Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité, acceptabilité et sécurité des médicaments myorelaxants dans la lombalgie commune ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 1 Page 8 - 11

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Cashin AG, Folly T, Bagg MK, et al. Efficacy, acceptability, and safety of muscle relaxants for adults with non-specific low back pain: systematic review and meta-analysis. BMJ 2021;374:n1446. DOI: 10.1136/bmj.n1446


Question clinique
Quelles sont l’efficacité, l’acceptabilité et la sécurité des médicaments à effet myorelaxant pour les patients adultes avec lombalgie commune (à savoir la plus fréquemment observée) ?


Conclusion
Les résultats de cette revue systématique avec méta-analyse réalisée de façon rigoureuse ne permettent pas de montrer une efficacité cliniquement significative des médicaments myorelaxants supérieure au placebo ou au contrôle dans l’indication de la lombalgie. Les médicaments à action myorelaxante incluent une série assez hétéroclite de molécules ayant chacune des effets indésirables non négligeables, dont somnolence et vertige. Aucun argument statistique ou clinique ne plaide pour une balance bénéfice-risque favorable à cette classe thérapeutique.


Contexte

De multiples options thérapeutiques pour les lombalgies ont déjà été explorées dans Minerva, dont l’effet myorelaxant de certaines molécules, partant de l’hypothèse qu’elles diminueraient la douleur et amélioreraient la fonction par diminution de la contracture musculaire très souvent observée dans ce syndrome. Hypothèse non vérifiée en tout cas pour le diazépam, pourtant couramment prescrit en Belgique pour la lombalgie aiguë, qui ne montre aucun avantage par rapport au placebo (1,2). Quant aux médicaments myorelaxants non-benzodiazépines pour la lombalgie commune, leur indication fait l’objet de messages contradictoires entre guides de pratique : les recommandations américaines (3) les conseillent, le guide de pratique belge publié par le KCE (4) les déconseille, et le guideline anglais NICE (5) ne se prononce pas.

Depuis ces publications, de nouvelles études ont été publiées sur le sujet. Un bilan des connaissances s’est révélé utile.

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • deux auteurs indépendamment l’un de l’autre ont parcouru les bases de données Medline, Embase, CINAHL, the Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), the Cochrane Back and Neck Group’s trial register (via CENTRAL), ClinicalTrials.gov, le registre des essais cliniques de l'UE et l'International Clinical Trial de l'Organisation mondiale de la santé
  • des recherches ont été effectuées dans les références bibliographiques des articles en texte intégral récupérés et dans les revues systématiques antérieures
  • des recherches ont également été effectuées via PROSPERO pour toutes les revues systématiques en cours ou récemment achevées.

 

Etudes sélectionnées

  • ont été inclus les essais cliniques randomisés incluant tout patient adulte (≥ 18 ans) présentant une lombalgie commune, quelle qu’en soit la durée, chez qui un médicament à action myorelaxante a été prescrit, dont l’effet a été comparé avec celui d’un placebo, des soins habituels, d’un report de soins ou de l’absence de traitement
  • les essais comparant la combinaison de deux molécules (par exemple un myorelaxant associé à un anti-inflammatoire comparé à l’anti-inflammatoire seul) ont aussi été inclus
    • antispasmodiques : utilisés pour réduire le tonus musculaire accru (spasticité) couramment associé à la paralysie cérébrale, à la sclérose en plaques et aux lésions de la moelle épinière. Exemples : baclofène, dantrolène
    • antispasmodiques non-benzodiazépines : utilisés pour réduire les spasmes musculaires aigus couramment associés aux lésions musculaires. Ces médicaments ont également une forte action sédative. Exemples : carisoprodol, cyclobenzaprine, métaxalone, méthocarbamol, thiocolchicoside, tizanidine, tolpérisone, orphénadrine
    • benzodiazépines : utilisés pour réduire les spasmes musculaires aigus couramment associés aux lésions musculaires. Ces médicaments ont également une forte action sédative ainsi que des actions anxiolytiques, hypnotiques et anticonvulsivantes. Exemple : diazépam
    • divers : bien que moins souvent classés comme relaxants musculaires, plusieurs autres médicaments sont prescrits pour leur capacité à réduire les spasmes musculaires ou le tonus musculaire (spasticité), ou les deux. Ceux-ci incluent les toxines botuliques et les hypnotiques non-benzodiazépines. Exemples : toxine botulique, eszopiclone
  • 49 essais ont été inclus dans la revue, dont 31 ont permis une analyse quantitative.

