Revue d'Evidence-Based Medicine



La technologie d’assistance et les télésoins adaptés et étendus sont-ils efficaces pour permettre aux personnes atteintes de démence de vivre à domicile plus longtemps et en toute sécurité ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 2 Page 39 - 42

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste

Analyse de
Gathercole R, Bradley R, Harper E, et al. Assistive technology and telecare to maintain independent living at home for people with dementia: the ATTILA RCT. Health Technol Assess 2021;25:1-156. DOI: 10.3310/hta25190


Question clinique
Quel est l’effet d’une technologie d’assistance et de télésoins adaptés et étendus plutôt que limités chez les personnes atteintes de démence pour qu’elles vivent plus longtemps à domicile de manière autonome ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, pragmatique, qui a été correctement menée, montre qu’un package adapté et complet de technologie d’assistance et de télésoins, par comparaison avec un package plus limité de mesures de soutien, n’a aucun effet pour une vie autonome plus sûre et plus longue à domicile chez les personnes âgées atteintes de démence. L’intervention n’était pas rentable non plus, et aucun soulagement pour les aidants proches n’a pu être constaté. Dans certaines situations, l’intervention a eu un impact négatif sur la vie de la personne atteinte de démence. Mais il y avait peu de corrélation entre le besoin de soins mesuré et la technologie effectivement mise en place.


Contexte

La prise en charge des personnes atteintes de démence est lourde, tant en termes de coûts de soins de santé que de charges psychologique et sociale pour l’aidant proche. L’admission précoce non planifiée en maison de repos et de soins d’une personne atteinte de démence s’explique souvent par une surcharge de l’aidant proche. À cet égard, la technologie d’assistance et les télésoins pourraient apporter un soutien. La technologie d’assistance est définie comme « tout élément, appareil, produit ou système, qu’il soit acquis dans le commerce, prêt à l’emploi, adapté ou fabriqué sur mesure, que l’on utilise pour étendre, maintenir ou améliorer les capacités fonctionnelles des personnes atteintes de troubles cognitifs, de problèmes physiques ou de problèmes de communication » (1). Les télésoins peuvent inclure de nombreuses interventions différentes, telles que la prestation de soins à distance et la surveillance des capacités fonctionnelles (2). Malgré l’utilisation croissante des technologies d’assistance et des télésoins, leur effet n’a pas été suffisamment démontré. D’un point de vue méthodologique, les études ne sont souvent que faiblement étayées, ou leurs résultats sont contradictoires (3). Une étude sérieuse portant sur la technologie d’assistance et les télésoins est néanmoins socialement pertinente compte tenu du vieillissement de la population, avec la prévalence croissante de troubles chroniques (y compris la démence) ainsi que la charge pesant sur les aidants proches (4).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • recrutement par le biais de centres de travail social et de santé (NHS) sur 11 sites en Angleterre
  • inclusion de 495 personnes âgées vivant à domicile (âge moyen 81 ans (ET 8 ans) ; 60% de femmes) chez qui avait été diagnostiquée une démence ou qui avaient des problèmes de mémoire avérés ou chez qui une démence était suspectée, et qui, de l’avis d’un professionnel de santé, avaient besoin de dispositifs d’assistance et de télésoins, et dont le logement permettait l’installation de ces technologies
  • critères d’exclusion : technologie d’assistance et télésoins déjà présents ou déjà reçus mais non utilisés, risque élevé de sortie d’étude, participation à une autre étude interventionnelle portant sur la démence, besoin urgent d’un ensemble de soins en raison d’un danger grave pour soi ou pour autrui, absence d’un aidant proche approprié.

