Revue d'Evidence-Based Medicine



La pratique régulière du vélo est-elle associée à une diminution de la mortalité globale et cardiovasculaire chez le patient diabétique ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 1 Page 4 - 7

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Ried-Larsen M, Rasmussen MG, Blond K, et al. Association of cycling with all-cause and cardiovascular disease mortality among persons with diabetes: the European Prospective Investigation Into Cancer and Nutrition (EPIC) Study. JAMA Intern Med 2021;181:1196-205. DOI: 10.1001/jamainternmed.2021.3836


Question clinique
L’utilisation régulière du vélo est-elle associée à une réduction de la mortalité dans une population de sujets diabétiques chez ceux qui la pratiquent par rapport à ceux qui n’utilisent pas la bicyclette ?


Conclusion
Les résultats de cette étude de cohorte ont montré que la pratique du cyclisme était associée à un risque plus faible de mortalité globale et cardiovasculaire chez les personnes diabétiques en ayant pris en compte d'autres activités physiques ainsi que d'autres facteurs de risque. Des études avec des évaluations répétées de l’activité cycliste et documentation des accidents liés au cyclisme sont nécessaires pour élaborer sur la relation dose-réponse entre la pratique du vélo et la mortalité. Il faut tenir compte des limites méthodologiques de cette étude qui est une analyse post hoc d’une cohorte prospective avec des failles (par exemple non-identification des types de diabète) et des biais potentiels (comme des données manquantes). Les résultats obtenus doivent être vérifiés par de nouvelles études ad hoc.


Contexte

Le rôle de l’exercice physique dans la prise en charge d’un diabète de type 2 a un impact positif comme discuté dans plusieurs analyses de Minerva. Un programme associant des exercices aérobies avec des exercices de résistance permet de faire diminuer (légèrement) le taux d’HbA1c (1,2). Une méta-analyse de 2012, tout en montrant un effet modeste en termes de réduction de l’HbA1c, ne permet pas de déterminer l’efficacité d’une intervention visant à favoriser l’activité physique sur le contrôle métabolique à long terme du diabète (3,4). Une autre méta-analyse (5) avait conclu à un effet bénéfique de l’activité physique dans le diabète de type 2 en termes de mortalité. Une étude contrôlée randomisée multicentrique américaine menée chez des personnes en surcharge pondérale ou obèses et présentant un diabète de type 2 n’a pas pu montrer d’effet à long terme d’un changement intensif du mode de vie quant aux événements cardiovasculaires (6,7). Si l’efficacité d’un programme intensif d’amaigrissement par diététique hypocalorique strict est confirmée par différentes études (8-11), celle du type d’exercice physique doit être encore mieux documentée. Une étude européenne récente (12) a évalué l’effet du cyclisme dans une population de sujets diabétiques sur la mortalité cardiovasculaire et fait l’objet de la présente analyse.

 

 

Résumé

Population étudiée

  • analyse de la cohorte EPIC (pour « European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition ») constituée de 23 centres de 10 pays européens occidentaux
  • sur les 492763 individus de la cohorte, 10995 étaient diabétiques lors de l'examen initial réalisé entre 1992 et 1998 ; l’analyse a porté sur 7459 participants, dont 4701 (63,0%) avaient un diabète confirmé et 4699 (63,0%) étaient des non-cyclistes; l'âge moyen était de 55,9 ans (ET 7,7), la durée moyenne du diabète de 7,7 ans (ET 8,1), et 3924 sujets (52,6%) étaient des femmes.

 

Protocole d’étude

Etude de cohorte prospective

  • l’intervention évaluée était le temps passé à faire du vélo vers et/ou depuis le lieu de travail et pendant les loisirs d'hiver et d'été, il a été moyenné en une seule variable de temps de vélo annuel total, puis classé à raison de 0, 1 à 59, 60 à 149, 150 à 299 et 300 ou plus min/sem
  • les cyclistes et les non-cyclistes de la cohorte ont été comparés
  • au cours de la deuxième évaluation réalisée entre 1996 et 2011 dans un sous-groupe (5423 sujets) on a tenu compte des changements de la pratique du vélo.

 

Mesure des résultats

  • le critère de jugement pour l’objectif primaire : la mortalité globale
  • le critère pour l’objectif secondaire : la mortalité cardiovasculaire
  • les analyses ont été ajustées pour l’âge, le sexe et le centre ainsi que, dans certains modèles, pour d’autres modalités d'activité physique, la durée du diabète et des facteurs sociodémographiques et liés au mode de vie.