 

Population étudiée

  • un total de 6505 patients (≥ 18 ans) présentant une lombalgie commune.

 

Mesure des résultats

  • les critères de jugement primaire sont la douleur et l’acceptabilité (bonne compliance du traitement prescrit)
  • les critères de jugement secondaire sont la fonction, la sécurité (effets indésirables (éventuellement sérieux)) et nombre de patients sortis de l’essai à cause d’un effet indésirable (= tolérance)
  • toutes les analyses ont été stratifiées en fonction de l'utilisation clinique du myorelaxant (antispasmodique, antispasmodique non-benzodiazépine, benzodiazépine et divers) et de la durée de la lombalgie observée dans les essais inclus ; aiguë (0-6 semaines), subaiguë (6-12 semaines), chronique (> 12 semaines) et mixte (participants avec plusieurs durées de symptômes).

 

Résultats

  • le tableau suivant résume les résultats concernant les myorelaxants non-benzodiazépines, pour les lombalgies aiguës (< 2 semaines)

 

Critère de jugement

Mesure

Résultat

Degré de certitude

Intensité de la douleur

Différence moyenne sur échelle de 0 à 100

-7,7 (avec IC à 95% de -12,1 à -3,3)

Très bas

Fonction

Différence moyenne sur échelle de 0 à 100

-3,3 (avec IC à 95% de -7,3 à 0,7)

Très bas

Risque d’effet secondaire

Risque relatif

1,6 (avec IC à 95% de 1,2 à 2,0)

Bas à très bas

Acceptabilité

(risque de non-compliance)

Risque relatif

0,8 (avec IC à 95% de 0,6 à 1,1)

Bas à très bas

 

  • le nombre d’essais étudiant les autres myorelaxants ou d’autres durées de lombalgies était limité, aucune certitude n’a pu en être tirée vu le risque important de biais relevés dans ces essais.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’efficacité et la sécurité des médicaments myorelaxants sont très incertaines. Des indices de (très) bas niveau de certitude montrent que les myorelaxants non-benzodiazépines peuvent avoir un effet statistiquement significatif sur la douleur dans la lombalgie aiguë, mais cet effet est cliniquement non significatif. Aucun effet prouvé sur la fonction. Ces médicaments provoquent très probablement des effets indésirables. Des essais à grande échelle, de haute qualité, contrôlés par placebo sont urgemment nécessaires pour sortir de ces incertitudes.

 

Financement de l'étude

Aucun fonds provenant du secteur commercial ou à but non lucratif n'a été reçu.

 

Conflits d'intérêts des auteurs

Tous les auteurs ont déclaré leurs intérêts et il n'y a pas de liens ou d'activités financières qui pourraient avoir influencé le travail.

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Cette revue systématique avec méta-analyse a été réalisée selon les méthodes et critères les plus récents et rigoureux admis dans la littérature. Deux auteurs ont, de façon indépendante, identifié les études. Les auteurs ont extrait les données, évalué le risque de biais des études incluses en utilisant le Cochrane risk of bias tool et le degré de certitude avec l’outil GRADE. L’outil PRISMA a été utilisé pour le compte-rendu de la revue systématique et de la méta-analyse. Les analyses de sensibilité des effets ont été correctement effectuées et l’hétérogénéité entre les études a été évaluée. Le fait d’avoir fortement élargi le champ d’inclusion des essais, la rigueur des analyses de biais et l’homogénéisation des données a permis de fortement nuancer les conclusions d’une précédente méta-analyse (6) dans le sens d’une très grande prudence dans l’interprétation des résultats.

Dans les limites méthodologiques relevons l’acceptabilité qui, en tant que critère de jugement, est d’une validité limitée vu que les patients peuvent très bien stopper leur traitement juste par guérison.

 

Interprétation des résultats de la revue

Cette revue systématique avec méta-analyse tire sa justification du grand usage qui est encore fait des médicaments myorelaxants aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Nous ne disposons pas de données par rapport aux autres pays. Une méta-analyse n’a pu être réalisée que pour les antispasmodiques non-benzodiazépines dans les lombalgie aiguës et mixtes. Notons une hétérogénéité élevée (I2 = 80%) dans le cadre des lombalgies aiguës. Les résultats de cette synthèse méthodique incitent à tout le moins à une extrême prudence dans l’usage des médicaments myorelaxants dans l’indication de la lombalgie. Aucun argument statistique ne plaide pour une balance bénéfice-risque favorable à cette classe thérapeutique relativement hétéroclite.

Dans l’ensemble des molécules étudiées dans cette revue, seules quelques-unes sont encore commercialisées en Belgique : la tizanidine (Sirdalud®), le baclofène et le diazépam. Deux molécules sont accessibles en France : le thiocolchicoside (un dérivé de la colchicine commercialisé sous le nom de Coltramyl®) et le methocarbomol (Lumirelax®). Le carisoprodol, dont le métabolite est le méprobamate, est uniquement accessible aux Etats-Unis. La chlorzoxazone qui avait été retirée du marché à cause de sa toxicité hépatique sévère mais que l’on voit encore traîner dans certaines préparations magistrales en Belgique (7) n’a pas été étudiée dans cette revue.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet (8) signale que « les relaxants musculaires sont plus efficaces qu'un placebo, mais ils ne sont pas plus efficaces que les AINS, et la combinaison de myorelaxants et d'AINS n'apporte aucun avantage supplémentaire. Les myorelaxants provoquent une somnolence ou des vertiges chez presque un tiers des patients. Un myorelaxant constitue cependant une alternative lorsque les AINS ne conviennent pas ou provoquent des effets indésirables ». Le site interactif du KCE dédié à la lombalgie déconseille explicitement l’usage des myorelaxants dans la prise en charge des lombalgies (9). Comme précisé dans l’introduction, NICE (5) déconseille les antidépresseurs et antiépileptiques dans la lombalgie mais ne précise rien quant aux myorelaxants. La Revue Prescrire juge la balance bénéfice-risque des myorelaxants clairement défavorable, les myorelaxants n’étant pas plus efficaces que le placebo mais exposant à de nombreux effets indésirables (10). Selon le CBIP, « les myorelaxants sont à réserver aux spasticités d’origine médullaire ou cérébrale, avec un effet faible obtenu à des doses provoquant de nombreux effets indésirables » (11).

 

Conclusion de Minerva

Les résultats de cette revue systématique avec méta-analyse réalisée de façon rigoureuse ne permettent pas de montrer une efficacité cliniquement significative des médicaments myorelaxants supérieure au placebo ou au contrôle dans l’indication de la lombalgie. Les médicaments à action myorelaxante incluent une série assez hétéroclite de molécules ayant chacune des effets indésirables non négligeables, dont somnolence et vertige. Aucun argument statistique ou clinique ne plaide pour une balance bénéfice-risque favorable à cette classe thérapeutique.

 

 

Références 

  1. Feron J-M. Lombalgies aiguës : associé au naproxène, le diazépam ne donne pas de meilleurs résultats qu’un placebo. Minerva bref 15/04/2018.
  2. Friedman BW, Irizarry E, Solorzano C et al. Diazepam is no better than placebo when added to naproxen for acute low back pain. Ann Emerg Med 2017;70:169-176.e1. DOI: 10.1016/j.annemergmed.2016.10.002
  3. Qaseem A, Wilt TJ, McLean RM, Forciea MA; Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Noninvasive treatments for acute, subacute, and chronic low back pain: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2017;166:514-30. DOI: 10.7326/M16-2367
  4. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Low back pain and radicular pain: assessment and management. KCE Report 287. Belgian Health Care Knowledge Centre, 2017.
  5. National Institute for Health and Care Excellence. Low back pain and sciatica in over 16s : assessment and management. NICE guideline [NG59]. Published date: November 2016.
  6. Shaheed AC, Maher CG, Williams KA, McLachlan AJ. Efficacy and tolerability of muscle relaxants for low back pain: systematic review and meta-analysis. Eur J Pain 2017;21:228-37. DOI: 10.1002/ ejp.907
  7. Denis B. Retrait du tetrazépam : un problème dans nos pratiques ? RMG 2013;306:34-41.
  8. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. KCE/Ebpracticenet. Dernière mise à jour: 30/06/2017.
  9. Lombalgie. Itinéraire interactif. URL: http://lombalgie.kce.be/
  10. Bilan 2022 des médicaments à écarter. Douleur – Rhumatologie. Rev Prescrire Décembre 2021;41:941.
  11. Médicaments de la spasticité musculaire. Répertoire commenté des médicaments. CBIP janvier 2022.

 

 


Auteurs

Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

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