Revue d'Evidence-Based Medicine



Semelles orthopédiques versus infiltration de corticoïdes dans la fasciite plantaire



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 9 Page 102 - 105

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Whittaker GA, Munteanu SE, Menz HB, et al. Effectiveness of foot orthoses versus corticosteroid injection for plantar heel pain: the SOOTHE randomized clinical trial. J Orthop Sport Phys Ther 2019;49:491-500. DOI: 10.2519/jospt.2019.8807


Question clinique
Chez des adultes présentant une fasciite plantaire, quelle est l’efficacité des semelles orthopédiques par rapport à l’injection échoguidée de corticoïdes sur la douleur, la fonction et la qualité de vie à court, moyen et long terme (4, 8 et 12 semaines) ?


Conclusion
Chez les patients adultes souffrant de fasciite plantaire depuis plus de 4 semaines, l’injection locale de corticoïdes guidée par échographie apporte un soulagement de la douleur à 4 semaines. À plus long terme (12 semaines), les semelles orthopédiques sont cependant statistiquement plus efficaces que l’injection. Aucune différence d’efficacité cliniquement pertinente entre les deux interventions n’est prouvée quant à la fonction, la qualité de vie, les activités physiques, les jours de travail perdus, l’évitement par peur de la douleur ou l’épaisseur du fascia. Cette étude n’était pas définie pour démontrer une supériorité nette de ces deux interventions par rapport à un placebo. Chacune de ces deux interventions peut présenter des effets indésirables propres.


Contexte

La fasciite plantaire est la cause la plus fréquente de douleur plantaire chez l’adulte. Cette pathologie, relativement fréquente en médecine générale, provoque une douleur dès le lever qui invalide la marche et peut avoir des répercussions sur la capacité au travail et la qualité de vie. Une prise en charge physique – exercices d’étirement, semelles orthopédiques, attelle de nuit et si possible perte de poids – est souvent proposée en première intention (1). L’injection par corticoïdes dépôt est parfois proposée après échec des premières mesures. Minerva avait déjà analysé l’efficacité des ondes de choc extracorporelles (2-5) et de l’étirement du fascia (6,7) dans le traitement de la fasciite. Une méta-analyse comparant l’efficacité et la sécurité des injections locales de corticoïdes par rapport aux autres interventions a également été analysée par Minerva (8,9), montrant une efficacité supérieure à court terme de l’injection de corticoïdes sur certaines autres thérapies, comme les semelles orthopédiques et l’injection de sang autologue, mais une moindre efficacité à long terme. De façon remarquable, la comparaison avec l’injection de placebo ne montrait aucun bénéfice à court et moyen terme. Lorsque les essais à haut risque de biais étaient exclus, aucun résultat significatif n’apparaissait. (Presque) tous les résultats étaient cependant associés à un très faible niveau de qualité des preuves selon GRADE. Une nouvelle étude pourrait-elle permettre de renforcer les résultats ?

 

Résumé

 

Méthodologie

Population étudiée

  • critères d’inclusion : 113 patients adultes, dont 63 femmes, avec un diagnostic de douleur plantaire depuis plus de 4 semaines, et une douleur moyenne évaluée à > 30 mm sur une échelle visuelle analogique graduée jusqu’à 100 mm
  • critères d’exclusion : patients ayant reçu un quelconque traitement dans les 4 semaines avant ou qui avaient porté une semelle ou reçu une injection de corticoïdes dans les 6 mois précédents, ou avaient été opérés ou souffraient d’une maladie systémique, inflammatoire ou neurologique.

 

Protocole de l’étude

Essai clinique randomisé, avec comparateur actif, en simple aveugle (uniquement pour les évaluateurs), mené dans un centre de podologie de l’Université La Trobe à Bundoora, en Australie ; les deux groupes étaient tout à fait comparables en termes d’âge, de sexe, d’IMC, d’éducation, d’allocation au traitement préféré, de durée des symptômes et d’intensité de la douleur au départ.

Les patients ont été répartis en 2 groupes :

  • groupe intervention : 57 ont été assignés dans le groupe semelle orthopédique, dont 53 ont bénéficié de l’intervention ; les semelles orthopédiques étaient des semelles double épaisseur, prenant toute la longueur du pied, toujours confectionnées par le même podologue
  • groupe comparaison : 56 ont été assignés dans le groupe injection de corticoïdes, dont 50 ont bénéficié de l’intervention ; l’injection de corticoïdes (association bétaméthasone acétate et bétaméthasone sodium phosphate) était toujours guidée par échographie, de sorte que le produit soit injecté dans la région plantaire sans que l’aiguille ne pénètre le fascia
  • les patients dans les 2 groupes ont reçu des conseils d’exercices d’étirements plantaires à réaliser par eux-mêmes.

 

Mesures des résultats

  • le critère de jugement primaire était la douleur à 4 et à 12 semaines, évaluée par la sous-échelle douleur du Foot Health Status Questionnaire (10) ; cette sous-échelle est graduée de 0 à 100 (0 représentant la plus mauvaise santé du pied) ; la différence minimale cliniquement significative a été fixée à 12,5 points
  • les critères de jugement secondaires étaient la douleur moyenne durant les 7 derniers jours, la douleur lors du premier pas, la fonction du pied, la qualité de vie, les activités physiques, l’évitement par peur de la douleur, l’épaisseur du fascia, les jours de travail perdus et les sessions de sport ou d’exercice perdues
  • analyse effectuée en intention de traiter
  • application d’une technique ANCOVA (analyse de covariance).

 

 

Résultats

 

Tableau. Résultats par rapport au critère de jugement primaire.

 

 

Douleur (FHSQ) 0 – 100 (0 = pire)

 

 

Groupe semelles orthopédiques (n = 53)

+- DS

Groupe injection corticoïdes (n = 50)

+- DS

Différence * entre groupes

[avec IC à 95%]

Différence statistiquement significative

Valeur de p

au départ

38,4  +- 17,3

38,5  +- 17,0

 

 

 

à 4 semaines

65,7  +- 19,4

73,9  +- 21,6

-8,2 [-15,8 à -0,6]

Oui, en faveur de l’injection

0,034

à 8 semaines

67,4  +- 21,9

66,1  +- 26,1

1,2 [-7,8 à 10,3]

Non

0,790

à 12 semaines

73,4  +- 20,9

64,8  +- 26,0

8,5 [0,2 à 16,8]

Oui, en faveur des semelles

0,045

* Différences ajustées par technique d’ANCOVA.

 

  • ces résultats montrent que l’injection de corticoïdes est plus efficace que les semelles pour réduire la douleur 4 semaines après intervention ; cette tendance s’annule après 8 semaines et s’inverse après 12 semaines ; ces résultats n'ont pas atteint la valeur de différence minimale importante de 12,5 points pour la sous-échelle de la douleur au pied FHSQ ;
  • par rapport aux critères de jugement secondaire, seul le critère douleur moyenne durant les 7 derniers jours montre un résultat statistiquement significatif après 12 semaines pour les semelles orthopédiques ; les autres critères focalisés sur la fonction, la qualité de vie, les activités physiques, l’épaisseur du fascia, l’évitement par crainte de la douleur, les jours de travail ou les sessions de sport perdues ne montrent (quasi) aucune différence ;
  • les événements indésirables ont généralement été de courte durée (d'une durée inférieure à 1 semaine) et ont consisté en un gonflement, une sensation d'ecchymose et une douleur dans le groupe d'injection de corticostéroïdes et des crampes, une gêne, une douleur à la voûte plantaire et une douleur proximale des pieds et des mollets dans le groupe orthèse plantaire ; un participant randomisé pour recevoir des orthèses plantaires a subi une déchirure du fascia plantaire en courant : ce participant est resté dans l'essai et a été géré avec une modification de l'activité et un taping de soutien jusqu'à ce que les symptômes aient été réduits.

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que l’injection de corticoïdes est plus efficace que les semelles orthopédiques à 4 semaines, mais cet effet ne dure pas. Les semelles sont plus efficaces à 12 semaines. Cependant cette différence est cliniquement minime et pourrait ne pas être remarquée par les patients.

 

Financement de l’étude

Financement non mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs certifient qu'ils n'ont aucune affiliation ni aucune implication financière dans une organisation ou entité ayant un intérêt financier direct dans le sujet ou les documents abordés dans l'article.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie 

Il ne semble pas y avoir eu de biais de sélection (bonne séquence de randomisation et dissimulation d’allocation). Les caractéristiques des participants sont tout à fait comparables dans les 2 groupes. Les caractéristiques des interventions empêchaient l’insu des participants ; cependant les préférences des participants pour l’une ou l’autre intervention ont été interrogées et les allocations de préférence étaient comparables dans les 2 groupes. La taille limitée de l’échantillon a induit des intervalles de confiance à 95% importants dans les résultats. Il ne semble pas y avoir de biais d’attrition ou de mention des résultats. Le choix des critères de jugement, incluant la fonction et la qualité de vie à côté du critère primaire qui était la douleur, est assez large.

La méthodologie pèche principalement par défaut d’un groupe contrôle (injection de placebo ou pas d’intervention). Les auteurs ont construit leur étude en partant de l’hypothèse que les semelles orthopédiques ou l’injection de corticoïdes étaient plus efficaces que les interventions de contrôle. Or la méta-analyse Cochrane (11) citée dans l’article analysé n’a justement pas démontré de façon claire une supériorité importante des injections de corticostéroïdes par rapport aux interventions contrôle et conseillait explicitement de mener d’autres études incluant un groupe contrôle par placebo. Il est fort dommage que les auteurs n’aient pas saisi l’opportunité de leur étude pour suivre ce conseil.