 

Résultats

  • au cours de 110944 années-personnes de suivi, 1673 décès toutes causes confondues ont été enregistrés
  • par rapport au groupe de référence de personnes n'ayant signalé aucune pratique du cyclisme au départ, les rapports de risque ajustés multivariés pour la mortalité toutes causes ont été de 0,78 (avec IC à 95% de 0,61 à 0,99), 0,76 (avec IC à 95% de 0,65 à 0,88), 0,68 (avec IC à 95% de 0,57 à 0,82) et 0,76 (avec IC à 95% de 0,63 à 0,91) pour la pratique du vélo de 1 à 59, 60 à 149, 150 à 299 et 300 min/semaine ou plus, respectivement
  • dans une analyse sur l'évolution du temps passé à faire du vélo avec 57802 années-personnes de suivi, un total de 975 décès toutes causes confondues ont été enregistrés
  • par rapport aux personnes qui n'ont déclaré aucune pratique du vélo lors des deux évaluations, les rapports de risque ajustés pour la mortalité globale étaient de 0,90 (avec IC à 95% de 0,71 à 1,14) chez ceux qui ont fait du vélo puis ont arrêté, 0,65 (avec IC à 95% de 0,46 à 0,92) chez les non-cyclistes initiaux qui ont commencé à faire du vélo, et 0,65 (avec IC à 95% de 0,53 à 0,80) pour les personnes ayant déclaré faire du vélo aux deux examens
  • des résultats similaires ont été observés pour la mortalité cardiovasculaire.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que dans leur étude de cohorte, le cyclisme était associé à un risque plus faible de mortalité toutes causes confondues et de mortalité cardiovasculaire chez les personnes atteintes de diabète, indépendamment de la pratique d'autres types d'activité physique. Les participants qui ont commencé à faire du vélo entre la ligne de base et le deuxième examen présentaient un risque considérablement plus faible de mortalités globale et cardiovasculaire.

 

Financement de l'étude

Cette étude a été soutenue par le Fonds de recherche en santé de l'Instituto de Salud Carlos III, cinq gouvernements régionaux espagnols et l'Institut catalan d'oncologie.

 

Conflits d'intérêts des auteurs

Trois auteurs font rapport d'une rémunération mais en dehors de ce travail. Les autres auteurs ne signalent aucun conflit d'intérêts.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie (validité interne) 

Les auteurs présentent l’étude comme de cohorte prospective. Ceci n’est pas tout à fait juste. S’ils ont bien recouru à une cohorte pour faire leur analyse, celle-ci n’avait pas été conçue pour répondre à leurs objectifs. La preuve la plus frappante est la non-collecte du type de diabète (1 versus 2), ce qui serait une erreur méthodologique dans un vrai design prospectif. Il s’agit donc d’une analyse rétrolective (« post hoc »). Dans cette approche, les auteurs ne peuvent pas corriger les données manquantes.

La relation dose-réponse entre la pratique du vélo et la réduction des mortalités globale et cardiovasculaire n’est pas claire. Les explications avancées sont le possible rôle d’accidents mortels à vélo, de la pollution atmosphérique, de morts par excès d’activités physiques, d’erreurs sur l’évaluation de l’exposition, de confondants mal pris en considération (tabagisme, antécédents cardiovasculaires, traitements en cours …), des données manquantes parfois nombreuses. Des analyses de sensibilité et de sous-groupes n’ont pas mis en évidence d’hétérogénéité dans l’association observée. La réalisation d’une véritable étude prospective bien conduite aurait permis d’éviter en grande partie ces écueils.

Les données ont été recueillies à l’aide de questionnaires récoltés dans les années 90 pour l’évaluation initiale. Le deuxième questionnaire a été rempli 5 ans plus tard mais dans l’article, il n’est pas clair que cela ait été réellement le cas (dernière date : 2011 alors que la dernière inclusion remonte à 1998). Ce point fait suspecter un manque de rigueur dans le suivi. La mortalité a été obtenue à l’aide des registres nationaux.

 

Évaluation des résultats (validité externe) 

La pratique du cyclisme a été associée à au moins un taux de mortalité globale inférieur de 24% par rapport aux non-cyclistes et la pratique du cyclisme sur une période de 5 ans a été associée à au moins 35% de risque de mortalité globale en moins par rapport à l’absence de pratique. Les auteurs s’expriment en diminution de risque relatif, ils ne fournissent pas le nombre de patients à exposer à la pratique du vélo pour éviter un décès et les données rapportées, ajustées et catégorisées, ne permettent pas de calculer cette information. En plus, il faut tenir compte de l’évolution de la pratique cycliste au 21ème siècle avec le développement du vélo électrique réduisant l’effort physique.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le rapport de consensus des associations américaine ADA (American Diabetes Association) et européenne EASD (European Association for the Study of Diabetes) de 2018 mis à jour en 2019 (13,14) recommande chez toutes les personnes atteintes de diabète de type 2 une augmentation de l'activité physique pour améliorer le contrôle glycémique. Un large éventail d'activités physiques, y compris des activités de loisirs (par exemple, la marche, la natation, le jardinage, le jogging, le tai-chi et le yoga) peuvent réduire considérablement le taux d'HbA1c. La combinaison d'un changement diététique pour la perte de poids et de l'exercice physique améliore l'hyperglycémie et réduit les facteurs de risque cardiovasculaire plus que les interventions diététiques ou l'activité physique seule. Les recommandations canadiennes de pratique clinique vont dans le même sens (15). Dans le diabète de type 1, comme le propose NICE (National Institute for Health and Care Excellence) (16), l’exercice physique est recommandé pour réduire le risque cardiovasculaire. Aucune de ces sociétés n’aborde spécifiquement la pratique du vélo dans ce but.

 

Conclusion de Minerva

Les résultats de cette étude de cohorte ont montré que la pratique du cyclisme était associée à un risque plus faible de mortalité globale et cardiovasculaire chez les personnes diabétiques en ayant pris en compte d'autres activités physiques ainsi que d'autres facteurs de risque. Des études avec des évaluations répétées de l’activité cycliste et documentation des accidents liés au cyclisme sont nécessaires pour élaborer sur la relation dose-réponse entre la pratique du vélo et la mortalité.

Il faut tenir compte des limites méthodologiques de cette étude qui est une analyse post hoc d’une cohorte prospective avec des failles (par exemple non-identification des types de diabète) et des biais potentiels (comme des données manquantes). Les résultats obtenus doivent être vérifiés par de nouvelles études ad hoc.

 

 

Références 

  1. Wens J. Diabète de type 2 : exercices physiques pour diminuer l’HbA1c ? Minerva bref 28/09/2011.
  2. Church TS, Blair SN, Cocreham S, et al. Effects of aerobic and resistance training on hemoglobin A1c levels in patients with type 2 diabetes: a randomized controlled trial. JAMA 2010;304:2253-62. DOI: 10.1001/jama.2010.1710
  3. Thibaut R. Efficacité des interventions visant à promouvoir l’exercice physique en cas de diabète de type 2 ? Minerva bref 15/09/2013.
  4. Avery L, Flynn D, Van Wersch A. Changing physical activity behavior in type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis of behavioral interventions. Diabetes Care 2012;35:2681-9. DOI: 10.2337/dc11-2452
  5. Sluik D, Buijsse B, Muckelbauer R, et al. Physical activity and mortality in individuals with diabetes mellitus: a prospective study and meta-analysis. Arch Intern Med 2012;172:1285. DOI: 10.1001/archinternmed.2012.3130
  6. Wens J. Efficacité cardiovasculaire d’une adaptation intensive du mode de vie chez les patients atteints de diabète de type 2 ? Minerva bref 15/03/2014.
  7. The Look AHEAD Research Group; Wing RR, Bolin P, Brancati FL. Cardiovascular effects of intensive lifestyle intervention in type 2 diabetes. N Engl J Med 2013;369:145-54. DOI: 10.1056/NEJMoa1212914
  8. Chevalier P. Un programme intensif de contrôle du poids pour obtenir une rémission prolongée d’un diabète de type 2. MinervaF 2019;18(5):57-61.
  9. Lean ME, Leslie WS, Barnes AC, et al. Primary care-led weight management for remission of type 2 diabetes (DiRECT): an open-label, cluster-randomised trial. Lancet 2018;391:541-51. DOI: 10.1016/S0140-6736(17)33102-1
  10. Vanhaeverbeek M. L’effet d’un programme intensif d’amaigrissement par diététique hypocalorique sur la rémission du diabète, administré en première ligne à des patients diabétiques de type 2, se maintient-il après deux ans ? Minerva bref 15/04/2020.                
  11. Lean ME, Leslie WS, Barnes AC, et al. Durability of a primary care-led weight-management intervention for remission of type 2 diabetes: 2-year results of the DiRECT open-label, cluster-randomised trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2019;7:344-55. DOI: 10.1016/S2213-8587(19)30068-3
  12. Ried-Larsen M, Rasmussen MG, Blond K, et al. Association of cycling with all-cause and cardiovascular disease mortality among persons with diabetes: the European Prospective Investigation Into Cancer and Nutrition (EPIC) Study. JAMA Intern Med 2021;181:1196-205. DOI: 10.1001/jamainternmed.2021.3836
  13. Davies MJ, D’Alessio DA, Fradkin J, et al. Management of hyperglycemia in type 2 diabetes, 2018. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetes Care 2018;41:2669-701. DOI: 10.2337/dci18-0033
  14. Buse JB, Wexler DJ, Tsapas A, et al. 2019 Update to: Management of hyperglycemia in type 2 diabetes, 2018. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetes Care 2020;43:487-93. DOI: 10.2337/dci19-0066
  15. Ivers NM, Jiang M, Alloo J, et al. Diabetes Canada 2018 clinical practice guidelines: Key messages for family physicians caring for patients living with type 2 diabetes. Can Fam Physician 2019;65:14-24.
  16. Amiel SA, Pursey N, Higgins B, Dawoud D, Guideline Development Group. Diagnosis and management of type 1 diabetes in adults: summary of updated NICE guidance. BMJ 2015;351:h4188. DOI: 10.1136/bmj.h4188

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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