Revue d'Evidence-Based Medicine



Une brève intervention à domicile avec feedback vidéo est-elle efficace pour traiter les problèmes de comportement chez les enfants âgés d’1 ou 2 ans?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 2 Page 35 - 38

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
O'Farrelly C, Watt H, Babalis D, Bakermans-Kranenburg MJ, et al. A brief home-based parenting intervention to reduce behavior problems in young children: a pragmatic randomized clinical trial. JAMA Pediatr 2021;175:567-76. DOI: 10.1001/jamapediatrics.2020.6834


Question clinique
Quel est l’effet de l’accompagnement des parents avec feedback vidéo à court terme, par rapport à une prise en charge classique, sur les problèmes de comportement chez les enfants à risque âgés de 12 à 36 mois ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, pragmatique, en simple aveugle, qui a été correctement menée, montre qu’une intervention à domicile pendant cinq mois, au cours de laquelle un(e) infirmier/ère formé(e) utilise des images vidéo pour échanger avec les parents quant à leurs interactions avec leur enfant, peut réduire les problèmes de comportement chez les enfants âgés d’un an et de deux ans. Cependant, l’effet a été mesuré avec des instruments qui n’ont pas été validés pour une utilisation dans cette population très jeune. Il est donc difficile d’en interpréter correctement la pertinence clinique.


Contexte

Les troubles du comportement font partie des troubles mentaux les plus fréquents (5 à 10% ) chez les enfants (1). Les enfants qui présentent des problèmes de comportement persistants sont à risque accru de problèmes de santé, et ils ont un parcours scolaire moins fluide et des problèmes sociaux (2,3). Les problèmes de comportement chez les enfants pèsent donc lourdement sur la famille et coûtent cher à la société (4). La façon dont les parents élèvent leurs enfants est un facteur de risque de problèmes de comportement. L’accompagnement des parents peut donc être une intervention efficace pour aborder les problèmes de comportement. Mais la plupart des programmes visent les enfants du préscolaire et du primaire (5). L’accompagnement des parents d’enfants plus jeunes pourrait toutefois être plus efficace du point de vue clinique, économique et éducatif. Une intervention précoce (6) permettrait-elle de traiter les symptômes psychopathologiques avant qu’ils ne soient devenus moins sensibles à une intervention ?

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • recrutement par le biais de centres de santé britanniques et complété par des publicités dans d’autres centres cliniques et communautaires et sur des points de vente en ligne
  • critères d’inclusion : parents âgés d’au moins 18 ans ayant un enfant âgé de 12 à 36 mois dont le score au questionnaire sur les forces et les difficultés (Strenghts and Difficulties Questionnaire, SDQ) pour les problèmes de comportement se situe dans les 20% supérieurs (≥ 8 sur la sous-échelle des comportements problématiques d’extériorisation)
  • critères d’exclusion : parent ou enfant présentant des déficiences sensorielles, des retards de langage ou des troubles d’apprentissage, parent impliqué dans une procédure judiciaire, frère ou sœur déjà impliqué dans l’étude ou dans une autre étude similaire avec feedback vidéo individuel
  • finalement 300 parents ont été inclus, âge moyen : 34 ans (ET 5,5 ans), > 95% de mères, > 60% ayant un emploi et titulaires d’un diplôme d’études supérieures ou universitaires ; les enfants avaient en moyenne 23 mois (ET 6,5 mois), et il y avait à peu près autant de garçons que de filles.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en simple aveugle, contrôlée, avec deux groupes en parallèle :

  • intervention de feedback vidéo pour promouvoir la parentalité positive et la discipline sensible (Video-feedback Intervention to Promote Positive Parenting and Sensitive Discipline, VIPP-SD) + soins habituels (n = 151) : un professionnel de la santé qualifié (généralement un(e) infirmier/ère) se rend à la maison et filme pendant 10 minutes l’interaction entre le parent et l’enfant durant le jeu et d’autres activités ; puis il donne aux parents un feedback ciblé sur l’interaction filmée lors de la visite précédente ; l’intervention se déroule en six séances d’une à deux heures chacune à raison d’une fois toutes les deux semaines
  • uniquement prise en charge classique (n = 149)
  • suivi : 5 mois.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : modification de la gravité des problèmes de comportement mesurée par le Récit parental préscolaire des symptômes des enfants (Preschool Parental Account of Children’s Symptoms, PPACS)
  • critères de jugement secondaires :
    • changement dans la gravité des problèmes de comportement mesurés avec la liste de contrôle du comportement de l’enfant échelles de problèmes ‘Intériorisation’ (réponse émotionnelle, anxieux/déprimé, plaintes physiques, retrait), ‘Extériorisation’ (problèmes d’attention, comportement agressif) et ‘Autres problèmes’ (problèmes de sommeil). L’intériorisation et l’extériorisation constituent conjointement l’échelle des ‘Problèmes totaux’.">(Child Behavior Checklist, CBCL) et le questionnaire sur les points forts et les difficultés (Strenghts and Difficulties Questionnaire, SDQ) ; dans quelle mesure les parents disciplinent leur enfant, mesuré avec l’échelle de parentalité (Parenting Scale)
    • humeur parentale mesurée par le questionnaire sur la santé du patient (Patient Health Questionnaire)
    • peur ou anxiété parentale mesurée par le questionnaire sur le trouble d’anxiété généralisée (Generalized Anxiety Disorder Questionnaire)
    • relation dyadique parent-enfant telle que mesurée par l’échelle d’ajustement dyadique révisée (Revised Dyadic Adjustment Scale)
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

Résultats

  • le score PPACS moyen a diminué, passant de 33,5 points (ET 9,0 points ) en début d’étude à 28,8 points (ET 9,2 points) après cinq mois de suivi dans le groupe VIPP-SD et passant de 32,4 points (ET 10,6 points) à 30,3 points (ET 9,9 points) dans le groupe témoin ; à la fin du suivi, le score PPACS était en moyenne inférieur de 2,03 (avec IC à 95% de 0,06 à 4,0 ; p = 0,04) dans le groupe VIPP-SD ; le score à la sous-échelle pour les problèmes de comportement dans le groupe VIPP-SD était inférieur de 1,61 point en moyenne (avec IC à 95% de 0,44 à 2,78 ; p = 0,007) à la fin du suivi ; pour la sous-échelle TDAH, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes d’étude quant à la diminution
  • pour les échelles CBCL et SDQ, aucune différence statistiquement significative quant à la diminution n’a été observée entre les deux groupes
  • pour les autres critères de jugement secondaires non plus, aucune différence n’a pu être établie entre les deux groupes.

 

Conclusion des auteurs

Cette étude a montré que la VIPP-SD était efficace pour réduire les symptômes des problèmes comportementaux précoces chez les jeunes enfants lorsqu’elle était appliquée dans un contexte de prise en charge de routine.

 

Financement de l’étude

Aucun sponsoring commercial n’est prévu dans cette étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Tous les auteurs ont rempli les documents pour déclarer leurs conflits d’intérêts. Certains ont reçu du financement du NIHR dans le cadre de l’étude et en dehors de cette étude. Deux auteurs ont développé le VIPP-SD.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement des participants pour cette étude randomisée contrôlée multicentrique était très large. Mais, parmi les 818 familles qui entraient en ligne de compte, seulement 300 ont finalement été sélectionnées. Les chercheurs ont ainsi atteint la taille d’échantillon proposée. Il sera cependant difficile d’extrapoler les résultats car les critères d’inclusion et d’exclusion étaient stricts. La randomisation a été effectuée correctement, avec stratification en fonction du lieu de recrutement et du nombre de parents participants par enfant, et avec préservation du secret de l’attribution. En raison de la nature de l’intervention, il n’a pas été possible que les participants ne sachent pas quel traitement était appliqué. Par contre, les prestataires de soins ne savaient pas quel traitement était appliqué, et l’évaluation de l’effet a été effectuée en aveugle de l’attribution de l’intervention. Le taux d’abandon de l’étude était plus faible que prévu ; il était plus élevé dans le groupe intervention que dans le groupe témoin (11 contre 3). Pour mesurer l’effet sur les problèmes de comportement, les chercheurs ont utilisé différentes échelles, qui n’avaient pas été validées pour une utilisation chez les enfants de moins de 2 ans. Une analyse en intention de traiter a été effectuée, et les résultats des différentes échelles de mesure ont également été ajustés pour tenir compte de divers facteurs tels que le score à l’entrée dans l’étude, la durée du suivi et l’âge de l’enfant.

 

Interprétation des résultats

Les chercheurs ont pu montrer qu’un bref accompagnement des parents dans le contexte familial, au cours duquel le comportement de l’enfant est discuté à partir d’une vidéo, est plus efficace qu’une prise en charge classique pour traiter les problèmes de comportement à un jeune âge. La différence moyenne de 2 points sur l’échelle PPACS entre le groupe intervention et le groupe témoin était statistiquement significative. En outre, la différence s’est avérée statistiquement significative uniquement pour la sous-échelle des problèmes de comportement et non pour la sous-échelle des problèmes d’attention de l’échelle PPACS, ce qui correspond à l’objectif de l’intervention. Les auteurs interprètent une différence de 2 points comme étant cliniquement pertinente. Selon eux, cette différence montrerait un changement entre un comportement destructeur (destruction délibérée d’objets) et l’absence de comportement destructeur. Cependant, on ignore encore comment l’interpréter exactement dans le contexte de cette population très jeune. Les analyses de sous-groupes suggèrent que l’effet de l’intervention était plus important chez les enfants ayant des problèmes de comportement plus graves et qu’il était au moins aussi important chez les enfants âgés d’un an que chez les enfants de deux ans. Il n’y avait pas de différence apparente entre les divers groupes ethniques.

Aucun effet statistiquement significatif n’a été trouvé sur deux autres échelles du comportement. La puissance de l’étude n’était peut-être pas suffisante pour cela. Cela n’a pas non plus eu d’effet sur l’humeur des parents, leur stress, leur relation mutuelle, leur capacité à s’adapter à la relation et leur capacité à discipliner leur enfant. Il se peut que les programmes parentaux ne sont pas assez puissants pour changer les « indicateurs généraux d’inconfort » (7). Enfin, il est à noter que la thérapie a été suivie et appliquée fidèlement. L’observance thérapeutique était bonne : parmi les 151 participants, 121 (80%) ont suivi les six séances prescrites, et 129 (85%) ont suivi au moins quatre séances (score limite pour l’observance thérapeutique). Les séances ont également été fidèlement exécutées : 72 (94%) des 77 séances évaluées au hasard ont atteint le seuil minimum de fiabilité d’exécution. Ces résultats indiquent que l’intervention peut être mise en œuvre de manière fiable dans les services de santé nationaux par des infirmier/ères et/ou des éducateurs/trices travaillant dans des cliniques de santé infantile.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Ebpracticenet rappelle qu’une intervention précoce qui aborde tant les facteurs de risque que les caractéristiques individuelles des troubles du comportement chez l’enfant améliore le pronostic de ces troubles, qui sont souvent difficiles à traiter (8). Si les symptômes ne sont pas maîtrisés, l’environnement de l’enfant commencera à considérer les problèmes de comportement comme faisant partie de la personnalité de l’enfant et non comme des symptômes traitables (8). Cela peut alors conduire au pessimisme quant à la possibilité d’un traitement. Le traitement est basé sur une trajectoire de soins qui est établie avec la famille et avec tous les contacts proches désignés (8). Le traitement est polyvalent et doit être adapté individuellement à chaque cas (8). Une intervention globale nécessite généralement le déploiement d’une équipe pluridisciplinaire disposant d’un réseau efficace (8). L’orientation parentale et diverses interventions familiales (favoriser les interactions précoces, rééducation familiale assistée par vidéo, etc.) constituent une part importante du traitement global (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, pragmatique, en simple aveugle, qui a été correctement menée, montre qu’une intervention à domicile pendant cinq mois, au cours de laquelle un(e) infirmier/ère formé(e) utilise des images vidéo pour échanger avec les parents quant à leurs interactions avec leur enfant, peut réduire les problèmes de comportement chez les enfants âgés d’un an et de deux ans. Cependant, l’effet a été mesuré avec des instruments qui n’ont pas été validés pour une utilisation dans cette population très jeune. Il est donc difficile d’en interpréter correctement la pertinence clinique.

 

 

Références 

  1. Scott S. Oppositional and conduct disorders. In: Thapar A, Pine DS, Leckman JF, et al. (Eds). Child and adolescent psychiatry (6th). John Wiley & Sons; 2015. p. 966-80. DOI: 10.1002/9781118381953.ch65
  2. Caspi A, Begg D, Dickson N, et al. Personality differences predict health-risk behaviors in young adulthood: evidence from a longitudinal study. J Pers Soc Psychol 1997;73:1052-63. DOI: 10.1037//0022-3514.73.5.1052
  3. Fergusson DM, Horwood LJ, Ridder EM. Show me the child at seven: the consequences of conduct problems in childhood for psychosocial functioning in adulthood. J Child Psychol Psychiatry 2005;46:837-49. DOI: 10.1111/j.1469-7610.2004.00387.x
  4. Petitclerc A, Tremblay RE. Childhood disruptive behaviour disorders: review of their origin, development, and prevention. Can J Psychiatry 2009;54:222-31. DOI: 10.1177/070674370905400403
  5. Perrin EC, Sheldrick RC, McMenamy JM, et al. Improving parenting skills for families of young children in pediatric settings: a randomized clinical trial. JAMA Pediatr 2014;168:16-24. DOI: 10.1001/jamapediatrics.2013.2919
  6. Doyle E, Harmon CP, Heckman JJ, Tremblay RE. Investing in early human development: timing and economic efficiency. Econ Hum Biol 2009;7:1-6. DOI: 10.1016/j.ehb.2009.01.002
  7. Doyle O, Delaney L, O’Farrelly C, et al. Can early intervention improve maternal well-being? Evidence from a randomized controlled trial. PLoS One 2017;12:e0169829. DOI: 10.1371/journal.pone.0169829
  8. Troubles du comportement chez l'enfant et l'adolescent. Ebpracticenet. Duodecim Medical Publications. Mis à jour: 17/04/2017. Screené: 2019.

 




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