Protocole de l’étude

Étude randomisée, contrôlée, en ouvert, multicentrique, pragmatique, avec deux bras :

  • groupe intervention (n = 248) : chaque participant a été évalué par un fournisseur local de technologie d’assistance et de télésoins pour déterminer le niveau d’aide requis et sélectionner les ressources nécessaires ; installation de technologies simples alimentées par batterie et/ou de télésoins (dispositifs et capteurs qui communiquent et sont connectés à une centrale externe où une réponse appropriée est générée)
  • groupe témoin (n = 247) : placement de détecteurs de fumée et de détecteurs de monoxyde de carbone ainsi que d’un coffre à clés sur recommandation de l’assistante sociale ou du professionnels de santé
  • suivi : au moins 2 ans sauf si passage en milieu résidentiel ou décès ; durant ces 2 années, cinq moments de suivi ont été prévus ; ensuite, les participants ont été invités pour un suivi téléphonique tous les six mois jusqu’à la fin de l’étude, pendant maximum 3 ans ou jusqu’au passage en milieu résidentiel ou jusqu’au décès.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement principaux : délai (en jours) entre la randomisation et le passage en milieu résidentiel ; rentabilité
  • critères de jugement secondaires : charge de soins pour l’aidant proche, nombre et gravité des événements indésirables ; données qualitatives et quantitatives sur l’acceptabilité, l’applicabilité et l’observance des technologies utilisées
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter (ITT).

 

Résultats

  • critères de jugement primaires : pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin quant au nombre de jours jusqu’au passage en milieu résidentiel (médiane 127 semaines contre 128 semaines ; HR de 0,76 avec IC à 95% de 0,58 à 1,01 ; p = 0,054), ni après ajustement pour tenir compte de la différence à l’inclusion entre les deux groupes en termes d’activités de la vie quotidienne ; pas de différence entre les deux groupes quant aux coûts des soins de santé et sociaux, ni quant aux coûts pour la communauté ; diminution statistiquement significative du nombre d’années de vie ajustées en fonction de la qualité (QALY) dans le groupe intervention, par comparaison avec le groupe témoin, selon la mesure de la qualité de vie chez les participants, mais pas selon la mesure chez les aidants proches après 104 semaines
  • critères de jugement secondaires : pas de différence dans la charge de soins, le bien-être psychologique et la qualité de vie des aidants proches ; parfois augmentation temporaire des situations de crise chez les patients et les aidants proches.

 

Conclusion des auteurs

Par comparaison avec un package basique, le package complet de technologies de soutien et de télésoins n’a pas permis de constater de prolongation de la durée pendant laquelle une personne atteinte de démence peut continuer à vivre à domicile. On n’a pas non plus observé de diminution de la dépression, de l’anxiété et de la charge des aidants proches, non plus que d’amélioration de la santé des participants ; les soins sociaux n’étaient pas plus importants, et les coûts n’étaient pas plus élevés. Le nombre de QALY était plus faible dans le groupe intervention que dans le groupe témoin lorsque la qualité de vie était mesurée par les participants, mais pas lorsqu’elle était mesurée par les proches.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par le programme « Health Technology Assessment » du National Institute for Health Research (NIHR).

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Plusieurs auteurs ont indiqué avoir reçu un financement du NIHR ou d’organismes extérieurs au cours du projet. Pour cette étude, il s’agissait d’aides dans le cadre de problèmes de mémoire (capteurs, systèmes de surveillance passive et d’alarme) conseillées par un professionnel de santé ou par un assistant social.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement dans cette étude randomisée contrôlée pragmatique était très large. Bien que les critères d’inclusion et d’exclusion aient été décrits avec précision, la population incluse peut être hétérogène. Il y a à cela plusieurs causes, notamment la variation des caractéristiques de la population pour ce qui est des lieux où les personnes ont été recrutées. Par exemple, les participants recrutés par le biais du NHS devaient répondre aux critères de financement des soins sociaux, ce qui n’est pas mentionné dans les critères d’inclusion. Un biais de sélection ne peut pas non plus être complètement exclu. Sur les 1411 répondants recrutés, il faut savoir que 916 ont été exclus (408 parce qu’ils ne remplissaient pas les critères d’inclusion, 298 parce qu’ils ont refusé de participer et 210 pour une autre raison). Le nombre élevé de refus de participer à l’étude était prévisible en raison des coûts potentiels associés à la technologie d’assistance et aux télésoins. La taille d’échantillon proposée a néanmoins été atteinte.

La description de l’intervention a suivi la liste de contrôle TiDier (5). Le but de l’intervention est clairement formulé, à savoir augmenter la durée pendant laquelle une personne atteinte de démence peut continuer à vivre à domicile de façon autonome et en toute sécurité. Pour y parvenir, les dispositifs techniques installés devaient correspondre aux besoins détectés chez la personne atteinte de démence et chez son aidant. Il n’y avait toutefois qu’une faible corrélation entre les besoins détectés et les conseils délivrés. L’instrument utilisé pour déterminer dans quelle mesure des soins étaient nécessaires comptait 14 domaines cartographiant la motivation, les routines, la communication, les compétences cognitives et physiques et l’environnement physique et social de la personne atteinte de démence. Les listes, complétées localement, ont été examinées par deux chercheurs de manière indépendante, dans une tentative d’harmonisation. Selon le centre, 2 à 13 patients ont été évalués. Les fournisseurs publics de télésoins ont évalué un plus grand nombre de patients que les fournisseurs à but non lucratif. En raison de la conception pragmatique de l’étude, il y avait aussi une grande variation dans le financement de la technologie d’assistance offerte. Le fait que les dispositifs d’aide soient financés ou non peut entraîner des différences dans la mise en œuvre des conseils. Il y avait en effet un écart entre le besoin de technologie d’assistance et la mise en œuvre effective de la technologie. Ainsi, 62% des dispositifs technologiques ont été installés sans qu’il n’y ait ensuite d’évaluation ; par ailleurs, 53% des dispositifs technologiques recommandés n’étaient toujours pas été installés à la semaine 24. De tels écarts par rapport au protocole de l’étude pourraient avoir considérablement influencé les résultats.

La randomisation a été stratifiée en fonction du sexe, de l’âge, de la sécurité du domicile, du risque d’errance et du degré de soins informels. Le degré de déficience cognitive n’a pas été inclus dans la stratification. Des remarques peuvent être formulées à cet égard étant donné la nature de la population et le fait que ces données étaient effectivement disponibles (test de Folstein). Aucune raison n’est donnée pour expliquer pourquoi le niveau de déficience cognitive n’a pas été inclus dans la stratification. La plupart des données démographiques sont assez équilibrées entre les deux bras, mais il est à noter que les participants du groupe témoin avaient en moyenne un score inférieur au test de Folstein. On ne sait pas si cette différence était statistiquement significative.

Les chercheurs indiquent qu’en raison de la nature de l’intervention, la mise en aveugle des participants ou des prestataires de soins n’a pas été possible. C’est fréquent dans les études portant sur des interventions comportementales (6). Les investigateurs qui ont rassemblé les données ont travaillé en aveugle. Ce serait pour des raisons éthiques ou pratiques… qui ne sont pas décrites clairement. Il faut tenir compte de ce risque de biais de détection (7).

Les critères de jugement primaires et secondaires sont clairement enregistrés et sont pertinents pour la pratique quotidienne. Comme il n’y a pas de liste de contrôle pour la technologie d’assistance chez les personnes atteintes de démence, une liste de contrôle avec 6 fonctions a été préparée et a été utilisée par les investigateurs locaux lors des visites à domicile. Les mesures ont été effectuées soit au domicile de la personne, soit chez la personne hors de son domicile, soit par téléphone, soit sur la base de notes. Il n’y a pas de mention d’une formation des évaluateurs. On ne sait donc pas dans quelle mesure les critères de jugement sont fiables. En effectuant une analyse en ITT, le facteur « observance » est inclus dans le calcul de l’effet des critères de jugement. Des analyses de sous-groupes selon que, par exemple, la technologie d’assistance est ou non financée auraient pu rendre les résultats plus informatifs et pertinents pour la pratique clinique.

 

Interprétation des résultats

Aucune différence statistiquement significative n’a été trouvée entre le groupe intervention et le groupe témoin quant aux critères de jugement primaires et secondaires. Ce résultat est cependant incertain en raison de la faible corrélation entre la mesure des besoins et la mise en place effective des ressources. Dans certaines situations, on a constaté que la technologie d’assistance perturbait la vie de la personne atteinte de démence. Par exemple, installer des appareils inconnus ou apporter des modifications à l’environnement domestique était parfois perçu comme une menace. De plus, il a été indiqué que la technologie d’assistance et les télésoins avaient parfois un impact sur les relations interpersonnelles.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Aucun guide de pratique clinique ne peut être trouvé sur le site Internet d’Ebpracticenet concernant les dispositifs d’assistance pour les personnes atteintes de démence. Le « Guide de pratique clinique pluridisciplinaire relatif à la collaboration dans la dispense de soins aux personnes âgées atteintes de démence et à leurs aidants proches » préconise une étroite collaboration et une bonne communication entre les différents intervenants (8). Cette collaboration est nécessaire pour un accompagnement de qualité des personnes atteintes de démence et de leurs aidants proches. Il est également recommandé de valoriser les compétences de l’aidant proche pour optimiser sa capacité de charge, et d’assurer une bonne coordination des soins lorsque cela est souhaitable.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, pragmatique, qui a été correctement menée, montre qu’un package adapté et complet de technologie d’assistance et de télésoins, par comparaison avec un package plus limité de mesures de soutien, n’a aucun effet pour une vie autonome plus sûre et plus longue à domicile chez les personnes âgées atteintes de démence. L’intervention n’était pas rentable non plus, et aucun soulagement pour les aidants proches n’a pu être constaté. Dans certaines situations, l’intervention a eu un impact négatif sur la vie de la personne atteinte de démence. Mais il y avait peu de corrélation entre le besoin de soins mesuré et la technologie effectivement mise en place.

 

 

Références 

  1. Marshall M. ASTRID: A Social and Technological Response to meeting the needs of Individuals with Dementia and their carers: a guide to using technology within dementia care. Hawker Publications; 2000.
  2. Knapp M, Barlow J, Comas-Herrera A, et al. The case for investment in technology to manage the global costs of dementia. Policy Innovation Research Unit; 2015.
  3. Bharucha AJ, Anand V, Forlizzi J, et al Intelligent assistive technology applications to dementia care: current capabilities, limitations, and future challenges. Am J Geriatr Psychiatry 2009;17:88-104. DOI: 10.1097/JGP.0b013e318187dde5
  4. Chiari A, Pistoresi B, Galli C, et al. Determinants of caregiver burden in early-onset dementia. Dement Geriatr Cogn Dis Extra 2021;11:189-97. DOI: 10.1159/000516585
  5. Hoffmann TC, Glasziou PP, Boutron I, et al. Die TIDieR Checkliste und Anleitung - ein Instrument für eine verbesserte Interventionsbeschreibung und Replikation [Better Reporting of Interventions: Template for Intervention Description and Replication (TIDieR) Checklist and Guide]. Gesundheitswesen 2016;78:175-88. [German.] DOI: 10.1055/s-0041-111066
  6. Friedberg JP, Lipsitz SR, Natarajan S. Challenges and recommendations for blinding in behavioral interventions illustrated using a case study of a behavioral intervention to lower blood pressure. Patient Educ Couns 2010;78:5-11. DOI: 10.1016/j.pec.2009.04.009
  7. Higgins JP, Thomas J (editors). Cochrane handbook for systematic reviews of interventions version 6.2 2021 Cochrane, 2021. Available from www.handbook.cochrane.org. Url: https://handbook-5-1.cochrane.org/chapter_8/8_4_introduction_to_sources_of_bias_in_clinical_trials.htm
  8. De Coninck L, De Vliegher K, D’hanis G, et al. Guide de pratique clinique pluridisciplinaire relatif à la collaboration dans la dispense de soins aux personnes âgées démentes résidant à domicile et leurs aidants proches. Ebpracticenet/Groupe de travail réalisation de recommandations de première ligne, 2017. Mis à jour : 11/01/2018.

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires