l’utilisation de dextrose. Cette pratique (proposée en 2005 par Dr J. Lyftogt (7)) n’a pas été étudiée de manière systématique depuis. Cette publication est la première à proposer une étude clinique visant à comparer l’intérêt d’une injection de dextrose par rapport à l’injection de corticostéroïdes.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patient présentant des paresthésies/dysesthésies nocturnes (avec ou sans douleur dans la main), lesquelles peuvent être générées par la posture ou la mobilisation excessive du poignet ou encore être soulagées en secouant la main ; le diagnostic de syndrome du canal carpien est retenu si le patient présente les symptômes ci-dessus depuis au moins 3 mois ainsi que au moins un des symptômes suivants : engourdissement dans les territoires sensitifs du nerf médian, faiblesse avec atrophie des muscles thénars innervés par le nerf médian, tests de Phalen (+) et/ ou signe de Tinel (+)
  • critères d’exclusion : antécédents de polyneuropathie, de pathologie du plexus brachial, de chirurgie du poignet, d’arthrite, d’hypothyroïdie, de troubles d’ordre rhumatologique, ou ayant un pacemaker, sous warfarine, ayant déjà eu une injection de stéroïdes pour le traitement du syndrome du canal carpien, de traumatisme, d’infection cutanée ou de néoplasie au niveau du site d’injection, d’hypersensibilité aux corticostéroïdes
  • au total, 54 patients âgés de 20 à 80 ans ont été inclus dans l’étude entre décembre 2016 et avril 2018 ; ils ont été répartis en deux groupes égaux (27 poignets traités par dextrose et 27 par corticostéroïdes) ; il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne les données démographiques et cliniques comme l’âge moyen (respectivement 58,6 +/- 2,2 et 54,3 +/- 2,0 ans), le site de la douleur (respectivement 10 poignets gauches, 17 poignets droits et 9 poignets gauches, 18 poignets droits), la durée moyenne des symptômes (respectivement de 46,8 +/- 8,9 et 45,6 +/- 9,4 mois)
  • les évaluations ont été effectuées à 1, 3, 4 et 6 mois post injection sur base de l’échelle visuelle analogique (EVA) jugeant la sévérité de la douleur, des paresthésies ou dysesthésies, avec un score allant de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur énorme) ; les évaluations de la sévérité et de l’état fonctionnel sont basées sur le questionnaire du syndrome du canal carpien de Boston ( Boston Carpal Tunnel Questionnaire, BCTQ) (11 questions sur la sévérité des symptômes et 8 sur l’état fonctionnel ; les scores vont de 0 à 5 pour chaque question).

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée dans laquelle 54 patients présentant un syndrome du canal carpien d’intensité moyenne ont été répartis, de manière aléatoire par un chercheur indépendant, en deux groupes recevant respectivement une injection sous contrôle échographique de 5 ml de Vitagen ou de 3 ml (10 mg/ml) de triamcinolone acétonide mélangé à 2 ml de solution saline
  • les patients présentant un syndrome bilatéral ont été assignés au même groupe ; tous les patients ont été priés de ne pas utiliser d’autre thérapie conservatrice 2 semaines avant le début de l’étude sauf en ce qui concerne la prise de paracétamol
  • l’évaluation clinique a été réalisée en aveugle durant 6 mois par un second chercheur indépendant ; cette étude bénéficie du consentement écrit de tous les patients et est inscrite et acceptée sur le registre www.ClinicalTrials.gov.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : diminution de la douleur sur base de l’échelle visuelle analogique (EVA) par rapport aux scores de base, entre les deux groupes à 6 mois ; une diminution au minimum de 1,3 dans l’EVA ou de 25% de la douleur est considérée comme la variation minimale significative pour l’intensité de la douleur
  • critères de jugement secondaire :
    • évaluation de la sévérité et de l’état fonctionnel basé sur le questionnaire du syndrome du canal carpien de Boston (BCTQ) ; la variation minimale significative est de 8,8 pour la sévérité et de 4 pour l’état fonctionnel
    • mesure de l’aire de la coupe transversale du nerf médian (ACTM) calculée au niveau du site d’injection (os scaphoïde-pisciforme) sur 3 mesures à 1, 3 et 6 mois post injection ; l’étude électrophysiologique (EP) a pour but de déterminer la vitesse de conduction de la sensibilité ainsi que la latence distale motrice.

Résultats

  • critère de jugement primaire : EVA : sur les 3 premiers mois post injection, on observe une amélioration significative des symptômes pour chacun des groupes par rapport à leurs valeurs initiales respectives ; cependant, toujours lors de ces 3 premiers mois, on ne note pas de différence significative entre les deux groupes ; de 4 à 6 mois post injection, par rapport aux valeurs initiales respectives, le groupe dextrose continue d’améliorer significativement les symptômes ; en revanche, toujours par rapport aux valeurs initiales respectives, le groupe corticostéroïdes n’améliore plus les symptômes et devient, au sixième mois, moins efficace qu’au premier ; lorsque l’on compare les groupes entre eux, de 4 à 6 mois, on note une supériorité significative du dextrose par rapport au groupe corticostéroïdes
  • critère de jugement secondaire :
    • BCTQ : sur les 3 premiers mois post injection, on observe une amélioration significative des symptômes pour chacun des groupes par rapport à leurs valeurs initiales respectives ; il n’y a cependant pas de différence significative entre les deux groupes en termes d’efficacité de traitement ; de 4 à 6 mois post-injection, par rapport aux valeurs initiales respectives, le groupe dextrose continue d’améliorer les symptômes de manière significative ; en revanche, toujours par rapport aux valeurs initiales respectives, le groupe corticostéroïdes devient moins efficace que durant les trois premiers mois jusqu’à ne plus montrer d’amélioration significative des symptômes au sixième mois ; lorsque l’on compare les groupes entre eux, de 4 à 6 mois, on note une supériorité significative du dextrose par rapport au groupe corticostéroïdes
    • EP et ACTM :en ce qui concerne le groupe dextrose, par rapport aux valeurs initiales, on note une amélioration significative sauf pour la latence distale motrice au premier et au sixième mois ; en ce qui concerne le groupe corticostéroïdes, on note que, par rapport aux valeurs initiales, la tendance à l’amélioration des paramètres s’inverse à partir du troisième mois post-injection jusqu’à être moins efficace au sixième mois qu’au premier ; si l’on compare les groupes entre eux, on n’observe pas de différence significative en termes d’efficacité de traitement.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, chez des patients atteints d’un syndrome du canal carpien d’intensité moyenne, à partir du quatrième mois après une infiltration périneurale unique de dextrose à 5% on observe, par le biais de l’EVA et du QB, une diminution significative de la douleur et de l’incapacité fonctionnelle par rapport aux corticostéroïdes. Ils avancent qu’au vu des effets indésirables des corticostéroïdes, ils considèrent que le dextrose est un meilleur choix pour les infiltrations périneurales dans le cadre d’un syndrome du canal carpien d’intensité moyenne.

 

Financement de l’étude

Projet de recherche financé par Tri-Service General Hospital (TSGH-C106-160), Taipei, Taiwan, Republic of China

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs n’en mentionnent aucun.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude clinique est enregistrée sur www.ClinicalTrials.gov. L’étude est randomisée, les sujets sont répartis de manière aléatoire avec une répartition équitable des données démographiques et cliniques des patients dans les deux groupes étudiés. Spécifions que la randomisation propose une table de chiffres aléatoires et est réalisée par un chercheur indépendant.

La comparaison du groupe dextrose est effectuée par rapport au groupe corticostéroïde qui est ici considéré comme le traitement de référence. Cette étude est réalisée en intention de traiter et a été réalisée en double aveugle. Elle présente une information claire sur les arrêts de traitement ainsi que les patients perdus de vue. Au total, 6% des patients auront été exclus de l’étude (3 ont refusé, 2 avaient des polyneuropathies et 1 avait déjà reçu une injection). Au vu des arguments avancés ci-dessus, nous pouvons considérer que cette RCT est méthodologiquement correcte.

 

Interprétation des résultats

Notons que même s’il y a une amélioration des symptômes, lors des trois premiers mois, dans les deux groupes par rapport à la situation de départ, une différence significative entre les deux groupes n’apparaît pas avant 4 mois post injection. Les effets à court terme (jusque 3 mois) sont donc similaires pour les deux groupes. Le groupe dextrose révèle une diminution significative de la douleur et de l’incapacité fonctionnelle comparé au groupe corticostéroïde à 4 et 6 mois post injection. Ces résultats sur le moyen terme ne sont significatifs que via l’EVA et le QB. En ce qui concerne les paramètres EP et ACTM, on observe, au sixième mois, une amélioration supérieure pour le groupe dextrose par rapport au groupe corticostéroïdes mais cette différence n’est pas statistiquement significative.

 

Les auteurs font preuve d’une grande transparence en n’occultant pas certaines limitations et risques de biais qui pourraient impacter l’interprétation des résultats :

  • l’effet placebo ainsi que la rémission spontanée n’ont pas été pris en compte ce qui pourrait mener à une surestimation des effets thérapeutiques
  • le mécanisme de l’effet thérapeutique n’est pas investigué
  • biais potentiel relatif à la main dominante : si un patient doit évaluer à la fois ses deux mains, il existe un risque que la perception de ce qui est ressenti par une main soit influencée par ce qui est ressenti sur l’autre
  • le dosage idéal d’injection n’est pas clair et se base sur ce qui est fait habituellement avec les corticostéroïdes.

On notera également que les conclusions des auteurs prônent l’utilisation du dextrose par rapport aux corticostéroïdes en avançant l’argument des effets indésirables plus faible dans le cas du dextrose. On peut s’interroger sur la force de cet argument au vu du peu de recul vis à vis de l’utilisation de ce type d’injection, les auteurs se basant uniquement sur leur seule expérience clinique.

Attirons l’attention sur le fait que la seule étude préalable impliquant le dextrose est une comparaison avec un placebo réalisée par les même auteurs (8) alors qu’on a plus de recul au niveau clinique concernant l’usage des corticostéroïdes. Il convient donc d’être prudent au niveau de l’interprétation de ces premiers résultats qui, même si cliniquement intéressants, nécessitent d’autres études pour pouvoir évaluer la cohérence externe de ces résultats.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude bénéficiant d’une bonne méthodologie ouvre la porte à une alternative à l’injection de corticostéroïde dans le cadre du traitement du syndrome du canal carpien d’intensité moyenne. Elle révèle que l’utilisation de dextrose à 5% génère une amélioration significative de la douleur et de la capacité fonctionnelle à 6 mois post injection par rapport aux corticostéroïdes. Cette utilisation relativement récente du dextrose pour le traitement du syndrome du canal carpien présente un intérêt certain au vu des effets potentiellement indésirables des corticostéroïdes (neurotoxicité) mais nécessite d’autres études pour mieux évaluer la balance bénéfice-risque clinique à court et à long terme.

 

Pour la pratique

Selon les recommandations d’Ebpracticenet (9) pour le traitement du syndrome du canal carpien (SCC), une gradation thérapeutique est généralement recommandée, débutant par la recherche et l’éviction des facteurs déclenchants, notamment au travail. Voir l’évolution naturelle des symptômes est une option thérapeutique cohérente (10,11). Dans les SCC modérés, le port d’une attelle la nuit, dans une position neutre, peut être recommandé. En cas de réponse thérapeutique insuffisante au bout de quelques semaines, proposer une injection de corticostéroïdes est justifié (9,11).Cette proposition thérapeutique est retrouvée dans un GPC américain (12).

Au vu de l’étude présentée, le remplacement des corticostéroïdes par le dextrose 5% pourrait être une alternative crédible. Cela constituerait une option thérapeutique intéressante par rapport aux corticostéroïdes qui présentent des effets indésirables potentiels non négligeables. Mais à ce stade des connaissances, la collecte d’un plus grand nombre de données obtenue par des études complémentaires est indispensable pour permettre de se positionner clairement par rapport à cette approche thérapeutique.

 

 

Références 

  1. Barbier O, Chavalier P. Infiltration ou chirurgie pour le syndrome du canal carpien ? MinervaF 2006;5(1):14-6.
  2. Ly-Pen D, Andréu JL, de Blas G, et al. Surgical decompression versus local steroid injection in carpal tunnel syndrome: a one-year, prospective, randomized, open, controlled clinical trial. Arthritis Rheum 2005;52:612-9. DOI: 10.1002/art.20767
  3. Poelman T. Efficacité des infiltrations avec un corticostéroïde dans le syndrome du canal carpien ? MinervaF 2008;7(1):8-9.
  4. Marshall S, Tardif G, Ashworth N. Local corticosteroid injection for carpal tunnel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD001554.pub2
  5. Feron JM. Syndrome du canal carpien : thérapie manuelle avec désensibilisation ou chirurgie ? Minerva F2016;15(7):161-5.
  6. Fernandez-de-las Peñas C, Ortega-Santiago R, de la Llave-Rincon AI, et al. Manual physical therapy versus surgery for carpal tunnel syndrome: a randomized parallel-group trial. J Pain 2015;16:1087-94. DOI: 10.1016/j.jpain.2015.07.012
  7. Lyftogt J. Prolotherapy and Achilles tendinopathy: a prospective pilot study of an old treatment. Australian Musculoskeletal Med 2005;16-9.
  8. Wu YT,Ho TY, Chou YC, et al. Six-month efficacy of perineural dextrose for carpal tunnel syndrome: a prospective, randomized, double-blind, controlled trial. Mayo Clin Proc 2017;92:1179-89. DOI: 10.1016/j.mayocp.2017.05.025
  9. Syndrome du canal carpien (SCC). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour : 24/07/2017.
  10. Page MJ, O'Connor D, Pitt V, Massy-Westropp N. Exercise and mobilisation interventions for carpal tunnel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD009899
  11. Prescrire Rédaction. Syndromes du canal carpien : proposer des alternatives à la chirurgie. Rev Prescrire 2011;31:280-4.
  12. Washington State Department of Labor and Industries. Carpal Tunnel Syndrome Guideline. Occupational Health Best Practices 2017.

 


Auteurs

Van Overschelde O.
assistant en Médecine générale, UCLouvain
COI :

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires