Revue d'Evidence-Based Medicine



L’exposition à la pollution atmosphérique par les particules fines entraîne, déjà à court terme, un plus grand nombre de maladies cardiovasculaires



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 6 Page 69 - 72

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Tian Y, Liu H, Wu Y, et al. Association between ambient fine particulate pollution and hospital admissions for cause specific cardiovascular disease: time series study in 184 major Chinese cities. BMJ 2019;367:l6572. DOI: 10.1136/bmj.l6572


Question clinique
Quel est le lien à court terme entre l’exposition à la pollution de l’air par les particules fines PM2,5 et l’hospitalisation pour événement cardiovasculaire majeur ?


Conclusion
Cette vaste étude chinoise d’observation de la population avec une analyse des séries chronologiques confirme les données probantes mondiales selon lesquelles il existe également une relation à court terme entre l’augmentation des concentrations de particules fines PM2,5 et une augmentation des maladies cardiovasculaires.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations cliniques qui tiennent compte des connaissances scientifiques actuelles sur la pollution atmosphérique peuvent être résumées comme suit (OMS) : les personnes sensibles à la pollution de l’air (les personnes atteintes de maladie cardiovasculaire et/ou présentant plusieurs facteurs de risque, les personnes de plus de 65 ans, les personnes atteintes de syndrome métabolique et/ou de diabète) devraient être encouragées à s’attaquer très sérieusement aux facteurs de risque classiques de maladies cardiovasculaires et à tenir compte des risques qui sont liés à la pollution atmosphérique et aux pics de pollution. Elles doivent certainement être informées des sources de pollution de l’air (éviter l’exposition aux fumées produites par les combustibles fossiles et à la fumée de bois). Sur la base des données actuelles concernant la qualité de l’air, il est recommandé aux personnes en bonne santé d’éviter les efforts intenses dans les régions fortement polluées. L’étude décrite ci-dessus montre que toute augmentation de l’exposition aux particules fines PM2,5 est associée à plus de maladies cardiovasculaires à court terme.


Contexte

Chaque année, un plus grand nombre de personnes meurent des effets de la pollution atmosphérique que des accidents de la route ou du tabagisme passif (1). La plupart des problèmes de santé dus à la pollution atmosphérique sont attribués aux particules fines. Par « particules fines », on entend la fumée et les particules en suspension dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres (µm) (1 µm = un millionième de mètre), aussi appelées PM10 (particulate matter 10 µm), et les particules plus petites et plus nocives (PM2,5). Les ménages sont responsables de 54% de la pollution atmosphérique par les PM2,5 (le chauffage de nos maisons, l'allumage des feux, mais également les produits ménagers tels que les peintures, les détergents et  les cosmétiques), suivis du secteur des transports (23%) et de l’industrie (16%). Une étude de cohorte mondiale menée en 2015 a montré que l’exposition à long terme aux PM2,5 entraînait une augmentation des décès cardiovasculaires (8,1%) dans le monde occidental. Par conséquent, la pollution atmosphérique est le 5e facteur de risque majeur de mortalité totale (2). Au tournant du siècle, ce taux était encore d’environ 10%. L’amélioration de la qualité de l’air a donc déjà fait ses preuves. On sait moins bien en quoi consiste l’effet à court terme des particules fines sur la santé de la population. Une récente étude chinoise a fait un rapport à ce sujet, et Minerva saisit l’occasion pour se pencher sur ce thème.

 

Résumé

 

Méthodologie

Population étudiée

  • de 2014 à 2017, on a inclus 184 villes totalisant 230 millions de personnes (54,4% d’hommes, 4,9% âgés de plus de 75 ans et 7,4% ayant entre 65 et 74 ans) sur la base de l’assurance maladie (couvrant 92% de la population).

 

Protocol d’étude

Étude observationnelle de la population avec analyse de séries chronologiques

  • critères d’inclusion : des villes de Chine qui connaissent l’enregistrement des maladies selon le système CIM depuis au moins 1 an et qui ont une ou plusieurs (jusqu’à 17) stations de mesure de la pollution atmosphérique et une ou plusieurs (jusqu’à 3) stations de mesure des données météorologiques ; pour chaque ville, l’exposition moyenne aux particules fines PM2,5 sur une période de 8 heures par jour a été calculée, ainsi que les moyennes quotidiennes de la température et du taux d’humidité.

 

Mesure des résultats 

  • variation, exprimée en pourcentage, du nombre d’hospitalisations pour cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque, arythmie et accident vasculaire cérébral (ischémique et hémorragique) par augmentation de 10 µg/m3 de l’exposition aux particules fines PM2,5
  • correction pour tenir compte des facteurs de confusion tels que la température ambiante et le taux d’humidité.

 

Résultats

  • au total, 8,8 millions de personnes ont été hospitalisées pour des maladies cardiovasculaires, soit une moyenne de 47 par jour et par ville ; l’exposition moyenne aux particules fines PM2,5 était de 50 µg/m³ (ET 34 µg/m³) par jour, la température annuelle moyenne était de 14 °C (ET 5), et le taux d’humidité moyen, de 68% (ET 12)
  • par augmentation de 10 µg/m³ de l’exposition aux particules fines PM2,5, une augmentation de 0,26% (avec IC à 95% de 0,17 à 0,35) du nombre d’hospitalisations pour maladie cardiovasculaire a été observée, dont 0,31% (avec IC à 95% de 0,22 à 0,40) pour cardiopathie ischémique, 0,27% (avec IC à 95% de 0,04 à 0,51) pour insuffisance cardiaque, 0,29% (avec IC à 95% de 0,12 à 0,46) pour arythmie et 0,29% (avec IC à 95% de 0,18 à 0,40) pour AVC ischémique (mais pas pour AVC hémorragique) ; le rapport entre l’exposition aux poussières fines PM2,5 et le nombre d’hospitalisations pour maladie cardiovasculaire est resté inchangé après correction pour tenir compte des concentrations quotidiennes de SO2, de NO2, de CO et d’O3
  • la courbe de la réponse en fonction de la dose pour la concentration quotidienne en PM2,5 et l’hospitalisation pour maladie cardiovasculaire est pentue jusqu’à 50 µg/m³, est moins pentue de 50 µg/m³ à 250 µg/m³ et atteint un plateau à partir de 250 µg/m³ ; par comparaison avec une concentration quotidienne de PM2,5 < 15 µg/m3, nous constatons, avec une concentration quotidienne de PM2,5 entre 15 et 25 µg/m³, une augmentation du nombre d’hospitalisations pour événement cardiovasculaire de 1,1% (avec IC à 95% de 0 à 2,2% ; p = 0,04) et, avec une concentration quotidienne de PM2,5 entre 25 et 35 µg/m³, une augmentation de 1,9% (avec IC à 95% de 0,6 à 3,2% ; p = 0,004).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude menée en Chine concluent que l’exposition aux particules fines PM2,5 est associée à une augmentation des hospitalisations pour maladie cardiovasculaire majeure à l’exception des AVC hémorragiques, même pour des niveaux d’exposition ne dépassant pas les valeurs limites actuelles.

 

Financement de l’étude

Subventions nationales ; les financeurs n'ont pas été impliqués dans l'élaboration de l'article.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucune relation conflictuelle pour cette étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une étude observationnelle, et nous devons donc être prudents au sujet des liens de causalité, même s’il s’agit d’une population très vaste et qu’un cadre uniforme est utilisé pour l’enregistrement des participants (via l’assurance maladie obligatoire) et les données de santé (registres hospitaliers). En raison du grand nombre de participants, le biais de sélection a été minimisé mais n’a pas été complètement exclu car le nombre de villes qui n’ont pas participé « parce que les critères d’inclusion n’étaient pas satisfaits » n’est pas mentionné. Des corrections ont été effectuées pour tenir compte des facteurs de confusion importants, tels que la température ambiante, le taux d’humidité, d’autres gaz toxiques, les épidémies d’infections virales, mais pas pour tenir compte des données individuelles telles que les habitudes tabagiques et la comorbidité. Ces facteurs de confusion, qui évoluent lentement, sont probablement de moindre importance car une comparaison « intra-sujets » a été effectuée à différents moments d’exposition.

 

Interprétation des résultats

Les concentrations quotidiennes de PM2,5 étaient fortement corrélées avec les concentrations de SO2, de NO2 et de CO (r = 0,56 à 0,64), mais pas avec la concentration d’O3 (r = -0,02). Ce n’est pas sans importance car cela implique une plus forte présence de ces substances toxiques elles-mêmes lorsque la concentration de PM2,5 augmente. Néanmoins, après correction pour tenir compte de ces gaz, l’association entre la concentration de PM2,5 et les hospitalisations pour événement cardiovasculaire a persisté.

Ces résultats chinois cadrent avec ceux des études occidentales. La phase 2 du projet européen APHEA (Air Pollution and Health : a European Approach) (3), menée dans 29 villes européennes, décrit, en cas d’exposition accrue à des concentrations de PM2,5 de 20 µg/m³, une augmentation significative de la mortalité totale de 0,4% (avec IC à 95% de 0,2% à 0,8%), de la mortalité cardiovasculaire de 1,5% (avec IC à 95% de 0,9% à 2,1%) et de la mortalité respiratoire de 1,2% (avec IC à 95% de 0,4% à 1,9%). Un projet euro-américain (APHENA) (4) a obtenu des résultats du même ordre, mais a également noté que les personnes âgées de plus de 75 ans en particulier étaient plus sensibles et que, dans aucune région, il n’existait de limite inférieure de l’association entre l’exposition aux particules fines et une mortalité accrue. De plus, une synthèse méthodique et méta-analyse de la littérature jusqu’en 2011 (N = 110) des analyses de cohortes et analyses de séries chronologiques américaines et européennes (5), qui présente un biais de publication et une hétérogénéité entre les études, est arrivée à la conclusion que toute augmentation de 10 µg/m³ des PM2,5 entraînait une augmentation linéaire de 0,854% (avec IC à 95% de 0,41% à 1,28%) des décès cardiovasculaires chez les personnes âgées de plus de 65 ans, tandis que la mortalité respiratoire augmentait de 1,51% (avec IC à 95% de 1,01% à 2,01%) chez les personnes âgées de plus de 65 ans et chez les enfants jusqu’à 14 ans. Il existe une variabilité importante entre les différents pays occidentaux (par exemple, 0,25% à 2,08% pour le décès cardiovasculaire), probablement en raison des différentes compositions chimiques des particules fines ainsi que des différences de sensibilité individuelle aux particules fines. Ces différences régionales ont également été constatées dans l’étude chinoise discutée ici : pour les cardiopathies ischémiques, les arythmies et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, les risques étaient significativement plus élevés dans le nord que dans le sud de la Chine. Les chercheurs eux-mêmes ne l’expliquent pas. La conclusion des auteurs de la synthèse méthodique (5) est que, même s’il s’agit de quantités relativement faibles de particules fines, l’impact sur la santé publique est important. En effet, toute la population y est exposée. À ce propos, un calcul du risque absolu aux États-Unis en 2005 est illustratif : une augmentation de 10 µg/m³ des PM2,5 au cours des 24 dernières heures a causé un décès dans une population de 5 millions de personnes. Cela représente une mortalité de dizaines de milliers d’individus par an pour l’ensemble des États-Unis (6).

L’étude chinoise discutée ici nous apprend également quelque chose sur la relation dose-réponse entre l’exposition quotidienne aux PM2,5 et le nombre d’hospitalisations quotidiennes pour des événements cardiovasculaires. Le nombre d’hospitalisations augmente déjà en cas d’exposition à court terme (moins de 24 heures) à une concentration de PM2,5 supérieure à 15 µg/m³, et il double à des concentrations plus élevées, jusqu’à 35 mg/m³. Cela vaut également pour la situation flamande, dont nous savons que 97% de la population vit dans un environnement où la valeur recommandée par l’OMS, à savoir 10 µg/m³, est dépassée (consulter, sur le site vmm.be (Vlaamse Milieu Maatschappij, Agence flamande de l’environnement), la page « luchtkwaliteit in eigen omgeving » (Qualité de l’air dans votre propre environnement), actualisée en permanence). La valeur limite quotidienne recommandée par l’OMS (25 µg/m³ qui ne peut être dépassée que trois fois par an) n’est même nulle part respectée en Flandre (7).

 

Conclusion de Minerva

Cette vaste étude chinoise d’observation de la population avec une analyse des séries chronologiques confirme les données probantes mondiales selon lesquelles il existe également une relation à court terme entre l’augmentation des concentrations de particules fines PM2,5 et une augmentation des maladies cardiovasculaires.

 

Pour la pratique

Les recommandations cliniques qui tiennent compte des connaissances scientifiques actuelles sur la pollution atmosphérique peuvent être résumées comme suit (OMS) (8) : les personnes sensibles à la pollution de l’air (les personnes atteintes de maladie cardiovasculaire et/ou présentant plusieurs facteurs de risque, les personnes de plus de 65 ans, les personnes atteintes de syndrome métabolique et/ou de diabète) devraient être encouragées à s’attaquer très sérieusement aux facteurs de risque classiques de maladies cardiovasculaires et à tenir compte des risques qui sont liés à la pollution atmosphérique et aux pics de pollution. Elles doivent certainement être informées des sources de pollution de l’air (éviter l’exposition aux fumées produites par les combustibles fossiles et à la fumée de bois). Sur la base des données actuelles concernant la qualité de l’air, il est recommandé aux personnes en bonne santé d’éviter les efforts intenses dans les régions fortement polluées. L’étude décrite ci-dessus montre que toute augmentation de l’exposition aux particules fines PM2,5 est associée à plus de maladies cardiovasculaires à court terme.

 

 

Références 

  1. Walter Eevers, VITO in Lefebvre W. Onze lucht, Wat je moet weten over luchtkwaliteit.  Lannoo, 2018.
  2. Cohen AJ, Brauer M, Burnett R, et al. Estimates and 25-trends of the global burden of disease attributable to ambient air pollution: an analysis of data from the Global Burden of Diseases Study 2015. Lancet 2017;389:1907-1918. DOI: 10.1016/S0140-6736(17)30505-6
  3. Analitis A, Katsouyanni K, Dimakopoulou K, et al. Short-term effects of ambient particles on cardiovascular and respiratory mortality. Epidemiology 2006;17:3230-3. DOI: 10.1097/01.ede.0000199439.57655.6b
  4. Samoli E, Peng R, Ramsay T, et al. Acute effects of ambient particulate matter on mortality in Europe and North America: results from the APHENA study. Environ Health Perspect 2008;116:1480-6. DOI: 10.1289/ehp.11345
  5. Atkinson RW, Kang S, Anderson HR, et al. Epidemiological time series studies of PM2,5 and daily mortality and hospital admissions: a systematic review and meta-analysis. Thorax 2014;69:660-5. DOI: 10.1136/thoraxjnl-2013-204492
  6. Pope CA, Dockery DW. Health effects of fine particulate air pollution: lines that connect. J Air Waste Manag Assoc 2006;56:709-42. DOI: 10.1080/10473289.2006.10464485
  7. Vlaamse Milieumaatschappij .Bijlage Luchtkwaliteit in  het Vlaams Gewest – Jaarverslag Immissiemeetnetten – 2016. VMM 2017.
  8. Brook RD, Rajagopalan S, Pope CA 3rd, et al. Particulate matter air pollution and cardiovascular disease: an update to the scientific statement from the American Heart Association. Circulation 2010;121:2331-78. DOI: 10.1161/CIR.0b013e3181dbece1

 

 

 




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