 

Mise en perspective des résultats

Cet essai randomisé confirme les conclusions de la méta-analyse publiée par les mêmes auteurs (9), en grande partie cohérente avec la revue Cochrane (11) qui montrait un faible avantage de l’injection par corticoïdes versus placebo sur la douleur à court terme, avec une pertinence clinique incertaine. Une revue exploratoire des effets indésirables réalisée dans 21 essais cite 2 cas de rupture du fascia et 3 cas d’infection post-injection de corticoïdes.

Une revue systématique (12) datant de 2014 par l’association américaine de thérapie physique déconseille l’injection de corticoïdes car le faible bénéfice sur la douleur à court terme est contrebalancé par les risques liés à la procédure.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Pour les patients présentant une fasciite plantaire, NICE (13) recommande le repos, l’application de glace, la prise d’antalgiques (y compris AINS), des exercices d’étirement, des semelles orthopédiques et des injections par corticostéroïdes. En cas de fasciite plantaire réfractaire, NICE parle également des interventions par injection de sang autologue et par ondes de choc extracorporelles mais n’en recommande aucune. Ebpracticenet (1) stipule qu’il est possible d’administrer des injections de glucocorticostéroïdes/d'anesthésique localement du côté médial du talon jusqu'à une profondeur de 2,5 à 3 cm au site d'insertion douloureux du fascia plantaire. Si nécessaire, les injections seront répétées à 3 semaines d’intervalle, avec un maximum de 2 à 3 fois.

 

Conclusion de Minerva

Chez les patients adultes souffrant de fasciite plantaire depuis plus de 4 semaines, l’injection locale de corticoïdes guidée par échographie apporte un soulagement de la douleur à 4 semaines. À plus long terme (12 semaines), les semelles orthopédiques sont cependant statistiquement plus efficaces que l’injection. Aucune différence d’efficacité cliniquement pertinente entre les deux interventions n’est prouvée quant à la fonction, la qualité de vie, les activités physiques, les jours de travail perdus, l’évitement par peur de la douleur ou l’épaisseur du fascia. Cette étude n’était pas définie pour démontrer une supériorité nette de ces deux interventions par rapport à un placebo. Chacune de ces deux interventions peut présenter des effets indésirables propres.

 

 

Références 

  1. Talgalgie (fasciopathie plantaire). Ebpracticenet. Dernière mise à jour: 24/07/2017. Dernière révision contextuelle : 28/10/2017. Consulté le 17/10/2020.
  2. Vermeersch V, Poelman T. Traitement extracorporel par ondes de choc dans la fasciite plantaire chronique ? MinervaF 2016;15(6):143-6.
  3. Gollwitzer H, Saxena A, DiDomenico LA, et al. Clinically relevant effectiveness of focused extracorporeal shock wave therapy in the treatment of chronic plantar fasciitis. J Bone Joint Surg Am 2015;97:701-8. DOI: 10.2106/JBJS.M.01331
  4. De Muynck M. Thérapie par ondes de choc extracorporelles pour épine calcanéenne. MinervaF 2004;3(9):143-4..
  5. Haake M, Buch M, Schoellner C et al. Extracorporeal shockwave therapy for plantar fasciitis: randomised controlled multicentre trial. BMJ 2003;327:75-9. DOI: 10.1136/bmj.327.7406.75
  6. Vanderstraeten G. Exercices d'étirement pour fasciite plantaire chronique. MinervaF 2004;3(9):141-2.
  7. DiGiovanni BF, Nawoczenski DA, Lintal ME et al. Tissue-specific plantar fascia-stretching exercise enhances outcomes in patients with chronic heel pain. A prospective randomized study. J Bone Joint Surg 2003;85A:1270-7. DOI: 10.2106/00004623-200307000-00013
  8. Feron J-M. Quel est l’intérêt de l’injection par corticoïde en cas de fasciite plantaire ? MinervaF2020;19(5):56-9.
  9. Whittaker GA, Munteanu SE, Menz HB, et al. Corticosteroid injection for plantar heel pain: a systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord 2019;20:378. DOI: 10.1186/s12891-019-2749-z
  10. Bennett PJ, Patterson C, Wearing S, Baglioni T. Development and validation of a questionnaire designed to measure foot-health status. J Am Podiatr Med Assoc 1998;88:419-28. DOI: 10.7547/87507315-88-9-419
  11. David JA, Sankarapandian V, Christopher PR, et al. Injected corticosteroids for treating plantar heel pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD009348.pub2
  12. Robroy L, Davenport TE, Reischl SF, et al. Heel pain - plantar fasciitis: revision 2014. J Orthop Sports Phys Ther 2014;44:A1-33. DOI: 10.2519/jospt.2014.0303
  13. Institute for Health and Care Excellence. Extracorporeal shockwave therapy for refractory plantar fasciitis. Interventional procedures guidance [IPG311]. Published date: 26 August 2009. URL: https://www.nice.org.uk/guidance/ipg311/chapter/2-The-procedure

 

 




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